Déclaration de M. Charles Pasqua, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, sur les projets de loi sur l'aménagement du territoire, la sécurité et les secours d'urgence et sur le rôle des préfets dans la maîtrise de l'immigration, Paris le 9 juin 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Charles Pasqua - Ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire

Circonstance : Réunion des préfets à Paris le 9 juin 1994

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les préfets,
Je souhaite aujourd'hui aborder devant vous trois sujets principaux :
- le projet de loi sur l'aménagement du territoire ; 
- l'immigration ;
- la sécurité de nos concitoyens.
I - L'aménagement du territoire
En ce qui concerne la loi d'orientation pour le développement du territoire, l'heure du débat parlementaire s'approche.
D'ores et déjà, le Conseil Economique et Social a rendu son avis dans lequel il approuve les objectifs de la loi, mais regrette que le Gouvernement se soit montré trop prudent, notamment sur les moyens.
Il est vrai qu'il a fallu tenir compte de l'état de nos finances publiques. Il fallait donc bien admettre que l'effort devait être étalé dans le temps. Pour autant, le projet de loi et le schéma national qui lui est annexé ne sont pas modestes dans leurs ambitions, loin s'en faut.
Tout ne pouvait pas être contenu dans un seul texte mais Etat, collectivités locales, socioprofessionnels et citoyens trouveront dans la loi le cadre de leur coopération qui jusqu'à présent faisait défaut.
De ce cadre, les gouvernements qui se succéderont dans l'avenir pourront faire l'instrument de leur politique. Bien sûr, l'outil ne vaudra qu'à proportion de la volonté qui s'exprimera et des moyens qui lui seront consacrés dans la durée tant la reconquête du territoire exigera de temps et d'efforts continus.
Nous sommes ici au commencement de ce processus : une dynamique nouvelle est née avec ce grand débat national et même s'il faut procéder pas à pas, personne désormais ne pourra plus la retenir.
A condition que la discussion ne s'enlise pas dans les faux procès et dans les faux débats.
Et c'est là que vous avez, vous les membres du corps préfectoral, un rôle décisif à jouer pour faire comprendre le projet, ses objectifs, sa philosophie et surtout, la politique qui le sous-tend et qui lui donne son sens.
Cette politique, elle procède tout entière d'un principe qui est celui de la cohésion nationale. On ne comprend cette loi d'orientation qu'à partir de cette idée clé selon laquelle 1a France ne profitera bien des grands courants d'échanges internationaux que si elle est capable de faire bloc en rassemblant toutes ses forces, en exploitant tous ses atouts.
L'enjeu de cette loi, n'est pas seulement une stratégie d'équipement, c'est aussi une stratégie économique, sociale, culturelle.
Ce projet crée les moyens de s'opposer au développement inégal des territoires. Il s'agit bien d'une loi de développement du territoire, pas seulement d'une loi d'aménagement. Et par cette formule nouvelle, le Gouvernement veut indiquer combien son projet va au-delà des politiques anciennes centrées sur les grands équipements et la répartition des fruits de la croissance.
L'aménagement du territoire, c'est le redéploiement des moyens. Le développement du territoire, c'est le redéploiement plus la création de richesses.
A cette action de développement du territoire, la loi donne un cadre juridique nouveau tandis que le schéma national lui apporte une cohérence et un horizon qui permettront de construire dans la durée une véritable politique d'investissement public.
Fonds d'intervention, fonds de péréquation des transports, fonds de gestion de l'espace rural, fonds d'aide à la création d'entreprise, fiscalité dérogatoire dans les zones prioritaires, voilà les instruments dont disposera désormais l'Etat pour lutter contre le développement inégal des territoires. Instruments d'autant plus efficaces que la loi accélère la déconcentration administrative par laquelle la décision se rapproche du citoyen, s'adapte à la décentralisation et se plie à cette cohérence interministérielle que les cloisonnements verticaux des technostructures empêchent trop souvent d'atteindre.
Cela signifie-t-il, comme le prétendent certains, que l'Etat entend être le seul acteur du développement du territoire ? Certes non, tant la réaffirmation du rôle de l'Etat appelle, en même temps, le renforcement de son partenariat avec les collectivités territoriales et notamment avec la région dont la vocation en ce qui concerne l'aménagement du territoire est reconnue et consolidée par la création de " la Charte régionale de développement du territoire "
Ce partenariat Etat-région est élargi aux autres collectivités territoriales par la création de la " conférence régionale de développement du territoire " co-présidée par le préfet de région et le président du Conseil régional et qui permettra à l'Etat, à la région, aux départements et aux communes d'échanger des informations et de formuler des avis sur leurs actions de développement.
La loi renforce aussi les moyens que les collectivités territoriales peuvent mettre en commun au service du développement local. Nul besoin pour cela de bouleverser la répartition des compétences.
L'Etat peut mener une politique plus volontariste qu'au cours des vingt dernières années sans retirer des compétences aux collectivités décentralisées. Les collectivités quant à elles, peuvent agir sans que l'Etat renonce à aucune de ses prérogatives.
C'est la souplesse et la coopération qui importent bien davantage qu'un partage rigide entre d'hypothétiques blocs de compétences qui seraient parfaitement homogènes. C'est la raison pour laquelle la loi insiste surtout sur la coopération intercommunale, interrégionale, et transfrontalière ainsi que sur la possibilité pour l'Etat de déléguer la réalisation d'un équipement ou l'exercice d'une compétence.
Sans doute ceux qui n'attendaient qu'une nouvelle loi de décentralisation seront-ils déçus. Mais ce n'était pas le sujet.
Égalité devant l'emploi, égalité devant l'éducation, devant la culture, devant la santé, devant la sécurité, égalité devant le service public, voilà l'objet de cette loi, à travers la péréquation des ressources fiscales, la modulation des dotations, le développement de l'emploi et des services publics dans les zones rurales, et dans les banlieues.
Avec le renforcement des pouvoirs du préfet notamment en ce qui concerne le contrôle de légalité, la déconcentration des moyens financiers, la tutelle sur les entreprises publiques, le redécoupage des arrondissements en fonction des " pays ", c'est tout simplement l'Etat républicain qui reprend sa place.
S'agissant du contrôle de légalité, je vous ai adressé, en juillet 1993 avec le ministre délégué, une circulaire vous rappelant l'importance que nous attachons au respect de l'état de droit et vous incitant à faire preuve de détermination dans l'exercice du contrôle de la légalité des actes des collectivités territoriales.
Cette circulaire mettait notamment l'accent sur l'organisation nécessaire de ce contrôle et la formation des personnels qui en sont chargés.
Le rapport de l'inspection générale, que vous avez tous reçus, comme celui du Conseil d'Etat, montre que beaucoup reste à faire.
Je relève notamment le constat selon lequel le déféré n'est pas suffisamment utilisé. J'entends bien que tout problème soulevé doit d'abord faire l'objet d'un dialogue et d'une tentative de conciliation avec les élus concernés. Mais je rappelle que l'échec de cette conciliation doit conduire à la saisine des juridictions compétentes.
Je note également, que dans la plupart des cas, le contrôle de la légalité et le contrôle budgétaire n'apparaissent pas comme des tâches prioritaires. Mal organisé, ce contrôle fait rarement l'objet d'une réflexion stratégique.
Je ne saurais trop vous inciter à vous inspirer des propositions de ce rapport, qui, s'ajoutant à d'autres émanant d'autorités extérieures au ministère, a le mérite de s'appuyer sur 24 enquêtes sur le terrain.
Pour sa part, l'administration centrale développera son rôle d'appui méthodologique et technique. Vous aurez noté que l'article 11 du projet de la loi d'orientation pour le développement du territoire contient des dispositions de nature à résoudre un certain nombre de problèmes juridiques que vous pose le sursis à exécution.
Je compte sur vous pour donner un nouvel élan à l'exercice d'une attribution que vous détenez de la Constitution. Il y va de la crédibilité de votre fonction de représentant de l'Etat.
S'agit-il avec ce projet de loi et les moyens nouveaux qui vous sont donnés pour le contrôle de légalité, comme on l'entend parfois dire d'une tentative de recentralisation, d'une reprise en nain par l'Etat ? S'agit-il d'une mise en tutelle des élus ? S'agit-il d'un retour de l'étatisme, du dirigisme, du jacobinisme ? Certainement pas ! Aucune compétence n'est retirée à aucune collectivité. Aucune collectivité n'est supprimée. Aucune tutelle supplémentaire n'est créée.
Simplement l'Etat se réforme, se réorganise, se décloisonne, se déconcentre et, ce faisant, se redonne les moyens d'agir. Loin d'être une atteinte à la décentralisation, cette réhabilitation de l'autorité de l'Etat est la condition même de sa survie et de son progrès que le développement inégal, l'affaiblissement de la cohésion nationale, la perte d'autorité de la loi, condamneraient irrémédiablement.
Naturellement, c'est à l'Etat républicain qu'il revient d'assurer une péréquation équitable des ressources de sorte que ne soit pas rompue l'égalité entre les citoyens.
Et dans ce domaine de la fiscalité locale et des inégalités qu'elle engendre, c'est bien la réforme de la taxe professionnelle qui sera décisive parce qu'elle représente plus de la moitié de la fiscalité directe locale, parce qu'elle est la cause de 90 % des écarts de richesse fiscale entre les communes, et parce qu'enfin ses effets économiques sont importants.
Réaffirmation du rôle de l'Etat, renforcement de son partenariat avec les collectivités territoriales, péréquation, clarification de certaines compétences et de certaines règles ne sauraient faire oublier que le développement du territoire est à l'évidence une oeuvre collective.
Dans cette oeuvre collective où il faut épouser toute la diversité des situations, chacun a sa place : l'Etat la région, le département, la commune, le citoyen.
On ne peut donc prendre prétexte du développement du territoire pour supprimer un échelon d'administration ou fusionner autoritairement certaines communes ou certaines régions pour en diminuer le nombre. C'est assez dire combien ont eu tort ceux qui ont cru discerner, dans le " schéma national ", le redécoupage du territoire en 7 grandes régions. Il s'agissait en fait de rationaliser les grands équipements interrégionaux et non de refaire un découpage administratif dont on ne voit pas très bien en quoi il pourrait exercer une influence décisive sur le développement local.
Ni socle d'un nouvel étatisme, ni machine de guerre contre les régions, ce projet de loi n'est pas non plus l'expression d'un rejet de la ville au profit d'un ruralisme nostalgique. Mais faut-il pour autant se rallier à ceux qui ne rêvent que d'eurocités et de conurbations géantes ?
Mieux utiliser l'espace plutôt que de tout concentrer, retrouver une échelle humaine pour reprendre la maîtrise des choses, voilà la philosophie de cette politique qui veut mettre toutes les villes en réseau, des plus grandes jusqu'aux plus petites, et permettre à chacune de jouer son rôle. Moins saturées, les métropoles elles-mêmes y trouveront leur compte et un surcroît de compétitivité et d'attractivité par rapport à leurs rivales européennes.
La ligne de partage ne passe pas entre les tenants de la modernité urbaine et les nostalgiques de la société agraire. Elle passe, là encore, entre les tenants de la solidarité nationale et les partisans du chacun pour soi.
Et il vous appartient de faire en sorte qu'on ne se trompe pas de débat.
Ce débat, il va d'ailleurs être relancé très vite puisque aujourd'hui même, l'Assemblée générale du Conseil d'Etat se prononce et que dès le 15 juin le texte remanié sera présenté au Conseil des ministres. Il sera ensuite officiellement transmis à l'Assemblée nationale où la commission spéciale créée à cet effet travaille déjà sur l'avant projet. La première lecture par l'Assemblée aura lieu dès le mois de juillet au cours d'une session extraordinaire.
En tout état de cause, le vote définitif devrait être acquis avant la fin de cette année. Le texte final sera sans doute sensiblement différent du projet initial puisque le Gouvernement est disposé à ce que la loi et le schéma soient largement amendés par le Parlement. Ainsi sera réalisée la synthèse la plus large des aspirations et des sensibilités de chacun dans le respect, bien sûr, de la solidarité nationale et de l'égalité des chances qui inspirent toute la démarche entreprise depuis le CIAT de Mende jusqu'à aujourd'hui.
II - L'immigration
Je souhaite évoquer en second lieu votre rôle dans l'application des lois sur la maîtrise de l'immigration. L'administration centrale, le Parlement ont fait leur travail. Les textes nouveaux ont été promulgués au début de l'année. Les derniers décrets d'application sortent ou vont sortir. Cela veut dire que 1994 sera la première année pleine au cours de laquelle la politique nouvelle aura été appliquée. Il y aura donc un bilan. Et je vous redis aujourd'hui l'importance que j'y attache.
Mais le bilan global n'est jamais que l'agrégation des bilans de chaque département, c'est-à-dire du bilan de chacun d'entre vous. Je suis personnellement les résultats chaque mois. Ils sont bons. Mais ils pourraient être meilleurs encore, en particulier pour les délais de traitement des dossiers et pour l'éloignement des étrangers en situation irrégulière.
Sur ce dernier point, je relève que le nombre de reconduites prononcées par arrêté préfectoral a. baissé sur le premier trimestre de l'année 1994 de 20 % par rapport à la même période en 1993. Il peut y avoir des raisons objectives et conjoncturelles à cette baisse. Mais je vous demande de rester attentifs à la mobilisation de vos services.
Le nombre de reconduites exécutées est en revanche en progression sensible, de plus de 36 % sur la même période, ce qui s'explique en partie par une amélioration du taux d'exécution. Mais là aussi, nous avons une marge de progression encore très sensible et je souhaiterais que vous puissiez l'utiliser. Plusieurs moyens en ce sens sont à votre disposition, en liaison avec les services de police :
- les contrôles d'identité permettent d'interpeller et de reconduire effectivement les étrangers ayant fait l'objet d'un arrêté de reconduite resté sans suite ;
- l'absence de documents transfrontières ne doit pas entraver nos efforts : d'une part s'agissant, des étrangers en détention, il faut profiter du séjour en prison pour procéder à l'identification ; d'autre part, nous multiplions les accords de réadmissions avec les pays d'immigration et cela doit vous permettre d'obtenir les laissez-passer consulaires pendant la période de rétention administrative ; je vous signale à ce propos la conclusion d'un tel accord avec l'Algérie, au sujet duquel une circulaire vous sera adressée prochainement ;
- enfin, je relève que vos démarches de réservation de billets de transport au bureau central de l'éloignement à la PAF ont récemment fléchi (de 20 % de mars à avril) ce qui n'est pas normal ; ce bureau vous offre ses services ; utilisez-le.
Sur l'immigration, j'ai aussi relevé quelques difficultés ponctuelles que j'entends aborder avec vous sans détour.
1) Trois centres de rétention judiciaire sont ouverts : Ollioules, Aniane, Orléans ; leur capacité est encore réduite faute d'aménagements qui sont en cours ; mais ceux-ci vont s'achever. D'autres centres seront créés. La formule doit réussir. Elle évitera l'encombrement inutile des prisons, tout en permettant l'éloignement effectif des irréguliers. Une circulaire du ministre de la Justice devrait mobiliser sous peu les Parquets dans cette perspective.
2) En second lieu, l'éducation nationale, comme vous le savez, a recours, à chaque rentrée scolaire, à des maîtres auxiliaires pour combler les postes vacants d'enseignants. Certains étudiants sont ainsi directement recrutés par les rectorats et conduits à travailler à plein temps sans être titulaires des autorisations de travail exigées par la loi.
Leur intérêt pour cette procédure est accru par deux circonstances : d'une part la loi du 24 août 1993 interdit maintenant aux étudiants attardés ayant passé 10 ans dans les universités françaises de s'en prévaloir pour obtenir de plein droit une carte de résident ; il leur faut donc une année comme salarié pour valider leurs années de séjour en France et accéder de plein droit à un titre ; la pression est donc forte ; d'autre part, s'ils obtiennent un poste de maître auxiliaire, ils obtiennent par là même le droit de faire venir leur famille, et leur conjoint aura légalement accès au marché du travail.
Ces détournements de procédures sont inacceptables. J'ai donc prescrit, en accord avec les autres ministres concernés, une mission conjointe des inspections générales de l'administration, de l'éducation nationale, des affaires sociales afin d'étudier la manière de faire échec à ces abus. Je vous tiendrai au courant de ces conclusions mais j'attire dès à présent votre attention à ce propos afin que vous restiez vigilants.
3) J'évoquerai en troisième lieu certains cas difficiles sur lesquels votre discernement doit s'exercer. Sans qu'il soit bien sûr question d'infléchir les orientations générales ou de céder aux pressions de telle ou telle association plus ou moins bien intentionnée, la situation des parents d'enfants français est de celles qui méritent l'attention de vos services. Leur accès à la carte de résident est légalement subordonné à la régularité de leur entrée et de leur séjour en France. C'est indispensable, sauf à donner une prime inadmissible à l'immigration irrégulière. Et vous ne devez céder à aucune tentative de régularisation automatique.
Cependant, la loi, en la matière, a une fonction dissuasive avant d'être répressive. Je vous invite donc à faire examiner ces cas, lorsqu'ils se présentent malgré tout, de manière suffisamment approfondie pour déceler ceux qui fondent, sur le plan humanitaire, une attitude plus souple. Cela se justifie en particulier parce que, dans certains cas, nous avons observé des lenteurs dans la délivrance des visas. Je vous demande donc d'examiner ces dossiers, en réunissant, pour éclairer votre jugement, le plus possible d'éléments objectifs, tels que la date d'entrée en France, le nombre d'enfants français dont le demandeur se prévaut, et la manière dont il pourvoit à leur entretien... Vous pouvez, pour cela, demander des enquêtes sociales approfondies aux services de la DDASS.
L'ordonnance du 2 novembre 1945 crée à votre bénéfice un large pouvoir discrétionnaire, et vous devez en user afin que les situations individuelles dont il s'agit ne fassent pas l'objet de décisions ignorant les circonstances particulières.
La fermeté de la France à l'égard des fraudeurs et des étrangers mettant en cause l'ordre public n'interdit pas, bien au contraire, la prise en compte de considérations humanitaires. Le respect des personnes et l'intégration des étrangers qui respectent nos lois font aussi partie de notre politique car ils appartiennent à la tradition républicaine.
4) En dernier lieu, un mot des clandestins. Vous avez pu voir que leur nombre augmente et que leur arrivée dans les ports suscite parfois des réactions. Je vous ai écrit à ce sujet afin que vous preniez les mesures permettant de rendre opérationnelles les zones d'attente que vous avez créées.
Mais je tiens à vous redire ma détermination face aux clandestins maritimes : ils doivent en principe rester à bord, conformément aux instructions que vous avez reçues. Cette solution est conforme à la pratique internationale. Elle seule peut nous préserver contre le développement de cette forme d'immigration. Il faut s'y tenir, même si la gestion locale de ces situations peut n'être pas commode.
Voilà quelques éléments sur l'immigration. Je suis convaincu que le sujet exigera une action durable et que les polémiques sur des cas particuliers ne cesseront pas.
Je déplore évidemment que certains juges s'y prêtent indirectement. Mais cela n'affectera pas ma détermination et cela ne doit pas vous empêcher de faire, quant à vous, tout ce qui est nécessaire pour maintenir le cap.
Développer à cette fin vos relations avec vos partenaires de la Justice fait partie de vos obligations car l'existence même de ces relations rappelle que les magistrats comme les préfets servent le droit et l'Etat.
III - La sécurité de nos concitoyens
Deux projets de loi, d'orientation et de programmation relative à la sécurité et d'organisation territoriale des services d'incendie et de secours, vont constituer dans les prochains mois des réponses adaptées aux demandes des Français tant en matière de sécurité publique que de sécurité civile. Dans les deux cas vos prérogatives seront clarifiées et vos responsabilités, au coeur même de votre métier préfectoral, seront renforcées.
La sécurité des personnes et des biens est au coeur du droit et de la défense de la République. Elle est au coeur du droit républicain car la liberté d'aller et de venir est la première des libertés et pouvoir l'exercer sereinement est le premier des droits, en tout cas le plus vivement ressenti par tous. Elle est aussi au coeur de la République sociale car il n'est pas admissible que le plus pauvre soit aujourd'hui le plus exposé à l'insécurité. Les déséquilibres du territoire, que nous nous employons par ailleurs à réduire, s'expriment aussi dans les violences de la rue qui frappent de façon inégale nos concitoyens.
Pour revenir à la notion même de défense républicaine, il fallait une action résolue, d'emblée mise en oeuvre, mais aussi un texte de loi fondateur pour l'avenir. Nous en disposerons prochainement. Il s'agit de donner à la police plus de moyens d'où une programmation 1995 à 1999, en augmentation de 70 % pour l'équipement, l'immobilier, les communications. Il s'agit aussi et surtout de donner aux forces de l'ordre des missions claires qui leur permettent de se consacrer pleinement à l'action attendue par les citoyens : protéger les biens et les personnes, lutter contre l'immigration clandestine, les trafics et le grand banditisme.
Cette loi, et les rapports qui y sont annexés pose le droit de chacun à la sécurité, rappelle le rôle essentiel que jouent l'Etat et ses représentants que vous êtes, pour le garantir et détermine les moyens pour le mettre en oeuvre.
Ces moyens sont doubles.
Il s'agit d'abord de moyens juridiques.
La loi prévoit que les impératifs de sécurité seront pris en compte à travers an certain nombre d'obligations nouvelles : études d'impact sur la sécurité pour les constructions d'une certaine importance, intégration de dispositifs de contrôle et de surveillance dans les infrastructures et le mobilier routiers, obligation de gardiennage de certains immeubles, obligation de dispositifs de marquage pour certains biens et équipements...
Elle donne ou rappelle le cadre juridique dans lequel doivent s'exercer certaines activités concourant à la sécurité : polices municipales, sociétés de gardiennage, vidéosurveillance...
Il vous appartiendra de veiller avec attention à l'application de ces dispositions.
Il s'agit ensuite de la réaffirmation et du renforcement de votre rôle d'animation et de coordination car en matière de sécurité, l'efficacité exige une plus grande cohérence de l'action des acteurs qui y concourent et que vous seuls pouvez assurer au plan local.
En ce qui concerne la prévention de la délinquance, la loi fait de vous l'élément central et déterminant.
Elle vous confie la responsabilité non seulement de la coordination du dispositif mais également de son animation.
Il vous appartient donc de définir les actions, en liaison avec l'ensemble des acteurs, en particulier avec les élus des communes concernées.
Dans ce domaine, et plus généralement pour tout ce qui touche à la sécurité, les textes réaffirment votre rôle de direction. Il vous appartient de fixer les missions aux différents services de l'Etat qui concourent à la sécurité, c'est-à-dire bien sûr à la police mais aussi à la gendarmerie, à la douane et aux autres services dont les agents sont chargés de missions particulières dans ce domaine.
C'est en conjuguant les moyens de ces services en fonction d'objectifs soigneusement déterminés que vous obtiendrez les résultats que nos concitoyens attendent.
Il vous incombe également, dans le cadre de vos pouvoirs de police, de veiller, lors des manifestations, à la protection et à la sécurité des forces de l'ordre, en interdisant, le cas échéant, le transport de certains matériels susceptibles de devenir des armes par destination et de vous assurer du respect de cette interdiction en prescrivant, s'il le faut, la fouille des véhicules dans le cadre que la loi fixera.
Votre mission est claire : rassembler les énergies et les guider, renforcer la lutte contre la petite et moyenne délinquance par une présence massive et visible des policiers sur le terrain.
Rassembler et guider les énergies suppose que vous présidiez effectivement les réunions rassemblant policiers, gendarmes, douaniers, que vous rencontriez fréquemment les procureurs de la République pour suivre, avec eux, les réalisations des plans départementaux de sécurité qui, dans mon esprit, perdent de leur valeur si vous n'avez pas réussi à y associer, comme le Garde des Sceaux et moi-même l'avons demandé, les autorités judiciaires. Cela suppose également que vous alliez au-devant des responsables de grands magasins, de banques, des grands ensembles immobiliers, des organismes de transports pour percevoir leur demande de sécurité et y répondre précisément.
Nous avons réussi à casser la croissance exponentielle de la délinquance, mais la victoire est fragile et les résultats doivent être amplifiés.
D'un rythme annuel de progression de la délinquance de + 34% avant 1992, nous sommes parvenus à un chiffre proche de 0, et même légèrement négatif en avril 1994. C'est la conséquence directe d'une politique claire et du fait que l'objectif que j'avais fixé de renforcer de 10 % la présence policière sur la voie publique a été atteint. En 1992, 35 millions d'heures sur la voie publique pour l'ensemble des unités et des îlotiers, plus de 40 millions d'heures en 1993.
Je vous demande un nouvel effort pour gagner 5 % supplémentaires de présence sur la voie publique, orientée prioritairement vers les quartiers sensibles. Il vous faut pour cela une connaissance personnelle et précise des situations ; vous devez disposer dans chaque département d'un inventaire des policiers travaillant sur des postes techniques ou administratifs qui préparera d'ailleurs utilement l'arrivée des 5000 administratifs dont les postes seront créés entre 1995 et 1999 dont 500 dès 1995. Il vous faut chasser les conformismes et les impossibilités qui n'ont pour fondement que le confort des situations acquises : il reste des gisements à exploiter du côté de la modulation du temps de travail, des pertes de temps dans l'imprécision des passages des consignes ou dans diverses activités parasites. Est-il besoin de préciser que vous-mêmes ne devez jamais utiliser un policier à des fins non opérationnelles ?
La délinquance dans les quartiers sensibles est le fait de groupes peu nombreux mais résolus. Il importe donc de renforcer la présence policière sur ces quartiers qui doivent être notre terrain, et non celui des voyous, et de renforcer l'activité judiciaire à même de les mettre hors d'état de nuire. C'est le sens de la création des sûretés départementales dans quelques-uns des départements les plus exposés. C'est également le sens des missions de sécurisation des CRS. Je vous demande de m'indiquer avec précision quelle sera pour les mois d'été la présence policière dans les quartiers sensibles de vos départements et vos besoins en matière de forces de sécurisation.
De même, vous devez disposer de quelques indicateurs statistiques simples, qui sont vos clignotants en matière de délinquance, et réagir immédiatement si les tendances à l'amélioration de la sécurité viennent à basculer.
Je sais que ce travail a été largement engagé par vos efforts, je vous demande de les accentuer et de prendre directement en charge, en liaison avec les responsables départementaux de la police, cette lutte pratique contre la délinquance et donc pour l'emploi optimum des forces de l'ordre. Mon message est clair. Depuis un an, la progression de la délinquance a été stoppée. Il faut désormais qu'elle recule.
Je serai plus bref sur la loi relative à l'organisation territoriale des services d'incendie et de secours. Elle a provoqué des inquiétudes chez certains élus et chez certains Préfets. Ces inquiétudes étaient d'ailleurs parfaitement contradictoires et tendent donc à s'annuler. J'ai du mal à les comprendre car la loi nouvelle clarifie les compétences des uns et des autres - et la clarté, c'est le renforcement des pouvoirs Le Préfet est clairement défini comme le responsable opérationnel des secours, il assiste de plein droit aux séances du Conseil d'administration des Services départementaux d'incendie et de secours, distinct de l'organe purement technique qu'est la commission administrative.
Vous aurez un rôle décisif à jouer dans les changements qui affecteront les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), désormais érigés en établissements publics administratifs de droit commun, aux compétences accrues, fondés sur un corps départemental de sapeurs pompiers. Vous serez en effet les arbitres privilégiés dans la procédure de transfert de gestion des moyens de services d'incendie et de secours entre communes et département.
Responsable opérationnel vous devez veiller à l'élaboration, en cours dans vos départements, des schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques. Il ne s'agit pas seulement d'avaliser un document réalisé par le Directeur du SDIS mais bien de voir avec lui les mesures utiles d'un point de vue opérationnel et raisonnable par rapport à la probabilité des risques rapportée aux moyens locaux. Ce schéma concerne les moyens du SDIS mais il n'est pas exclusif d'une réflexion interministérielle sur la gestion des risques et des crises de toutes natures auxquels vous pouvez être amené à faire face.
Tant pour la sécurité publique que pour la sécurité civile, j'attends de vous une action claire, totalement tournée vers le réalisme opérationnel. Les habitants de vos départements n'attendent pas autre chose. C'est-à-dire qu'ils attendent beaucoup de vous.
Tels sont, Mesdames et Messieurs les Préfets, les sujets que je souhaitais aborder aujourd'hui devant vous.
Il y a un an, je vous indiquais les axes de la politique que j'entendais conduire au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Depuis un an, le Gouvernement a pu, avec l'aide du Parlement, mettre en oeuvre les politiques prioritaires qu'il s'était assigné.
Mais il serait illusoire de penser que notre tâche est achevée. Plus que jamais, c'est aujourd'hui, alors que les premiers résultats sont enregistrés ici et là, que la reprise économique apparaît, comme vous me l'écrivez ces derniers mois, qu'il nous faut faire preuve de détermination et d'imagination.
Pour préparer l'avenir et restaurer l'équilibre social, nous devons tous ensemble redonner à nos concitoyens espoir et courage. Je m'y emploierai dans les prochains mois à la place qui est la mienne.
Je vous demande de ne pas ménager vos efforts dans les départements où le Gouvernement vous a placés.