Texte intégral
Patrick COHEN : Bonsoir à tous, bonsoir Alain JUPPE. On vous a assez peu entendu ces derniers mois, merci de réserver vos commentaires et d'avoir choisi RTL, Le Monde et LCI pour commenter cette actualité, un an après l'installation de Jean-Pierre Raffarin à Matignon, un an après le lancement de l'UMP et alors que le gouvernement dispute une partie disons compliquée sur le dossier des retraites et sur le pilotage économique du pays, certains agitent le spectre d'un nouveau décembre 95 quand les grèves avaient paralysé le pays. On va évidemment commencer l'émission par là avant de vous interroger sur le rôle et la place de l'U.M.P. dans le débat politique, sa stratégie électorale pour 2004, sans oublier la situation internationale, la brouille franco-américaine après l'épisode irakien.
A mes côtés, Gérard COURTOIS et Pierre-Luc SEGUILLON pour un Grand Jury diffusé comme d'habitude en direct sur RTL et LCI, et dont Le Monde publiera l'essentiel dans sont prochain numéro.
Un an après donc, Alain JUPPE, voici le temps des mesures impopulaires, je parle de la réforme des retraites, d'abord peut-être quelques questions sur la forme, sur la méthode, est-ce que cette réforme arrive au bon moment, ce sont des critiques qu'on entend parfois y compris jusque dans les rangs de la majorité, n'aurait-il pas fallu la conduire cette réforme d'emblée, après les élections de 2002 ?
Alain JUPPE : La réforme arrive au bon moment selon moi et la méthode qui a été adopté me semble excellente.
Le gouvernement s'est fixé dès le départ des objectifs, Jean-Pierre Raffarin avait annoncé que il commençait son action gouvernementale en s'attaquant au dossier de l'insécurité en France, au dossier de l'initiative économique sur laquelle il a pris des mesures dès l'automne et puis il avait dit début 2003 la réforme des retraites avec le temps de la réflexion, le temps de la concertation, le temps de la décision.
Ce calendrier est parfaitement respecté et donc cela vous explique le jugement très positif que je porte sur la démarche.
Gérard COURTOIS : D'où vient l'impatience d'un certain nombre de parlementaires de la majorité par rapport à la démarche de François Fillon jugée trop feutrée, pas assez dynamique ou volontariste, cette impatience vous paraît, comment dire, ces critiques vous paraissent mal venues ?
Alain JUPPE : J'écoutais François Fillon dans sa grande émission de Jeudi soir, si je ne me trompe, je ne l'ai pas trouvé feutré, je l'ai trouvé au contraire très serein et très décidé en même temps, très clair dans ses explications, très maître de son sujet et très convaincant dans les réponses qu'il a apportées à ceux qui sont venus, légitimement d'ailleurs, lui apporter la contradiction.
Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que devant le refus syndical ou en tout cas le blocage syndical qui semble se faire jour à travers diverses manifestations programmées, à votre avis le gouvernement peut-il faire encore un certain nombre de concessions, par exemple sur les petites pensions ou encore sur un départ de retraite avant 60 ans quand on a 16 ans, bref un certain nombre de concessions sont elles encore possibles ?
Alain JUPPE : François Fillon a répondu à cette question en disant qu'il y avait encore un temps pour le débat, d'abord pendant tout le mois de mai, avant que le Parlement ne soit officiellement saisi du projet de loi gouvernemental et ensuite bien sûr pendant la discussion parlementaire.
Donc nous avons encore jusqu'à la mi-juillet, le temps de la concertation et le temps du débat.
Vous parlez d'un refus syndical, il faut y regarder de plus près, il faut décrypter les déclarations syndicales. J'étais au contraire assez surpris de voir, je ne sais pas si le mot modération convient mais en tout cas l'équilibre des déclarations syndicales après l'annonce des récentes orientations gouvernementales.
Je crois que ce qui a changé fondamentalement depuis la période de 1995 que vous évoquiez c'est la prise de conscience dans l'opinion publique en général que cette réforme est aujourd'hui absolument nécessaire. François Fillon l'a dit, en 95 le mur était un peu loin, 10 ans, 15 ans, aujourd'hui le mur il se rapproche et donc je crois que les Françaises et les Français se sont rendu compte que le vrai péril pour leur retraite, pour la leur, pour celle de leurs enfants, ça n'est pas la réforme, c'est l'absence de réforme. C'est la raison pour laquelle j'aborde la discussion qui va maintenant entrer dans le vif du sujet avec une grande confiance.
Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que vous avez le sentiment que, à l'assemblée Nationale, notamment les députés de l'UMP se conduiront comme vous le souhaitez, qu'il n'y aura pas de risque de dérapage ?
Alain JUPPE : Ils se conduiront comme ils voudront se conduire. Je ne suis pas le maître de la classe.
Pierre-Luc SEGUILLON : Vous êtes quand même le président de l'U.M.P. ?
Alain JUPPE : Mais je vois comment les choses se sont faites. Il ne faut pas imaginer que les députés de l'UMP ils vont découvrir la réforme dans quelques jours. Plus de 250 d'entre eux, depuis des mois et des mois ont participé à tout le travail d'élaboration, de réflexion, y compris dans le département sous l'impulsion de l'un d'entre eux qui est là je croix Xavier Bertrand nous avons animé dans nos fédérations, des forums dans lesquels nous avons fait venir les responsables syndicaux, les responsables professionnels, nos militants, des gens venus de l'extérieur, donc ça n'est pas aujourd'hui, tout d'un coup que l'on découvre cette réforme, c'est le résultat d'une maturation qui fait que là aussi, sans sous-estimé les difficultés, bien entendu quand on veut changer quelque chose on se heurte toujours à des difficultés, c'est la raison pour laquelle je pense quand même qu'on va y arriver.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors est-ce que l'UMP comme tel risque de faire un certain nombre de propositions originales ?
Alain JUPPE : Ce n'est pas un risque Monsieur Séguillon, c'est une chance sans doute.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors peut-être vous allez nous le dire. Il y a eu une proposition qui a été formulée, je voudrais savoir si vous la soutenez, c'est celle d'utiliser le produit de l'impôt sur la fortune pour alimenter le fonds de réserve, est-ce que vous soutenez cette proposition, est-ce qu'il y a d'autres propositions qui viendraient de l'UMP ?
Alain JUPPE : Ca n'est pas une proposition de l'UMP, c'est la proposition d'un membre éminent de l'UMP et je lui tiens en toute amitié, il s'agit de Jean-Louis DEBRE qui est là d'ailleurs et qui j'en ai parlé pas plus tard qu'il y a quelques jours à Evreux dans son fief, je ne trouve pas que c'est une bonne idée parce que ça consiste à prendre de l'argent quelque part pour le mettre ailleurs mais on bouche un trou en en creusant un autre. Donc je ne pense pas que ce soit dans cette direction qu'il faille s'orienter.
En revanche, l'UMP va évidemment nourrir le débat. Nous avons déjà été très vigilants sur un point et je crois que notre vigilance a donné des résultats, c'est l'idée de, comment dire, de la souplesse dans l'âge du départ à la retraite. Nous avions dit dès le départ, lorsque nous avons rencontré François Fillon et Jean-Paul DELEVOYE que nous serions très attentifs au fait que ceux qui ont commencé à travailler très jeune et qui ont cotisé 40 ans puissent prendre leur retraite même s'ils n'ont pas atteint l'âge de 60 ans. Et nous avons été entendus puisque François Fillon a annoncé que quand on a commencé à 14-15 ans on pourra prendre sa retraite à 58-59 ans dès lors qu'on aura cotisé la durée nécessaire.
Patrick COHEN : Est-ce que vous pourriez nourrir le débat également sur la question qui n'est pas évoquée aujourd'hui d'un complément de retraite par capitalisation ?
Alain JUPPE : Si cette question est tout à fait évoquée, là aussi François Fillon a été tout à fait clair, la réforme c'est la réforme de la retraite en consolidant le principe de la répartition. Et la répartition c'est le cur de la solidarité nationale. Ca veut dire que c'est ceux qui travaillent qui cotisent pour ceux qui ne travaillent plus, il faut le rappeler et c'est la raison d'ailleurs pour laquelle il y a un problème parce que ceux qui travaillent sont de moins en moins nombreux proportionnellement par rapport à ceux qui ne travaillent pas.
Mais nous avons consacré ce principe fondamental qui est un des piliers de notre modèle social de la répartition.
En dehors de ce système de répartition, à côté de ce système de répartition, François Fillon a dit qu'il fallait naturellement favoriser l'épargne des français. Epargner quand on le peut, c'est toujours un acte qui permet de préparer l'avenir. Il a évoqué en particulier deux pistes, une première qui consiste à généraliser le système de la Préfonds, c'est un système d'épargne réservé à l'heure actuelle aux fonctionnaires et qu'on pourrait généraliser avec des avantages fiscaux bien entendu et la deuxième piste c'est d'assouplir encore ou de faciliter encore les plans d'épargne salariale et voyez que nous ne sommes pas sectaires puisque ça c'est une création JOSPIN - FABIUS qui est une bonne création et que nous proposons d'améliorer en allongeant en particulier la durée au cours de laquelle on peut épargner.
Je reviens sur ce que vous disiez sur l'apport possible de l'UMP, moi il y a un sujet qui me tracasse encore un petit peu et sur lequel il va falloir qu'on obtienne peut-être des clarifications et des progrès, c'est la situation des femmes dans cette réforme des retraites, on sait très bien qu'elles ont souvent des carrières un peu fractionnées, un peu bousculées parce que quand il y a des enfants on s'arrête, et donc il faut que nous assurions bien que leur situation est prise en compte là aussi le ministre a indiqué très clairement que les avantages familiaux ne seraient pas remis en question, peut-être faudra-t-il préciser un peu les choses et apporter quelques améliorations.
Patrick COHEN : Je note en tout cas Alain JUPPE votre optimisme global sur les chances de réussite de cette réforme mais sur le fait qu'elle puisse surmonter les blocages qui se font jour éventuellement du côté des syndicats.
Alain JUPPE : C'est pas un optimisme béat, je vous rassure, c'est un optimisme raisonné mais comme tout le monde dit qu'on va se planter, il faut bien qu'il y ait de temps en temps des personnes qui disent : mais non, on va y arriver. Je pense qu'on va y arriver, c'est parce que ça a été bien préparé, parce que c'est nécessaire et parce que c'est juste aussi.
Je crois que on est en train de s'en rendre compte. Le cur de cette réforme c'est la recherche d'une plus grande justice. Il faut que, tout en tenant compte d'un certain nombre de cas particuliers, parce qu'il y a des travaux pénibles, parce qu'il y a des situations spécifiques, il faut que, en mettant de côté ces situations particulières, tous les Français, à terme relativement rapproché en 2008, 2012, soient égaux devant la retraite et que les mêmes règles s'appliquent à tout le monde. Ca je crois que, quand on connaît l'attachement de nos concitoyens au principe d'égalité et d'équité, c'est un argument très fort en faveur de la retraite.
Patrick COHEN : Une dernière question sur les retraites, Gérard COURTOIS.
Gérard COURTOIS : Sur les cas particuliers, il y a un point sur lequel le projet est extrêmement silencieux, ce sont les régimes spéciaux notamment des entreprises publiques qui avaient précisément mis le feu aux poudres en 95. Ca vous paraît habile ou ça vous paraît reculer pour mieux sauter ?
Alain JUPPE : Ceci explique peut-être cela.
Gérard COURTOIS : Non mais est-ce que ça n'est pas reculer pour mieux sauter à moyen terme ?
Alain JUPPE : Je crois qu'il faut d'abord relativiser le problème, ça représente 5 % je crois des effectifs globaux des personnes à la retraite.
Gérard COURTOIS : Gros effectifs syndicaux.
Alain JUPPE : Gros effectifs syndicaux certes mais là aussi le gouvernement a très clairement annoncé la couleur, le moment viendra où entreprises par entreprises, puisqu'il s'agit de régimes d'entreprise et bien la discussion s'ouvrira, donc là aussi commençons par le tout avant de peaufiner sur les parties.
Patrick COHEN : On vient Alain JUPPE à la politique économique du gouvernement, nous allons vivre des temps difficiles comme dit Jean-Louis Debré , chômage en hausse, croissance en berne, déficit qui se creuse, on voit mal aujourd'hui comment le gouvernement va s'y prendre pour résoudre cette équation, sinon impossible du moins très difficile. Vous voyez vous comment on va en sortir ?
Alain JUPPE : Je ne suis pas extralucide mais je vois assez bien quand même. Sur le diagnostic, je suis d'accord avec Jean-Louis Debré , les temps sont difficiles bien entendu.
Nous sommes confrontés aujourd'hui à une panne de croissance qui n'était pas attendu, qui s'explique de deux manières, une manière conjoncturelle, la guerre en Irak, vous avez vu les conséquences sur les marchés financiers, sur les décisions des investisseurs, sur le tourisme, sur le transport aérien, la première compagnie aérienne du monde qui est américaine, va peut-être faire faillite, donc voilà ça c'est une conjoncture qui va, je l'espère, petit à petit, s'estomper et je crois qu'on peut partager la confiance de Francis Mer dans l'idée que la croissance va rebondir dans les mois qui viennent.
Mais il y a aussi à cette panne de croissance, des causes plus profondes en France et ces causes elles sont liées au fait que nous ne sommes plus aussi compétitifs que nous l'étions avant pour toute une série de raisons. Je serais amené à formuler cette question de la compétitivité de manière peut-être un peu, comment dire, imagée. Est-ce que nous sommes, nous français, à ce point exceptionnel à travers la planète que nous allons pouvoir préserver notre pouvoir d'achat et notre modèle social et j'adhère à ces deux objectifs en travaillant moins que les autres.
Je crois que cette question aujourd'hui il faut se la poser et je crois donc que la réponse aux difficultés structurelles de la France c'est de rechercher une croissance durable, c'est l'objectif du Premier Ministre en s'appuyant sur deux piliers, le travail qui doit être remis à l'honneur et j'aimerais bien vous dire ce que j'entends par là et puis l'innovation aussi de façon que la France reconquière ce terrain qui est indispensable pour l'avenir.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais alors précisément quand vous parlez du travail et de la revalorisation du travail, est-ce que le gouvernement actuel n'a pas pêché en ce qui concerne les 35 heures en prenant une demi-mesure, c'est-à-dire en ne corrigeant qu'à demi ce passage aux 35 heures ?
Alain JUPPE : C'est curieux mais sur le gouvernement on a pas la même idée, voyez Monsieur Séguillon, moi je trouve qu'il agit bien le gouvernement et en particulier,
Pierre-Luc SEGUILLON : Ecoutez, je ne sais pas s'il agit bien ou s'il agit mal, je vous pose la question ?
Alain JUPPE : Vous me demandez si je pense qu'il agit mal, moi je vous dis qu'il agit bien. Il agit bien pourquoi, dans ce domaine très précis des 35 heures qui n'est qu'une petite partie de la question.
D'abord parce qu'on a fait ce qu'on a dit. Dieu sait si on reproche aux hommes politiques de ne pas tenir leur promesse. Nous n'avons jamais dit, pendant la campagne présidentielle et législative, que nous abrogerions les 35 heures. Nous avons dit que nous les assouplirions et nous l'avons fait.
Et deuxièmement, si nous ne les avons pas abrogé, je crois que là encore dans son excellente émission, François Fillon a donné une très bonne raison. Il a dit, ce dont les entreprises françaises ont besoin c'est de stabilité. Ne changeons pas les règles du jeu tous les six mois ou tous les ans. Il y a eu des accords passés au nom des 35 heures, qui ont entraîné des changements d'organisation des entreprises, plus de flexibilité dans un certain nombre de cas, il eut été très imprudent de casser tout ça pour le plaisir d'abroger les 35 heures. Donc pour répondre clairement à votre question qui n'était qu'une question et pas un jugement de valeur, je trouve que le gouvernement a bien fait.
Pierre-Luc SEGUILLON : Comment faire autrement alors pour revaloriser le travail ?
Alain JUPPE : Ce que je voulais dire sur le travail d'abord, il faut changer les mentalités, c'est évidemment ce qu'il y a de plus compliqué en essayant de faire comprendre autour de nous que le travail n'est pas une calamité, d'ailleurs ceux qui n'en ont pas le pensent souvent ainsi.
Le travail c'est un moyen de la liberté individuelle parce que c'est quand on a une rémunération en contre partie de son travail qu'on peut organiser sa vie librement. C'est ensuite un moyen de promotion sociale, quand on travaille on peut petit à petit s'élever dans la société et dans l'économie.
Et enfin c'est la condition sine qua non de la solidarité, ce sont ceux qui travaillent, on l'a vu tout à l'heure avec les retraites, ce sont ceux qui travaillent qui payent les retraites de ceux qui ne travaillent pas.
Donc d'abord revalorisons l'idée du travail. Depuis 20 ans quand on parle du travail, c'est uniquement pour dire que c'est moins bien que le temps libre.
Moi j'adore le temps libre bien sûr et le progrès de la civilisation c'est effectivement de produire autant de travail en moins et c'est très bien. Mais il y a un moment où il faut pas pousser le bouchon trop loin, il faut redonner ces lettres de noblesse à la valeur du travail dans notre société.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais ça c'est de l'ordre de discours, c'est pas de l'ordre de mesure.
Alain JUPPE : Oui mais le discours c'est très important dans une vie de société, dans une collectivité, les valeurs c'est ça. Les valeurs c'est ce à quoi on croit d'abord, il faut pas en parler. Et puis après il y a des mesures. Alors j'en évoque quelques-unes unes. Remettre le travail à l'honneur c'est d'abord mieux le payer, il faut mieux rémunérer le travail et pour mieux rémunérer le travail il faut moins le taxer. Et là le gouvernement a pris une mesure exemplaire, c'est la plus forte augmentation du SMIC à laquelle nous avons assisté dans les deux ou trois ans qui viennent par réunification, je ne rentre pas dans le détail, des cinq ou six SMIC que nous avions hérité du gouvernement précédent. C'est une très forte augmentation des bas salaires. Et qu'est-ce qu'on a fait en contrepartie, sept milliards d'euros d'allégement des charges sociales. Donc voyez que quand je dis, il vaut mieux rémunérer le travail en le taxant moins, c'est pas du discours. Là, c'est un acte.
Ensuite deuxième orientation, il faut mieux rémunérer l'activité que l'inactivité. Il y a des situations à l'heure actuelle dans la société française où on a plutôt intérêt à rester inactif qu'a reprendre un travail quand on le pourrait. Et ça c'est la réforme annoncée, je souhaiterais qu'elle aille un peu plus vite voyez, c'est la réforme annoncée par le gouvernement du revenu minimum d'activité qui consiste à dire, au nom de la solidarité nationale, c'est une bonne chose de donner une allocation à ceux qui sont dans la difficulté mais lorsqu'ils le peuvent, tous ne le peuvent pas, lorsqu'ils le peuvent c'est aussi une bonne chose de leur demander en contre partie de travailler un peu pour la collectivité ou pour une entreprise. Voilà.
Troisième idée bien sûr, le travail ça doit pas être une notion passéiste, il faut l'enrichir le travail, il faut qu'on y soit plus à l'aise, il faut qu'il soit plus libre, il faut qu'on participe davantage, qu'on soit plus responsable dans le travail, les technologies de l'information et de la communication ouvrent dans ce domaine un champ formidable pour l'enrichissement du travail, c'est donc une conception moderne du travail et pas du tout ringarde ou 19ème siècle.
Enfin, je veux pas être trop long sur ce sujet qui me tient beaucoup à cur, mais sur lequel nous travaillons, revaloriser le travail aussi c'est mieux former nos jeunes au travail, c'est leur permettre de s'insérer davantage, plus facilement dans la vie professionnelle, j'ai trouvé ce point de vue dans le livre de Luc FERRY, d'excellentes idées, d'excellentes orientations de réforme.
J'étais il y a pas très longtemps dans le Var, à Hyères, et j'ai passé une matinée avec des gens du secteur des métiers de l'artisanat. J'ai découvert avec stupéfaction, je dois dire, que le nombre d'apprentis en France est en train de baisser aujourd'hui. Alors que l'apprentissage et la formation en alternance sont sans doute un des meilleurs moyens d'éviter l'échec, scolaire ou universitaire, et d'insérer nos jeunes dans une vie de travail où ils peuvent s'épanouir parce que l'apprentissage s'arrête pas au C.A.P.
C'est ensuite une filière qui permet d'aller beaucoup plus loin et de mener même des études longues.
Patrick COHEN : Alors Gérard COURTOIS va faire son travail en posant une question.
Gérard COURTOIS : Tout ça est très bien mais est-ce que le préalable n'est pas de créer de l'emploi. Or on est plutôt actuellement dans le mouvement inverse, l'augmentation du chômage. Est-ce que on peut créer de l'emploi sans avoir une croissance de l'ordre de 2 et demi ou 3 % par an ?
Alain JUPPE : Mais c'est tout ça qui crée de l'emploi Monsieur Courtois. Mais si c'est en attirant les gens vers des emplois disponibles. C'est en taxant moins le travail, c'est en mieux préparant les jeunes au travail, c'est comme çà qu'on crée du travail. Et puis le deuxième pilier bien évidemment c'est l'innovation, l'innovation c'est la création d'entreprises, là encore le gouvernement a préparé une excellente loi à l'initiative de Renaud Dutreil pour favoriser la création, le financement, la transmission d'entreprise. C'est ensuite un effort et là il y a des choses à faire encore, on a pas tout fait en un an, pour mieux financer la recherche et le développement. C'est ensuite, j'ai été frappé là aussi dans le livre que j'évoquais tout à l'heure où Claudie Haignere a pris la plume parce qu'elle dit sur la science " remettre la science à l'honneur ". Il y a de moins en moins d'étudiants dans les filières scientifiques en France et si nous décrochons dans le domaine scientifique ben la France ne créera pas d'emplois parce que c'est notre seule chance, c'est l'intelligence, c'est l'innovation.
Patrick COHEN : On ne peut pas dire que le budget 2003 y contribue.
Alain JUPPE : Je reconnais que dans ce domaine là malgré les efforts que Claude Haignere a fait pour éviter le gel de ses crédits, il y aura sans doute une ? ? ? à dégager. Je termine sur la création d'emplois. Moi je m'interroge aussi sur l'idée de revenir à quelque chose qui a été très utile je crois dans les années 50 ou 60, de grands projets industriels européens ou français, l'espace, je me réjouis des décisions qui ont été prises récemment, l'énergie par exemple. Il y a peut-être là en écartant une conception un peu simpliste du libéralisme qui voudrait que l'état ne s'occupe de rien ce qui n'est certainement pas le cas aux Etats Unis il y a peut-être des initiatives à prendre pour que l'Europe et la France en particulier occupent les bons créneaux.
Pierre-Luc SEGUILLON : Au passage vous remarquerez que ce type de proposition a été formulé maintes fois, notamment par Jacques Delors au niveau européen et n'a jamais été entendu par nos partenaires.
Alain JUPPE : Ca n'est pas exact, Monsieur Séguillon, il y a une espèce de tendance à dire que tout ce qu'on dit, on ne le fait pas. Ce n'est pas vrai.
Les ministres de l'espace viennent de prendre, très récemment, des décisions extrêmement positives en rajoutant de l'argent pour faire en sorte que Ariane triomphe des difficultés actuelles de la concurrence. Je ne dis pas par là que tout va bien mais ce que je dis là c'est pas des lubies. Ce sont des choses qui sont amorcées et qu'on peut éventuellement essayer de développer.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais pour revenir à la politique de l'emploi, est-ce que vous n'avez pas le sentiment que le gouvernement est pris aujourd'hui dans une contradiction, c'est-à-dire qu'il a à la fois adoptées le raisonnement qui est celui que vous venez de tenir et en même temps, devant la situation de l'emploi, et bien il revient à de vieilles méthodes qui sont les emplois aidés, les emplois assistés.
Alain JUPPE : Je n'y vois aucune contradiction. Dans la politique de l'emploi il y a le moyen à long terme, ce sont les réformes de fond et je m'empresse d'ajouter que tout ce que j'ai dit tout à l'heure n'est possible à terme que si dans le même temps l'état se réforme parce que pour taxer moins, pour favoriser la recherche etc il faut évidemment faire des économies ailleurs, on y viendra peut-être mais dans le court terme et dans le court terme lorsqu'il y a un peu le feu dans la maison, lorsque la conjoncture est mauvaise, lorsque les plans sociaux non pas apparaissent mais se poursuivent, Dieu sait s'il y en a eu avant 2001 ou 2002, et bien il faut effectivement prendre des mesures et le gouvernement en a pris un certain nombre, il a renoué avec le contrat initiative-emploi que j'avais créé en 1995 qui avait été un grand succès à l'époque et qui avait été abandonné depuis. Il a créé de nouvelles formules comme le civisme, il a mis en place le contrat-jeune en entreprise qui est une très bonne mesure, qui permet à des entreprises de recruter des jeunes en quasi-exonération de charges sociales, plus de 50.000 jeunes ont déjà bénéficié de ce système.
Voyez, nous ne sommes pas nous des idéologues, nous ne sommes pas des sectaires, nous avons une vision de moyen à long terme et ça n'empêche pas sur le court terme de prendre des mesures...
Pierre-Luc SEGUILLON : Une petite remarque, il y a une chose qui me frappe dans ce que vous dites, c'est à dire que vous découvrez une grande lisibilité de la politique du gouvernement, vous y voyez très clair et vous citiez Jean-Louis Debré qui est parmi nous, lui dit au contraire, c'est pas très lisible, on y voit pas très clair.
Alain JUPPE : Je compte sur mon dialogue avec Jean-Louis Debré pour que le peu de lisibilité qu'il voit et peut-être l'excès de lisibilité que j'y mets se rapprochent. Mais je pense qu'il y a une vraie politique aujourd'hui qui est cohérente et qu'en particulier le Premier ministre a eu raison de ne pas changer de cap il y a quelques mois et de ne pas brutalement renoncer à sa politique d'allégement des prélèvements obligatoires, il a tenu bon sur ce point, je crois qu'il a eu le courage de le faire.
Patrick COHEN : Et davantage sur l'impôt sur le revenu que sur l'allégement des charges sociales ?
Alain JUPPE : Non, on a fait beaucoup sur les charges sociales, je vous l'ai rappelé tout à l'heure, le contrat-jeune en entreprise et les 7 milliards d'euros qui sont dans les tuyaux pour les prochaines années.
Patrick COHEN : Alors sur la réforme.
Gérard COURTOIS : Alors la solution c'est la réduction des dépenses de l'Etat ?
Alain JUPPE : Réduction, oui, stabilisation, maîtrise, je voudrais dire plutôt efficacité des dépenses de l'état,
Patrick COHEN : Et donc réduction du nombre des fonctionnaires ?
Alain JUPPE : Mais écoutez, je veux pas prendre la cour des comptes comme point de référence, on sait très bien qu'elles sont les limites parfois des contrôles financiers, mais enfin, à longueur de rapport et tous les ans, on vous explique que l'argent public pourrait être mieux utilisé, alors vous êtes ? ? ? à me dire pourquoi n'y arrive-t-on pas, c'est pas une raison pour désespérer, vous connaissez la formule de Guillaume d'Orange. Mais en tout cas ça veut dire qu'il y a des gisements d'économie possible, non pas pour le plaisir de faire des économies, non pas pour réduire à toutes forces la dépense publique mais pour rendre des services publics de qualité à un moindre coût.
Et bien ça je crois qu'il faut s'y attaquer et moi je ne parlerais pas de la réforme, de LA réforme de l'Etat. Je parlerais plus volontiers des réformes de l'Etat. Il faut que chaque ministre se sente investi de la responsabilité de mieux faire marcher son administration. Et, c'est pas une critique que je fais ou si c'est une critique elle est intemporelle, c'est pas toujours le cas et on préfère parfois laisser son nom en élaborant un projet de loi pour l'éternité plutôt que de mettre les mains dans le cambouis et de regarder comment marche une administration. Je ne vais pas me citer en exemple, loin de là mais enfin quand j'étais ministre des affaires étrangères la première chose que j'ai faite ça a été de réformer mon ministère. Et à l'époque j'avais passé un contrat avec la direction du budget, j'avais diminué le nombre d'emplois dans mon administration et le ministre du budget m'avait rendu une partie des économies pour que je puisse la moderniser.
Par exemple, dans le domaine de l'informatique ou de l'apprentissage des langues, ce qui vous l'admettrez au Quai d'Orsay n'était pas du luxe.
Et bien c'est une réforme qui a très bien fonctionné, on a fait des économies et en même temps j'ai pas laissé un trop mauvais souvenir dans cette administration qui s'est sentie au contraire portée et motivée. Vous voyez qu'on peut faire des réformes.
Patrick COHEN : Est-ce qu'il faut se fixer un objectif du type ne pas remplacer un départ à la retraite de fonctionnaires sur deux, est-ce que c'est un objectif qu'on peut se fixer.
Alain JUPPE : Je ne dirais pas les choses comme ça du tout, parce que exprimé comme ça, c'est un objectif de comptable. Il faut faire de l'économie.
Patrick COHEN : Oui vous savez qu'à Bercy on fait ça.
Alain JUPPE : Justement quand on a la chance de ne pas être à Bercy, on peut prendre un peu de distance.
Gérard COURTOIS : Il n'empêche que c'est la condition pour stabiliser les dépenses ?
Alain JUPPE : Oui, mais je ne dis pas qu'il ne faut pas arriver à ce résultat, mais je dis qu'il ne faut pas fixer ça comme une espère de principe idéologique. Il faut chercher à moderniser les administrations publiques. Et comme les entreprises privées l'ont fait depuis 10 ou 20 ans, quand on modernise on se rend compte qu'à ce moment là on peut mieux utiliser l'argent et qu'il y a peut-être des économies à faire.
Donc pour moi c'est un résultat, c'est pas une espèce de préalable.
Gérard COURTOIS : Alors, juste une question, quand même en prolongement, la moitié des effectifs de la fonction publique sont dans l'éducation nationale, est-ce que vous avez le sentiment qu'il y a dans ce secteur autant de marges de gain de productivité que dans d'autres.
Alain JUPPE : Le mois de mai approche donc je serai prudent en répondant à cette question.
Gérard COURTOIS : Non mais quand on enlève un instit on enlève une classe grosso modo ?
Alain JUPPE : Non, il y a beaucoup d'enseignants qui ne sont pas devant des classes, déjà, on en a recensé le nombre, ça se chiffre par plusieurs dizaines...
Gérard COURTOIS : Par milliers
Alain JUPPE : Non, ne poussez pas le bouchon trop loin. Pas par dizaines de milliers mais par quelques centaines. Non, là aussi on peut restructurer, on peut mieux organiser, on peut décentraliser. Il y a 350.000 enfants de moins dans nos écoles et dans nos lycées depuis quelques années. Alors je veux pas dire qu'il faille diminuer à tout prix les effectifs de l'éducation nationale mais il faut peut-être là aussi réfléchir à une meilleure organisation des choses.
Patrick COHEN : Alors décentraliser, venez-vous de dire, la réforme constitutionnelle sur la décentralisation va connaître son premier terrain d'expérimentation, ça sera la Corse avec un référendum le 6 juillet sur le nouveau statut proposé par le gouvernement, avec notamment la suppression des deux Conseils Généraux.
Est-ce que c'était vraiment, à vos yeux, la priorité pour la Corse de mener cette énième réforme institutionnel ?
Alain JUPPE : Je ne sais pas si c'était la priorité de faire une réforme institutionnelle mais c'était la priorité de donner la parole aux Corses et quand je me suis personnellement prononcé sur ce qu'on a appelé le processus de Matignon, il y a quelques années, c'est-à-dire le dialogue de Lionel JOSPIN avec les responsables corses et principalement avec Monsieur TALAMONI, j'avais toujours dit, le préalable c'est de donner la parole aux corses. Et bien grâce à la décentralisation, grâce à la réforme constitutionnelle, dont vous l'avez souligné vous-mêmes c'est le premier point d'application concret, on va pouvoir le faire. A propos d'une question qui n'est pas négligeable qui est celle de l'organisation institutionnelle. Mais vous voyez bien qu'à propos de cette question on testera bien la volonté des corses de se situer. De ce point de vue je n'ai aucune espèce d'inquiétude ou d'incertitude dans la République.
Patrick COHEN : Y compris quand les nationalistes appellent à voter Oui.
Alain JUPPE : Je crois que ça sera en même temps un geste d'adhésion aux valeurs de la République de manière tout à fait claire.
Patrick COHEN : De la part des nationalistes.
Alain JUPPE : Non, pas de la part des nationalistes, de la part des corses. C'est pas les nationalistes qui m'intéressent. Il faut voir comment ils appellent à voter OUI, avec toute sorte de réticence. Mais en tout cas je crois que les Corses y verront le moyen d'exprimer cet attachement. Et à partir de là, je crois que les directions seront claires, il y a la direction du développement économique, je me réjouis de voir que ce que j'avais lancé avec la zone franche est poursuivi, il y a la direction de l'expression culturelle et puis il y a la réforme institutionnelle et à partir de là, comme Nicolas Sarkozy l'a exprimé avec beaucoup de forces et beaucoup d'a propos, je crois, il faudra que l'ordre public soit évidemment mieux assuré.
Patrick COHEN : On a pas inversé les priorités, avant vous disiez : il faut d'abord obtenir l'arrêt de la violence avant de mener toute réforme institutionnelle, Jacques CHIRAC le disait lui-même encore pendant sa campagne présidentielle.
Alain JUPPE : Non, non, on a pas dit ça, on a dit que le préalable c'était effectivement que la violence s'arrête, le préalable a tout accord avec les autonomistes.
Patrick COHEN : Le préalable a toute réforme ?
Alain JUPPE : Non, non, le préalable donne accord avec Monsieur Talamoni et les indépendantistes. Nous avons dit le préalable d'un accord avec ces personnes qui défendent leurs idées, c'est la cessation de la violence.
Pierre-Luc SEGUILLON : Puisqu'on parle de décentralisation, si vous permettez une question à la fois au responsable national et au responsable régional. Comment peut-on concilier la volonté de décentraliser et la volonté exprimée par certains membres de l'UDF de réduire les finances locales alors que les collectivités territoriales vont avoir davantage de compétences et davantage d'occasions de dépenser ?
Alain JUPPE : Là encore je ne vois pas la contradiction dans le principe. Au contraire, dans la réforme constitutionnelle il y a une innovation très important qui consiste à dire que sous le contrôle du juge constitutionnel, à l'avenir, quand l'Etat transfèrera une responsabilité aux collectivités décentralisées il devra leur transférer la recette équivalente. Ce qui veut dire que on ne pourra plus faire demain ce que le gouvernement précédent a fait par exemple avec l'allocation personnalisée d'autonomie c'est-à-dire cette prestation qui est versée aux personnes âgées dans la difficulté. Qu'est-ce qu'il a fait à ce moment là le gouvernement de l'époque ? Il a transféré au département sans un sou. Et résultat quand nous sommes arrivés, nous avons trouvé une ardoise d'un milliard deux cents millions d'euros, non financés. C'est ça qui provoque aujourd'hui l'augmentation de certains impôts locaux. Et bien donc à l'avenir, grâce à la décentralisation ceci ne sera plus possible, je le répète, il y aura autant d'argent que de compétences à assurer.
J'ajoute simplement un deuxième point, c'est que pour que ça marche, parce que tout n'est pas évidemment automatique dans tout ça, pour que ça marche, il faut que, en parallèle à la décentralisation et à l'augmentation des responsabilités des régions, l'état se réforme et on retombe sur le problème précédent. Si l'état garde tous ses services, toutes ses administrations, toutes ses compétences alors que les régions vont en prendre d'autres, alors là on additionnera les dépenses, bien entendu. Donc il faut que le plus d'un côté se traduise par des moins de l'autre. C'est une des conditions de la réforme et il faudra y tenir la main parce que ça se fera pas tout seul, la force qu'on les administrations centrales à se pérenniser dans leur être est extraordinaire.
Patrick COHEN : On marque une pause, Alain JUPPE, pour suivre les informations de 19 heures. On se retrouve dans quelques minutes pour parler de l'UMP et d'autres questions d'actualité. A tout de suite.
Patrick COHEN : Avec Alain JUPPE, une question sur la sécurité sociale, l'assurance maladie Pierre-Luc.
Pierre-Luc SEGUILLON : Oui la sécurité sociale, on va avoir la énième réforme à l'automne prochain. Enième réforme, vous en connaissez un bout puisque c'est un côté un peu cisif cette sécurité sociale. En attendant, le gouvernement a décidé d'abaisser de 65 à 35 % de remboursement, un certain nombre de médicaments, 600 et quelques, 617 exactement, justement pendant le week-end de Pâques. Vous qui approuvez tout du gouvernement, est-ce que vous trouvez que c'est de bonnes méthodes ? Ce côté un peu clandestin ?
Alain JUPPE : Je vais vous décevoir Monsieur Séguillon mais même çà, j'arrive pas à m'en étonner. Et je m'étonne qu'on s'en étonne. C'est pas arrivé comme çà par l'opération du Saint Esprit si je puis dire, à Pâques
Pierre-Luc SEGUILLON : C'est plutôt la Pentecôte en général !
Alain JUPPE : C'est vrai, je me trompe dans le calendrier romain. Non, je voulais dire par là que c'est le résultat d'un long processus. Cette décision de déremboursement se fond sur un décret pris par Monsieur Jospin il y a plusieurs années. Et çà fait des mois et des mois que Monsieur Mattei a engagé une concertation avec les professionnels, avec les pharmacies, avec les médecins, pour essayer de bien voir quels sont les médicaments très utiles et les médicaments qui sont moins utiles. C'est ce qu'on appelle le service médical rendu. Et quand on a le sentiment, à partir d'un examen scientifique naturellement, pas politique, que certains médicaments sont moins utiles que d'autres, et bien on les rembourse un peu moins bien, pourquoi ? Pour se donner la marge de manoeuvre suffisante pour mieux rembourser ceux qui sont très utiles, pour pouvoir financer en particulier des protocoles de soins qui sont de plus en plus coûteux.
Donc il me semble que cette démarche, quelle que soit la coïncidence de calendrier, est dans la logique de ce que le gouvernement avait annoncé et engagé.
Patrick COHEN : Une question sur l'Islam, une question qui fait apparemment l'objet d'un désaccord au sein de l'UMP. Faut-il oui ou non une loi pour interdire purement et simplement le port du voile à l'école ?
Alain JUPPE : Vraiment dès qu'il y a l'expression d'une petite différence au sein de l'UMP, çà intéresse...
Patrick COHEN : Non, non mais ma question intéresse !
Alain JUPPE : Et je ne vous le fais pas dire et donc j'aurai pas besoin de démontrer tout à l'heure, qu'effectivement l'UMP est un lieu de débat. Alors pour en revenir au sujet qui est celui de l'Islam et du voile plus exactement. D'abord oui pour en revenir quand même un peu à l'UMP, dans les combats que mène l'UMP et qui me semble... ces grands combats, non pas ces combats électoraux de court terme mais ces grands combats de civilisation, moi je mettrais presque en première position le combat contre les extrémismes, contre tous les extrémismes, contres les extrémismes politiques, le Front National, l'extrême gauche, et contre les extrémismes religieux qui sont aujourd'hui une menace pour la république. Et la république c'est beaucoup de choses mais c'est en particulier le principe de laïcité, le principe de liberté religieuse bien sûr, et un troisième principe qu'il ne faut pas oublier parce qu'il est inscrit dans la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, l'égalité entre les sexes, l'égalité entre l'homme et la femme. Et bien cette affaire du voile, elle met en cause ces principes. Nous sommes attachés à la laïcité, ce qui veut dire que dans la sphère publique, l'état ne reconnaît pas, ne privilégie pas les religions, et que dans cette sphère publique, nous sommes attachés à la neutralité, et c'est la raison pour laquelle, je pense qu'on ne peut pas accepter à l'école, qui est le sanctuaire même de la sphère publique, là où se forme l'esprit de nos enfants, leur liberté de jugement, leur appréhension du monde. On ne peut pas accepter que ces débats religieux s'introduisent et que le port d'insignes ostentatoires soit autorisé. J'ajoute que le voile, c'est pas simplement un acte religieux, c'est de plus en plus, on le voit maintenant, une manifestation politique. Et donc on ne peut pas rester à mon avis, dans la situation qu'était celle de, je ne sais plus quand, en 89 je crois, quand Monsieur JOSPIN avait - 14 ans -, avait consulté le Conseil d'Etat, c'est maintenant le législateur qui doit prendre ses responsabilités, pas simplement le conseil juridique qu'est le Conseil d'Etat, le législateur, de façon à faire respecter les principes que j'ai évoqués tout à l'heure, dans le respect de la liberté religieuse bien sûr, mais aussi dans le respect de l'égalité entre les sexes.
Patrick COHEN : Merci. L'UMP, on va en parler, l'UMP qui domine ou contrôle le gouvernement, l'assemblée Nationale, le sénat, un certain nombre de régions et de départements, j'en oublie. On entend peu malgré tout, la voix de l'UMP dans le débat public. Est-ce qu'on doit en conclure que la voix de l'UMP et celle du gouvernement, c'est exactement la même chose ?
Alain JUPPE : Et bien écoutez, on doit pas écouter les mêmes choses parce que moi je l'entends beaucoup la voix de l'UMP. Il y a d'ailleurs ici un de ses porte-parole, Renaud Donnedieu de Vabres, il y a son secrétaire général, Philippe DOUSTE-BLAZY, qu'on entend beaucoup et qui dit des choses toujours très pertinentes, je pourrais allonger la liste. Donc je partage pas du tout votre appréciation, on entend beaucoup
Patrick COHEN : Là c'est vous qui êtes au micro !
Alain JUPPE : Et puis moi accessoirement. On entend beaucoup l'UMP, on l'a beaucoup entendue dans le débat sur les retraites, au point d'ailleurs que certains leaders syndicaux ont dit, c'est la première fois qu'on voit un parti politique s'engager à ce point dans un débat de société. Voilà, alors je sais plus pourquoi je vous disais tout çà, parce que vous vous plaigniez qu'on...
Le rapport avec le gouvernement est très simple. Pourquoi l'UMP est-elle apparue ? L'UMP est apparue parce que nos électrices et nos électeurs l'ont voulu. C'est une demande qui est venue, là c'est le cas de le dire, de la France d'en bas. Combien de fois ne nous a-t-on pas dit, qu'est ce que vous attendez pour vous mettre d'accord ? Arrêtez de vous disputer, quand vous vous disputez, vous perdez. Unissez-vous, vous gagnerez.
On a entendu ce message et on a fait l'année dernière, au moment des élections présidentielles et législatives. Et dans la logique de la constitution de l'UMP, nous sommes là pour soutenir le gouvernement. Soutenir le gouvernement, çà ne veut pas dire, béni oui oui à tout, sans examen, sans discussion, sans critiques le cas échéant, sans proposition, mais lorsque le débat a eu lieu, nous sommes là pour soutenir le gouvernement et nous le faisons avec détermination, et je vais vous dire même, avec enthousiasme.
Parce qu'en plus, là je vais choquer peut être certains auditeurs, mais je trouve qu'il est très bon ce gouvernement.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors, certain quand même, à l'intérieur même de l'UMP, je fais pas allusion à des rumeurs extérieures, à l'intérieur même de l'UMP, comme Nicolas Dupont-Aignan disent, mais il y en a par-dessus la tête de cette UMP, mi-chèvre, mi-choux, qui n'arrive pas à apporter de la valeur ajoutée, et en plus qui ne reconnaît pas la diversité en son sein, c'est à dire qui n'arrive pas à tenir ce fameux congrès des courants.
Alors deux questions, est ce que vous êtes mi-chèvre, mi-choux et qu'est ce que vous répondez à Nicolas Dupont-Aignan ?
Et d'autre part, quand ferez-vous ce fameux congrès où les courants pourront exister ?
Alain JUPPE : Je lis parfois dans la presse cette question, qui m'amuse d'ailleurs, Alain JUPPE a-t-il changé ? Vous voulez dire que j'étais devenu mi-chèvre, mi-choux. C'est un reproche qu'on m'avait rarement fait. On m'avait dit toujours que j'étais tout d'un bloc... Je suis mi-chèvre, mi-chou, je me bonifie ! Merci Monsieur Séguillon.
Pierre-Luc SEGUILLON : Attendez, ne m'attribuez pas des propos qui sont de Nicolas Dupont-Aignan !
Alain JUPPE : Merci Monsieur Dupont-Aignan. Par ailleurs, le débat, il a lieu. Nicolas Dupont-Aignan a été candidat aux élections, à la présidence, il a fait un beau score, 15% si je me souviens bien, il continue à s'exprimer, on le voit souvent et c'est très bien comme çà, dans les colonnes de la presse, il a ses idées, je le définirais comme plus souverainiste que moi vraisemblablement sur les questions européennes, et c'est très bien ainsi. Et je vous rassure pleinement, ou je le rassure pleinement, le congrès prévu dans nos statuts, qui permettra l'expression des sensibilités au sein de l'UMP, aura lieu. Comment avons-nous procédé ? Nous nous sommes créés en novembre 2002, çà fait 5 mois, l'UMP a 5 mois, c'est pas une vieille dame, c'est une très jeune fille qu'il faut faire grandir. Ensuite, nous avons fait des élections internes dans toutes nos fédérations, toutes nos circonscriptions, dans 577 circonscriptions de France, on vient de voter pendant deux mois...
Pierre-Luc SEGUILLON : Il paraît que vous avez eu d'ailleurs des problèmes parce que c'était toujours le RPR, ex-RPR qui arrivait en bonne position.
Alain JUPPE : Non, non, c'est tout à fait inexact.
Patrick COHEN : 5 fédérations, c'est encore conflictuel !
Alain JUPPE : Oh bien sûr, écoutez 577, 5 conflictuelles, oui effectivement, 1 %, vous avez tout dit. Ca c'est globalement très bien passé. Ca c'est bien passé...
Gérard COURTOIS : Juste un mot, les ex-RPR qu'évoquait Pierre-Luc représentent combien ?
Alain JUPPE : Mais c'est fini tout çà, c'est fini. Mais non, prenez l'exemple...
Gérard COURTOIS : 80 %, 85 % ?
Alain JUPPE : Je n'en sais rien, je n'en sais rien et d'une certaine manière, je ne veux pas le savoir, il faut tourner la page, mais non, il faut tourner la page ! Regardez au groupe à l'Assemblée Nationale, avec ces jeunes députés qui sont arrivés en 2002, Valérie Pécresse par exemple ou Nathalie Kosciusko-Morizet pardon, et bien on s'interroge plus sur le point de savoir s'ils viennent du RPR, de l'UDF ou DL. Nous avons plus de 30 % de nos militantes qui ne viennent d'aucune des trois composantes, alors il faut sortir de ce raisonnement passéiste...
Gérard COURTOIS : Vous en avez combien de militants puisque çà a été un des problèmes que vous avez rencontrés !
Alain JUPPE : Oui, nous avons eu ce problème parce que je ne vous cache pas que quand on a pris les fichiers des anciens partis, ben voilà, il y a eu un peu de...
Gérard COURTOIS : Y compris au RPR ?
Alain JUPPE : Oui, oui, c'était un peu à revoir, bon on a revu. A la fin de l'année dernière, sur les listes électorales, nous avions à peu près 200.000 personnes inscrites à l'UMP, soit directement, soit par le biais des anciens partis. 130.000 se sont mis à jour de cotisation 2003 et donc aujourd'hui nous avons 130.000 militants à jour de cotisation, c'est vérifiable et çà fait de nous le premier parti politique de France.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors le congrès, quand ?
Alain JUPPE : Donc je dis, il y a eu ces élections, maintenant, nous allons franchir une troisième étape avec la réunion de notre conseil national, c'est notre parlement, c'est plus de 2.000 personnes, peut être 3.000, il va se réunir au mois de juin, il élira son bureau politique définitif et là nous serons en mesure de convoquer, un an après le congrès fondateur, un congrès annuel qui aura lieu au mois d'octobre. Donc vous voyez que là aussi la méthode est bonne et le calendrier respecté.
Patrick COHEN : En octobre, c'est noté. L'UMP c'est aussi a-t-on dit parfois le recyclage de personnages encombrants ou sulfureux, Patrick Balkani dans les Hauts-de-Seine, Alain Carignon dans l'Isère, il est devenu ou redevenu secrétaire départemental en l'occurrence de l'UMP.
Ils ont toute leur place dans l'UMP ?
Alain JUPPE : Patrick BALKANI n'est pas dans l'UMP...
Patrick COHEN : Il va pas revenir au groupe à l'assemblée ?
Alain JUPPE : Il n'y est pas. S'agissant d'Alain CARIGNON, il s'est présenté aux élections internes dans les département de l'Isère, les militants de l'Isère l'ont élu, j'en ai pris acte.
Patrick COHEN : Dans des conditions parfaitement régulières ?
Alain JUPPE : Il y a une commission des recours. Si elle est saisie, elle se prononcera, c'est pas Alain JUPPE qui régente l'UMP, nous avons des règles et des procédures. Par ailleurs, chacun est bien conscient qu'Alain Carignon a commis des fautes, il a été sanctionné, il les a payées.
Voilà, faut-il décréter une inéligibilité perpétuelle pour les hommes politiques ? C'est une question qu'on peut se poser. Je crois qu'à partir d'un certain moment, çà devient une question d'étique personnelle.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors vous allez entreprendre la préparation des régionales et des européennes, vous avez dit que vous alliez bientôt annoncer les listes, les têtes de listes sur les 22 régions.
D'abord une question de principe. Dans les rapports entre l'UMP et l'UDF, est ce que vous êtes d'accord avec la formule de François BAYROU, il faut que la majorité ait deux pôles équilibrés, l'UMP et l'UDF ?
Alain JUPPE : Mais ce n'est ni François Bayrou ni moi qui en déciderai, ce sont les électeurs. Aujourd'hui l'UMP a 365 députés.
Pierre-Luc SEGUILLON : Oui mais on peut faire en sorte d'aider les électeurs quand même !
Alain JUPPE : Il faut pas me demander à moi de faire en sorte que l'UMP ait moins de députés ! Je serais traître à ma tâche !
Parfois on se surprend que j'aille soutenir des candidats de l'UMP. C'est mon rôle, c'est ma fonction bien entendu !
Gérard COURTOIS : Mais vous avez le sentiment que, se disant, François BAYROU prend ses désirs pour des réalités !
Alain JUPPE : Non, non, pas du tout, pas du tout, moi je n'ai aucune ambition de monopole ou d'hégémonie ni quoi que ce soit.
On nous a demandé... les Français...
Pierre-Luc SEGUILLON : C'est le soupçon qui vous a attrapé quand vous avez voulu modifier le mode de scrutin...
Alain JUPPE : Les Françaises et les Français nous ont dit, faites l'union ! Et aujourd'hui les grands pays modernes sont des grands pays dans lesquels il y a une alternance entre deux grandes formations majoritaires à droite et à gauche. Regardez l'Espagne, l'Allemagne, l'Angleterre, les Etats-Unis, etc. Et tous les autres pays essayent d'évoluer vers ce modèle, l'Europe même. Au parlement européen, vous avez le PPE, le parti populaire européen qui regroupe la droite et le centre et puis le parti socialiste qui regroupe pour l'essentiel la gauche.
Et donc c'est ce modèle là aujourd'hui que nous essayons de faire vivre en France, c'est pas facile, c'est encore fragile. J'ai pas du tout le sentiment que l'UMP soit un colosse, ni un colosse aux pieds d'argile d'ailleurs. Non, c'est une construction qui se fait petit à petit. Alors, à côté, qu'il y ait d'autres formations politiques qui ne veuillent pas entrer dans l'UMP, mais c'est leur droit le plus absolu ! François BAYROU aurait eu toute sa place au sein de l'UMP.
Beaucoup de ses amis y sont venus d'ailleurs. Il aurait été parfaitement respecté, il a fait un choix différent, c'est son droit, tout à fait, et j'espère qu'il apportera au débat d'idées une contribution...
Patrick COHEN : Il va en payer le prix en 2004 ! Lors des régionales !
Alain JUPPE : Qu'est ce que çà veut dire payer le prix ? Pourquoi, il va être puni ? Par qui, par qui ? Par qui il va être puni ?
Patrick COHEN : Le prix de la désunion !
Alain JUPPE : Par qui il va être puni ?
Patrick COHEN : Par vous !
Alain JUPPE : Par moi !
Voyez que j'avais raison de vous soupçonner d'une question perfide. Comment voulez-vous que je punisse François BAYROU moi ? Ce sont les électeurs qui décident, pas moi !
Patrick COHEN : Et bien, en refusant...
Alain JUPPE : En refusant quoi ?
Patrick COHEN : En refusant de lui faire de la place dans les listes d'union pour les régionales !
Alain JUPPE : Ecoutez, s'il veut 50/50, on va en discuter, c'est peut-être placer le bouchon un peu loin...
Gérard COURTOIS : C'est lui qui vous l'a dit !
Alain JUPPE : Non, je ne sais pas. Ce que je veux dire simplement, c'est que nous, nous sommes ouverts au partenariat.
Je l'ai dit depuis des mois, Jean-Claude GAUDIN l'a dit, Philippe DOUSTE-BLAZY l'a dit, parce que l'UMP c'est pas Alain JUPPE, c'est une direction collégiale, nous avons dit nous sommes prêts à travailler en partenariat avec François BAYROU et cette proposition reste valable.
Gérard COURTOIS : Y compris en Aquitaine ? Et notamment en Aquitaine ?
Alain JUPPE : Surtout en Aquitaine.
Pierre-Luc SEGUILLON : A propos des régionales, je voulais vous demander, une tête de liste dans la région Ile-de-France, vous verriez bien Nicolas SARKOZY président de la région Ile-de-France, s'il était candidat ?
Alain JUPPE : Ecoutez, çà ne fait pas l'ombre d'un doute, que si Nicolas SARKOZY voulait y aller, si c'était son choix et ce choix n'appartient qu'à lui, il serait évidemment le meilleur candidat pour l'Ile-de-France.
Pierre-Luc SEGUILLON : Et vous le soutenez ce choix ? Vous l'encouragez je veux dire ?
Alain JUPPE : Ah non, çà c'est un autre problème, c'est à lui de se décider, je ne veux pas faire de pressions d'aucune manière mais s'il se décidait, s'il prenait cette décision, il aurait naturellement tout mon soutien.
Patrick COHEN : Vous êtes favorable à ce que les ministres soient candidats comme têtes de listes dans les régions ?
Alain JUPPE : Ecoutez, je crois que les ministres sont des hommes politiques et partout en Europe, çà aussi c'est la règle et donc la proximité c'est quoi ? La proximité c'est d'aller se colleter avec les électeurs, c'est pas de rester dans son ministère tranquillement installé. Il faut aller sur le terrain.
Patrick COHEN : Et une fois élu, l'éventuel cumul entre un portefeuille ministériel et un poste, un mandat de président de région, çà vous semble choquant ?
Alain JUPPE : Ca, le gouvernement en décidera puisque ce n'est pas une règle législative, c'est une pratique.
Moi j'ai toujours pensé, alors évidemment çà pose des problèmes, quand on est au gouvernement on est très occupé mais j'ai toujours pensé que pour un élu national, c'était bien d'avoir le contact du terrain et le contact du terrain on l'a quand on est élu local.
Gérard COURTOIS : Juste une petite question très concrète sur les régionales. Vous allez désigner vos chefs de file dans les 22 régions avez-vous dit dans les prochaines semaines, donc avant l'été ?
Alain JUPPE : J'espère qu'on y arrivera avant l'été.
Gérard COURTOIS : Est-ce que beaucoup de candidats putatifs en tout cas préfèreraient que ce soit plus tard ?
Alain JUPPE : Non, voyez, la situation est en réalité assez simple, beaucoup plus simple qu'on ne croit, il y a 22 régions métropolitaines.
Sur ces 22 régions, je crois qu'il y en a 13 ou 14, ou 15 dans lesquelles nous avons soit un sortant qui s'impose de lui-même, soit un candidat qui est déjà, comment dire, porté par tout le monde. Il reste 5 ou 6 cas dans lesquels il y a encore des choix à faire, ce sera assez facile.
Patrick COHEN : Alors sur les régionales, vous n'avez pas pu imposer le mode de scrutin que vous souhaitiez avec ce seuil de 10 % des inscrits pour qu'une liste puisse se maintenir au deuxième tour, vous avez dit à l'annonce de la décision du Conseil Constitutionnel, c'est une bonne nouvelle pour le Front National. Vous pensez toujours qu'il y a un danger Front National qui est renforcé avec cette décision du Conseil Constitutionnel ?
Alain JUPPE : Tout le monde le pense. C'est pas une analyse qui m'est personnelle, c'est l'évidence. Et d'ailleurs çà n'a pas besoin d'être plus commenté que cela.
Gérard COURTOIS : Est-ce qu'on peut lutter contre l'influence du Front National par des modifications de modes de scrutin ?
Alain JUPPE : Evidemment, on fait çà depuis 30 ou 40 ans. Quand le Général De Gaulle est arrivé en 1958 pour rétablir une démocratie qui fonctionne, qu'est ce qu'il a fait ? Il a changé le mode de scrutin.
Ceux qui vous disent que la réforme des modes de scrutins est une astuce qui n'a pas de légitimité ne font pas une bonne analyse politique. Il est évident que les modes de scrutin ont une incidence sur les résultats politiques. Et d'ailleurs pourquoi est ce qu'on a changé le mode de scrutin aux européennes ?
Gérard COURTOIS : Mais est ce qu'à ce moment là le risque n'est pas que le Front National ou l'extrême droite s'exprime dans le dernier scrutin où il aurait la liberté de le faire à la présidentielle ?
Alain JUPPE : Ca personne ne peut l'en empêcher mais je vous fais remarquer qu'au deuxième tour de la présidentielle, il y a que deux candidats. Quand vous avez dit tout à l'heure, vous avez voulu réformer les modes de scrutin...
Patrick COHEN : Vous avez tenté d'imposer !
Alain JUPPE : Vous avez tenté d'imposer oui.
Je pense que le vous s'adressait à Alain JUPPE alors je voudrais quand même là aussi remettre les choses un peu au clair. Cette demande, c'était la demande de la totalité des parlementaires de l'UMP.
Et pour vous faire une confidence, je me suis même, moi, employé à calmer le jeu parce que la demande de nos parlementaires c'était appliquer à toutes les élections la règle de la présidentielle, on ne retient au deuxième tour que les deux mieux placés. C'était çà que voulaient nos députés et nos sénateurs.
Et ils voulaient même qu'on mette à défaut le seuil de présence au deuxième tour à 12,5 % des inscrits. Donc voyez, moi j'ai plutôt calmé le jeu. C'était juste un point d'histoire.
Patrick COHEN : Donc on vous a imputé à tort la paternité de cette réforme ?
Alain JUPPE : C'est pas moi qui suis le père de cette réforme ! C'est quand même absolument incroyable ! C'est le gouvernement qui a présenté le texte non ? Oui, je ne suis pas ministre de l'intérieur. Non mais je trouve que la précision allait de soit.
Patrick COHEN : En tout cas le ministre de l'intérieur lui, revendiquait assez moyennement cette paternité là !
Alain JUPPE : Ah bon, mais il l'a présentée à l'Assemblée Nationale et je l'ai entendu quand il l'a présentée en la justifiant.
Gérard COURTOIS : Le texte initial qu'il avait présenté était à 10 % des exprimés, il était pas à 10 % des inscrits !
Alain JUPPE : Comment fonctionne un gouvernement ? On soutient les textes que le gouvernement a approuvés !
Patrick COHEN : Le danger Front National pour y revenir en quelques phrases, un an après le 21 avril, vous le sentez encore très fort, très présent. Est-ce qu'il y a véritablement un risque, comme certains leaders ou certains de vos amis l'ont dit, d'un succès, d'une conquête du Front National dans la région PACA ?
Alain JUPPE : Moi je suis très prudent avec le Front National. Je me souviens de la période 97-98 où nous avons été un certain nombre à dire, le Front National est en déclin pour toute une série de questions, à l'époque c'était parce que le chômage reculait. Et puis on a vu ce qui s'est passé en 2002, donc ne sous-estimons pas ce vote parce que, et je dis çà sans faire injure aux électrices et aux électeurs du Front National, qu'il nous faut effectivement essayer de convaincre pour les ramener sur d'autres voies mais très souvent ce vote est quand même un vote un peu passionnel et un peu irrationnel et donc il peut ressurgir à tout moment, il faut qu'on soit de ce point de vue très vigilant.
Gérard COURTOIS : Avez-vous le sentiment que la politique en matière de sécurité, menée par le gouvernement est de nature à reconquérir précisément ces électeurs ?
Alain JUPPE : Je pense en tout cas aujourd'hui, dans la hiérarchie des priorités des français, le thème de l'insécurité a reculé et j'y vois la marque d'un début de succès du gouvernement. D'ailleurs ce succès est indéniable.
Alors il y a l'insécurité au sens classique du terme, la tranquillité publique, la sécurité des personnes et des biens, regardez, et çà en fait partie, l'insécurité routière, avec une volonté politique forte, on a atteint assez rapidement des résultats assez spectaculaires.
Pierre-Luc SEGUILLON : J'en viens à la politique étrangère, vous avez été ministre des affaires étrangères, est ce que vous avez approuvé, sans l'ombre de la moindre réticence, l'attitude de la France, du Président de la République, du Ministre des affaires étrangères, dans la période qui a précédé la guerre, pendant la guerre et après le guerre et si oui, comment est ce que vous voyez la possibilité, je crois que vous avez fait, vous avez déclaré que les relations transatlantiques étaient en très mauvais état. Comment les est ce que, à votre avis, il est possible de renouer avec cette administration américaine ?
Alain JUPPE : Oui bien sûr et d'ailleurs les dernières déclarations...
Pierre-Luc SEGUILLON : Je dis bien, avec cette administration !
Alain JUPPE : Les dernières déclarations de Monsieur Powell montrent que la raison finira par prévaloir. Je pense que la France a eu raison de prendre la décision, la position pardon, qu'elle a prise. Cette guerre n'était pas nécessaire. Nous voulions désarmer l'Irak, on pouvait y arriver par d'autres moyens. Je note d'ailleurs au passage que, combien ? Quelques semaines, enfin j'ai pu exactement le calendrier en tête, deux semaines après la chute de Bagdad, il y a toujours pas d'armes de destruction massive découvertes en Irak donc on pouvait atteindre l'objectif différemment et je crois que c'est l'honneur de la diplomatie française de l'avoir dit en étant le porte-parole de la majorité de la communauté internationale. Je vais pas vous refaire le tour du monde et citer tous les pays qui étaient sur la même position que la France.
Alors, à partir de là, il y a eu effectivement, lorsqu'on est arrivé au bout du bout du chemin, quelques tensions, et je crois que la France a eu raison de ne pas caler là non plus. Aujourd'hui il faut envisager les conséquences de cette guerre tout azimut, d'abord les conséquences en Irak. Moi je suis très préoccupé de voir s'installer à Bagdad un régime islamiste.
Ce serait pas la première fois que certaines initiatives de la diplomatie américaine aboutissent à ce résultat donc il faut être très vigilant et j'ai vu que Washington s'en préoccupait, ce qui me réjouit. Il faut ensuite en tirer les conséquences, au-delà de l'Irak, sur la région, il est urgent que la communauté internationale active, ce qu'on appelle la fameuse feuille de route, qui doit dessiner des perspectives de solutions dans le conflit israélo-palestinien.
Il faut tirer les conséquences aussi au niveau onusien, on ne reconstruira pas politiquement, ni économiquement d'ailleurs l'Irak s'il n'y a pas une implication des Nations Unies. Monsieur Tony BLAIR lui-même en est parfaitement d'accord.
Il faut en tirer les conséquences sur la relation transatlantique et là je le dis en toute sérénité et sans agressivité, moi je me classe certainement pas dans la catégorie des anti-américains, c'est un pays que j'aime, une population que j'aime, l'histoire etc On sait tout çà par cur et de mon point de vue, c'est tout à fait sincère mais je revendique la possibilité, moi français du 21ème siècle, de travailler avec les Etats-Unis non pas en protectorat mais en partenariat, il faut que nous arrivions à créer des relations dans lesquelles les Etats-Unis d'Amérique acceptent qu'un certain nombre de leurs amis puissent leur dire un certain nombre de choses et exprimer des désaccords.
Pierre-Luc SEGUILLON : Et est ce que vous pensez que cette administration américaine peut être sensible à ce type de relations, c'est à dire partenariat ou est ce qu'elle n'a pas tentation de penser un autre mode de relations ?
Alain JUPPE : Fort heureusement pour nous elle n'a pas tout d'un bloc.
Gérard COURTOIS : Est-ce que ce partenariat, cette relation de partenariat franco-américaine peut se construire pour la France sans l'Europe ou sans une reconstruction...
Alain JUPPE : Avec l'Europe, avec l'Europe ! J'évoquais tout à l'heure la...
Gérard COURTOIS : Elle est quand même fissurée pour ne pas dire cassée en deux !
Alain JUPPE : J'évoquais les grands combats de l'humanité tout à l'heure, il y avait le combat politique contre les extrémismes, il y a le combat pour le progrès économique et social et puis il y a un combat pour une certaine vision du monde et c'est çà qui fait que dans ce domaine là je ne suis pas d'un optimisme à toute épreuve, je pense que les mêmes causes produiront les mêmes effets et que nous aurons d'autres occasions de tensions. Quelle est notre vision du monde ? Nous pensons nous, que la globalisation doit être humanisée, qu'il faut des règles et que ces règles, çà ne peut pas être un seul gendarme sur la planète qui les édicte unilatéralement. Il faut que ce soit des règles collectives dans tous les domaines, dans le commerce on a l'organisation mondiale du commerce, pour l'environnement, CHIRAC propose une organisation mondiale de l'environnement, pour la lutte contre les crimes contre l'humanité, il y a une cour pénale internationale. On voit, et c'est un rêve formidable, c'est une sorte d'utopie qui peut redonner au débat politique toute sa grandeur, on voit apparaître l'idée d'un gouvernement mondial. Certains y ont pensé dans les siècles passés, on va peut être le faire dans les années qui viennent et pour çà il faut un monde multi polaire, il faut un monde dans lequel il y ait plusieurs pôles d'équilibre.
La Chine, 9 % de croissance, 5ème puissance industrielle du monde dans quelques mois ou dans quelques années, et bien sera un pôle de puissance. La Russie va reconquérir ce statut aussi ou l'a déjà. Il faut que l'Union Européenne soit un de ces pôles de puissance. Alors là c'est toujours pareil, c'est l'histoire du verre à demi plein ou à demi vide, on a fait un chemin formidable depuis 50 ans, il nous en reste encore beaucoup à faire. Pour ma part, autant je suis inquiet parfois sur la relation transatlantique parce que j'ai l'impression que cette vision du monde que je viens de résumer n'est pas totalement partagée de l'autre côté de l'atlantique, pas par tous en tout cas, pas par tous, çà peut changer. Autant sur l'Europe je suis assez confiant, j'étais il y a 3 jours à Bordeaux dans un colloque où il y avait l'ambassadeur de Tchécoslovaquie, de Tchéquie pardon, l'ambassadeur de Hongrie, l'ambassadeur de Pologne et j'ai vu chez ces hommes et cette femme la volonté vraiment d'appartenir à la famille européenne. Certes, ils ont une fidélité transatlantique parce que pour eux pendant 40 ans les Etats-Unis, çà a été la liberté, on les comprend, ils viennent de la recouvrer eux il y a 15 ans, mais en même temps ils se sentent de la famille européenne et donc je crois qu'on peut construire avec eux quelque chose et 2004 va être de ce point de vue là...
Patrick COHEN : Vous n'avez pas été déçu par l'attitude de certains de vos partenaires au sein du PPE, je pense à Monsieur Aznar, Monsieur Berlusconi, dans cette crise ?
Alain JUPPE : Déçu c'est pas le mot, nous n'avons pas été d'accords, nous n'avons pas été d'accords.
Patrick COHEN : Une dernière question très vite !
Pierre-Luc SEGUILLON : Oui est ce que vous avez le sentiment que les propositions qui viennent d'être formulées par Valéry Giscard d'Estaing sur les prochaines institutions de l'Union européenne contribuent à fabriquer ce pôle, ou contribuerait à fabriquer ce pôle de puissance que vous évoquiez à propos de l'Europe ?
Alain JUPPE : Je m'exprime un peu à titre personnel, on a pas encore débattu au sein de l'UMP là-dessus. Mon sentiment personnel est que oui, je trouve que ces propositions sont bonnes, qu'elles participent d'une philosophie de la construction européenne qu'est la mienne et qui vise précisément à faire de l'Union un acteur...
Pierre-Luc SEGUILLON : Plus gouvernemental que fédéral ?
Alain JUPPE : Un projet politique, c'est çà qui compte, ne nous perdons pas dans les problèmes ou dans les chicanes institutionnelles, fédérales, pas fédérales etc.
Est ce que, au-delà du marché, au-delà de la monnaie, est ce qu'on veut construire un pôle d'influence politique sur le monde, dans le monde, avec une politique étrangère commune, avec une politique de sécurité commune et je crois que l'approche de Valéry Giscard d'Estaing va dans ce sens, j'espère qu'il pourra convaincre la convention et qu'ensuite la conférence inter-gouvernementale pourra accoucher d'un traité qui sera un des grands rendez-vous de l'année 2004 et c'est pour çà que la politique est passionnante parce que là on va faire des choses qui engagent l'avenir.
Patrick COHEN : Merci Alain JUPPE, c'était votre Grand Jury, dimanche prochain un autre ancien Premier ministre sur le plateau du Grand Jury, notre invité sera Michel Rocard. Bonne semaine à tous, à dimanche prochain.
(Source http://www.u-m-p.org, le 29 avril 2003)
A mes côtés, Gérard COURTOIS et Pierre-Luc SEGUILLON pour un Grand Jury diffusé comme d'habitude en direct sur RTL et LCI, et dont Le Monde publiera l'essentiel dans sont prochain numéro.
Un an après donc, Alain JUPPE, voici le temps des mesures impopulaires, je parle de la réforme des retraites, d'abord peut-être quelques questions sur la forme, sur la méthode, est-ce que cette réforme arrive au bon moment, ce sont des critiques qu'on entend parfois y compris jusque dans les rangs de la majorité, n'aurait-il pas fallu la conduire cette réforme d'emblée, après les élections de 2002 ?
Alain JUPPE : La réforme arrive au bon moment selon moi et la méthode qui a été adopté me semble excellente.
Le gouvernement s'est fixé dès le départ des objectifs, Jean-Pierre Raffarin avait annoncé que il commençait son action gouvernementale en s'attaquant au dossier de l'insécurité en France, au dossier de l'initiative économique sur laquelle il a pris des mesures dès l'automne et puis il avait dit début 2003 la réforme des retraites avec le temps de la réflexion, le temps de la concertation, le temps de la décision.
Ce calendrier est parfaitement respecté et donc cela vous explique le jugement très positif que je porte sur la démarche.
Gérard COURTOIS : D'où vient l'impatience d'un certain nombre de parlementaires de la majorité par rapport à la démarche de François Fillon jugée trop feutrée, pas assez dynamique ou volontariste, cette impatience vous paraît, comment dire, ces critiques vous paraissent mal venues ?
Alain JUPPE : J'écoutais François Fillon dans sa grande émission de Jeudi soir, si je ne me trompe, je ne l'ai pas trouvé feutré, je l'ai trouvé au contraire très serein et très décidé en même temps, très clair dans ses explications, très maître de son sujet et très convaincant dans les réponses qu'il a apportées à ceux qui sont venus, légitimement d'ailleurs, lui apporter la contradiction.
Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que devant le refus syndical ou en tout cas le blocage syndical qui semble se faire jour à travers diverses manifestations programmées, à votre avis le gouvernement peut-il faire encore un certain nombre de concessions, par exemple sur les petites pensions ou encore sur un départ de retraite avant 60 ans quand on a 16 ans, bref un certain nombre de concessions sont elles encore possibles ?
Alain JUPPE : François Fillon a répondu à cette question en disant qu'il y avait encore un temps pour le débat, d'abord pendant tout le mois de mai, avant que le Parlement ne soit officiellement saisi du projet de loi gouvernemental et ensuite bien sûr pendant la discussion parlementaire.
Donc nous avons encore jusqu'à la mi-juillet, le temps de la concertation et le temps du débat.
Vous parlez d'un refus syndical, il faut y regarder de plus près, il faut décrypter les déclarations syndicales. J'étais au contraire assez surpris de voir, je ne sais pas si le mot modération convient mais en tout cas l'équilibre des déclarations syndicales après l'annonce des récentes orientations gouvernementales.
Je crois que ce qui a changé fondamentalement depuis la période de 1995 que vous évoquiez c'est la prise de conscience dans l'opinion publique en général que cette réforme est aujourd'hui absolument nécessaire. François Fillon l'a dit, en 95 le mur était un peu loin, 10 ans, 15 ans, aujourd'hui le mur il se rapproche et donc je crois que les Françaises et les Français se sont rendu compte que le vrai péril pour leur retraite, pour la leur, pour celle de leurs enfants, ça n'est pas la réforme, c'est l'absence de réforme. C'est la raison pour laquelle j'aborde la discussion qui va maintenant entrer dans le vif du sujet avec une grande confiance.
Pierre-Luc SEGUILLON : Est-ce que vous avez le sentiment que, à l'assemblée Nationale, notamment les députés de l'UMP se conduiront comme vous le souhaitez, qu'il n'y aura pas de risque de dérapage ?
Alain JUPPE : Ils se conduiront comme ils voudront se conduire. Je ne suis pas le maître de la classe.
Pierre-Luc SEGUILLON : Vous êtes quand même le président de l'U.M.P. ?
Alain JUPPE : Mais je vois comment les choses se sont faites. Il ne faut pas imaginer que les députés de l'UMP ils vont découvrir la réforme dans quelques jours. Plus de 250 d'entre eux, depuis des mois et des mois ont participé à tout le travail d'élaboration, de réflexion, y compris dans le département sous l'impulsion de l'un d'entre eux qui est là je croix Xavier Bertrand nous avons animé dans nos fédérations, des forums dans lesquels nous avons fait venir les responsables syndicaux, les responsables professionnels, nos militants, des gens venus de l'extérieur, donc ça n'est pas aujourd'hui, tout d'un coup que l'on découvre cette réforme, c'est le résultat d'une maturation qui fait que là aussi, sans sous-estimé les difficultés, bien entendu quand on veut changer quelque chose on se heurte toujours à des difficultés, c'est la raison pour laquelle je pense quand même qu'on va y arriver.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors est-ce que l'UMP comme tel risque de faire un certain nombre de propositions originales ?
Alain JUPPE : Ce n'est pas un risque Monsieur Séguillon, c'est une chance sans doute.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors peut-être vous allez nous le dire. Il y a eu une proposition qui a été formulée, je voudrais savoir si vous la soutenez, c'est celle d'utiliser le produit de l'impôt sur la fortune pour alimenter le fonds de réserve, est-ce que vous soutenez cette proposition, est-ce qu'il y a d'autres propositions qui viendraient de l'UMP ?
Alain JUPPE : Ca n'est pas une proposition de l'UMP, c'est la proposition d'un membre éminent de l'UMP et je lui tiens en toute amitié, il s'agit de Jean-Louis DEBRE qui est là d'ailleurs et qui j'en ai parlé pas plus tard qu'il y a quelques jours à Evreux dans son fief, je ne trouve pas que c'est une bonne idée parce que ça consiste à prendre de l'argent quelque part pour le mettre ailleurs mais on bouche un trou en en creusant un autre. Donc je ne pense pas que ce soit dans cette direction qu'il faille s'orienter.
En revanche, l'UMP va évidemment nourrir le débat. Nous avons déjà été très vigilants sur un point et je crois que notre vigilance a donné des résultats, c'est l'idée de, comment dire, de la souplesse dans l'âge du départ à la retraite. Nous avions dit dès le départ, lorsque nous avons rencontré François Fillon et Jean-Paul DELEVOYE que nous serions très attentifs au fait que ceux qui ont commencé à travailler très jeune et qui ont cotisé 40 ans puissent prendre leur retraite même s'ils n'ont pas atteint l'âge de 60 ans. Et nous avons été entendus puisque François Fillon a annoncé que quand on a commencé à 14-15 ans on pourra prendre sa retraite à 58-59 ans dès lors qu'on aura cotisé la durée nécessaire.
Patrick COHEN : Est-ce que vous pourriez nourrir le débat également sur la question qui n'est pas évoquée aujourd'hui d'un complément de retraite par capitalisation ?
Alain JUPPE : Si cette question est tout à fait évoquée, là aussi François Fillon a été tout à fait clair, la réforme c'est la réforme de la retraite en consolidant le principe de la répartition. Et la répartition c'est le cur de la solidarité nationale. Ca veut dire que c'est ceux qui travaillent qui cotisent pour ceux qui ne travaillent plus, il faut le rappeler et c'est la raison d'ailleurs pour laquelle il y a un problème parce que ceux qui travaillent sont de moins en moins nombreux proportionnellement par rapport à ceux qui ne travaillent pas.
Mais nous avons consacré ce principe fondamental qui est un des piliers de notre modèle social de la répartition.
En dehors de ce système de répartition, à côté de ce système de répartition, François Fillon a dit qu'il fallait naturellement favoriser l'épargne des français. Epargner quand on le peut, c'est toujours un acte qui permet de préparer l'avenir. Il a évoqué en particulier deux pistes, une première qui consiste à généraliser le système de la Préfonds, c'est un système d'épargne réservé à l'heure actuelle aux fonctionnaires et qu'on pourrait généraliser avec des avantages fiscaux bien entendu et la deuxième piste c'est d'assouplir encore ou de faciliter encore les plans d'épargne salariale et voyez que nous ne sommes pas sectaires puisque ça c'est une création JOSPIN - FABIUS qui est une bonne création et que nous proposons d'améliorer en allongeant en particulier la durée au cours de laquelle on peut épargner.
Je reviens sur ce que vous disiez sur l'apport possible de l'UMP, moi il y a un sujet qui me tracasse encore un petit peu et sur lequel il va falloir qu'on obtienne peut-être des clarifications et des progrès, c'est la situation des femmes dans cette réforme des retraites, on sait très bien qu'elles ont souvent des carrières un peu fractionnées, un peu bousculées parce que quand il y a des enfants on s'arrête, et donc il faut que nous assurions bien que leur situation est prise en compte là aussi le ministre a indiqué très clairement que les avantages familiaux ne seraient pas remis en question, peut-être faudra-t-il préciser un peu les choses et apporter quelques améliorations.
Patrick COHEN : Je note en tout cas Alain JUPPE votre optimisme global sur les chances de réussite de cette réforme mais sur le fait qu'elle puisse surmonter les blocages qui se font jour éventuellement du côté des syndicats.
Alain JUPPE : C'est pas un optimisme béat, je vous rassure, c'est un optimisme raisonné mais comme tout le monde dit qu'on va se planter, il faut bien qu'il y ait de temps en temps des personnes qui disent : mais non, on va y arriver. Je pense qu'on va y arriver, c'est parce que ça a été bien préparé, parce que c'est nécessaire et parce que c'est juste aussi.
Je crois que on est en train de s'en rendre compte. Le cur de cette réforme c'est la recherche d'une plus grande justice. Il faut que, tout en tenant compte d'un certain nombre de cas particuliers, parce qu'il y a des travaux pénibles, parce qu'il y a des situations spécifiques, il faut que, en mettant de côté ces situations particulières, tous les Français, à terme relativement rapproché en 2008, 2012, soient égaux devant la retraite et que les mêmes règles s'appliquent à tout le monde. Ca je crois que, quand on connaît l'attachement de nos concitoyens au principe d'égalité et d'équité, c'est un argument très fort en faveur de la retraite.
Patrick COHEN : Une dernière question sur les retraites, Gérard COURTOIS.
Gérard COURTOIS : Sur les cas particuliers, il y a un point sur lequel le projet est extrêmement silencieux, ce sont les régimes spéciaux notamment des entreprises publiques qui avaient précisément mis le feu aux poudres en 95. Ca vous paraît habile ou ça vous paraît reculer pour mieux sauter ?
Alain JUPPE : Ceci explique peut-être cela.
Gérard COURTOIS : Non mais est-ce que ça n'est pas reculer pour mieux sauter à moyen terme ?
Alain JUPPE : Je crois qu'il faut d'abord relativiser le problème, ça représente 5 % je crois des effectifs globaux des personnes à la retraite.
Gérard COURTOIS : Gros effectifs syndicaux.
Alain JUPPE : Gros effectifs syndicaux certes mais là aussi le gouvernement a très clairement annoncé la couleur, le moment viendra où entreprises par entreprises, puisqu'il s'agit de régimes d'entreprise et bien la discussion s'ouvrira, donc là aussi commençons par le tout avant de peaufiner sur les parties.
Patrick COHEN : On vient Alain JUPPE à la politique économique du gouvernement, nous allons vivre des temps difficiles comme dit Jean-Louis Debré , chômage en hausse, croissance en berne, déficit qui se creuse, on voit mal aujourd'hui comment le gouvernement va s'y prendre pour résoudre cette équation, sinon impossible du moins très difficile. Vous voyez vous comment on va en sortir ?
Alain JUPPE : Je ne suis pas extralucide mais je vois assez bien quand même. Sur le diagnostic, je suis d'accord avec Jean-Louis Debré , les temps sont difficiles bien entendu.
Nous sommes confrontés aujourd'hui à une panne de croissance qui n'était pas attendu, qui s'explique de deux manières, une manière conjoncturelle, la guerre en Irak, vous avez vu les conséquences sur les marchés financiers, sur les décisions des investisseurs, sur le tourisme, sur le transport aérien, la première compagnie aérienne du monde qui est américaine, va peut-être faire faillite, donc voilà ça c'est une conjoncture qui va, je l'espère, petit à petit, s'estomper et je crois qu'on peut partager la confiance de Francis Mer dans l'idée que la croissance va rebondir dans les mois qui viennent.
Mais il y a aussi à cette panne de croissance, des causes plus profondes en France et ces causes elles sont liées au fait que nous ne sommes plus aussi compétitifs que nous l'étions avant pour toute une série de raisons. Je serais amené à formuler cette question de la compétitivité de manière peut-être un peu, comment dire, imagée. Est-ce que nous sommes, nous français, à ce point exceptionnel à travers la planète que nous allons pouvoir préserver notre pouvoir d'achat et notre modèle social et j'adhère à ces deux objectifs en travaillant moins que les autres.
Je crois que cette question aujourd'hui il faut se la poser et je crois donc que la réponse aux difficultés structurelles de la France c'est de rechercher une croissance durable, c'est l'objectif du Premier Ministre en s'appuyant sur deux piliers, le travail qui doit être remis à l'honneur et j'aimerais bien vous dire ce que j'entends par là et puis l'innovation aussi de façon que la France reconquière ce terrain qui est indispensable pour l'avenir.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais alors précisément quand vous parlez du travail et de la revalorisation du travail, est-ce que le gouvernement actuel n'a pas pêché en ce qui concerne les 35 heures en prenant une demi-mesure, c'est-à-dire en ne corrigeant qu'à demi ce passage aux 35 heures ?
Alain JUPPE : C'est curieux mais sur le gouvernement on a pas la même idée, voyez Monsieur Séguillon, moi je trouve qu'il agit bien le gouvernement et en particulier,
Pierre-Luc SEGUILLON : Ecoutez, je ne sais pas s'il agit bien ou s'il agit mal, je vous pose la question ?
Alain JUPPE : Vous me demandez si je pense qu'il agit mal, moi je vous dis qu'il agit bien. Il agit bien pourquoi, dans ce domaine très précis des 35 heures qui n'est qu'une petite partie de la question.
D'abord parce qu'on a fait ce qu'on a dit. Dieu sait si on reproche aux hommes politiques de ne pas tenir leur promesse. Nous n'avons jamais dit, pendant la campagne présidentielle et législative, que nous abrogerions les 35 heures. Nous avons dit que nous les assouplirions et nous l'avons fait.
Et deuxièmement, si nous ne les avons pas abrogé, je crois que là encore dans son excellente émission, François Fillon a donné une très bonne raison. Il a dit, ce dont les entreprises françaises ont besoin c'est de stabilité. Ne changeons pas les règles du jeu tous les six mois ou tous les ans. Il y a eu des accords passés au nom des 35 heures, qui ont entraîné des changements d'organisation des entreprises, plus de flexibilité dans un certain nombre de cas, il eut été très imprudent de casser tout ça pour le plaisir d'abroger les 35 heures. Donc pour répondre clairement à votre question qui n'était qu'une question et pas un jugement de valeur, je trouve que le gouvernement a bien fait.
Pierre-Luc SEGUILLON : Comment faire autrement alors pour revaloriser le travail ?
Alain JUPPE : Ce que je voulais dire sur le travail d'abord, il faut changer les mentalités, c'est évidemment ce qu'il y a de plus compliqué en essayant de faire comprendre autour de nous que le travail n'est pas une calamité, d'ailleurs ceux qui n'en ont pas le pensent souvent ainsi.
Le travail c'est un moyen de la liberté individuelle parce que c'est quand on a une rémunération en contre partie de son travail qu'on peut organiser sa vie librement. C'est ensuite un moyen de promotion sociale, quand on travaille on peut petit à petit s'élever dans la société et dans l'économie.
Et enfin c'est la condition sine qua non de la solidarité, ce sont ceux qui travaillent, on l'a vu tout à l'heure avec les retraites, ce sont ceux qui travaillent qui payent les retraites de ceux qui ne travaillent pas.
Donc d'abord revalorisons l'idée du travail. Depuis 20 ans quand on parle du travail, c'est uniquement pour dire que c'est moins bien que le temps libre.
Moi j'adore le temps libre bien sûr et le progrès de la civilisation c'est effectivement de produire autant de travail en moins et c'est très bien. Mais il y a un moment où il faut pas pousser le bouchon trop loin, il faut redonner ces lettres de noblesse à la valeur du travail dans notre société.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais ça c'est de l'ordre de discours, c'est pas de l'ordre de mesure.
Alain JUPPE : Oui mais le discours c'est très important dans une vie de société, dans une collectivité, les valeurs c'est ça. Les valeurs c'est ce à quoi on croit d'abord, il faut pas en parler. Et puis après il y a des mesures. Alors j'en évoque quelques-unes unes. Remettre le travail à l'honneur c'est d'abord mieux le payer, il faut mieux rémunérer le travail et pour mieux rémunérer le travail il faut moins le taxer. Et là le gouvernement a pris une mesure exemplaire, c'est la plus forte augmentation du SMIC à laquelle nous avons assisté dans les deux ou trois ans qui viennent par réunification, je ne rentre pas dans le détail, des cinq ou six SMIC que nous avions hérité du gouvernement précédent. C'est une très forte augmentation des bas salaires. Et qu'est-ce qu'on a fait en contrepartie, sept milliards d'euros d'allégement des charges sociales. Donc voyez que quand je dis, il vaut mieux rémunérer le travail en le taxant moins, c'est pas du discours. Là, c'est un acte.
Ensuite deuxième orientation, il faut mieux rémunérer l'activité que l'inactivité. Il y a des situations à l'heure actuelle dans la société française où on a plutôt intérêt à rester inactif qu'a reprendre un travail quand on le pourrait. Et ça c'est la réforme annoncée, je souhaiterais qu'elle aille un peu plus vite voyez, c'est la réforme annoncée par le gouvernement du revenu minimum d'activité qui consiste à dire, au nom de la solidarité nationale, c'est une bonne chose de donner une allocation à ceux qui sont dans la difficulté mais lorsqu'ils le peuvent, tous ne le peuvent pas, lorsqu'ils le peuvent c'est aussi une bonne chose de leur demander en contre partie de travailler un peu pour la collectivité ou pour une entreprise. Voilà.
Troisième idée bien sûr, le travail ça doit pas être une notion passéiste, il faut l'enrichir le travail, il faut qu'on y soit plus à l'aise, il faut qu'il soit plus libre, il faut qu'on participe davantage, qu'on soit plus responsable dans le travail, les technologies de l'information et de la communication ouvrent dans ce domaine un champ formidable pour l'enrichissement du travail, c'est donc une conception moderne du travail et pas du tout ringarde ou 19ème siècle.
Enfin, je veux pas être trop long sur ce sujet qui me tient beaucoup à cur, mais sur lequel nous travaillons, revaloriser le travail aussi c'est mieux former nos jeunes au travail, c'est leur permettre de s'insérer davantage, plus facilement dans la vie professionnelle, j'ai trouvé ce point de vue dans le livre de Luc FERRY, d'excellentes idées, d'excellentes orientations de réforme.
J'étais il y a pas très longtemps dans le Var, à Hyères, et j'ai passé une matinée avec des gens du secteur des métiers de l'artisanat. J'ai découvert avec stupéfaction, je dois dire, que le nombre d'apprentis en France est en train de baisser aujourd'hui. Alors que l'apprentissage et la formation en alternance sont sans doute un des meilleurs moyens d'éviter l'échec, scolaire ou universitaire, et d'insérer nos jeunes dans une vie de travail où ils peuvent s'épanouir parce que l'apprentissage s'arrête pas au C.A.P.
C'est ensuite une filière qui permet d'aller beaucoup plus loin et de mener même des études longues.
Patrick COHEN : Alors Gérard COURTOIS va faire son travail en posant une question.
Gérard COURTOIS : Tout ça est très bien mais est-ce que le préalable n'est pas de créer de l'emploi. Or on est plutôt actuellement dans le mouvement inverse, l'augmentation du chômage. Est-ce que on peut créer de l'emploi sans avoir une croissance de l'ordre de 2 et demi ou 3 % par an ?
Alain JUPPE : Mais c'est tout ça qui crée de l'emploi Monsieur Courtois. Mais si c'est en attirant les gens vers des emplois disponibles. C'est en taxant moins le travail, c'est en mieux préparant les jeunes au travail, c'est comme çà qu'on crée du travail. Et puis le deuxième pilier bien évidemment c'est l'innovation, l'innovation c'est la création d'entreprises, là encore le gouvernement a préparé une excellente loi à l'initiative de Renaud Dutreil pour favoriser la création, le financement, la transmission d'entreprise. C'est ensuite un effort et là il y a des choses à faire encore, on a pas tout fait en un an, pour mieux financer la recherche et le développement. C'est ensuite, j'ai été frappé là aussi dans le livre que j'évoquais tout à l'heure où Claudie Haignere a pris la plume parce qu'elle dit sur la science " remettre la science à l'honneur ". Il y a de moins en moins d'étudiants dans les filières scientifiques en France et si nous décrochons dans le domaine scientifique ben la France ne créera pas d'emplois parce que c'est notre seule chance, c'est l'intelligence, c'est l'innovation.
Patrick COHEN : On ne peut pas dire que le budget 2003 y contribue.
Alain JUPPE : Je reconnais que dans ce domaine là malgré les efforts que Claude Haignere a fait pour éviter le gel de ses crédits, il y aura sans doute une ? ? ? à dégager. Je termine sur la création d'emplois. Moi je m'interroge aussi sur l'idée de revenir à quelque chose qui a été très utile je crois dans les années 50 ou 60, de grands projets industriels européens ou français, l'espace, je me réjouis des décisions qui ont été prises récemment, l'énergie par exemple. Il y a peut-être là en écartant une conception un peu simpliste du libéralisme qui voudrait que l'état ne s'occupe de rien ce qui n'est certainement pas le cas aux Etats Unis il y a peut-être des initiatives à prendre pour que l'Europe et la France en particulier occupent les bons créneaux.
Pierre-Luc SEGUILLON : Au passage vous remarquerez que ce type de proposition a été formulé maintes fois, notamment par Jacques Delors au niveau européen et n'a jamais été entendu par nos partenaires.
Alain JUPPE : Ca n'est pas exact, Monsieur Séguillon, il y a une espèce de tendance à dire que tout ce qu'on dit, on ne le fait pas. Ce n'est pas vrai.
Les ministres de l'espace viennent de prendre, très récemment, des décisions extrêmement positives en rajoutant de l'argent pour faire en sorte que Ariane triomphe des difficultés actuelles de la concurrence. Je ne dis pas par là que tout va bien mais ce que je dis là c'est pas des lubies. Ce sont des choses qui sont amorcées et qu'on peut éventuellement essayer de développer.
Pierre-Luc SEGUILLON : Mais pour revenir à la politique de l'emploi, est-ce que vous n'avez pas le sentiment que le gouvernement est pris aujourd'hui dans une contradiction, c'est-à-dire qu'il a à la fois adoptées le raisonnement qui est celui que vous venez de tenir et en même temps, devant la situation de l'emploi, et bien il revient à de vieilles méthodes qui sont les emplois aidés, les emplois assistés.
Alain JUPPE : Je n'y vois aucune contradiction. Dans la politique de l'emploi il y a le moyen à long terme, ce sont les réformes de fond et je m'empresse d'ajouter que tout ce que j'ai dit tout à l'heure n'est possible à terme que si dans le même temps l'état se réforme parce que pour taxer moins, pour favoriser la recherche etc il faut évidemment faire des économies ailleurs, on y viendra peut-être mais dans le court terme et dans le court terme lorsqu'il y a un peu le feu dans la maison, lorsque la conjoncture est mauvaise, lorsque les plans sociaux non pas apparaissent mais se poursuivent, Dieu sait s'il y en a eu avant 2001 ou 2002, et bien il faut effectivement prendre des mesures et le gouvernement en a pris un certain nombre, il a renoué avec le contrat initiative-emploi que j'avais créé en 1995 qui avait été un grand succès à l'époque et qui avait été abandonné depuis. Il a créé de nouvelles formules comme le civisme, il a mis en place le contrat-jeune en entreprise qui est une très bonne mesure, qui permet à des entreprises de recruter des jeunes en quasi-exonération de charges sociales, plus de 50.000 jeunes ont déjà bénéficié de ce système.
Voyez, nous ne sommes pas nous des idéologues, nous ne sommes pas des sectaires, nous avons une vision de moyen à long terme et ça n'empêche pas sur le court terme de prendre des mesures...
Pierre-Luc SEGUILLON : Une petite remarque, il y a une chose qui me frappe dans ce que vous dites, c'est à dire que vous découvrez une grande lisibilité de la politique du gouvernement, vous y voyez très clair et vous citiez Jean-Louis Debré qui est parmi nous, lui dit au contraire, c'est pas très lisible, on y voit pas très clair.
Alain JUPPE : Je compte sur mon dialogue avec Jean-Louis Debré pour que le peu de lisibilité qu'il voit et peut-être l'excès de lisibilité que j'y mets se rapprochent. Mais je pense qu'il y a une vraie politique aujourd'hui qui est cohérente et qu'en particulier le Premier ministre a eu raison de ne pas changer de cap il y a quelques mois et de ne pas brutalement renoncer à sa politique d'allégement des prélèvements obligatoires, il a tenu bon sur ce point, je crois qu'il a eu le courage de le faire.
Patrick COHEN : Et davantage sur l'impôt sur le revenu que sur l'allégement des charges sociales ?
Alain JUPPE : Non, on a fait beaucoup sur les charges sociales, je vous l'ai rappelé tout à l'heure, le contrat-jeune en entreprise et les 7 milliards d'euros qui sont dans les tuyaux pour les prochaines années.
Patrick COHEN : Alors sur la réforme.
Gérard COURTOIS : Alors la solution c'est la réduction des dépenses de l'Etat ?
Alain JUPPE : Réduction, oui, stabilisation, maîtrise, je voudrais dire plutôt efficacité des dépenses de l'état,
Patrick COHEN : Et donc réduction du nombre des fonctionnaires ?
Alain JUPPE : Mais écoutez, je veux pas prendre la cour des comptes comme point de référence, on sait très bien qu'elles sont les limites parfois des contrôles financiers, mais enfin, à longueur de rapport et tous les ans, on vous explique que l'argent public pourrait être mieux utilisé, alors vous êtes ? ? ? à me dire pourquoi n'y arrive-t-on pas, c'est pas une raison pour désespérer, vous connaissez la formule de Guillaume d'Orange. Mais en tout cas ça veut dire qu'il y a des gisements d'économie possible, non pas pour le plaisir de faire des économies, non pas pour réduire à toutes forces la dépense publique mais pour rendre des services publics de qualité à un moindre coût.
Et bien ça je crois qu'il faut s'y attaquer et moi je ne parlerais pas de la réforme, de LA réforme de l'Etat. Je parlerais plus volontiers des réformes de l'Etat. Il faut que chaque ministre se sente investi de la responsabilité de mieux faire marcher son administration. Et, c'est pas une critique que je fais ou si c'est une critique elle est intemporelle, c'est pas toujours le cas et on préfère parfois laisser son nom en élaborant un projet de loi pour l'éternité plutôt que de mettre les mains dans le cambouis et de regarder comment marche une administration. Je ne vais pas me citer en exemple, loin de là mais enfin quand j'étais ministre des affaires étrangères la première chose que j'ai faite ça a été de réformer mon ministère. Et à l'époque j'avais passé un contrat avec la direction du budget, j'avais diminué le nombre d'emplois dans mon administration et le ministre du budget m'avait rendu une partie des économies pour que je puisse la moderniser.
Par exemple, dans le domaine de l'informatique ou de l'apprentissage des langues, ce qui vous l'admettrez au Quai d'Orsay n'était pas du luxe.
Et bien c'est une réforme qui a très bien fonctionné, on a fait des économies et en même temps j'ai pas laissé un trop mauvais souvenir dans cette administration qui s'est sentie au contraire portée et motivée. Vous voyez qu'on peut faire des réformes.
Patrick COHEN : Est-ce qu'il faut se fixer un objectif du type ne pas remplacer un départ à la retraite de fonctionnaires sur deux, est-ce que c'est un objectif qu'on peut se fixer.
Alain JUPPE : Je ne dirais pas les choses comme ça du tout, parce que exprimé comme ça, c'est un objectif de comptable. Il faut faire de l'économie.
Patrick COHEN : Oui vous savez qu'à Bercy on fait ça.
Alain JUPPE : Justement quand on a la chance de ne pas être à Bercy, on peut prendre un peu de distance.
Gérard COURTOIS : Il n'empêche que c'est la condition pour stabiliser les dépenses ?
Alain JUPPE : Oui, mais je ne dis pas qu'il ne faut pas arriver à ce résultat, mais je dis qu'il ne faut pas fixer ça comme une espère de principe idéologique. Il faut chercher à moderniser les administrations publiques. Et comme les entreprises privées l'ont fait depuis 10 ou 20 ans, quand on modernise on se rend compte qu'à ce moment là on peut mieux utiliser l'argent et qu'il y a peut-être des économies à faire.
Donc pour moi c'est un résultat, c'est pas une espèce de préalable.
Gérard COURTOIS : Alors, juste une question, quand même en prolongement, la moitié des effectifs de la fonction publique sont dans l'éducation nationale, est-ce que vous avez le sentiment qu'il y a dans ce secteur autant de marges de gain de productivité que dans d'autres.
Alain JUPPE : Le mois de mai approche donc je serai prudent en répondant à cette question.
Gérard COURTOIS : Non mais quand on enlève un instit on enlève une classe grosso modo ?
Alain JUPPE : Non, il y a beaucoup d'enseignants qui ne sont pas devant des classes, déjà, on en a recensé le nombre, ça se chiffre par plusieurs dizaines...
Gérard COURTOIS : Par milliers
Alain JUPPE : Non, ne poussez pas le bouchon trop loin. Pas par dizaines de milliers mais par quelques centaines. Non, là aussi on peut restructurer, on peut mieux organiser, on peut décentraliser. Il y a 350.000 enfants de moins dans nos écoles et dans nos lycées depuis quelques années. Alors je veux pas dire qu'il faille diminuer à tout prix les effectifs de l'éducation nationale mais il faut peut-être là aussi réfléchir à une meilleure organisation des choses.
Patrick COHEN : Alors décentraliser, venez-vous de dire, la réforme constitutionnelle sur la décentralisation va connaître son premier terrain d'expérimentation, ça sera la Corse avec un référendum le 6 juillet sur le nouveau statut proposé par le gouvernement, avec notamment la suppression des deux Conseils Généraux.
Est-ce que c'était vraiment, à vos yeux, la priorité pour la Corse de mener cette énième réforme institutionnel ?
Alain JUPPE : Je ne sais pas si c'était la priorité de faire une réforme institutionnelle mais c'était la priorité de donner la parole aux Corses et quand je me suis personnellement prononcé sur ce qu'on a appelé le processus de Matignon, il y a quelques années, c'est-à-dire le dialogue de Lionel JOSPIN avec les responsables corses et principalement avec Monsieur TALAMONI, j'avais toujours dit, le préalable c'est de donner la parole aux corses. Et bien grâce à la décentralisation, grâce à la réforme constitutionnelle, dont vous l'avez souligné vous-mêmes c'est le premier point d'application concret, on va pouvoir le faire. A propos d'une question qui n'est pas négligeable qui est celle de l'organisation institutionnelle. Mais vous voyez bien qu'à propos de cette question on testera bien la volonté des corses de se situer. De ce point de vue je n'ai aucune espèce d'inquiétude ou d'incertitude dans la République.
Patrick COHEN : Y compris quand les nationalistes appellent à voter Oui.
Alain JUPPE : Je crois que ça sera en même temps un geste d'adhésion aux valeurs de la République de manière tout à fait claire.
Patrick COHEN : De la part des nationalistes.
Alain JUPPE : Non, pas de la part des nationalistes, de la part des corses. C'est pas les nationalistes qui m'intéressent. Il faut voir comment ils appellent à voter OUI, avec toute sorte de réticence. Mais en tout cas je crois que les Corses y verront le moyen d'exprimer cet attachement. Et à partir de là, je crois que les directions seront claires, il y a la direction du développement économique, je me réjouis de voir que ce que j'avais lancé avec la zone franche est poursuivi, il y a la direction de l'expression culturelle et puis il y a la réforme institutionnelle et à partir de là, comme Nicolas Sarkozy l'a exprimé avec beaucoup de forces et beaucoup d'a propos, je crois, il faudra que l'ordre public soit évidemment mieux assuré.
Patrick COHEN : On a pas inversé les priorités, avant vous disiez : il faut d'abord obtenir l'arrêt de la violence avant de mener toute réforme institutionnelle, Jacques CHIRAC le disait lui-même encore pendant sa campagne présidentielle.
Alain JUPPE : Non, non, on a pas dit ça, on a dit que le préalable c'était effectivement que la violence s'arrête, le préalable a tout accord avec les autonomistes.
Patrick COHEN : Le préalable a toute réforme ?
Alain JUPPE : Non, non, le préalable donne accord avec Monsieur Talamoni et les indépendantistes. Nous avons dit le préalable d'un accord avec ces personnes qui défendent leurs idées, c'est la cessation de la violence.
Pierre-Luc SEGUILLON : Puisqu'on parle de décentralisation, si vous permettez une question à la fois au responsable national et au responsable régional. Comment peut-on concilier la volonté de décentraliser et la volonté exprimée par certains membres de l'UDF de réduire les finances locales alors que les collectivités territoriales vont avoir davantage de compétences et davantage d'occasions de dépenser ?
Alain JUPPE : Là encore je ne vois pas la contradiction dans le principe. Au contraire, dans la réforme constitutionnelle il y a une innovation très important qui consiste à dire que sous le contrôle du juge constitutionnel, à l'avenir, quand l'Etat transfèrera une responsabilité aux collectivités décentralisées il devra leur transférer la recette équivalente. Ce qui veut dire que on ne pourra plus faire demain ce que le gouvernement précédent a fait par exemple avec l'allocation personnalisée d'autonomie c'est-à-dire cette prestation qui est versée aux personnes âgées dans la difficulté. Qu'est-ce qu'il a fait à ce moment là le gouvernement de l'époque ? Il a transféré au département sans un sou. Et résultat quand nous sommes arrivés, nous avons trouvé une ardoise d'un milliard deux cents millions d'euros, non financés. C'est ça qui provoque aujourd'hui l'augmentation de certains impôts locaux. Et bien donc à l'avenir, grâce à la décentralisation ceci ne sera plus possible, je le répète, il y aura autant d'argent que de compétences à assurer.
J'ajoute simplement un deuxième point, c'est que pour que ça marche, parce que tout n'est pas évidemment automatique dans tout ça, pour que ça marche, il faut que, en parallèle à la décentralisation et à l'augmentation des responsabilités des régions, l'état se réforme et on retombe sur le problème précédent. Si l'état garde tous ses services, toutes ses administrations, toutes ses compétences alors que les régions vont en prendre d'autres, alors là on additionnera les dépenses, bien entendu. Donc il faut que le plus d'un côté se traduise par des moins de l'autre. C'est une des conditions de la réforme et il faudra y tenir la main parce que ça se fera pas tout seul, la force qu'on les administrations centrales à se pérenniser dans leur être est extraordinaire.
Patrick COHEN : On marque une pause, Alain JUPPE, pour suivre les informations de 19 heures. On se retrouve dans quelques minutes pour parler de l'UMP et d'autres questions d'actualité. A tout de suite.
Patrick COHEN : Avec Alain JUPPE, une question sur la sécurité sociale, l'assurance maladie Pierre-Luc.
Pierre-Luc SEGUILLON : Oui la sécurité sociale, on va avoir la énième réforme à l'automne prochain. Enième réforme, vous en connaissez un bout puisque c'est un côté un peu cisif cette sécurité sociale. En attendant, le gouvernement a décidé d'abaisser de 65 à 35 % de remboursement, un certain nombre de médicaments, 600 et quelques, 617 exactement, justement pendant le week-end de Pâques. Vous qui approuvez tout du gouvernement, est-ce que vous trouvez que c'est de bonnes méthodes ? Ce côté un peu clandestin ?
Alain JUPPE : Je vais vous décevoir Monsieur Séguillon mais même çà, j'arrive pas à m'en étonner. Et je m'étonne qu'on s'en étonne. C'est pas arrivé comme çà par l'opération du Saint Esprit si je puis dire, à Pâques
Pierre-Luc SEGUILLON : C'est plutôt la Pentecôte en général !
Alain JUPPE : C'est vrai, je me trompe dans le calendrier romain. Non, je voulais dire par là que c'est le résultat d'un long processus. Cette décision de déremboursement se fond sur un décret pris par Monsieur Jospin il y a plusieurs années. Et çà fait des mois et des mois que Monsieur Mattei a engagé une concertation avec les professionnels, avec les pharmacies, avec les médecins, pour essayer de bien voir quels sont les médicaments très utiles et les médicaments qui sont moins utiles. C'est ce qu'on appelle le service médical rendu. Et quand on a le sentiment, à partir d'un examen scientifique naturellement, pas politique, que certains médicaments sont moins utiles que d'autres, et bien on les rembourse un peu moins bien, pourquoi ? Pour se donner la marge de manoeuvre suffisante pour mieux rembourser ceux qui sont très utiles, pour pouvoir financer en particulier des protocoles de soins qui sont de plus en plus coûteux.
Donc il me semble que cette démarche, quelle que soit la coïncidence de calendrier, est dans la logique de ce que le gouvernement avait annoncé et engagé.
Patrick COHEN : Une question sur l'Islam, une question qui fait apparemment l'objet d'un désaccord au sein de l'UMP. Faut-il oui ou non une loi pour interdire purement et simplement le port du voile à l'école ?
Alain JUPPE : Vraiment dès qu'il y a l'expression d'une petite différence au sein de l'UMP, çà intéresse...
Patrick COHEN : Non, non mais ma question intéresse !
Alain JUPPE : Et je ne vous le fais pas dire et donc j'aurai pas besoin de démontrer tout à l'heure, qu'effectivement l'UMP est un lieu de débat. Alors pour en revenir au sujet qui est celui de l'Islam et du voile plus exactement. D'abord oui pour en revenir quand même un peu à l'UMP, dans les combats que mène l'UMP et qui me semble... ces grands combats, non pas ces combats électoraux de court terme mais ces grands combats de civilisation, moi je mettrais presque en première position le combat contre les extrémismes, contre tous les extrémismes, contres les extrémismes politiques, le Front National, l'extrême gauche, et contre les extrémismes religieux qui sont aujourd'hui une menace pour la république. Et la république c'est beaucoup de choses mais c'est en particulier le principe de laïcité, le principe de liberté religieuse bien sûr, et un troisième principe qu'il ne faut pas oublier parce qu'il est inscrit dans la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, l'égalité entre les sexes, l'égalité entre l'homme et la femme. Et bien cette affaire du voile, elle met en cause ces principes. Nous sommes attachés à la laïcité, ce qui veut dire que dans la sphère publique, l'état ne reconnaît pas, ne privilégie pas les religions, et que dans cette sphère publique, nous sommes attachés à la neutralité, et c'est la raison pour laquelle, je pense qu'on ne peut pas accepter à l'école, qui est le sanctuaire même de la sphère publique, là où se forme l'esprit de nos enfants, leur liberté de jugement, leur appréhension du monde. On ne peut pas accepter que ces débats religieux s'introduisent et que le port d'insignes ostentatoires soit autorisé. J'ajoute que le voile, c'est pas simplement un acte religieux, c'est de plus en plus, on le voit maintenant, une manifestation politique. Et donc on ne peut pas rester à mon avis, dans la situation qu'était celle de, je ne sais plus quand, en 89 je crois, quand Monsieur JOSPIN avait - 14 ans -, avait consulté le Conseil d'Etat, c'est maintenant le législateur qui doit prendre ses responsabilités, pas simplement le conseil juridique qu'est le Conseil d'Etat, le législateur, de façon à faire respecter les principes que j'ai évoqués tout à l'heure, dans le respect de la liberté religieuse bien sûr, mais aussi dans le respect de l'égalité entre les sexes.
Patrick COHEN : Merci. L'UMP, on va en parler, l'UMP qui domine ou contrôle le gouvernement, l'assemblée Nationale, le sénat, un certain nombre de régions et de départements, j'en oublie. On entend peu malgré tout, la voix de l'UMP dans le débat public. Est-ce qu'on doit en conclure que la voix de l'UMP et celle du gouvernement, c'est exactement la même chose ?
Alain JUPPE : Et bien écoutez, on doit pas écouter les mêmes choses parce que moi je l'entends beaucoup la voix de l'UMP. Il y a d'ailleurs ici un de ses porte-parole, Renaud Donnedieu de Vabres, il y a son secrétaire général, Philippe DOUSTE-BLAZY, qu'on entend beaucoup et qui dit des choses toujours très pertinentes, je pourrais allonger la liste. Donc je partage pas du tout votre appréciation, on entend beaucoup
Patrick COHEN : Là c'est vous qui êtes au micro !
Alain JUPPE : Et puis moi accessoirement. On entend beaucoup l'UMP, on l'a beaucoup entendue dans le débat sur les retraites, au point d'ailleurs que certains leaders syndicaux ont dit, c'est la première fois qu'on voit un parti politique s'engager à ce point dans un débat de société. Voilà, alors je sais plus pourquoi je vous disais tout çà, parce que vous vous plaigniez qu'on...
Le rapport avec le gouvernement est très simple. Pourquoi l'UMP est-elle apparue ? L'UMP est apparue parce que nos électrices et nos électeurs l'ont voulu. C'est une demande qui est venue, là c'est le cas de le dire, de la France d'en bas. Combien de fois ne nous a-t-on pas dit, qu'est ce que vous attendez pour vous mettre d'accord ? Arrêtez de vous disputer, quand vous vous disputez, vous perdez. Unissez-vous, vous gagnerez.
On a entendu ce message et on a fait l'année dernière, au moment des élections présidentielles et législatives. Et dans la logique de la constitution de l'UMP, nous sommes là pour soutenir le gouvernement. Soutenir le gouvernement, çà ne veut pas dire, béni oui oui à tout, sans examen, sans discussion, sans critiques le cas échéant, sans proposition, mais lorsque le débat a eu lieu, nous sommes là pour soutenir le gouvernement et nous le faisons avec détermination, et je vais vous dire même, avec enthousiasme.
Parce qu'en plus, là je vais choquer peut être certains auditeurs, mais je trouve qu'il est très bon ce gouvernement.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors, certain quand même, à l'intérieur même de l'UMP, je fais pas allusion à des rumeurs extérieures, à l'intérieur même de l'UMP, comme Nicolas Dupont-Aignan disent, mais il y en a par-dessus la tête de cette UMP, mi-chèvre, mi-choux, qui n'arrive pas à apporter de la valeur ajoutée, et en plus qui ne reconnaît pas la diversité en son sein, c'est à dire qui n'arrive pas à tenir ce fameux congrès des courants.
Alors deux questions, est ce que vous êtes mi-chèvre, mi-choux et qu'est ce que vous répondez à Nicolas Dupont-Aignan ?
Et d'autre part, quand ferez-vous ce fameux congrès où les courants pourront exister ?
Alain JUPPE : Je lis parfois dans la presse cette question, qui m'amuse d'ailleurs, Alain JUPPE a-t-il changé ? Vous voulez dire que j'étais devenu mi-chèvre, mi-choux. C'est un reproche qu'on m'avait rarement fait. On m'avait dit toujours que j'étais tout d'un bloc... Je suis mi-chèvre, mi-chou, je me bonifie ! Merci Monsieur Séguillon.
Pierre-Luc SEGUILLON : Attendez, ne m'attribuez pas des propos qui sont de Nicolas Dupont-Aignan !
Alain JUPPE : Merci Monsieur Dupont-Aignan. Par ailleurs, le débat, il a lieu. Nicolas Dupont-Aignan a été candidat aux élections, à la présidence, il a fait un beau score, 15% si je me souviens bien, il continue à s'exprimer, on le voit souvent et c'est très bien comme çà, dans les colonnes de la presse, il a ses idées, je le définirais comme plus souverainiste que moi vraisemblablement sur les questions européennes, et c'est très bien ainsi. Et je vous rassure pleinement, ou je le rassure pleinement, le congrès prévu dans nos statuts, qui permettra l'expression des sensibilités au sein de l'UMP, aura lieu. Comment avons-nous procédé ? Nous nous sommes créés en novembre 2002, çà fait 5 mois, l'UMP a 5 mois, c'est pas une vieille dame, c'est une très jeune fille qu'il faut faire grandir. Ensuite, nous avons fait des élections internes dans toutes nos fédérations, toutes nos circonscriptions, dans 577 circonscriptions de France, on vient de voter pendant deux mois...
Pierre-Luc SEGUILLON : Il paraît que vous avez eu d'ailleurs des problèmes parce que c'était toujours le RPR, ex-RPR qui arrivait en bonne position.
Alain JUPPE : Non, non, c'est tout à fait inexact.
Patrick COHEN : 5 fédérations, c'est encore conflictuel !
Alain JUPPE : Oh bien sûr, écoutez 577, 5 conflictuelles, oui effectivement, 1 %, vous avez tout dit. Ca c'est globalement très bien passé. Ca c'est bien passé...
Gérard COURTOIS : Juste un mot, les ex-RPR qu'évoquait Pierre-Luc représentent combien ?
Alain JUPPE : Mais c'est fini tout çà, c'est fini. Mais non, prenez l'exemple...
Gérard COURTOIS : 80 %, 85 % ?
Alain JUPPE : Je n'en sais rien, je n'en sais rien et d'une certaine manière, je ne veux pas le savoir, il faut tourner la page, mais non, il faut tourner la page ! Regardez au groupe à l'Assemblée Nationale, avec ces jeunes députés qui sont arrivés en 2002, Valérie Pécresse par exemple ou Nathalie Kosciusko-Morizet pardon, et bien on s'interroge plus sur le point de savoir s'ils viennent du RPR, de l'UDF ou DL. Nous avons plus de 30 % de nos militantes qui ne viennent d'aucune des trois composantes, alors il faut sortir de ce raisonnement passéiste...
Gérard COURTOIS : Vous en avez combien de militants puisque çà a été un des problèmes que vous avez rencontrés !
Alain JUPPE : Oui, nous avons eu ce problème parce que je ne vous cache pas que quand on a pris les fichiers des anciens partis, ben voilà, il y a eu un peu de...
Gérard COURTOIS : Y compris au RPR ?
Alain JUPPE : Oui, oui, c'était un peu à revoir, bon on a revu. A la fin de l'année dernière, sur les listes électorales, nous avions à peu près 200.000 personnes inscrites à l'UMP, soit directement, soit par le biais des anciens partis. 130.000 se sont mis à jour de cotisation 2003 et donc aujourd'hui nous avons 130.000 militants à jour de cotisation, c'est vérifiable et çà fait de nous le premier parti politique de France.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors le congrès, quand ?
Alain JUPPE : Donc je dis, il y a eu ces élections, maintenant, nous allons franchir une troisième étape avec la réunion de notre conseil national, c'est notre parlement, c'est plus de 2.000 personnes, peut être 3.000, il va se réunir au mois de juin, il élira son bureau politique définitif et là nous serons en mesure de convoquer, un an après le congrès fondateur, un congrès annuel qui aura lieu au mois d'octobre. Donc vous voyez que là aussi la méthode est bonne et le calendrier respecté.
Patrick COHEN : En octobre, c'est noté. L'UMP c'est aussi a-t-on dit parfois le recyclage de personnages encombrants ou sulfureux, Patrick Balkani dans les Hauts-de-Seine, Alain Carignon dans l'Isère, il est devenu ou redevenu secrétaire départemental en l'occurrence de l'UMP.
Ils ont toute leur place dans l'UMP ?
Alain JUPPE : Patrick BALKANI n'est pas dans l'UMP...
Patrick COHEN : Il va pas revenir au groupe à l'assemblée ?
Alain JUPPE : Il n'y est pas. S'agissant d'Alain CARIGNON, il s'est présenté aux élections internes dans les département de l'Isère, les militants de l'Isère l'ont élu, j'en ai pris acte.
Patrick COHEN : Dans des conditions parfaitement régulières ?
Alain JUPPE : Il y a une commission des recours. Si elle est saisie, elle se prononcera, c'est pas Alain JUPPE qui régente l'UMP, nous avons des règles et des procédures. Par ailleurs, chacun est bien conscient qu'Alain Carignon a commis des fautes, il a été sanctionné, il les a payées.
Voilà, faut-il décréter une inéligibilité perpétuelle pour les hommes politiques ? C'est une question qu'on peut se poser. Je crois qu'à partir d'un certain moment, çà devient une question d'étique personnelle.
Pierre-Luc SEGUILLON : Alors vous allez entreprendre la préparation des régionales et des européennes, vous avez dit que vous alliez bientôt annoncer les listes, les têtes de listes sur les 22 régions.
D'abord une question de principe. Dans les rapports entre l'UMP et l'UDF, est ce que vous êtes d'accord avec la formule de François BAYROU, il faut que la majorité ait deux pôles équilibrés, l'UMP et l'UDF ?
Alain JUPPE : Mais ce n'est ni François Bayrou ni moi qui en déciderai, ce sont les électeurs. Aujourd'hui l'UMP a 365 députés.
Pierre-Luc SEGUILLON : Oui mais on peut faire en sorte d'aider les électeurs quand même !
Alain JUPPE : Il faut pas me demander à moi de faire en sorte que l'UMP ait moins de députés ! Je serais traître à ma tâche !
Parfois on se surprend que j'aille soutenir des candidats de l'UMP. C'est mon rôle, c'est ma fonction bien entendu !
Gérard COURTOIS : Mais vous avez le sentiment que, se disant, François BAYROU prend ses désirs pour des réalités !
Alain JUPPE : Non, non, pas du tout, pas du tout, moi je n'ai aucune ambition de monopole ou d'hégémonie ni quoi que ce soit.
On nous a demandé... les Français...
Pierre-Luc SEGUILLON : C'est le soupçon qui vous a attrapé quand vous avez voulu modifier le mode de scrutin...
Alain JUPPE : Les Françaises et les Français nous ont dit, faites l'union ! Et aujourd'hui les grands pays modernes sont des grands pays dans lesquels il y a une alternance entre deux grandes formations majoritaires à droite et à gauche. Regardez l'Espagne, l'Allemagne, l'Angleterre, les Etats-Unis, etc. Et tous les autres pays essayent d'évoluer vers ce modèle, l'Europe même. Au parlement européen, vous avez le PPE, le parti populaire européen qui regroupe la droite et le centre et puis le parti socialiste qui regroupe pour l'essentiel la gauche.
Et donc c'est ce modèle là aujourd'hui que nous essayons de faire vivre en France, c'est pas facile, c'est encore fragile. J'ai pas du tout le sentiment que l'UMP soit un colosse, ni un colosse aux pieds d'argile d'ailleurs. Non, c'est une construction qui se fait petit à petit. Alors, à côté, qu'il y ait d'autres formations politiques qui ne veuillent pas entrer dans l'UMP, mais c'est leur droit le plus absolu ! François BAYROU aurait eu toute sa place au sein de l'UMP.
Beaucoup de ses amis y sont venus d'ailleurs. Il aurait été parfaitement respecté, il a fait un choix différent, c'est son droit, tout à fait, et j'espère qu'il apportera au débat d'idées une contribution...
Patrick COHEN : Il va en payer le prix en 2004 ! Lors des régionales !
Alain JUPPE : Qu'est ce que çà veut dire payer le prix ? Pourquoi, il va être puni ? Par qui, par qui ? Par qui il va être puni ?
Patrick COHEN : Le prix de la désunion !
Alain JUPPE : Par qui il va être puni ?
Patrick COHEN : Par vous !
Alain JUPPE : Par moi !
Voyez que j'avais raison de vous soupçonner d'une question perfide. Comment voulez-vous que je punisse François BAYROU moi ? Ce sont les électeurs qui décident, pas moi !
Patrick COHEN : Et bien, en refusant...
Alain JUPPE : En refusant quoi ?
Patrick COHEN : En refusant de lui faire de la place dans les listes d'union pour les régionales !
Alain JUPPE : Ecoutez, s'il veut 50/50, on va en discuter, c'est peut-être placer le bouchon un peu loin...
Gérard COURTOIS : C'est lui qui vous l'a dit !
Alain JUPPE : Non, je ne sais pas. Ce que je veux dire simplement, c'est que nous, nous sommes ouverts au partenariat.
Je l'ai dit depuis des mois, Jean-Claude GAUDIN l'a dit, Philippe DOUSTE-BLAZY l'a dit, parce que l'UMP c'est pas Alain JUPPE, c'est une direction collégiale, nous avons dit nous sommes prêts à travailler en partenariat avec François BAYROU et cette proposition reste valable.
Gérard COURTOIS : Y compris en Aquitaine ? Et notamment en Aquitaine ?
Alain JUPPE : Surtout en Aquitaine.
Pierre-Luc SEGUILLON : A propos des régionales, je voulais vous demander, une tête de liste dans la région Ile-de-France, vous verriez bien Nicolas SARKOZY président de la région Ile-de-France, s'il était candidat ?
Alain JUPPE : Ecoutez, çà ne fait pas l'ombre d'un doute, que si Nicolas SARKOZY voulait y aller, si c'était son choix et ce choix n'appartient qu'à lui, il serait évidemment le meilleur candidat pour l'Ile-de-France.
Pierre-Luc SEGUILLON : Et vous le soutenez ce choix ? Vous l'encouragez je veux dire ?
Alain JUPPE : Ah non, çà c'est un autre problème, c'est à lui de se décider, je ne veux pas faire de pressions d'aucune manière mais s'il se décidait, s'il prenait cette décision, il aurait naturellement tout mon soutien.
Patrick COHEN : Vous êtes favorable à ce que les ministres soient candidats comme têtes de listes dans les régions ?
Alain JUPPE : Ecoutez, je crois que les ministres sont des hommes politiques et partout en Europe, çà aussi c'est la règle et donc la proximité c'est quoi ? La proximité c'est d'aller se colleter avec les électeurs, c'est pas de rester dans son ministère tranquillement installé. Il faut aller sur le terrain.
Patrick COHEN : Et une fois élu, l'éventuel cumul entre un portefeuille ministériel et un poste, un mandat de président de région, çà vous semble choquant ?
Alain JUPPE : Ca, le gouvernement en décidera puisque ce n'est pas une règle législative, c'est une pratique.
Moi j'ai toujours pensé, alors évidemment çà pose des problèmes, quand on est au gouvernement on est très occupé mais j'ai toujours pensé que pour un élu national, c'était bien d'avoir le contact du terrain et le contact du terrain on l'a quand on est élu local.
Gérard COURTOIS : Juste une petite question très concrète sur les régionales. Vous allez désigner vos chefs de file dans les 22 régions avez-vous dit dans les prochaines semaines, donc avant l'été ?
Alain JUPPE : J'espère qu'on y arrivera avant l'été.
Gérard COURTOIS : Est-ce que beaucoup de candidats putatifs en tout cas préfèreraient que ce soit plus tard ?
Alain JUPPE : Non, voyez, la situation est en réalité assez simple, beaucoup plus simple qu'on ne croit, il y a 22 régions métropolitaines.
Sur ces 22 régions, je crois qu'il y en a 13 ou 14, ou 15 dans lesquelles nous avons soit un sortant qui s'impose de lui-même, soit un candidat qui est déjà, comment dire, porté par tout le monde. Il reste 5 ou 6 cas dans lesquels il y a encore des choix à faire, ce sera assez facile.
Patrick COHEN : Alors sur les régionales, vous n'avez pas pu imposer le mode de scrutin que vous souhaitiez avec ce seuil de 10 % des inscrits pour qu'une liste puisse se maintenir au deuxième tour, vous avez dit à l'annonce de la décision du Conseil Constitutionnel, c'est une bonne nouvelle pour le Front National. Vous pensez toujours qu'il y a un danger Front National qui est renforcé avec cette décision du Conseil Constitutionnel ?
Alain JUPPE : Tout le monde le pense. C'est pas une analyse qui m'est personnelle, c'est l'évidence. Et d'ailleurs çà n'a pas besoin d'être plus commenté que cela.
Gérard COURTOIS : Est-ce qu'on peut lutter contre l'influence du Front National par des modifications de modes de scrutin ?
Alain JUPPE : Evidemment, on fait çà depuis 30 ou 40 ans. Quand le Général De Gaulle est arrivé en 1958 pour rétablir une démocratie qui fonctionne, qu'est ce qu'il a fait ? Il a changé le mode de scrutin.
Ceux qui vous disent que la réforme des modes de scrutins est une astuce qui n'a pas de légitimité ne font pas une bonne analyse politique. Il est évident que les modes de scrutin ont une incidence sur les résultats politiques. Et d'ailleurs pourquoi est ce qu'on a changé le mode de scrutin aux européennes ?
Gérard COURTOIS : Mais est ce qu'à ce moment là le risque n'est pas que le Front National ou l'extrême droite s'exprime dans le dernier scrutin où il aurait la liberté de le faire à la présidentielle ?
Alain JUPPE : Ca personne ne peut l'en empêcher mais je vous fais remarquer qu'au deuxième tour de la présidentielle, il y a que deux candidats. Quand vous avez dit tout à l'heure, vous avez voulu réformer les modes de scrutin...
Patrick COHEN : Vous avez tenté d'imposer !
Alain JUPPE : Vous avez tenté d'imposer oui.
Je pense que le vous s'adressait à Alain JUPPE alors je voudrais quand même là aussi remettre les choses un peu au clair. Cette demande, c'était la demande de la totalité des parlementaires de l'UMP.
Et pour vous faire une confidence, je me suis même, moi, employé à calmer le jeu parce que la demande de nos parlementaires c'était appliquer à toutes les élections la règle de la présidentielle, on ne retient au deuxième tour que les deux mieux placés. C'était çà que voulaient nos députés et nos sénateurs.
Et ils voulaient même qu'on mette à défaut le seuil de présence au deuxième tour à 12,5 % des inscrits. Donc voyez, moi j'ai plutôt calmé le jeu. C'était juste un point d'histoire.
Patrick COHEN : Donc on vous a imputé à tort la paternité de cette réforme ?
Alain JUPPE : C'est pas moi qui suis le père de cette réforme ! C'est quand même absolument incroyable ! C'est le gouvernement qui a présenté le texte non ? Oui, je ne suis pas ministre de l'intérieur. Non mais je trouve que la précision allait de soit.
Patrick COHEN : En tout cas le ministre de l'intérieur lui, revendiquait assez moyennement cette paternité là !
Alain JUPPE : Ah bon, mais il l'a présentée à l'Assemblée Nationale et je l'ai entendu quand il l'a présentée en la justifiant.
Gérard COURTOIS : Le texte initial qu'il avait présenté était à 10 % des exprimés, il était pas à 10 % des inscrits !
Alain JUPPE : Comment fonctionne un gouvernement ? On soutient les textes que le gouvernement a approuvés !
Patrick COHEN : Le danger Front National pour y revenir en quelques phrases, un an après le 21 avril, vous le sentez encore très fort, très présent. Est-ce qu'il y a véritablement un risque, comme certains leaders ou certains de vos amis l'ont dit, d'un succès, d'une conquête du Front National dans la région PACA ?
Alain JUPPE : Moi je suis très prudent avec le Front National. Je me souviens de la période 97-98 où nous avons été un certain nombre à dire, le Front National est en déclin pour toute une série de questions, à l'époque c'était parce que le chômage reculait. Et puis on a vu ce qui s'est passé en 2002, donc ne sous-estimons pas ce vote parce que, et je dis çà sans faire injure aux électrices et aux électeurs du Front National, qu'il nous faut effectivement essayer de convaincre pour les ramener sur d'autres voies mais très souvent ce vote est quand même un vote un peu passionnel et un peu irrationnel et donc il peut ressurgir à tout moment, il faut qu'on soit de ce point de vue très vigilant.
Gérard COURTOIS : Avez-vous le sentiment que la politique en matière de sécurité, menée par le gouvernement est de nature à reconquérir précisément ces électeurs ?
Alain JUPPE : Je pense en tout cas aujourd'hui, dans la hiérarchie des priorités des français, le thème de l'insécurité a reculé et j'y vois la marque d'un début de succès du gouvernement. D'ailleurs ce succès est indéniable.
Alors il y a l'insécurité au sens classique du terme, la tranquillité publique, la sécurité des personnes et des biens, regardez, et çà en fait partie, l'insécurité routière, avec une volonté politique forte, on a atteint assez rapidement des résultats assez spectaculaires.
Pierre-Luc SEGUILLON : J'en viens à la politique étrangère, vous avez été ministre des affaires étrangères, est ce que vous avez approuvé, sans l'ombre de la moindre réticence, l'attitude de la France, du Président de la République, du Ministre des affaires étrangères, dans la période qui a précédé la guerre, pendant la guerre et après le guerre et si oui, comment est ce que vous voyez la possibilité, je crois que vous avez fait, vous avez déclaré que les relations transatlantiques étaient en très mauvais état. Comment les est ce que, à votre avis, il est possible de renouer avec cette administration américaine ?
Alain JUPPE : Oui bien sûr et d'ailleurs les dernières déclarations...
Pierre-Luc SEGUILLON : Je dis bien, avec cette administration !
Alain JUPPE : Les dernières déclarations de Monsieur Powell montrent que la raison finira par prévaloir. Je pense que la France a eu raison de prendre la décision, la position pardon, qu'elle a prise. Cette guerre n'était pas nécessaire. Nous voulions désarmer l'Irak, on pouvait y arriver par d'autres moyens. Je note d'ailleurs au passage que, combien ? Quelques semaines, enfin j'ai pu exactement le calendrier en tête, deux semaines après la chute de Bagdad, il y a toujours pas d'armes de destruction massive découvertes en Irak donc on pouvait atteindre l'objectif différemment et je crois que c'est l'honneur de la diplomatie française de l'avoir dit en étant le porte-parole de la majorité de la communauté internationale. Je vais pas vous refaire le tour du monde et citer tous les pays qui étaient sur la même position que la France.
Alors, à partir de là, il y a eu effectivement, lorsqu'on est arrivé au bout du bout du chemin, quelques tensions, et je crois que la France a eu raison de ne pas caler là non plus. Aujourd'hui il faut envisager les conséquences de cette guerre tout azimut, d'abord les conséquences en Irak. Moi je suis très préoccupé de voir s'installer à Bagdad un régime islamiste.
Ce serait pas la première fois que certaines initiatives de la diplomatie américaine aboutissent à ce résultat donc il faut être très vigilant et j'ai vu que Washington s'en préoccupait, ce qui me réjouit. Il faut ensuite en tirer les conséquences, au-delà de l'Irak, sur la région, il est urgent que la communauté internationale active, ce qu'on appelle la fameuse feuille de route, qui doit dessiner des perspectives de solutions dans le conflit israélo-palestinien.
Il faut tirer les conséquences aussi au niveau onusien, on ne reconstruira pas politiquement, ni économiquement d'ailleurs l'Irak s'il n'y a pas une implication des Nations Unies. Monsieur Tony BLAIR lui-même en est parfaitement d'accord.
Il faut en tirer les conséquences sur la relation transatlantique et là je le dis en toute sérénité et sans agressivité, moi je me classe certainement pas dans la catégorie des anti-américains, c'est un pays que j'aime, une population que j'aime, l'histoire etc On sait tout çà par cur et de mon point de vue, c'est tout à fait sincère mais je revendique la possibilité, moi français du 21ème siècle, de travailler avec les Etats-Unis non pas en protectorat mais en partenariat, il faut que nous arrivions à créer des relations dans lesquelles les Etats-Unis d'Amérique acceptent qu'un certain nombre de leurs amis puissent leur dire un certain nombre de choses et exprimer des désaccords.
Pierre-Luc SEGUILLON : Et est ce que vous pensez que cette administration américaine peut être sensible à ce type de relations, c'est à dire partenariat ou est ce qu'elle n'a pas tentation de penser un autre mode de relations ?
Alain JUPPE : Fort heureusement pour nous elle n'a pas tout d'un bloc.
Gérard COURTOIS : Est-ce que ce partenariat, cette relation de partenariat franco-américaine peut se construire pour la France sans l'Europe ou sans une reconstruction...
Alain JUPPE : Avec l'Europe, avec l'Europe ! J'évoquais tout à l'heure la...
Gérard COURTOIS : Elle est quand même fissurée pour ne pas dire cassée en deux !
Alain JUPPE : J'évoquais les grands combats de l'humanité tout à l'heure, il y avait le combat politique contre les extrémismes, il y a le combat pour le progrès économique et social et puis il y a un combat pour une certaine vision du monde et c'est çà qui fait que dans ce domaine là je ne suis pas d'un optimisme à toute épreuve, je pense que les mêmes causes produiront les mêmes effets et que nous aurons d'autres occasions de tensions. Quelle est notre vision du monde ? Nous pensons nous, que la globalisation doit être humanisée, qu'il faut des règles et que ces règles, çà ne peut pas être un seul gendarme sur la planète qui les édicte unilatéralement. Il faut que ce soit des règles collectives dans tous les domaines, dans le commerce on a l'organisation mondiale du commerce, pour l'environnement, CHIRAC propose une organisation mondiale de l'environnement, pour la lutte contre les crimes contre l'humanité, il y a une cour pénale internationale. On voit, et c'est un rêve formidable, c'est une sorte d'utopie qui peut redonner au débat politique toute sa grandeur, on voit apparaître l'idée d'un gouvernement mondial. Certains y ont pensé dans les siècles passés, on va peut être le faire dans les années qui viennent et pour çà il faut un monde multi polaire, il faut un monde dans lequel il y ait plusieurs pôles d'équilibre.
La Chine, 9 % de croissance, 5ème puissance industrielle du monde dans quelques mois ou dans quelques années, et bien sera un pôle de puissance. La Russie va reconquérir ce statut aussi ou l'a déjà. Il faut que l'Union Européenne soit un de ces pôles de puissance. Alors là c'est toujours pareil, c'est l'histoire du verre à demi plein ou à demi vide, on a fait un chemin formidable depuis 50 ans, il nous en reste encore beaucoup à faire. Pour ma part, autant je suis inquiet parfois sur la relation transatlantique parce que j'ai l'impression que cette vision du monde que je viens de résumer n'est pas totalement partagée de l'autre côté de l'atlantique, pas par tous en tout cas, pas par tous, çà peut changer. Autant sur l'Europe je suis assez confiant, j'étais il y a 3 jours à Bordeaux dans un colloque où il y avait l'ambassadeur de Tchécoslovaquie, de Tchéquie pardon, l'ambassadeur de Hongrie, l'ambassadeur de Pologne et j'ai vu chez ces hommes et cette femme la volonté vraiment d'appartenir à la famille européenne. Certes, ils ont une fidélité transatlantique parce que pour eux pendant 40 ans les Etats-Unis, çà a été la liberté, on les comprend, ils viennent de la recouvrer eux il y a 15 ans, mais en même temps ils se sentent de la famille européenne et donc je crois qu'on peut construire avec eux quelque chose et 2004 va être de ce point de vue là...
Patrick COHEN : Vous n'avez pas été déçu par l'attitude de certains de vos partenaires au sein du PPE, je pense à Monsieur Aznar, Monsieur Berlusconi, dans cette crise ?
Alain JUPPE : Déçu c'est pas le mot, nous n'avons pas été d'accords, nous n'avons pas été d'accords.
Patrick COHEN : Une dernière question très vite !
Pierre-Luc SEGUILLON : Oui est ce que vous avez le sentiment que les propositions qui viennent d'être formulées par Valéry Giscard d'Estaing sur les prochaines institutions de l'Union européenne contribuent à fabriquer ce pôle, ou contribuerait à fabriquer ce pôle de puissance que vous évoquiez à propos de l'Europe ?
Alain JUPPE : Je m'exprime un peu à titre personnel, on a pas encore débattu au sein de l'UMP là-dessus. Mon sentiment personnel est que oui, je trouve que ces propositions sont bonnes, qu'elles participent d'une philosophie de la construction européenne qu'est la mienne et qui vise précisément à faire de l'Union un acteur...
Pierre-Luc SEGUILLON : Plus gouvernemental que fédéral ?
Alain JUPPE : Un projet politique, c'est çà qui compte, ne nous perdons pas dans les problèmes ou dans les chicanes institutionnelles, fédérales, pas fédérales etc.
Est ce que, au-delà du marché, au-delà de la monnaie, est ce qu'on veut construire un pôle d'influence politique sur le monde, dans le monde, avec une politique étrangère commune, avec une politique de sécurité commune et je crois que l'approche de Valéry Giscard d'Estaing va dans ce sens, j'espère qu'il pourra convaincre la convention et qu'ensuite la conférence inter-gouvernementale pourra accoucher d'un traité qui sera un des grands rendez-vous de l'année 2004 et c'est pour çà que la politique est passionnante parce que là on va faire des choses qui engagent l'avenir.
Patrick COHEN : Merci Alain JUPPE, c'était votre Grand Jury, dimanche prochain un autre ancien Premier ministre sur le plateau du Grand Jury, notre invité sera Michel Rocard. Bonne semaine à tous, à dimanche prochain.
(Source http://www.u-m-p.org, le 29 avril 2003)