Texte intégral
La tradition française de l'asile plonge ses racines dans notre plus lointain passé. Aux temps les plus obscurs existaient déjà des clairières sacrées, des sanctuaires inviolables, des refuges pour les proscrits.
L'Eglise codifia ces coutumes, mais ce sont les constituants de 1793 qui ouvrirent les portes de la France "aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté". Ce droit sacré est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, auquel fait référence la Constitution de 1958.
Oui, notre pays est une terre d'asile, même si ses portes se sont parfois fermées, quand le visage de la France était défiguré.
Oui, pour les persécutés, les résistants et les intellectuels qui refusent de se taire devant l'injustice, l'intolérance ou l'oppression, la France reste un havre d'espoir.
Oui, dans ce monde d'incertitude et de violence, il y a plus que jamais besoin de refuge pour les persécutés. La France, qui a des responsabilités particulières ne saurait faillir à ce devoir sacré. Le rapport de la Commission des lois souligne que "le droit d'asile a contribué au rayonnement de notre pays et au crédit qui lui est reconnu dans la défense des libertés et des principes démocratiques, axe majeur de notre diplomatie".
Fidèle à sa tradition, la France a ratifié la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés. Elle a créé en 1952 l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Commission des recours des réfugiés (CRR), en y associant - nous devons être le seul pays à le faire - le Haut-commissariat pour les réfugiés. L'asile conventionnel, celui de Genève, a été complété en 1998, par la loi Réséda et de nouvelles formes de protection : l'asile constitutionnel, accordé à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté, et l'asile territorial, offert aux étrangers menacés dans leur pays ou exposés à des traitements inhumains ou dégradants.
Or ce droit sacré, cette liberté fondamentale, cette valeur de la République, est en crise, profondément, selon les termes mêmes du rapport de la Commission des lois.
Crise de la réalité et non du principe : la France compte bien rester une terre d'asile. Mais les rappels solennels aux grands textes révolutionnaires ou à la Convention de Genève ne suffisent plus. Ils n'apportent guère de réponse aux difficultés quotidiennes des demandeurs d'asile, au désarroi des associations qui les accueillent au découragement des agents de l'Etat dépositaires de cette tradition dont notre pays s'honore. L'honneur des politiques est d'agir avec exigence et lucidité. L'asile doit redevenir réalité.
C'est ce principe de réalisme qui a amené le Conseil européen de Bruxelles des 16 et 17 octobre derniers à inviter le Conseil "Justice et Affaires intérieures" à achever avant la fin de l'année la préparation des directives relatives au statut de réfugié et à ses procédures d'octroi, en vue de "s'attaquer aux abus et à l'inefficacité du droit d'asile, tout en respectant pleinement la Convention de Genève et la tradition humanitaire des Etats membres". Ce principe de réalisme c'est aussi le parti de votre Commission des lois, qui observe que "ce texte obéit à des considérations distinctes de celles qui inspirent le projet de loi sur la maîtrise de l'immigration" et qu'"il vise à donner toute son efficacité au droit d'asile". Enfin, c'est ce principe qui conduit le gouvernement à vous soumettre, après son adoption en première lecture par l'Assemblée nationale, ce projet de loi portant réforme de notre droit d'asile.
Le diagnostic est connu : des procédures redondantes, un dispositif saturé, des délais de réponse insupportables, des centres d'accueil submergés, des réfugiés injustement maintenus dans la précarité pendant de longs mois.
Les causes et les effets de ces dérives sont étroitement liés : le dispositif n'est pas adapté à l'afflux considérable des demandes ; les délais de traitement s'allongent ; trop de demandes d'asile sont infondées ; les coûts explosent.
Première difficulté, l'afflux de demandes.
En 1980, le nombre de demandeurs d'asile était inférieur à 20.000. Il s'établissait à 47.380 en 1992. Devant cet afflux, le législateur a modifié à plusieurs reprises l'ordonnance du 2 novembre 1945. Il s'en est ensuivi de 1993 à 1996, une baisse relative du nombre de demandes.
La reprise des demandes d'asile, consécutive aux événements d'Algérie, s'est poursuivie jusqu'à ce jour. En 2002, l'OFPRA a enregistré 50 500 demandes, auxquelles s'ajoutent plus de 30 000 demandes d'asile territorial déposées auprès des préfectures. Le phénomène est général en Europe. Pour l'ensemble de la communauté, les demandes sont passées de 50 000 en 1983 à 700 000 en 1992. En 2002, l'Union a reçu 65 % des demandes mondiales. C'est pourquoi se négocie actuellement à Bruxelles un nouveau droit communautaire de l'asile, droit qui devra être transcrit dans notre droit national. Mais nous devons agir maintenant, sans attendre un accord définitif sur les directives communautaires.
La deuxième difficulté, inévitable, c'est l'allongement des délais de traitement des demandes. Ce n'est pas une surprise : l'OFPRA, la CCR, comme le ministère de l'Intérieur, sont submergés malgré les moyens nouveaux mis en place depuis dix-huit mois. Les demandeurs d'asile, dont beaucoup ont vécu un calvaire, doivent subir les incertitudes et l'angoisse d'une attente qui peut excéder 18 mois. C'est malheureusement le délai moyen entre le dépôt d'une demande auprès de l'OFPRA et la décision finale de la Commission des recours. Pour l'asile territorial, l'attente est encore plus longue. Pendant cette attente, quelles conditions de vie offrons-nous à ces femmes et à ces hommes ? La précarité qu'ils subissent entraîne avec elle souffrances, incertitudes, fragilités qui exposent à toutes les dérives et toutes les mafias. Les centres d'accueil sont saturés et beaucoup de demandeurs ont recours au dispositif d'urgence prévu pour les sans- abri.
La troisième difficulté, ce sont les détournements de procédures. Certes, cet afflux témoigne de l'aggravation des violations des droits de l'Homme. Des hommes et des femmes n'ont d'autre solution que de fuir leur pays pour échapper à des traitements dégradants, à la torture, à la mort. Mais les personnes réellement persécutées sont loin de représenter la majorité des demandeurs d'asile. Alors qu'il reconnaissait le statut de réfugié à près d'un dossier sur cinq il y a peu, l'OFPRA ne l'accorde plus qu'à moins de 13 % pour l'asile territorial, le taux de décisions favorables n'a pas dépassé 0,3 % en 2002.
Aussi, dans la plupart des cas, ce parcours est-il accompli en pure perte, les demandes se fondant sur des motivations économiques et sociales qui ne relèvent pas du droit d'asile.
Hormis les Algériens, près de 90 % des demandeurs sont entrés irrégulièrement sur notre territoire. Ces candidats à un asile économique recourent aux filières d'immigration clandestine et arrivent en France par voie terrestre ou aérienne : pour des centaines de demandes d'asile à la frontière reçues à Roissy, quelques-unes seulement font l'objet d'un avis favorable du ministère des Affaires étrangères.
Beaucoup de demandeurs abusifs sollicitent notre système d'asile, non pour obtenir la protection de notre pays mais pour s'y maintenir le plus longtemps possible grâce à la longueur des procédures juxtaposées de l'asile conventionnel et de l'asile territorial qui permet de se maintenir trois ans dans notre pays avant le rejet définitif.
Il y a là un véritable détournement de procédure mais lorsqu'ils sont déboutés définitivement, alors qu'ils ont pu se marier, avoir des enfants ou s'installer, comment les expulser ?
Les premiers à pâtir de ces abus sont les véritables demandeurs d'asile, ceux qui ont souffert de persécutions, comme le rapport de la Commission des lois le dit avec force. Devons-nous tolérer plus longtemps qu'une mission à valeur constitutionnelle soit ainsi détournée pour devenir un moyen d'immigration irrégulière ? Soyons lucides : c'est le pacte social et républicain qui est mis en péril.
La quatrième difficulté, enfin, c'est le dérapage des coûts du traitement social de la demande d'asile. Ces demandeurs qui n'ont pas encore le statut de réfugié n'ont pas accès au marché du travail. Alors qu'ils devraient trouver rapidement une vraie place dans notre société, ils sont relégués dans les circuits de l'assistance d'Etat tant que leur situation n'est pas stabilisée en droit.
Dépendants de notre aide sociale, ils contribuent à en déséquilibrer le financement. En quatre ans, le coût du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile est passé de 150 à 496 millions, non comptée l'aide médicale d'Etat, qui peut être évaluée à 700 millions.
Si rien n'est fait, cette tendance ira s'accentuant et cumulera tous les inconvénients : une charge financière de plus en plus lourde, une situation de moins en moins digne pour les réfugiés, une incertitude chaque jour plus pesante. D'autant que nous ne sommes pas en mesure de proposer à tous un hébergement convenable en centre d'accueil. Votre Commission des Affaires étrangères note que "les centres sont saturés et qu'une augmentation de l'ordre de 25 % serait souhaitable". Ceux que nous ne pouvons accueillir sont orientés vers le dispositif généraliste d'hébergement des sans-domicile fixe, qu'ils contribuent à déséquilibrer, quand ils ne sont pas logés provisoirement dans chambres d'hôtel voire livrés à eux-mêmes avec une allocation d'insertion des plus modiques.
Tout cela est déstabilisant pour les demandeurs, peu compatible avec la défense de leur droit puisque la précarité de leur logement les fait vite perdre de vue de l'OFPRA, des préfectures ou des services sociaux qui doivent pouvoir les convoquer. Ils les exposent davantage aux abus.
Cette situation ne peut plus durer. Elle accroît les souffrances morales d'hommes et de femmes déjà éprouvés. Elle décourage les associations. Elle nuit à notre image. En la laissant perdurer, on ne défend pas le droit d'asile, on l'affaiblit.
Au total, que constatons-nous ? Deux régimes, deux guichets - l'OFPRA pour le premier, les préfectures pour le second - deux procédures. Autant d'arcanes, de procédures parallèles voire concurrentes, qui suscitent l'incompréhension, l'impatience et les détournements.
L'asile en France, c'est l'attente, l'inquiétude, la précarité, mais c'est aussi l'opportunisme. En cinq ans, le nombre de demandes, toutes catégories confondues, a quadruplé. En 2002, l'OFPRA a accordé l'asile à 6.500 personnes et le ministère de l'Intérieur à quelques dizaines. Ce nombre est constant en valeur absolue, mais il baisse en valeur relative : il n'y a pas moins de véritables réfugiés, il y a plus de candidats à l'immigration. Telle est la réalité : plus de 90 % des demandes n'ont pu être retenues parce qu'elles se fondaient sur des motivations économiques et sociales, qui méritent sans aucun doute d'être prises en considération mais n'ont pas de lien avec le droit d'asile.
Certes, face à la détresse économique, à la pauvreté, à l'exclusion mondiale, les nations riches doivent venir en aide aux populations démunies. Ce devoir ne s'appelle pas asile mais solidarité, aide au développement, coopération, action humanitaire : le président de la République et le gouvernement en ont fait une priorité, ils tiennent fermement le cap de la progression de notre aide publique au développement.
La confusion entre un choix, l'immigration, et un droit, l'asile, brouille le sens de nos politiques. Elle favorise les détournements des procédures et de l'aide sociale et pénalise ceux qui ont le plus besoin de la protection de la France. Le désordre se combine avec l'injustice. Le président de la République l'a dit le 14 juillet 2002, en qualifiant notre système d'absurde et d'intolérable.
Nous devons y remédier, en trouvant l'équilibre entre rigueur et générosité. C'est en restant fidèles à notre tradition d'asile, tout en luttant contre les abus, que nous apporterons des solutions efficaces et durables.
Présentée au Conseil des ministres du 25 septembre 2002, la réforme qui vous est proposée renouvelle notre droit d'asile.
Elle renforce les garanties offertes aux demandeurs d'asile.
Pour mieux appliquer la Convention de Genève et pour renforcer la protection des demandeurs d'asile - le gouvernement propose d'abandonner le critère de l'origine étatique des persécutions lié à l'interprétation faite par les tribunaux de l'article premier de la Convention. Le statut de réfugié pourra être accordé même si les persécutions proviennent d'acteurs non étatiques, comme c'est de plus en plus souvent le cas. Cette évolution est souhaitée depuis longtemps par le HCR ainsi que par les associations d'aide. Mais la Convention de Genève ne prend pas en compte toutes les violences qui conduisent leurs victimes à fuir leur pays. D'où l'introduction, en 1998, de l'asile territorial dans notre droit avec la loi Réséda.
Nous proposons aujourd'hui de substituer la protection subsidiaire à l'asile territorial, "subsidiaire" parce qu'elle ne sera examinée que si le demandeur ne remplit pas les conditions de l'asile conventionnel prévues par la Convention de Genève. L'OFPRA vérifiera si l'intéressé en relève, avant d'envisager, sinon, l'octroi de la protection subsidiaire.
Les critères de la protection subsidiaire sont plus précis que ceux de l'asile territorial, ce qui devrait diminuer le risque d'arbitraire. Cette hiérarchisation dans l'examen, montre bien que le gouvernement n'a pas l'intention de marginaliser la Convention de Genève. De plus, alors que l'asile territorial laissait une grande marge d'appréciation au ministère de l'Intérieur, l'OFPRA sera tenu d'accorder la protection subsidiaire, dès lors que les critères en seront réunis.
Les officiers de protection de l'OFPRA, spécialistes du droit d'asile, indépendants dans leur jugement et bons connaisseurs des pays d'origine, examineront désormais les demandes. Les recours se feront devant la Commission des recours des réfugiés, avec un caractère suspensif, ce qui n'est pas le cas actuellement devant les tribunaux administratifs.
Second axe, ce texte rationalise les procédures. Un guichet unique : l'OFPRA sera seul compétent en matière d'asile conventionnel et de protection subsidiaire. Une procédure unique : l'OFPRA qualifiera la demande d'asile lors de l'instruction du dossier, évitant le dépôt de demandes successives pour le même motif mais sur des fondements juridiques différents. Un recours unique, devant la Commission des recours des réfugiés.
Cette rationalisation de notre système d'asile va raccourcir le traitement des demandes, sans réduire la protection des demandeurs d'asile. Leur incertitude sera de plus courte durée. La réforme ne sera défavorable qu'à ceux qui misaient sur la longueur de la procédure pour se maintenir le plus longtemps possible sur notre territoire, en violation de notre droit.
Les garanties offertes aux demandeurs d'asile vont être étendues, notamment l'examen au fond de leur demande, la présence d'un conseil au cours des auditions et un recours juridictionnel à effet suspensif pour les deux types d'asile.
La question de la convocation pour l'audition des demandeurs d'asile reste posée avec insistance. Le débat à l'Assemblée nationale a permis de garantir aux demandeurs de pouvoir exposer les éléments de leur dossier. Mais votre Commission des lois propose d'adopter le principe de la convocation, en l'assortissant d'exceptions clairement énoncées. Je me félicite de cet apport, qui rassurera ceux qui s'inquiétaient des intentions du gouvernement.
Plus simple et plus efficace, une procédure unique d'examen des demandes va être instaurée.
Les préfectures restent compétentes pour recevoir les demandes d'asile, quelle qu'en soit la nature, et délivrer des autorisations de séjour aux demandeurs. Chaque demandeur d'asile est entendu par un agent du service compétent de la préfecture. Beaucoup de pays de l'Union européenne considèrent cette étape comme valant entretien systématique : notre service est de meilleure qualité.
L'examen au fond des demandes relèvera désormais du seul OFPRA. Comme le rappelle votre Commission : "la France est le seul Etat de l'Europe des Quinze où l'examen des demandes d'asile se fait sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères".
Troisième axe, ce texte prend en compte les réalités du droit d'asile dans un esprit d'harmonisation communautaire.
L'exemple de Sangatte a montré les inconvénients d'une politique de l'asile disparate au sein des pays de l'Union. L'absence de coordination dans le traitement du droit d'asile déstabiliserait l'Union, les divergences au sein de l'Espace Schengen se traduiraient nécessairement par des flux secondaires de migration, nous devons les éviter.
Avec le Traité d'Amsterdam, nous nous sommes engagés dans la voie. Les directives communautaires encore en discussion, dont le Conseil européen des 16 et 17 octobre vient de demander qu'elles soient finalisées avant la fin 2003, introduisent plusieurs concepts qui renforcent la protection car ils sont plus proches des réalités.
D'abord, l'abandon du critère de l'origine étatique des persécutions.
Depuis la signature de la Convention de Genève en 1951, l'origine et la nature des violences qui justifient le droit d'asile ont changé. Des régions entières échappent à l'autorité des Etats. Des populations locales peuvent être sous la coupe de milices qui les terrorisent. Ces violences gangrènent les sociétés, ces infiltrations mafieuses souvent liées au terrorisme, ces zones "grises" ou de non droit mitent la géographie et la politique.
Désormais, la qualité de réfugié pourra être accordée même si les menaces de persécution sont le fait d'acteurs non étatiques.
Deuxième concept, l'asile interne permettra à l'OFPRA de ne pas retenir la demande d'asile d'une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine et qui pourrait raisonnablement y être renvoyée sans crainte. En bien des endroits, des organisations internationales ou régionales, assurent dans des zones sécurisées la protection des populations menacées, ainsi au Kosovo, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire, en République démocratique du Congo. La France a assumé ses responsabilités en contribuant au succès de ces missions.
Il faut se réjouir de l'émergence de cette nouvelle forme de sécurité collective, ancrée sur la légitimité des Nations unies. Dès lors, n'y aurait-il pas une incohérence à mobiliser la communauté internationale afin d'établir des zones de sécurité, pour refuser ensuite que des populations puissent y trouver refuge ? Comment faire comprendre à nos concitoyens que nous contribuons à des opérations de maintien de la paix, mais que nous refusons de tirer les conséquences sur la gestion du droit d'asile des populations concernées ?
Pour montrer notre confiance dans cette nouvelle forme de sécurité, faisons en sorte que les populations restent sur place dès lors qu'elles n'y sont pas en danger. Accorder l'asile, ce serait donner un signal aux persécuteurs qui attendent le désengagement de la communauté internationale. Ce serait couper les populations de leur environnement, de leurs racines. Ce serait, une fois la paix revenue, les astreindre à de nouveaux efforts de réinsertion. Leur accorder l'asile, ce serait favoriser la fuite des forces vives d'une région, rendre sa reconstruction plus difficile.
Je n'arriverai jamais à me convaincre que l'asile ailleurs est préférable à l'asile chez soi. La notion d'asile interne est utilisée par la plupart de nos partenaires européens ainsi qu'aux Etats-Unis, au Canada ou en Suisse.
Troisième concept, celui de pays d'origine sûr, c'est-à-dire les Etats de droit où des persécutions ne sauraient être perpétrées, autorisées ou demeurer impunies.
Chacun comprend qu'une demande d'asile soit traitée différemment selon qu'elle provient d'un Etat de droit ou d'une dictature. C'est un mécanisme comparable à celui de la clause dite de "cessation" de la Convention de Genève, que l'OFPRA applique aux réfugiés dont le pays est redevenu sûr et qui a été étendu en 1993 à l'admission au séjour des demandeurs d'asile.
Il ne s'agit pas de rejeter systématiquement les demandes d'asile déposées par des ressortissants de pays d'origine sûrs, ni de les considérer comme irrecevables, mais de traiter ces demandes selon une procédure accélérée, dite "prioritaire", avec la garantie d'un examen au fond de chaque dossier, conformément à nos principes constitutionnels.
Sur le plan européen, nous devons rapidement fixer une liste commune de pays présumés sûrs, sur la base de critères communs, facilement révisables pour tenir compte des évolutions de la situation internationale. La récente rencontre des ministres de l'Intérieur à La Baule en a confirmé le principe et l'urgence.
Cette liste sera probablement annexée à la directive en préparation. D'ici là, le conseil d'administration de l'OFPRA, où siègent le H.C.R. et des représentants de la société civile, sera chargé d'établir une liste provisoire.
Le renforcement des moyens en personnel de l'OFPRA et de la Commission de recours des réfugiés a été engagé en loi de finances pour 2003.
Cet effort se poursuit. Je souscris à cet égard à l'analyse qu'en fait votre Commission des Affaires étrangères quand elle souligne qu'il "est indispensable de poursuivre les efforts de productivité déjà entrepris et de garantir les moyens humains et matériels consacrés aux droits et aux demandes en cours".
Fin 2002, 35.000 dossiers étaient en instance contre à peine plus de 15.000 à la fin de l'année. C'est que le nombre de décisions rendues par l'office est passé de 40 000 en 2001 à plus de 65.000 sans doute en 2003. A ce rythme, l'OFPRA traitera bientôt en moyenne une demande en quatre mois, contre plus de huit mois fin 2002. Nous parviendrons à l'objectif de deux mois assigné par le président de la République à l'été 2004.
Ceci ne s'est pas fait sans une forte mobilisation du personnel de l'office, ni sans moyens supplémentaires. Après une augmentation de 125 % en trois ans, la subvention à l'OFPRA et à la CRR va être portée à 36,2 millions d'euros pour 2004. Ce montant recouvre notamment la création ou la consolidation de 196 emplois supplémentaires. Je sais pouvoir compter sur votre soutien vigilant, tel que l'expriment les rapports de vos deux Commissions.
Votre Commission des Affaires étrangères estime avec raison que "le coût global de la politique d'asile doit être mieux connu". Elle propose de créer des actions spécifiques dans les programmes de chaque ministère concerné par l'asile et de mettre en place un projet concentré de politique interministérielle, sous la direction du ministère des Affaires étrangères. Quel que soit le chef de file retenu, je retiens cette proposition constructive et conforme à l'esprit de gestion par objectifs de la loi organique relative aux lois de finances.
Cette réforme est destinée à rendre toute sa portée et tout son sens à la tradition française d'accueil des opprimés. Au-delà des considérations d'efficacité et d'équité, je considère que c'est une question d'honneur pour notre pays.
Les constituants ont pris il y a deux siècles un engagement devant les hommes et devant l'histoire. Les combattants de la liberté, les victimes de l'oppression, les proscrits doivent être accueillis dans la dignité. Et il n'est plus tolérable que leur arrivée dans notre pays soit synonyme d'attente, d'inquiétude et d'injustices.
Il ne faut plus que les désordres de notre dispositif d'asile soient porteurs d'incertitude et de précarité. Rendre sa force au droit d'asile, c'est favoriser le rayonnement de la France. C'est confirmer l'engagement de notre pays en faveur des libertés. Redonner de la vigueur au droit d'asile, c'est affirmer devant le monde que la France continue à vivre ses valeurs et sa tradition, qu'elle demeure attachée au principe de justice qui doit guider la construction du monde nouveau.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 octobre 2003)