Déclaration de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, sur le financement de la décentralisation, l'autonomie financière des collectivités locales et les perspectives de réforme de la dotation globale de fonctionnement, Paris le 8 juillet 2003.

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Circonstance : Intervention de Patrick Devedjian devant le Comité des finances locales, à Paris le 8 juillet 2003

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Votre comité est chargé par la loi, entre autres, de donner son avis sur les grands textes qui régissent les relations financières entre l'État et les collectivités locales. Il a par ailleurs développé, en près de vingt-cinq ans d'existence, un niveau d'expertise dans le domaine très complexe des finances locales qui s'est souvent révélé très précieux pour le Gouvernement.
Il est donc naturel, alors que s'ouvre une nouvelle étape de la décentralisation qui emportera des conséquences financières d'un niveau rarement égalé, que mon collègue du Budget et moi-même vous fassions un point d'étape sur les principaux sujets en cours et recueillons votre avis sur les projets de textes en préparation.
Comme l'a indiqué le président Fourcade, nous aborderons avec vous ce matin trois thèmes plus particulièrement :
- 1°) Le financement de la décentralisation, aussi bien dans ses dimensions de ressources transférées, et je laisserai mon collègue Alain Lambert vous exposer nos projets dans ce domaine, que sur l'aspect, certainement au moins aussi important, des modalités d'évaluation du coût des compétences qui seront transférées aux collectivités locales ;
- 2°) La loi organique relative à l'autonomie financière qui est la troisième loi organique prévue par la Constitution, après celle sur l'expérimentation et le référendum ;
- 3°) Les perspectives de la réforme de la DGF
Comme vous le constatez, c'est là un ordre du jour très chargé. Je devrais pour ma part vous quitter à 10h30 car je dois retrouver les présidents de région à l'occasion de notre réunion hebdomadaire de concertation que le Premier ministre a souhaité organiser. De toute manière, Alain LAMBERT et moi-même aurons à nouveau l'occasion de renouer le dialogue avec vous sur ces différents sujets très prochainement, ne serait-ce qu'à l'occasion de la présentation à votre comité du projet de loi de finances pour 2004 en septembre.
I°) FINANCEMENT DE LA DECENTRALISATION
1°) Le dispositif fiscal (transfert de fiscalité TIPP et autres)
Je laisse la parole à présent à Alain LAMBERT pour vous présenter le dispositif fiscal que nous envisageons de mettre en oeuvre.
2°) L'évaluation des charges transférées
A côté des modalités de financement des transferts de compétence que vient d'évoquer mon collègue se pose la question très importante de l'évaluation du coût du transfert lui-même.
Je sais que cette matière donne souvent lieu à contestation. Les textes de 1982 eux-mêmes ne sont pas toujours très précis. On y parle tantôt de dépenses effectuées ou supportées, de crédits ouverts ou inscrits.
La Constitution nous donne aujourd'hui un cadre de référence clair.
Nous avons en effet voulu affirmer un principe d'honnêteté selon lequel l'État devra transférer aux collectivités locales toutes les ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à l'exercice des compétences.
C'est le titre VI du projet de loi de décentralisation, qui vous a été distribué, qui est chargé de décliner ces règles.
Avec Alain LAMBERT, il y a néanmoins une règle que nous souhaitons respecter. C'est le principe de neutralité budgétaire, tant pour l'État que les collectivités locales.
Il n'est pas possible qu'à l'occasion de la décentralisation, l'État transfère plus qu'il ne dépensait, même si ce qu'il dépensait peut sembler insuffisant.
Nos concitoyens ne comprendraient pas que la décentralisation, qui doit être l'occasion d'une meilleure gestion par les élus locaux, commence par entraîner une dépense plus importante pour le budget de l'État.
Si l'on décentralise, c'est que nous avons la conviction que les collectivités locales feront mieux et à moindre coût que l'État. Si c'est pour faire pareil, toute notre démarche n'a plus aucun sens.
Ceci dit, je suis parfaitement conscient qu'il est nécessaire à présent de discuter avec vous et avec les associations d'élus des différentes modalités de calcul envisageables.
La semaine dernière, une première réunion s'est d'ailleurs tenue sur ce sujet entre le cabinet d'Alain Lambert et le mien d'une part et les représentants de l'ADF et de l'ARF d'autre part. La concertation qui s'est nouée sur ce projet de loi devra permettre d'aboutir à un accord sur les principes sur lesquels reposera l'évaluation des charges transférées.
Je pense néanmoins qu'il faudra retenir à une méthode homogène car une gestion "à la carte" de ces modalités d'évaluation serait inapplicable.
La loi prévoit par ailleurs l'intervention d'une commission spécialisée, composée exclusivement d'élus : la commission consultative d'évaluation des charges. Un certain nombre d'entre vous en sont d'ailleurs membres.
Cette commission a fait ses preuves, que ce soit lors de la première phase de la décentralisation des années 1980 ou encore, plus récemment, lors de la création de la CMU ou de la généralisation de la compétence sur les TER par exemple. Néanmoins, la CCEC a besoin d'un nouveau souffle, car le travail qui l'attend aujourd'hui est d'une toute autre ampleur que celui qu'elle a été amenée à réaliser ces dernières années. J'ai même constaté que certains élus m'en parlaient sans savoir qu'ils en étaient membres !
A cet égard, le code général des collectivités locales lui donne aujourd'hui uniquement une compétence en aval, pour donner un avis sur le projet d'arrêté interministériel qui arrête le montant de la compensation versée aux collectivités locales et qui intervient en règle générale un an ou dix huit mois après le transfert. Je pense que ce n'est pas suffisant et qu'il faut modifier les textes pour donner à cette commission une compétence en amont, afin qu'elle puisse également se prononcer sur les modalités d'évaluation du coût de ces transferts. Il suffit simplement pour cela de modifier un décret.
Dans la mesure où Alain LAMBERT doit nous quitter à 9h45, je vous propose que nous répondions à vos questions sur ces différents sujets avant d'aborder la loi organique et la réforme de la DGF.
QUESTIONS - REPONSES AVEC LA SALLE

II°) LA LOI ORGANIQUE SUR L'AUTONOMIE FINANCIERE
L'affirmation d'un principe d'autonomie financière des collectivités locales est très certainement la clé de voûte de la réforme de la Constitution. C'est en effet le gage de la réussite de la décentralisation. Car seule la maîtrise de leurs ressources par les élus garantira leur responsabilité.
La précédente législature a été marquée par une amputation sans précédent du pouvoir fiscal des collectivités locales. Je voudrais juste rappeler un chiffre : en 4 ans, plus de 15 milliards d'euros de recettes fiscales ont été supprimées et transformées en dotations.
C'est contre cette dérive que le Gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN a souhaité s'inscrire résolument. Par son vote, le 17 mars dernier, le Congrès a dorénavant rendu impossible cette mort programmée de la fiscalité locale.
La Constitution garantit ainsi aux collectivités locales que leurs ressources propres représenteront une part déterminante de leurs ressources totales.
Elle a également prévu qu'une loi organique devait mettre en oeuvre cette règle. C'est le texte que nous vous présentons aujourd'hui et qui sera discuté au Parlement à l'automne.
Il s'agit d'un texte d'application de la Constitution qui délimite très précisément son champ. Il ne peut donc pas porter sur des matières qui n'auraient été strictement prévues par le Constituant, sous peine d'entraver de manière excessive et irrégulière le pouvoir du Législateur.
Le projet de loi organique s'organise ainsi autour de trois articles :
- l'article 1er définit les ressources à prendre en compte ;
- l'article 2 définit les catégories de collectivités locales visées par la Constitution ;
- et l'article 3 met en oeuvre la garantie du respect de la part déterminante.
1°) Article 1er
Cet article poursuit un double objectif.
D'une part, il arrête la liste des ressources propres des collectivités locales, c'est-à-dire les ressources dont elles maîtrisent l'évolution ou fixent le tarif, comme les redevances, les produits du domaines ainsi que les ressources fiscales dont elles disposent. C'est bien sûr dans cette dernière catégorie qu'il faudra ranger la fiscalité que l'État leur transférera pour financer la décentralisation.
D'autre part, il appréhende le cas de l'intercommunalité. Certains ont pu regretter que les EPCI ne deviennent pas des collectivités de plein exercice à l'occasion de la réforme de la Constitution. Je ne reviendrai pas sur ce débat qui a été tranché par le Parlement. Les EPCI ne sont pas issus du suffrage universel direct et ils ont une compétence d'attribution, à la différence des autres catégories de collectivités locales.
Néanmoins, la loi organique devait prendre en compte les EPCI qui sont une personne juridique distincte de leurs communes membres. Si tel n'avait pas été le cas, les ressources propres des communes auraient été diminuées à chaque fois que se développe la taxe professionnelle unique. Cette taxe n'étant plus juridiquement perçue par la commune.
Je vois un deuxième avantage à cette rédaction : les EPCI sont englobés par voie de conséquence dans la garantie d'autonomie financière dont bénéficient les communes et en bénéficient eux-mêmes par contrecoup.
2°) Article 2
Cet article est plus factuel mais non moins important. En effet, la Constitution réserve la garantie de l'autonomie financière non pas aux collectivités locales prises individuellement - ce serait tout bonnement impossible à vérifier - mais à chacune de leurs catégories.
Pour les communes, les départements et les régions, la difficulté ne se pose pas. Elles forment naturellement chacune une catégorie à part. Pour les EPCI, l'article 1er règle la question. N'étant pas des collectivités locales à part entière, ils ne peuvent former une catégorie particulière. Ils sont néanmoins pris en compte dans celle des communes.
Restait deux questions :
- Tout d'abord, celle de l'outre mer. Fallait-il établir une catégorie à part ou les intégrer avec les collectivités locales de métropole ? Il nous a semblé que créer une catégorie particulière, comprenant moins d'une dizaine de collectivités territoriales aux statuts par ailleurs très disparates, était source d'insécurité et d'instabilité. C'est pourquoi le choix a été fait de les regrouper avec les catégories de la métropole.
- La seconde question était celle des collectivités locales à statut particulier. Que faire en cas de fusion du départements et de la commune de Paris ? Là encore, nous avons exclu les catégories dérogatoires et opté pour le regroupement avec les catégories existantes les plus proches.
3°) Article 3
C'est sans doute l'article le plus sensible politiquement.
Le premier principe à consister à fixer un plancher en deçà duquel le taux d'autonomie financière des collectivités locales ne pourra pas descendre. Nous n'avons pas choisi de fixer un taux car cela aurait ouvert un débat sans fin.
Faut-il un taux commun aux trois catégories de collectivités locales, alors que les régions sont aux alentours de 35 % tandis que les départements sont à plus de 50 % ? Et si oui, où mettre le curseur ? Le Constituant a écarté la référence à une part "prépondérante", c'est-à-dire supérieure à 50 %.
S'il avait fallu fixer un taux, celui-ci aurait alors dû être inférieur à 50 %. Cela aurait satisfait les régions, mais qu'auraient dit les départements et les communes qui sont aujourd'hui au-dessus ?
Pour sortir de l'impasse, nous avons opté pour le taux constaté au titre de 2003 parce que c'est l'année d'achèvement de la réforme de la part salaires, dernière année donc de mise en oeuvre de la politique précédente de démontage progressif de la fiscalité locale.
Ce choix peut être perçu comme discutable. Et je ne doute pas que nous en discuterons longtemps, ici comme au Parlement. Mais je tiens à préciser devant vous que la volonté du Gouvernement est d'augmenter le taux d'autonomie des collectivités locales. Dès lors, cette référence à 2003 comme point de départ est importante, j'en conviens bien volontiers, mais il ne s'agit pour nous certainement pas là d'un point d'arrivée.
Le second grand principe de cet article consiste à garantir le respect de cette règle. Affirmer un principe sans se donner les moyens de le respecter est vide de sens.
Dès lors, si à l'avenir le taux d'autonomie financière venait à diminuer en deçà de la référence à 2003, l'État s'obligerait à le rétablir au moins dans les deux ans qui suivent. Le Parlement sera par ailleurs informé tous les ans, avant le débat sur la loi de finances, de l'évolution du taux d'autonomie des différentes catégories de collectivités locales afin de veiller au respect de cette règle.
III°) LA REFORME DE LA DGF
Cette réforme est indissociable de tout ce qui précède. Ne serait-ce que parce que la Constitution a dorénavant érigé la péréquation en objectif premier pour l'État. La péréquation est en effet le pendant naturel de l'autonomie financière.
La décentralisation ne pourra réussir que si trois conditions sont remplies.
Il faut tout d'abord que les compétences qui sont transférées aux collectivités locales soient honnêtement évaluées et compensées.
Nous vous avons exposé, avec Alain LAMBERT les garanties qui seront données aux collectivités locales à ce sujet. Il faut en deuxième lieu que les élus maîtrisent leurs ressources, c'est la loi organique dont je viens de vous parler. Mais il faut aussi enfin que toutes les collectivités locales, riches ou pauvres, aient les moyens de mettre en oeuvre leur politique.
C'est cette volonté de renforcer l'égalité entre les collectivités locales, qui n'est aujourd'hui qu'une illusion, qui a motivé cette inscription de la péréquation dans la Constitution.
La réforme de la DGF est un chantier colossal. L'actuelle DGF date de 1993. Elle est à bout de souffle. Vous le savez mieux que personne.
Je souhaite soumettre au Parlement en 2004 un projet de loi de refonte des dotations qui aille dans le sens d'une plus grande lisibilité ainsi que d'une plus grande prévisibilité des ressources pour les collectivités locales car plus personne n'y comprend rien aujourd'hui. Votre comité sera naturellement associé en amont à ce travail et j'attends de lui des propositions.
Il ne faut bien sûr s'interdire d'examiner aucune hypothèse. J'entends certains réclamer ce qu'on appelle la "territorialisation" de la DGF, c'est-à-dire la globalisation de la DGF revenant aux communes et à leur intercommunalité dans une masse commune, avec mission pour le conseil communautaire d'assurer la répartition entre les communes et le groupement. D'autres souhaitent au contraire le maintien d'une péréquation gérée nationalement, comme aujourd'hui, par les services de la DGCL.
J'ai déjà eu pour ma part l'occasion de tracer les grandes lignes d'une piste alternative qui me semble intéressante.
Cette réforme passerait par la réorganisation de la DGF en deux dotations: une dotation de base, qui regrouperait un grand nombre de dotations aujourd'hui disparates et une dotation de péréquation. Par ailleurs, la péréquation gérée depuis Paris me semble avoir montré beaucoup de limites. Pour prévoir tous les cas de figure, on a multiplié les dotations et les critères qui se neutralisent bien souvent. Par ailleurs, pour n'oublier personne, on a ouvert en grand les règles d'éligibilité : les 3/4 des communes de plus de 10 000 habitants reçoivent la DSU, 18 000 communes ont le FNP et plus de 33 000 sont éligibles à la fraction, "dite de péréquation" de la DSR.
C'est pourquoi, je pense qu'il serait intéressant de réfléchir à une plus grande responsabilisation des élus locaux sur la péréquation. Cela pourrait passer par l'élection dans chaque région de CFL, comme le vôtre, composés de représentants des maires et des intercommunalités qui seraient chargés d'adapter les critères aux réalités locales.
Il ne s'agit toutefois là aussi que d'une piste. Il reviendra bien sûr à votre comité d'en discuter avec les autres que j'ai évoquées ou encore celles qui vous sembleraient pus pertinentes.
En ce qui concerne l'intercommunalité enfin, il me semble qu'il faut se poser la question du CIF dont les effets pervers ne cessent d'apparaître chaque année un peu plus grands. Je ne dis pas qu'il faille le supprimer, mais il faut le simplifier et surtout le rendre compatible avec le développement de vraies politiques de péréquation au sein des intercommunalités.
Telles sont les grandes orientations qui vous seront prochainement soumises et sur lesquelles j'attendrai avec beaucoup d'intérêt vos remarques et propositions.
Je vous remercie.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 10 juillet 2003)