Texte intégral
(Point de presse, à Bruxelles le 10 mai 2004) :
Ma première visite officielle bilatérale ici en Belgique était pour moi l'occasion de rencontrer ce matin, pour une réunion de travail, Louis Michel et son équipe, et dans quelques instants d'aller voir Guy Verhofstadt et de signer un accord avec le ministre-président de Wallonie, M. Van Cauwenberghe, sur les relations entre la France et la Wallonie dans le cadre des compétences institutionnelles qui sont celles des régions ici. Il y a ensuite un moment auquel je tiens, qui est de me rendre au Forum de la cohésion que j'avais organisé dans mes précédentes fonctions et qui va réunir plus de mille responsables de tous les Etats membres, de toutes les régions et de toutes les associations. Jacques Barrot, qui a pris le relais pour la politique régionale et le président de la Commission européenne Romano Prodi ont bien voulu m'inviter à dire quelques mots à la fin de la matinée tout à l'heure et je réaffirmerai mes convictions à propos de cette politique de cohésion. Je continue à penser qu'elle est l'une des plus belles politiques de l'Union européenne depuis quinze ou vingt ans.
Nous avons fait, avec Louis Michel, un premier tour d'horizon des préoccupations communes qui sont les nôtres en ce moment dans l'agenda européen. Je n'ai pas insisté sur les relations bilatérales entre la France et la Belgique qui sont excellentes pour beaucoup de raisons.
Sur les sujets de l'actualité européenne, si on les prend dans l'ordre, il y a à la fois la réunification, l'adhésion de dix pays qui viennent d'entrer dans l'Union et qui pour nous est un événement considérable, considérablement positif. Je sais bien qu'il y a des difficultés. Il y aura des problèmes. Mais pour moi, les opportunités et les chances l'emportent largement sur les problèmes ou les difficultés et nous sommes dans cet état d'esprit de mettre les choses en perspective. Quand on les regarde dans la perspective, cette réunification est quand même un événement politique, humain, économique considérable et positif. Naturellement, pour réussir cette réunification, il faut que la "maison" soit en ordre de marche. Ce que je veux dire, c'est que la maison européenne doit être en ordre, car elle ne l'est pas encore. Et c'est l'objet de ce projet de Constitution que nous devons finaliser, je l'espère le 18 juin. Ces quelques semaines ne seront pas faciles. Je ne crois pas qu'il faille sous-estimer la difficulté des débats qui restent devant nous même si les lignes ont bougé dans le bon sens. Je pense à la fois nécessaire et possible d'obtenir définitivement un accord le 18 juin sur ce projet de Constitution au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, et je crois nécessaire et possible de donner un signal très fort avant cette date et nous y parviendrons, ne serait-ce que pour montrer aux citoyens qui vont avoir à voter pour les élections européennes que la maison est en ordre. Et je pense qu'en ce moment, avec l'inquiétude qui existe un peu partout, c'est une inquiétude liée au terrorisme, liée aux conflits extrêmement graves en Irak, au Proche-Orient, l'inquiétude sociale ou économique, il est très important, je donne mon point de vue de ministre français, de citoyen aussi, très important d'aller aux élections européennes de façon positive, d'aller aux élections européennes en ayant donné ce signal. Et donc je vais travailler pour cela, puisque nous avons plusieurs occasions de travailler avec les ministres des Affaires étrangères sur la conférence intergouvernementale, à donner ce signal que nous avançons et que nous allons aboutir à un accord.
Le fond de ma pensée, c'est qu'il faut que la maison européenne soit en ordre, compte tenu du nombre de défis que nous avons à relever. Et nous sommes, avec Louis Michel, puisque nous venons d'avoir cette conversation, d'accord sur la quasi-totalité des sujets qu'il reste à discuter. J'ai redit le souci que la France a d'améliorer la dimension sociale de la Constitution. Ce n'est pas nouveau, mon prédécesseur avait introduit un certain nombre de demandes et je vais les présenter à nouveau, en tout cas j'y tiens, sur le dialogue social, sur les tripartites, la clause sociale transversale, la majorité qualifiée pour le domaine de la protection sociale des travailleurs migrants. Voilà trois points, clause sociale transversale, Sommet tripartite et la protection sociale des travailleurs migrants pour lesquels nous souhaitons améliorer le texte, non pas le bouleverser, mais l'améliorer.
Le point le plus difficile restera naturellement cette discussion qui est en cours avec la Pologne et l'Espagne, la question de la double majorité, et l'adaptation de ce système de double majorité. Voilà, nous avons évoqué, au-delà des questions européennes, cet élargissement que nous voulons réussir, les grands conflits actuels et naturellement la question de l'Irak dont je parlerai beaucoup cette semaine puisque je vais jeudi soir rencontrer à New York Kofi Annan et vendredi matin Colin Powell à Washington avant la réunion du G8. Je vais également vendredi soir et samedi, faire ma première visite officielle à Haïti. Donc concernant l'Irak, nous sommes prêts à travailler à une résolution au Conseil de sécurité, résolution qui est extrêmement importante puisqu'elle fixera le cadre de la transition et le cadre de la reconstruction politique et économique de l'Irak. Et le point pour nous le plus important, c'est que cette résolution garantisse un véritable transfert de compétence et rétablisse la souveraineté des Irakiens, y compris sur la gestion de leur économie et la gestion de leurs ressources. Donc nous attacherons beaucoup d'importance à cette résolution qui doit garantir la crédibilité de ce transfert, la sincérité de ce transfert.
Et la France, dans cette affaire, veut regarder devant. Nous ne cherchons pas à regarder derrière nous ni à donner des leçons. Chacun connaît les analyses qui ont été faites et je pense que l'analyse de la France et du président de la République était juste. Nous voulons aider à sortir de cette tragédie ; le moment venu, nous prendrons notre part à la reconstruction économique et politique de l'Irak. Sur le Proche-Orient, nous en avons longuement parlé la semaine dernière puisqu'il y a eu une réunion très importante à Dublin avec tous les pays de la Méditerranée et les ministres des Affaires étrangères de l'autre rive, y compris d'ailleurs le ministre israélien des Affaires étrangères, le ministre palestinien, qui étaient autour de la même table, ce qui est d'ailleurs le seul endroit où ils se retrouvent actuellement, le seul endroit, en notre présence. Et là encore nous pensons que la seule issue, comme en Irak, est une issue politique, et la réunion du Quartet qui a eu lieu il y a quelques jours est de ce point de vue là positive. C'était Javier Solana qui représentait l'Union. Il a tenu une position ferme et nous avons été heureux que les Américains reconnaissent finalement que le seul cadre de travail international est avec les Nations unies et le Quartet ; tout le monde se retrouve et la seule voie reste celle de la Feuille de route, la seule méthode reste celle de la négociation.
Nous avons enfin évoqué avec Louis Michel un sujet qu'il connaît bien, sur lequel il s'est beaucoup engagé et sur lequel je vais aussi m'engager, celui de la stabilisation de la région des Grands Lacs : au-delà de la situation de chaque pays, que nous suivons avec attention et avec lesquels nous voulons maintenir ou améliorer le dialogue, nous continuons de penser qu'une conférence internationale sera le bon moyen d'assurer cette stabilisation. Mais nous n'en sommes pas encore là.
Je suis prêt à répondre à vos questions avant d'aller voir le Premier ministre.
Q - Monsieur le Ministre, quel est votre sentiment sur les propositions de compromis qui circulent sur la double majorité ?
R - D'abord, ce qui est important, c'est qu'on travaille désormais tous sur la double majorité et non pas sur autre chose et que Polonais, Espagnols et d'autres qui avaient des problèmes de principe sur la double majorité reconnaissent maintenant qu'on peut y travailler. Nous, Français, continuons à penser que cette double majorité telle qu'elle avait été proposée par la Convention, est la bonne solution, 50/60, la moitié des Etats représentant 60% des citoyens. C'est un système dont je répète qu'il a le mérite d'être simple et donc compréhensible par tout le monde, efficace et équitable. Donc nous avons du mal à nous écarter de ce système. Mais ce point de principe étant fait, on a du mal à s'écarter d'une solution simple, équitable et efficace. Nous savons qu'il faudra trouver un compromis. Le plus important, c'est que ce compromis ne rende pas le système complexe, injuste et moins efficace. Donc, la marge est étroite. Maintenant, nous pouvons, je vous l'avais déjà dit, imaginer d'aboutir à un compromis en travaillant sur les seuils. Je ne peux pas dire à quel niveau, mais nous pouvons travailler sur les seuils.
Q - Quel seuil ?
R - On peut faire déjà mieux que ce qui a été fait à Nice, n'est-ce pas, sur ce point ?
Q - Dans le système du compromis irlandais, il y a de nouveaux reculs sur la majorité qualifiée. Peut-on accepter la modification du système et moins de majorité qualifiée ?
R - Difficilement. On a eu des conversations récemment, encore hier à Paris avec le Premier ministre britannique et avec la partie espagnole. Donc la France est prête à rechercher un compromis encore une fois le plus efficace possible parce qu 'il s'agit d'un problème sérieux, celui de la manière de voter au Conseil des ministres dans une Union de 25 ou de 27 pays. Je reste très soucieux que l'on s'écarte le moins possible du compromis de la Convention et qu'en toute hypothèse, on essaye de faire mieux que le système de Nice en termes d'efficacité et d'équité.
Dans le même temps, nous allons être en effet très vigilants pour ne pas accepter de nouveaux reculs sur le champ de la majorité qualifiée. Pour moi, je l'ai déjà dit et je vous le répète, le bon texte de base pour cet accord final, c'est le texte adopté à Naples et non pas les modifications apportées depuis et que je ne connais pas d'ailleurs. Par exemple, il y a un sujet sur lequel nous tenons, c'est tout ce qui touche à la Justice et aux Affaires intérieures où nous ne sommes pas prêts à accepter un recul. Par ailleurs, soyons réalistes, vous savez très bien que sur les questions de fiscalité, quelles qu'aient été les positions françaises, allemandes, communes d'ailleurs, c'est une faiblesse du projet de Constitution que de ne pas prévoir sur ces sujets-là une fiscalité pour la protection sociale. Prenons un exemple : je vous ai dit tout à l'heure que j'allais demander dans la négociation que l'on fasse un tout petit progrès sur la majorité qualifiée pour la protection sociale des travailleurs migrants. Franchement, je ne vois pas où est le problème idéologique sur ce sujet. C'est un problème pratique. Donc nous allons nous battre sur ces sujets. Nous n'accepterons pas facilement de nouveaux reculs.
Q - N'avez-vous pas le souci de boucler avant le 18 juin en concédant des choses qu'on n'accepte pas sur le principe, de tenir bon sur des choses qui semblent pour l'avenir et à long terme primordiales sur le calendrier ?
R - Nous ne sommes pas prêts à conclure à n'importe quel prix. Et nous voulons préserver sur le fond et dans la dynamique le résultat obtenu par la Convention sur les ressources propres. Nous tenons, je sais que c'est un sujet difficile, à la majorité qualifiée comme sur les perspectives financières.
Q - Et sur les contributions des Etats membres au budget européen, les positions françaises depuis votre arrivée ont-elles changé ?
R - Vous connaissez la position du gouvernement français, et demeurera la même qui a été affirmée avant que je ne revienne dans ce gouvernement. Cette position reste inchangée et demeurera la même. Nous avons des débats internes. Je sais bien qu'on cherche, - je l'ai lu dans plusieurs de vos journaux -, à voir quelles différences je peux exprimer entre le moment où j'étais commissaire et celui où je suis ministre. Ce ne sont pas les mêmes positions, mais je n'ai pas de problème avec cela. Je participe, à l'intérieur du gouvernement, à des délibérations. C'est normal, j'exprime mon point de vue et cela ne vous étonnera pas que je vous dise que mon point de vue n'a pas changé, ni sur un certain nombre de politiques au fond, ni sur les moyens qu'il faut consacrer à ces politiques. Mais je suis dans un gouvernement avec des règles du jeu que je connais, donc sur ce sujet là, la position du gouvernement français n'a pas changé.
Q - Quel pourrait être le signal fort avant les élections européennes ?
R - Le signal fort, c'est que sur le projet de Constitution les ministres ont avancé, nous sommes presque au bout, l'accord est là, mais il faut maintenant que les chefs d'Etat et de gouvernement le confirment, voilà. Je voudrais que, vous-mêmes, qui êtes des observateurs vigilants et impartiaux, vous constatiez que dans la négociation, on avance, et qu'on y est, voilà ! C'est le travail des ministres des Affaires étrangères de dégager le terrain. Je souhaite que l'on arrive dans les réunions, qui ont lieu d'ici la fin du mois de mai, à dégager le terrain de la négociation et à avancer. J'aurais préféré personnellement qu'on aboutisse à cette Constitution en décembre dernier ou avant les élections européennes. J'aurais préféré cela.
Q - Compte tenu de la proximité entre les élections et la réunion du Conseil, est-ce qu'indiquer très clairement qui sera le prochain président de la Commission, serait un bon signal à envoyer aux électeurs ?
R - Non, parce que ce n'est pas possible et je ne crois pas d'ailleurs que le Parlement européen le souhaite puisqu'il souhaite qu'on tienne compte du résultat des élections. Ce serait même contre-productif de dire, avant les élections, voilà qui on va désigner, puisque le grand sujet auquel tiennent les parlementaires, c'est qu'on fasse le lien avec l'élection européenne et qu'on en tienne compte ; c'est ce que dit le Traité, qu'on tienne compte du résultat des élections pour choisir le président.
Q - Est-ce que chaque parti ne devrait pas indiquer avant les élections qui est son candidat pour la Présidence ?
R - C'est autre chose. Ce qui m'a été demandé, c'est si on ne devrait pas désigner le président ou le proposer. Que chaque parti se prononce pour un candidat, c'est l'affaire de chaque parti.
Q - Qui est le candidat de la France ?
R - Je ne peux pas vous dire cela maintenant.
Q - Mais vous avez peut-être une idée de qui sera le président de la Commission ?
R - Non, je ne peux pas entrer dans ce débat là. Je vais vous décevoir, mais je ne veux pas entrer dans ce sujet qui appartient au président de la République. Je lui donnerai mon avis, je le lui ai déjà donné, mais je ne vous le dirai pas, et franchement, c'est un peu trop tôt. Et vous savez très bien que les différents candidats ne sont pas forcément tous connus ou tous déclarés et que, comme il faut tenir compte du résultat des élections européennes, c'est un peu prématuré, voilà ce que je pense. Mais je suis prêt à vous en parler une autre fois.
Q - Vous allez aborder cette question avec M. Verhofstadt ?
R - Avec M. Verhofstadt ? Oui, je vais lui demander son avis.
Q - Monsieur le Ministre, l'Espagne, la semaine passée, a proposé d'introduire les langues régionales dans l'Union européenne pour essayer d'inclure les Catalans et les Basques dans quelques questions de fonctionnement des institutions. Est-ce que la France est prête à appuyer cette proposition espagnole ?
R - J'ai besoin de voir à quoi cela conduirait. Je recommanderais d'être très prudent sur ce qui touche au régime des langues. C'est un sujet extrêmement sensible et je recommanderais qu'on évite d'ouvrir des sujets difficiles supplémentaires en ce moment. Nous avons eu récemment des discussions assez longues et nombreuses, et extrêmement chaleureuses, avec le nouveau gouvernement espagnol. Ma deuxième visite officielle dans l'Union, après Berlin, était Madrid pour rencontrer M. Moratinos, et M. Zapatero a fait une visite extrêmement amicale à Paris. D'ailleurs le président de la République a même dit que le dialogue franco-allemand était maintenant ouvert à l'Espagne, ce qui est un point important, permettez-moi de le dire, dans l'ambiance européenne, il change pas mal de choses. Mais, lors de ces rencontres, la question de langues n'a pas encore été évoquée en ma présence, en tout cas durant ces discussions.
Q - Durant vos contacts avec Tony Blair, vous a-t-il indiqué qu'il voulait justement réduire le champ des majorités qualifiées ?
R - Il nous a dit où se trouvaient ses lignes rouges.
Q - Ce sont les mêmes qu'avant ou bien c'est pire qu'avant ?
R - Non, ce sont les mêmes qu'avant. Il y a une grande constance dans la position britannique vous savez.
Q - Que lui avez-vous répondu ?
R - Nous lui avons dit que, notamment sur la Justice et les Affaires intérieures (JAI), - mais ce ne sont pas des questions idéologiques pour nous, ce sont des questions pratiques -, ressources propres, budget, perspectives financières ou JAI, on sait bien qu'on risque un blocage sur ces questions. Pour moi, sur tous ces sujets, le droit de veto, est une source d'impuissance européenne. Voilà ce que je pense.
Q - Est-ce que vous pourriez être amené à présenter une position franco-allemande pour essayer de débloquer la négociation sur la Constitution ?
R - Les Allemands et les Français sont d'accord de toutes façons. Les Français et les Allemands auront les mêmes positions sur tous ces sujets.
Q - Je pense au recul que semblent proposer les Irlandais sur la majorité qualifiée.
R - Nous avons la même position franco-allemande pour dire que nous n'acceptons pas certains reculs.
Q - Au sujet de l'Irak, je n'ai pas bien compris quand vous avez dit que la France ne doit pas regarder en arrière, mais vers l'avant. Voulez-vous dire que vous voulez faire un cadeau à Bush avant les élections ?
R - Je vous ai dit que la résolution est obligatoire avant le 1er juillet. Mais il ne s'agit pas de cadeau ni aux uns ni aux autres, non !
Q - Enverra-t-on des troupes en Irak avant les élections ?
R - Non, il n'est pas question que la France envoie des troupes, c'est clair ! Cette question n'est pas ouverte. C'est clair, formellement. Il n'y aura pas de soldats français en Irak. Je vous ai dit précisément, j'ai pesé mes mots, que nous prendrons notre part, le moment venu, à la reconstruction politique et économique de l'Irak. Cela signifie, par exemple, la formation de gendarmes ou de forces de sécurité intérieure. Nous avons déjà fait cette proposition. Cela signifie une négociation positive sur la dette de l'Irak. Le ministre de l'Economie et des Finances, Nicolas Sarkozy, l'a dit quand il est allé à Washington. Cela signifie une participation, avec l'Union européenne, à des programmes économiques dans le cadre d'un dialogue avec un gouvernement souverain. Mais il n'est pas question de soldats. Quant à la résolution, il y en aura forcément une pour encadrer le transfert de souveraineté que nous souhaitons sincère le 1er juillet, indépendamment des élections aux Etats-Unis. Il faut forcément une résolution.
Q - Monsieur le ministre, Nicolas Sarkozy a dit que les meilleures conditions en matière de ratification de la Constitution, serait le referendum. Quelle est votre position ?
R - Ecoutez, chacun dans un congrès politique s'exprime avec ses mots et ses convictions. Moi, je suis ministre des Affaires étrangères et des Affaires européennes aussi, et je pense que chacun doit être à sa place. Et comme l'a dit le Premier ministre, le choix de la procédure de ratification, c'est la prérogative du président de la République. Moi, je suis ministre, donc je me fais une certaine idée de la règle du jeu constitutionnel. Personnellement, j'ai toujours cru en la vertu pédagogique et démocratique du referendum. Mais je recommanderais d'abord de respecter la responsabilité et les prérogatives du chef de l'Etat sous la Vème République, et je recommanderais aussi qu'on attende d'avoir une Constitution, ce qui n'est pas encore le cas, pour décider comment la ratifier. Or, nous n'avons pas encore de Constitution. J'espère qu'on en aura une, je vais me battre pour qu'on en ait une, sous l'autorité du président de la République, mais nous ne l'avons pas encore. Je comprends tout à fait que le président de la République ne s'engage pas maintenant. C'est son choix. Je comprends qu'il n'exprime pas son choix maintenant, alors que nous n'avons pas de Constitution. Que les partis politiques, que les militants, que les responsables donnent leur opinion, c'est très bien. Mais moi, je suis dans une position singulière qui est d'être le ministre des Affaires étrangères et des Affaires européennes de Jacques Chirac et je veux respecter, à la place où je me trouve, ses prérogatives et sa responsabilité. Ceci ne m'interdit pas d'ajouter une chose, dont j'ai d'ailleurs parlé avec Tony Blair hier et dont j'ai également parlé avec d'autres responsables politiques : quel que soit le mode de ratification de chacun des vingt-cinq pays, je trouverais logique, important, même intelligent, qu'on ait un moment commun de ratification, pour la première fois. Que tous les pays européens ratifient au même moment. Je ne dis pas forcément le même jour, mais dans la même semaine ou dans la même quinzaine. Qu'il y ait un débat européen sur un texte européen et non pas 25 débats juxtaposés ou échelonnés, avec le risque dans chaque pays que le débat soit détourné de son objet. Je recommanderai qu'il y ait un moment commun de débat sur la ratification. Les pays qui veulent ratifier par la voix du peuple le faisant et les autres par les représentants du peuple le faisant aussi, mais que ce soit au même moment. Voilà ce que je peux dire.
Q - Afin d'aboutir à la négociation ou d'arriver au moins à un signal, que vous avez évoqué tout à l'heure, pensez-vous qu'il faut, entre maintenant et la fin du mois de mai, accélérer les choses. Je sais que la Présidence irlandaise, a par exemple, dit qu'éventuellement, elle pourrait organiser une sorte de réunion, un dîner informel des chefs d'Etat pour redonner un coup de collier. Qu'en pensez-vous ?
R - Il n'y a pas de prudence à avoir dans ce sujet. Moi, je suis assez volontariste. Je vous ai dit moi-même, avant votre question, que je souhaite qu'on adresse un signal fort avant les élections. Je pense que ce serait nécessaire qu'avant les élections européennes qui vont élire des hommes et des femmes qui ont un rôle important au Parlement, plus important que l'on ne le croit dans chacun de nos pays, notamment en France, nos citoyens voient que la maison est en ordre de marche et que la Constitution est là, presque là. Si on pouvait conclure avant le 13 juin, ce serait idéal, mais je n'en suis pas sûr. Donc nous allons travailler au niveau des ministres pour dégager la route, préparer cet accord, y arriver presque. Alors, je ne sais pas si les Irlandais jugeront qu'à ce moment là, il est possible de faire un dîner informel pour adresser un signal encore plus fort au niveau des chefs d'Etat, mais pourquoi pas ? S'ils organisent cette rencontre, c'est qu'on a presque réussi. C'est ce que je veux dire.
Q - Comment jugez-vous l'initiative de M. Blair qu'on considère comme perdue d'avance ?
R - Tony Blair a pris une décision pour la politique intérieure britannique et c'est sa responsabilité. Je ne crois pas que vous puissiez dire que le referendum est perdu au Royaume-Uni. Lui-même pense qu'il peut le gagner. Et je lui fais plutôt confiance parce qu'il a cette qualité d'être européen. Je suis en train de travailler avec Joschka Fischer et d'autres, on essaie de faire un peu preuve de créativité institutionnelle pour savoir ce qui se passerait si un pays ne ratifiait pas, mais je préfère me situer dans une perspective positive où la Constitution est ratifiée. Dans le droit communautaire actuel, vous savez bien qu'il faut que la Constitution soit ratifiée par tout le monde sinon elle n'existera pas, mais cela ne m'empêche pas de penser qu'on devrait, dans cette Constitution, introduire des modalités plus souples pour permettre l'évolution de telle ou telle partie de la Constitution. Mais encore pour cela, il faut l'unanimité. C'est la faiblesse dans laquelle nous sommes, la difficulté dans laquelle nous sommes.
Q - Travaillez-vous avec Joschka Fischer sur les éventuels incidents de ratification ?
R - On essaie de réfléchir à toutes les hypothèses et notamment à ce qui pourrait être mis dans la Constitution pour permettre des évolutions futures pour assouplir au moins telle ou telle partie de la Constitution. Mais encore une fois, nous ne faisons qu'un travail très intellectuel, et il faut être aussi lucides, nous savons bien que pour cela, il faut l'unanimité des Etats. Donc la marge est très étroite. Non, nous ne sommes pas dans l'hypothèse de travailler sur un échec de la Constitution dans tel ou tel pays. Nous espérons, même si c'est difficile, que la Constitution soit ratifiée par tous les pays. Nous avons ce texte, nous en avons besoin pour faire fonctionner l'Europe. Néanmoins, il faudrait donner à ce texte un peu de créativité institutionnelle. Est-ce qu'on en a le temps ? Je n'en suis pas sûr, mais on va essayer de prévoir des évolutions futures dans le texte lui-même. Mais encore une fois, le préalable c'est qu'il soit approuvé.
Q - A Dublin vous avez émis des réserves vis-à-vis de votre collègue J. Fischer concernant le projet de transfert de souveraineté américaine en Irak. Il semble que la crédibilité de ce futur gouvernement ne soit pas très grande. Se prépare-t-on à un nouveau conflit entre Américains et Européens au Conseil de sécurité ?
R - Nous avons des conversations très régulières avec Colin Powell. Je le reverrai vendredi. Nous essayons d'aboutir et de convaincre les Américains d'accepter un vrai transfert de souveraineté, un transfert sincère, lisible, clair. On a même parlé de rupture par rapport à la situation actuelle. Ceci signifie que le gouvernement irakien, même s'il est transitoire, doit être représentatif, accepté par les forces irakiennes et les différentes communautés. Peut-être d'ailleurs pourrait-on imaginer une sorte de table ronde entre les forces irakiennes pour valider ou pour vérifier cette représentativité du gouvernement transitoire qui va devoir préparer les élections de janvier, qui seront un moment très important. Ce gouvernement devra, c'est ce que nous souhaitons, gérer les affaires de l'Irak, y compris s'agissant de la durée de la présence d'une force multinationale de stabilisation ou des opérations militaires. Nous allons en effet très loin, J. Fischer ou moi, dans le transfert réel des compétences. Ce gouvernement doit avoir son mot à dire s'agissant de la présence de la force multinationale. Il doit avoir la capacité de gérer les affaires économiques, les ressources. La sécurité et la présence de la force multinationale ne peuvent pas lui être imposées, sinon ce ne sera pas un gouvernement avec les attributs de la souveraineté. Mais nous savons bien que dans une période transitoire, il faudra que la stabilité et la sécurité soient exercées, dans le cadre des Nations unies, par une force multinationale.
Q - Sur les présumées tortures en Irak, comment réagissez-vous ?
R - J'ai répondu à cette question la semaine dernière, mais je veux bien répéter que ce que nous voyons, ce que nous apprenons, est indigne, déshonorant et contraire à toutes les règles et à toutes les lois de traitement des prisonniers de guerre, aux lois de la guerre, à la Convention de Genève, et donc de ce point de vue là, inacceptable et injustifiable.
Q - Pouvez-vous qualifier ces acte de "torture" ?
R - Les images que nous avons vues sont tout à fait claires. Vous savez, la position française dans ce cas comme dans tous les autres, est de dire qu'il y a un droit international, un cadre international. On ne sortira pas de ces conflits, de cette tragédie, si on s'écarte du droit international. Et là, clairement, des individus se sont écartés du droit international. Il faudra qu'ils soient sanctionnés, mais on peut revenir toujours à cette règle à laquelle nous tenons pour le conflit irakien ou d'autres : on doit rester dans le cadre du droit international.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mai 2004)
(Intervention au Troisième forum sur la cohésion, à Bruxelles le 10 mai 2004) :
Merci au président Romano Prodi et à Jacques Barrot de me permettre d'intervenir selon une procédure un peu exceptionnelle pour un forum sur la cohésion ; de me permettre de retrouver beaucoup de visages familiers, partenaires et amis. Je ne peux les citer tous, mais je voudrais saluer Tom Parlon, Peter Balazs, Peter Straub et Roger Briesch ; de me permettre enfin de parler de cohésion, une cause qui me passionne et qui continue à me passionner.
Je connais une phrase célèbre qui dit "on ne peut pas être et avoir été". Et pourtant ! On peut avoir été au titre des institutions de l'Union européenne, l'un des artisans d'une véritable politique de cohésion, et l'être toujours en tant que membre d'un gouvernement national.
Je suis venu vous dire, au nom du gouvernement français, trois convictions qui ne doivent pas vous étonner.
Ma première conviction est que l'Union européenne a besoin de plus d'emplois, de plus de croissance. C'est la première attente des citoyens.
Nous disposons d'un diagnostic commun, d'une vision commune, et même d'un consensus européen sur les objectifs à atteindre : c'est la stratégie de Lisbonne, consolidée sur le plan du développement durable par le Conseil européen de Gotebörg. Mais force est de constater que les moyens ne sont pas à la hauteur des objectifs.
Voilà pourquoi ma deuxième conviction, vous le savez, est que, devant des fractures et des inégalités croissantes, l'Union européenne a besoin de plus de cohésion. Non seulement pour apporter la solidarité équitablement mais encore pour avoir un territoire cohérent et non pas fracturé.
On ne réussit pas la croissance et Lisbonne sur des territoires ruraux désertés et des villes asphyxiées.
On ne réussira pas non plus cette solidarité et cette croissance sans les collectivités territoriales, les villes, les régions. Il faut des régions et des villes partenaires, et non pas spectatrices.
La politique de cohésion reste nécessaire tant du point de vue de la convergence de tous ceux qui en ont besoin, que de la croissance bénéfique pour tous. De ce point de vue le troisième rapport sur la cohésion économique, sociale et territoriale demeure à mes yeux, le document de référence d'un débat qui se déroule depuis 2001, mais qui n'est pas encore terminé.
Ma troisième conviction : pour préserver la cohésion, il faut aussi la réformer, l'adapter en lui donnant plus de qualité. C'est, je pense, le principal enjeu de notre forum. Comment mettre la politique de cohésion encore davantage au service des objectifs de Lisbonne et de Gotebörg ? Comment mieux coordonner cette politique avec les autres grandes politiques communautaires - la Politique agricole commune naturellement, mais aussi les politiques de la concurrence, de la recherche, de l'environnement etc. - ? Comment, dans la pratique, rendre cette politique plus simple, plus transparente, plus partenariale et plus décentralisée ?
Et puis, je ne peux oublier l'enjeu de la cohésion territoriale, désormais reconnu dans le projet de Constitution et qui doit se traduire dans la politique de cohésion économique et sociale. Je pense notamment à la politique pour les régions ultrapériphériques, les villes, les îles et les zones de montagne.
Vous connaissez les propositions que j'ai faites en tant que commissaire européen. Je les reconnais toujours, tout en sachant combien elles peuvent et doivent être discutées. Je reste en toute hypothèse convaincu d'un très grand besoin de réformes pour pérenniser cette politique, par ailleurs si belle, si concrète, si capable de rapprocher l'Europe de ses citoyens.
C'est cela qui compte. Je sais bien, comme je viens de l'indiquer, que se pose la question budgétaire. Comme vous l'imaginez, je ne peux et ne souhaite pas l'esquiver.
Je veux dire que les questions d'argent ne commandent jamais aux politiques. Je suis et je reste un "politique". Mais nous ne pouvons ni ignorer, ni mépriser la dimension budgétaire de l'enjeu de la cohésion. Il y aura, dans la prochaine période 2007-2013, des équilibres à trouver et des cohérences à respecter. Il y aura donc, ne le cachons pas, des arbitrages à faire.
Il y a eu le temps de la proposition, nous sommes maintenant dans le temps de la négociation. On devrait avoir un bon débat politique pour avoir finalement de bonnes décisions budgétaires.
Les principes : il existe dans beaucoup de régions de l'ouest, du nord et du sud de l'Europe, une inquiétude industrielle face à un possible "dumping" social et fiscal. Cette inquiétude peut être exagérée, mais elle existe. Et mon conseil est de la prendre en compte, sans l'attiser, ni la minimiser.
A cet égard, il y a deux faits que nous ne pouvons pas ignorer :
- Certaines de ces régions de l'ouest ne sont devenues riches, dans la nouvelle Europe que sur le papier. Elles sont seulement un peu plus développées que les régions les moins développées de la grande Union. Il reste de la pauvreté à combattre, de la convergence à obtenir, de la solidarité à exprimer. C'est une question sérieuse. Il faut que les gouvernements des nouveaux Etats membres mesurent bien leur responsabilité, en particulier dans leur politique fiscale.
- Il nous faut regarder le soutien à l'investissement des entreprises dans sa totalité. C'est à dire en évaluant, à côté de l'aide qui sera apportée par les fonds structurels, les autres incitations proposées au titre des aides d'Etat. Pour une entreprise qui veut investir, ces deux sujets ne forment qu'un. Et nous devons veiller à ce que le seuil ne soit pas trop élevé, à ce que le déséquilibre ne soit pas trop grand, entre ce qu'une entreprise peut recevoir à l'ouest et ce qu'elle peut recevoir à l'est et au sud. C'est une question d'équité majeure.
Je suis donc véritablement reconnaissant au président Prodi et à l'équipe de la Commission, avec désormais Stavros Dimas et mon ami Jacques Barrot, de me donner une fois encore la possibilité d'exprimer mes convictions et également ma reconnaissance envers ceux qui m'ont accompagné dans ce travail.
Ce sujet, si passionnant, est à présent entre vos mains et celles des Etats membres de l'Union. Soyez certains que je continuerai, là où je me trouve avec mes nouvelles responsabilités, à être présent dans ce débat et à y défendre les convictions et les valeurs qui ont toujours inspiré l'action de la France.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mai 2004)
Ma première visite officielle bilatérale ici en Belgique était pour moi l'occasion de rencontrer ce matin, pour une réunion de travail, Louis Michel et son équipe, et dans quelques instants d'aller voir Guy Verhofstadt et de signer un accord avec le ministre-président de Wallonie, M. Van Cauwenberghe, sur les relations entre la France et la Wallonie dans le cadre des compétences institutionnelles qui sont celles des régions ici. Il y a ensuite un moment auquel je tiens, qui est de me rendre au Forum de la cohésion que j'avais organisé dans mes précédentes fonctions et qui va réunir plus de mille responsables de tous les Etats membres, de toutes les régions et de toutes les associations. Jacques Barrot, qui a pris le relais pour la politique régionale et le président de la Commission européenne Romano Prodi ont bien voulu m'inviter à dire quelques mots à la fin de la matinée tout à l'heure et je réaffirmerai mes convictions à propos de cette politique de cohésion. Je continue à penser qu'elle est l'une des plus belles politiques de l'Union européenne depuis quinze ou vingt ans.
Nous avons fait, avec Louis Michel, un premier tour d'horizon des préoccupations communes qui sont les nôtres en ce moment dans l'agenda européen. Je n'ai pas insisté sur les relations bilatérales entre la France et la Belgique qui sont excellentes pour beaucoup de raisons.
Sur les sujets de l'actualité européenne, si on les prend dans l'ordre, il y a à la fois la réunification, l'adhésion de dix pays qui viennent d'entrer dans l'Union et qui pour nous est un événement considérable, considérablement positif. Je sais bien qu'il y a des difficultés. Il y aura des problèmes. Mais pour moi, les opportunités et les chances l'emportent largement sur les problèmes ou les difficultés et nous sommes dans cet état d'esprit de mettre les choses en perspective. Quand on les regarde dans la perspective, cette réunification est quand même un événement politique, humain, économique considérable et positif. Naturellement, pour réussir cette réunification, il faut que la "maison" soit en ordre de marche. Ce que je veux dire, c'est que la maison européenne doit être en ordre, car elle ne l'est pas encore. Et c'est l'objet de ce projet de Constitution que nous devons finaliser, je l'espère le 18 juin. Ces quelques semaines ne seront pas faciles. Je ne crois pas qu'il faille sous-estimer la difficulté des débats qui restent devant nous même si les lignes ont bougé dans le bon sens. Je pense à la fois nécessaire et possible d'obtenir définitivement un accord le 18 juin sur ce projet de Constitution au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, et je crois nécessaire et possible de donner un signal très fort avant cette date et nous y parviendrons, ne serait-ce que pour montrer aux citoyens qui vont avoir à voter pour les élections européennes que la maison est en ordre. Et je pense qu'en ce moment, avec l'inquiétude qui existe un peu partout, c'est une inquiétude liée au terrorisme, liée aux conflits extrêmement graves en Irak, au Proche-Orient, l'inquiétude sociale ou économique, il est très important, je donne mon point de vue de ministre français, de citoyen aussi, très important d'aller aux élections européennes de façon positive, d'aller aux élections européennes en ayant donné ce signal. Et donc je vais travailler pour cela, puisque nous avons plusieurs occasions de travailler avec les ministres des Affaires étrangères sur la conférence intergouvernementale, à donner ce signal que nous avançons et que nous allons aboutir à un accord.
Le fond de ma pensée, c'est qu'il faut que la maison européenne soit en ordre, compte tenu du nombre de défis que nous avons à relever. Et nous sommes, avec Louis Michel, puisque nous venons d'avoir cette conversation, d'accord sur la quasi-totalité des sujets qu'il reste à discuter. J'ai redit le souci que la France a d'améliorer la dimension sociale de la Constitution. Ce n'est pas nouveau, mon prédécesseur avait introduit un certain nombre de demandes et je vais les présenter à nouveau, en tout cas j'y tiens, sur le dialogue social, sur les tripartites, la clause sociale transversale, la majorité qualifiée pour le domaine de la protection sociale des travailleurs migrants. Voilà trois points, clause sociale transversale, Sommet tripartite et la protection sociale des travailleurs migrants pour lesquels nous souhaitons améliorer le texte, non pas le bouleverser, mais l'améliorer.
Le point le plus difficile restera naturellement cette discussion qui est en cours avec la Pologne et l'Espagne, la question de la double majorité, et l'adaptation de ce système de double majorité. Voilà, nous avons évoqué, au-delà des questions européennes, cet élargissement que nous voulons réussir, les grands conflits actuels et naturellement la question de l'Irak dont je parlerai beaucoup cette semaine puisque je vais jeudi soir rencontrer à New York Kofi Annan et vendredi matin Colin Powell à Washington avant la réunion du G8. Je vais également vendredi soir et samedi, faire ma première visite officielle à Haïti. Donc concernant l'Irak, nous sommes prêts à travailler à une résolution au Conseil de sécurité, résolution qui est extrêmement importante puisqu'elle fixera le cadre de la transition et le cadre de la reconstruction politique et économique de l'Irak. Et le point pour nous le plus important, c'est que cette résolution garantisse un véritable transfert de compétence et rétablisse la souveraineté des Irakiens, y compris sur la gestion de leur économie et la gestion de leurs ressources. Donc nous attacherons beaucoup d'importance à cette résolution qui doit garantir la crédibilité de ce transfert, la sincérité de ce transfert.
Et la France, dans cette affaire, veut regarder devant. Nous ne cherchons pas à regarder derrière nous ni à donner des leçons. Chacun connaît les analyses qui ont été faites et je pense que l'analyse de la France et du président de la République était juste. Nous voulons aider à sortir de cette tragédie ; le moment venu, nous prendrons notre part à la reconstruction économique et politique de l'Irak. Sur le Proche-Orient, nous en avons longuement parlé la semaine dernière puisqu'il y a eu une réunion très importante à Dublin avec tous les pays de la Méditerranée et les ministres des Affaires étrangères de l'autre rive, y compris d'ailleurs le ministre israélien des Affaires étrangères, le ministre palestinien, qui étaient autour de la même table, ce qui est d'ailleurs le seul endroit où ils se retrouvent actuellement, le seul endroit, en notre présence. Et là encore nous pensons que la seule issue, comme en Irak, est une issue politique, et la réunion du Quartet qui a eu lieu il y a quelques jours est de ce point de vue là positive. C'était Javier Solana qui représentait l'Union. Il a tenu une position ferme et nous avons été heureux que les Américains reconnaissent finalement que le seul cadre de travail international est avec les Nations unies et le Quartet ; tout le monde se retrouve et la seule voie reste celle de la Feuille de route, la seule méthode reste celle de la négociation.
Nous avons enfin évoqué avec Louis Michel un sujet qu'il connaît bien, sur lequel il s'est beaucoup engagé et sur lequel je vais aussi m'engager, celui de la stabilisation de la région des Grands Lacs : au-delà de la situation de chaque pays, que nous suivons avec attention et avec lesquels nous voulons maintenir ou améliorer le dialogue, nous continuons de penser qu'une conférence internationale sera le bon moyen d'assurer cette stabilisation. Mais nous n'en sommes pas encore là.
Je suis prêt à répondre à vos questions avant d'aller voir le Premier ministre.
Q - Monsieur le Ministre, quel est votre sentiment sur les propositions de compromis qui circulent sur la double majorité ?
R - D'abord, ce qui est important, c'est qu'on travaille désormais tous sur la double majorité et non pas sur autre chose et que Polonais, Espagnols et d'autres qui avaient des problèmes de principe sur la double majorité reconnaissent maintenant qu'on peut y travailler. Nous, Français, continuons à penser que cette double majorité telle qu'elle avait été proposée par la Convention, est la bonne solution, 50/60, la moitié des Etats représentant 60% des citoyens. C'est un système dont je répète qu'il a le mérite d'être simple et donc compréhensible par tout le monde, efficace et équitable. Donc nous avons du mal à nous écarter de ce système. Mais ce point de principe étant fait, on a du mal à s'écarter d'une solution simple, équitable et efficace. Nous savons qu'il faudra trouver un compromis. Le plus important, c'est que ce compromis ne rende pas le système complexe, injuste et moins efficace. Donc, la marge est étroite. Maintenant, nous pouvons, je vous l'avais déjà dit, imaginer d'aboutir à un compromis en travaillant sur les seuils. Je ne peux pas dire à quel niveau, mais nous pouvons travailler sur les seuils.
Q - Quel seuil ?
R - On peut faire déjà mieux que ce qui a été fait à Nice, n'est-ce pas, sur ce point ?
Q - Dans le système du compromis irlandais, il y a de nouveaux reculs sur la majorité qualifiée. Peut-on accepter la modification du système et moins de majorité qualifiée ?
R - Difficilement. On a eu des conversations récemment, encore hier à Paris avec le Premier ministre britannique et avec la partie espagnole. Donc la France est prête à rechercher un compromis encore une fois le plus efficace possible parce qu 'il s'agit d'un problème sérieux, celui de la manière de voter au Conseil des ministres dans une Union de 25 ou de 27 pays. Je reste très soucieux que l'on s'écarte le moins possible du compromis de la Convention et qu'en toute hypothèse, on essaye de faire mieux que le système de Nice en termes d'efficacité et d'équité.
Dans le même temps, nous allons être en effet très vigilants pour ne pas accepter de nouveaux reculs sur le champ de la majorité qualifiée. Pour moi, je l'ai déjà dit et je vous le répète, le bon texte de base pour cet accord final, c'est le texte adopté à Naples et non pas les modifications apportées depuis et que je ne connais pas d'ailleurs. Par exemple, il y a un sujet sur lequel nous tenons, c'est tout ce qui touche à la Justice et aux Affaires intérieures où nous ne sommes pas prêts à accepter un recul. Par ailleurs, soyons réalistes, vous savez très bien que sur les questions de fiscalité, quelles qu'aient été les positions françaises, allemandes, communes d'ailleurs, c'est une faiblesse du projet de Constitution que de ne pas prévoir sur ces sujets-là une fiscalité pour la protection sociale. Prenons un exemple : je vous ai dit tout à l'heure que j'allais demander dans la négociation que l'on fasse un tout petit progrès sur la majorité qualifiée pour la protection sociale des travailleurs migrants. Franchement, je ne vois pas où est le problème idéologique sur ce sujet. C'est un problème pratique. Donc nous allons nous battre sur ces sujets. Nous n'accepterons pas facilement de nouveaux reculs.
Q - N'avez-vous pas le souci de boucler avant le 18 juin en concédant des choses qu'on n'accepte pas sur le principe, de tenir bon sur des choses qui semblent pour l'avenir et à long terme primordiales sur le calendrier ?
R - Nous ne sommes pas prêts à conclure à n'importe quel prix. Et nous voulons préserver sur le fond et dans la dynamique le résultat obtenu par la Convention sur les ressources propres. Nous tenons, je sais que c'est un sujet difficile, à la majorité qualifiée comme sur les perspectives financières.
Q - Et sur les contributions des Etats membres au budget européen, les positions françaises depuis votre arrivée ont-elles changé ?
R - Vous connaissez la position du gouvernement français, et demeurera la même qui a été affirmée avant que je ne revienne dans ce gouvernement. Cette position reste inchangée et demeurera la même. Nous avons des débats internes. Je sais bien qu'on cherche, - je l'ai lu dans plusieurs de vos journaux -, à voir quelles différences je peux exprimer entre le moment où j'étais commissaire et celui où je suis ministre. Ce ne sont pas les mêmes positions, mais je n'ai pas de problème avec cela. Je participe, à l'intérieur du gouvernement, à des délibérations. C'est normal, j'exprime mon point de vue et cela ne vous étonnera pas que je vous dise que mon point de vue n'a pas changé, ni sur un certain nombre de politiques au fond, ni sur les moyens qu'il faut consacrer à ces politiques. Mais je suis dans un gouvernement avec des règles du jeu que je connais, donc sur ce sujet là, la position du gouvernement français n'a pas changé.
Q - Quel pourrait être le signal fort avant les élections européennes ?
R - Le signal fort, c'est que sur le projet de Constitution les ministres ont avancé, nous sommes presque au bout, l'accord est là, mais il faut maintenant que les chefs d'Etat et de gouvernement le confirment, voilà. Je voudrais que, vous-mêmes, qui êtes des observateurs vigilants et impartiaux, vous constatiez que dans la négociation, on avance, et qu'on y est, voilà ! C'est le travail des ministres des Affaires étrangères de dégager le terrain. Je souhaite que l'on arrive dans les réunions, qui ont lieu d'ici la fin du mois de mai, à dégager le terrain de la négociation et à avancer. J'aurais préféré personnellement qu'on aboutisse à cette Constitution en décembre dernier ou avant les élections européennes. J'aurais préféré cela.
Q - Compte tenu de la proximité entre les élections et la réunion du Conseil, est-ce qu'indiquer très clairement qui sera le prochain président de la Commission, serait un bon signal à envoyer aux électeurs ?
R - Non, parce que ce n'est pas possible et je ne crois pas d'ailleurs que le Parlement européen le souhaite puisqu'il souhaite qu'on tienne compte du résultat des élections. Ce serait même contre-productif de dire, avant les élections, voilà qui on va désigner, puisque le grand sujet auquel tiennent les parlementaires, c'est qu'on fasse le lien avec l'élection européenne et qu'on en tienne compte ; c'est ce que dit le Traité, qu'on tienne compte du résultat des élections pour choisir le président.
Q - Est-ce que chaque parti ne devrait pas indiquer avant les élections qui est son candidat pour la Présidence ?
R - C'est autre chose. Ce qui m'a été demandé, c'est si on ne devrait pas désigner le président ou le proposer. Que chaque parti se prononce pour un candidat, c'est l'affaire de chaque parti.
Q - Qui est le candidat de la France ?
R - Je ne peux pas vous dire cela maintenant.
Q - Mais vous avez peut-être une idée de qui sera le président de la Commission ?
R - Non, je ne peux pas entrer dans ce débat là. Je vais vous décevoir, mais je ne veux pas entrer dans ce sujet qui appartient au président de la République. Je lui donnerai mon avis, je le lui ai déjà donné, mais je ne vous le dirai pas, et franchement, c'est un peu trop tôt. Et vous savez très bien que les différents candidats ne sont pas forcément tous connus ou tous déclarés et que, comme il faut tenir compte du résultat des élections européennes, c'est un peu prématuré, voilà ce que je pense. Mais je suis prêt à vous en parler une autre fois.
Q - Vous allez aborder cette question avec M. Verhofstadt ?
R - Avec M. Verhofstadt ? Oui, je vais lui demander son avis.
Q - Monsieur le Ministre, l'Espagne, la semaine passée, a proposé d'introduire les langues régionales dans l'Union européenne pour essayer d'inclure les Catalans et les Basques dans quelques questions de fonctionnement des institutions. Est-ce que la France est prête à appuyer cette proposition espagnole ?
R - J'ai besoin de voir à quoi cela conduirait. Je recommanderais d'être très prudent sur ce qui touche au régime des langues. C'est un sujet extrêmement sensible et je recommanderais qu'on évite d'ouvrir des sujets difficiles supplémentaires en ce moment. Nous avons eu récemment des discussions assez longues et nombreuses, et extrêmement chaleureuses, avec le nouveau gouvernement espagnol. Ma deuxième visite officielle dans l'Union, après Berlin, était Madrid pour rencontrer M. Moratinos, et M. Zapatero a fait une visite extrêmement amicale à Paris. D'ailleurs le président de la République a même dit que le dialogue franco-allemand était maintenant ouvert à l'Espagne, ce qui est un point important, permettez-moi de le dire, dans l'ambiance européenne, il change pas mal de choses. Mais, lors de ces rencontres, la question de langues n'a pas encore été évoquée en ma présence, en tout cas durant ces discussions.
Q - Durant vos contacts avec Tony Blair, vous a-t-il indiqué qu'il voulait justement réduire le champ des majorités qualifiées ?
R - Il nous a dit où se trouvaient ses lignes rouges.
Q - Ce sont les mêmes qu'avant ou bien c'est pire qu'avant ?
R - Non, ce sont les mêmes qu'avant. Il y a une grande constance dans la position britannique vous savez.
Q - Que lui avez-vous répondu ?
R - Nous lui avons dit que, notamment sur la Justice et les Affaires intérieures (JAI), - mais ce ne sont pas des questions idéologiques pour nous, ce sont des questions pratiques -, ressources propres, budget, perspectives financières ou JAI, on sait bien qu'on risque un blocage sur ces questions. Pour moi, sur tous ces sujets, le droit de veto, est une source d'impuissance européenne. Voilà ce que je pense.
Q - Est-ce que vous pourriez être amené à présenter une position franco-allemande pour essayer de débloquer la négociation sur la Constitution ?
R - Les Allemands et les Français sont d'accord de toutes façons. Les Français et les Allemands auront les mêmes positions sur tous ces sujets.
Q - Je pense au recul que semblent proposer les Irlandais sur la majorité qualifiée.
R - Nous avons la même position franco-allemande pour dire que nous n'acceptons pas certains reculs.
Q - Au sujet de l'Irak, je n'ai pas bien compris quand vous avez dit que la France ne doit pas regarder en arrière, mais vers l'avant. Voulez-vous dire que vous voulez faire un cadeau à Bush avant les élections ?
R - Je vous ai dit que la résolution est obligatoire avant le 1er juillet. Mais il ne s'agit pas de cadeau ni aux uns ni aux autres, non !
Q - Enverra-t-on des troupes en Irak avant les élections ?
R - Non, il n'est pas question que la France envoie des troupes, c'est clair ! Cette question n'est pas ouverte. C'est clair, formellement. Il n'y aura pas de soldats français en Irak. Je vous ai dit précisément, j'ai pesé mes mots, que nous prendrons notre part, le moment venu, à la reconstruction politique et économique de l'Irak. Cela signifie, par exemple, la formation de gendarmes ou de forces de sécurité intérieure. Nous avons déjà fait cette proposition. Cela signifie une négociation positive sur la dette de l'Irak. Le ministre de l'Economie et des Finances, Nicolas Sarkozy, l'a dit quand il est allé à Washington. Cela signifie une participation, avec l'Union européenne, à des programmes économiques dans le cadre d'un dialogue avec un gouvernement souverain. Mais il n'est pas question de soldats. Quant à la résolution, il y en aura forcément une pour encadrer le transfert de souveraineté que nous souhaitons sincère le 1er juillet, indépendamment des élections aux Etats-Unis. Il faut forcément une résolution.
Q - Monsieur le ministre, Nicolas Sarkozy a dit que les meilleures conditions en matière de ratification de la Constitution, serait le referendum. Quelle est votre position ?
R - Ecoutez, chacun dans un congrès politique s'exprime avec ses mots et ses convictions. Moi, je suis ministre des Affaires étrangères et des Affaires européennes aussi, et je pense que chacun doit être à sa place. Et comme l'a dit le Premier ministre, le choix de la procédure de ratification, c'est la prérogative du président de la République. Moi, je suis ministre, donc je me fais une certaine idée de la règle du jeu constitutionnel. Personnellement, j'ai toujours cru en la vertu pédagogique et démocratique du referendum. Mais je recommanderais d'abord de respecter la responsabilité et les prérogatives du chef de l'Etat sous la Vème République, et je recommanderais aussi qu'on attende d'avoir une Constitution, ce qui n'est pas encore le cas, pour décider comment la ratifier. Or, nous n'avons pas encore de Constitution. J'espère qu'on en aura une, je vais me battre pour qu'on en ait une, sous l'autorité du président de la République, mais nous ne l'avons pas encore. Je comprends tout à fait que le président de la République ne s'engage pas maintenant. C'est son choix. Je comprends qu'il n'exprime pas son choix maintenant, alors que nous n'avons pas de Constitution. Que les partis politiques, que les militants, que les responsables donnent leur opinion, c'est très bien. Mais moi, je suis dans une position singulière qui est d'être le ministre des Affaires étrangères et des Affaires européennes de Jacques Chirac et je veux respecter, à la place où je me trouve, ses prérogatives et sa responsabilité. Ceci ne m'interdit pas d'ajouter une chose, dont j'ai d'ailleurs parlé avec Tony Blair hier et dont j'ai également parlé avec d'autres responsables politiques : quel que soit le mode de ratification de chacun des vingt-cinq pays, je trouverais logique, important, même intelligent, qu'on ait un moment commun de ratification, pour la première fois. Que tous les pays européens ratifient au même moment. Je ne dis pas forcément le même jour, mais dans la même semaine ou dans la même quinzaine. Qu'il y ait un débat européen sur un texte européen et non pas 25 débats juxtaposés ou échelonnés, avec le risque dans chaque pays que le débat soit détourné de son objet. Je recommanderai qu'il y ait un moment commun de débat sur la ratification. Les pays qui veulent ratifier par la voix du peuple le faisant et les autres par les représentants du peuple le faisant aussi, mais que ce soit au même moment. Voilà ce que je peux dire.
Q - Afin d'aboutir à la négociation ou d'arriver au moins à un signal, que vous avez évoqué tout à l'heure, pensez-vous qu'il faut, entre maintenant et la fin du mois de mai, accélérer les choses. Je sais que la Présidence irlandaise, a par exemple, dit qu'éventuellement, elle pourrait organiser une sorte de réunion, un dîner informel des chefs d'Etat pour redonner un coup de collier. Qu'en pensez-vous ?
R - Il n'y a pas de prudence à avoir dans ce sujet. Moi, je suis assez volontariste. Je vous ai dit moi-même, avant votre question, que je souhaite qu'on adresse un signal fort avant les élections. Je pense que ce serait nécessaire qu'avant les élections européennes qui vont élire des hommes et des femmes qui ont un rôle important au Parlement, plus important que l'on ne le croit dans chacun de nos pays, notamment en France, nos citoyens voient que la maison est en ordre de marche et que la Constitution est là, presque là. Si on pouvait conclure avant le 13 juin, ce serait idéal, mais je n'en suis pas sûr. Donc nous allons travailler au niveau des ministres pour dégager la route, préparer cet accord, y arriver presque. Alors, je ne sais pas si les Irlandais jugeront qu'à ce moment là, il est possible de faire un dîner informel pour adresser un signal encore plus fort au niveau des chefs d'Etat, mais pourquoi pas ? S'ils organisent cette rencontre, c'est qu'on a presque réussi. C'est ce que je veux dire.
Q - Comment jugez-vous l'initiative de M. Blair qu'on considère comme perdue d'avance ?
R - Tony Blair a pris une décision pour la politique intérieure britannique et c'est sa responsabilité. Je ne crois pas que vous puissiez dire que le referendum est perdu au Royaume-Uni. Lui-même pense qu'il peut le gagner. Et je lui fais plutôt confiance parce qu'il a cette qualité d'être européen. Je suis en train de travailler avec Joschka Fischer et d'autres, on essaie de faire un peu preuve de créativité institutionnelle pour savoir ce qui se passerait si un pays ne ratifiait pas, mais je préfère me situer dans une perspective positive où la Constitution est ratifiée. Dans le droit communautaire actuel, vous savez bien qu'il faut que la Constitution soit ratifiée par tout le monde sinon elle n'existera pas, mais cela ne m'empêche pas de penser qu'on devrait, dans cette Constitution, introduire des modalités plus souples pour permettre l'évolution de telle ou telle partie de la Constitution. Mais encore pour cela, il faut l'unanimité. C'est la faiblesse dans laquelle nous sommes, la difficulté dans laquelle nous sommes.
Q - Travaillez-vous avec Joschka Fischer sur les éventuels incidents de ratification ?
R - On essaie de réfléchir à toutes les hypothèses et notamment à ce qui pourrait être mis dans la Constitution pour permettre des évolutions futures pour assouplir au moins telle ou telle partie de la Constitution. Mais encore une fois, nous ne faisons qu'un travail très intellectuel, et il faut être aussi lucides, nous savons bien que pour cela, il faut l'unanimité des Etats. Donc la marge est très étroite. Non, nous ne sommes pas dans l'hypothèse de travailler sur un échec de la Constitution dans tel ou tel pays. Nous espérons, même si c'est difficile, que la Constitution soit ratifiée par tous les pays. Nous avons ce texte, nous en avons besoin pour faire fonctionner l'Europe. Néanmoins, il faudrait donner à ce texte un peu de créativité institutionnelle. Est-ce qu'on en a le temps ? Je n'en suis pas sûr, mais on va essayer de prévoir des évolutions futures dans le texte lui-même. Mais encore une fois, le préalable c'est qu'il soit approuvé.
Q - A Dublin vous avez émis des réserves vis-à-vis de votre collègue J. Fischer concernant le projet de transfert de souveraineté américaine en Irak. Il semble que la crédibilité de ce futur gouvernement ne soit pas très grande. Se prépare-t-on à un nouveau conflit entre Américains et Européens au Conseil de sécurité ?
R - Nous avons des conversations très régulières avec Colin Powell. Je le reverrai vendredi. Nous essayons d'aboutir et de convaincre les Américains d'accepter un vrai transfert de souveraineté, un transfert sincère, lisible, clair. On a même parlé de rupture par rapport à la situation actuelle. Ceci signifie que le gouvernement irakien, même s'il est transitoire, doit être représentatif, accepté par les forces irakiennes et les différentes communautés. Peut-être d'ailleurs pourrait-on imaginer une sorte de table ronde entre les forces irakiennes pour valider ou pour vérifier cette représentativité du gouvernement transitoire qui va devoir préparer les élections de janvier, qui seront un moment très important. Ce gouvernement devra, c'est ce que nous souhaitons, gérer les affaires de l'Irak, y compris s'agissant de la durée de la présence d'une force multinationale de stabilisation ou des opérations militaires. Nous allons en effet très loin, J. Fischer ou moi, dans le transfert réel des compétences. Ce gouvernement doit avoir son mot à dire s'agissant de la présence de la force multinationale. Il doit avoir la capacité de gérer les affaires économiques, les ressources. La sécurité et la présence de la force multinationale ne peuvent pas lui être imposées, sinon ce ne sera pas un gouvernement avec les attributs de la souveraineté. Mais nous savons bien que dans une période transitoire, il faudra que la stabilité et la sécurité soient exercées, dans le cadre des Nations unies, par une force multinationale.
Q - Sur les présumées tortures en Irak, comment réagissez-vous ?
R - J'ai répondu à cette question la semaine dernière, mais je veux bien répéter que ce que nous voyons, ce que nous apprenons, est indigne, déshonorant et contraire à toutes les règles et à toutes les lois de traitement des prisonniers de guerre, aux lois de la guerre, à la Convention de Genève, et donc de ce point de vue là, inacceptable et injustifiable.
Q - Pouvez-vous qualifier ces acte de "torture" ?
R - Les images que nous avons vues sont tout à fait claires. Vous savez, la position française dans ce cas comme dans tous les autres, est de dire qu'il y a un droit international, un cadre international. On ne sortira pas de ces conflits, de cette tragédie, si on s'écarte du droit international. Et là, clairement, des individus se sont écartés du droit international. Il faudra qu'ils soient sanctionnés, mais on peut revenir toujours à cette règle à laquelle nous tenons pour le conflit irakien ou d'autres : on doit rester dans le cadre du droit international.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mai 2004)
(Intervention au Troisième forum sur la cohésion, à Bruxelles le 10 mai 2004) :
Merci au président Romano Prodi et à Jacques Barrot de me permettre d'intervenir selon une procédure un peu exceptionnelle pour un forum sur la cohésion ; de me permettre de retrouver beaucoup de visages familiers, partenaires et amis. Je ne peux les citer tous, mais je voudrais saluer Tom Parlon, Peter Balazs, Peter Straub et Roger Briesch ; de me permettre enfin de parler de cohésion, une cause qui me passionne et qui continue à me passionner.
Je connais une phrase célèbre qui dit "on ne peut pas être et avoir été". Et pourtant ! On peut avoir été au titre des institutions de l'Union européenne, l'un des artisans d'une véritable politique de cohésion, et l'être toujours en tant que membre d'un gouvernement national.
Je suis venu vous dire, au nom du gouvernement français, trois convictions qui ne doivent pas vous étonner.
Ma première conviction est que l'Union européenne a besoin de plus d'emplois, de plus de croissance. C'est la première attente des citoyens.
Nous disposons d'un diagnostic commun, d'une vision commune, et même d'un consensus européen sur les objectifs à atteindre : c'est la stratégie de Lisbonne, consolidée sur le plan du développement durable par le Conseil européen de Gotebörg. Mais force est de constater que les moyens ne sont pas à la hauteur des objectifs.
Voilà pourquoi ma deuxième conviction, vous le savez, est que, devant des fractures et des inégalités croissantes, l'Union européenne a besoin de plus de cohésion. Non seulement pour apporter la solidarité équitablement mais encore pour avoir un territoire cohérent et non pas fracturé.
On ne réussit pas la croissance et Lisbonne sur des territoires ruraux désertés et des villes asphyxiées.
On ne réussira pas non plus cette solidarité et cette croissance sans les collectivités territoriales, les villes, les régions. Il faut des régions et des villes partenaires, et non pas spectatrices.
La politique de cohésion reste nécessaire tant du point de vue de la convergence de tous ceux qui en ont besoin, que de la croissance bénéfique pour tous. De ce point de vue le troisième rapport sur la cohésion économique, sociale et territoriale demeure à mes yeux, le document de référence d'un débat qui se déroule depuis 2001, mais qui n'est pas encore terminé.
Ma troisième conviction : pour préserver la cohésion, il faut aussi la réformer, l'adapter en lui donnant plus de qualité. C'est, je pense, le principal enjeu de notre forum. Comment mettre la politique de cohésion encore davantage au service des objectifs de Lisbonne et de Gotebörg ? Comment mieux coordonner cette politique avec les autres grandes politiques communautaires - la Politique agricole commune naturellement, mais aussi les politiques de la concurrence, de la recherche, de l'environnement etc. - ? Comment, dans la pratique, rendre cette politique plus simple, plus transparente, plus partenariale et plus décentralisée ?
Et puis, je ne peux oublier l'enjeu de la cohésion territoriale, désormais reconnu dans le projet de Constitution et qui doit se traduire dans la politique de cohésion économique et sociale. Je pense notamment à la politique pour les régions ultrapériphériques, les villes, les îles et les zones de montagne.
Vous connaissez les propositions que j'ai faites en tant que commissaire européen. Je les reconnais toujours, tout en sachant combien elles peuvent et doivent être discutées. Je reste en toute hypothèse convaincu d'un très grand besoin de réformes pour pérenniser cette politique, par ailleurs si belle, si concrète, si capable de rapprocher l'Europe de ses citoyens.
C'est cela qui compte. Je sais bien, comme je viens de l'indiquer, que se pose la question budgétaire. Comme vous l'imaginez, je ne peux et ne souhaite pas l'esquiver.
Je veux dire que les questions d'argent ne commandent jamais aux politiques. Je suis et je reste un "politique". Mais nous ne pouvons ni ignorer, ni mépriser la dimension budgétaire de l'enjeu de la cohésion. Il y aura, dans la prochaine période 2007-2013, des équilibres à trouver et des cohérences à respecter. Il y aura donc, ne le cachons pas, des arbitrages à faire.
Il y a eu le temps de la proposition, nous sommes maintenant dans le temps de la négociation. On devrait avoir un bon débat politique pour avoir finalement de bonnes décisions budgétaires.
Les principes : il existe dans beaucoup de régions de l'ouest, du nord et du sud de l'Europe, une inquiétude industrielle face à un possible "dumping" social et fiscal. Cette inquiétude peut être exagérée, mais elle existe. Et mon conseil est de la prendre en compte, sans l'attiser, ni la minimiser.
A cet égard, il y a deux faits que nous ne pouvons pas ignorer :
- Certaines de ces régions de l'ouest ne sont devenues riches, dans la nouvelle Europe que sur le papier. Elles sont seulement un peu plus développées que les régions les moins développées de la grande Union. Il reste de la pauvreté à combattre, de la convergence à obtenir, de la solidarité à exprimer. C'est une question sérieuse. Il faut que les gouvernements des nouveaux Etats membres mesurent bien leur responsabilité, en particulier dans leur politique fiscale.
- Il nous faut regarder le soutien à l'investissement des entreprises dans sa totalité. C'est à dire en évaluant, à côté de l'aide qui sera apportée par les fonds structurels, les autres incitations proposées au titre des aides d'Etat. Pour une entreprise qui veut investir, ces deux sujets ne forment qu'un. Et nous devons veiller à ce que le seuil ne soit pas trop élevé, à ce que le déséquilibre ne soit pas trop grand, entre ce qu'une entreprise peut recevoir à l'ouest et ce qu'elle peut recevoir à l'est et au sud. C'est une question d'équité majeure.
Je suis donc véritablement reconnaissant au président Prodi et à l'équipe de la Commission, avec désormais Stavros Dimas et mon ami Jacques Barrot, de me donner une fois encore la possibilité d'exprimer mes convictions et également ma reconnaissance envers ceux qui m'ont accompagné dans ce travail.
Ce sujet, si passionnant, est à présent entre vos mains et celles des Etats membres de l'Union. Soyez certains que je continuerai, là où je me trouve avec mes nouvelles responsabilités, à être présent dans ce débat et à y défendre les convictions et les valeurs qui ont toujours inspiré l'action de la France.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mai 2004)