Déclaration de M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, sur les succès et les lacunes de l'intercommunalité et les propositions pour remédier aux dysfonctionnements, Paris le 21 juin 2005.

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Circonstance : Examen de l'avis "Communes, intercommunalités, quels devenirs ?" au Conseil économique et social le 21 juin 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Conseillers,
Permettez-moi, tout d'abord, de saluer votre président, Monsieur Jacques DERMAGNE, et de le remercier de son invitation. Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour débattre d'un thème que j'estime fondamental, celui de l'intercommunalité.
Comme nouveau ministre délégué chargé des collectivités territoriales, c'est un honneur pour moi que de pouvoir m'exprimer ici, au Palais d'Iéna, autour d'un Conseil réuni en assemblée plénière.
Je voudrais manifester, à cette occasion, toute l'estime que j'ai pour votre institution dont les rôles de conseil et de dialogue ont toujours été indispensables à l'élaboration d'une politique. Soyez convaincus que, dans l'exercice de mes nouvelles fonctions, je n'hésiterai pas à vous saisir, vous interpeller, vous consulter, vous écouter.
La composition de votre assemblée fait de cette institution un rassemblement unique des forces vives de notre pays. Femmes et hommes provenant d'horizons professionnels et sociaux très divers, vous partagez ensemble cette volonté d'éclairer la politique des pouvoirs publics toujours dans le sens de l'action et de l'innovation.
La présence d'un Conseil économique et social dans les différentes régions de France, notamment en Auvergne où je suis élu, contribue aussi grandement, à mes yeux, à la qualité de vos travaux.
Ma philosophie a toujours été de penser que c'est en étant sur le terrain et en écoutant les préoccupations locales que l'on peut construire efficacement une politique fidèle aux attentes des Français.
Permettez-moi, donc, de rendre hommage aux différents travaux de grande qualité menés ces dernières années par vos soins et qu'en tant qu'élu, j'ai toujours suivi assidûment. En donnant un éclairage neuf, vous concourez à l'élaboration d'une politique équilibrée et mature. Il n'est pas aujourd'hui de politique économique ou sociale digne de ce nom qui n'ait pris en compte l'avis du Conseil économique et social.
Vous l'avez compris, débattre aujourd'hui de l'intercommunalité en votre compagnie représente un moment précieux pour moi, à la fois comme ministre délégué chargé de ces questions et en ma qualité d'élu d'Auvergne.
Je tiens d'ailleurs à saluer l'effort fourni par le Conseiller, Monsieur Pierre-Jean ROZET, grâce au travail duquel nous sommes réunis aujourd'hui. La qualité de son rapport n'aura échappé à personne et ses propositions retiennent toute mon attention.
L'intercommunalité, vous le savez, n'est pas un sujet inexploré. Cela fait même plus de vingt ans qu'on en parle!
Ce qui est nouveau, en revanche, c'est que le phénomène concerne aujourd'hui plus de 82% des Français, même si ces derniers n'en ont pas toujours conscience.
Pourquoi tant d'engouement ?
- D'abord parce que dans un pays qui compte plus de 36.000 communes, le regroupement est une nécessité absolue. Voyez ces petites communes isolées, retirées qui ne peuvent plus assurer un service de proximité à leurs administrés! Voyez aussi ces communes dont les intérêts sont imbriqués au sein d'une agglomération! Pour toutes celles-là, l'intercommunalité constitue un besoin réel.
- De plus, il est vrai que, depuis une quinzaine d'années, un ensemble de lois a permis d'envisager, tant institutionnellement que financièrement, le processus de manière plus souple, loin des formules autoritaires qui avaient échoué dans le passé. Techniquement, l'intercommunalité est devenue réalisable.
Le seul cadre juridique ne suffisait pourtant pas. Seules la détermination et l'engagement des élus locaux ont pu concrétiser puis accélérer le processus durant ces dernières années.
Les résultats sont probants: l'intercommunalité à fiscalité propre compte aujourd'hui 2.525 établissements publics de coopération intercommunale, regroupant ainsi 32.311 communes soit 52 millions d'habitants.
Je sais à quel point il a fallu foi et persévérance pour pouvoir arriver jusque-là. Je sais aussi que beaucoup de projets n'ont pu être réalisés que dans la difficulté, dans la douleur même, mais toujours dans le souci de l'intérêt général.
Les communes s'étant observées pendant de nombreuses années en chiens de faïence, apprendre à travailler ensemble a constitué pour elles un véritable défi. Il leur a fallu convaincre les sceptiques, ménager les susceptibilités, surmonter les divisions, soutenir leurs projets. N'oublions pas que ce qui vous semble aujourd'hui une évidence n'était pas hier une sinécure.
Les choses ne sont toujours pas aisées. Le succès actuel de l'intercommunalité cache encore bien des difficultés.
Les chiffres que je vous mentionnais il y a quelques instants oublient par exemple d'indiquer les fortes disparités qui existent selon les formes choisies d'intercommunalité. Si les 14 communautés urbaines et de plus en plus d'agglomérations fonctionnent bien, de nombreuses communautés de communes cherchent toujours leur place dans le paysage institutionnel local et, une fois engrangé l'effet d'aubaine fiscale, ne revendiquent même pas toujours une existence propre! Trop de coquilles vides ou qui peinent à se remplir, selon l'expression utilisée récemment par le Ministre d'Etat.
Alors, quel avenir devons-nous tracer pour l'intercommunalité?
Conscients des nombreuses interrogations qui subsistent aujourd'hui, nous tenterons, avec l'éclairage du rapport de M. ROZET, de répondre ensemble à ces questions: Quelle identité pour demain? Quel avenir financier? Comment faire mieux sans forcément faire plus?
1. La loi du 13 août 2004
Vous le savez, l'intercommunalité a vu son cadre juridique rénové l'année dernière à travers certaines dispositions de la loi "libertés et responsabilités locales" du 13 août 2004.
Sans être révolutionnaire, cette loi a eu au moins pour mérite de rendre l'intercommunalité plus lisible, plus fluide et, sans doute, plus accessible aux citoyens. L'objectif de cette réforme était d'accélérer le processus engagé tout en prenant soin de respecter les identités de chacun.
Il s'agissait d'abord de rendre la carte de l'intercommunalité plus cohérente en rendant possible ce qui ne l'avait pas été jusqu'alors:
- la transformation directe de syndicats en communautés de communes ou en communautés d'agglomérations ;
- la fusion de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en un seul groupement à fiscalité propre;
- et enfin un effort pour faire coïncider l'intercommunalité avec les bassins de vie et d'emploi, pour éviter que les regroupements opérés ne reposent uniquement sur des affinités politiques ou personnelles.
La loi a aussi voulu simplifier l'intercommunalité en adoptant toute une série de mesures pratiques comme l'harmonisation des conditions de majorité, le contenu minimum des statuts, la répartition des sièges
La loi a souhaité, enfin, dégager un intérêt communautaire substantiel et donner plus de moyens à l'intercommunalité et ce, sans léser qui que ce soit, notamment les petites communes qui craignent bien souvent que leur identité se dilue petit à petit.
Soyons clairs: l'intercommunalité doit permettre aux communes qu'elle associe de dépenser moins tout en offrant une meilleure prestation grâce aux synergies et aux économies d'échelle.
Ainsi, l'objectif de la loi du 13 août 2004 était le suivant: tant les communes que les communautés devaient y trouver leur compte et progresser. Il s'agissait d'établir là un couple gagnant-gagnant.
2. Je crois aussi que le modèle intercommunal connaît des limites qui doivent être regardées en face
Il relève de mes fonctions de les apprécier avec lucidité et objectivité. Si la progression quantitative et l'extension spatiale des communautés sont incontestables, j'entends aussi les voix de ceux qui ne sont pas pleinement satisfaits par le fonctionnement actuel de l'intercommunalité. On a sans doute ici et là trop cherché ces dernières années à couvrir le territoire sans chercher à gérer et à développer avec la même attention des projets de fond.
Autant de griefs dont nous devrons nous occuper:
- Il existe, tout d'abord, trop de redondances entre les structures administratives des communes et celles de leurs groupements.
Quoi de plus légitime, en effet, que de s'interroger sur les nouvelles charges que ces établissements publics font peser sur le contribuable local, qu'il s'agisse d'un particulier ou d'une entreprise? Frais de personnel, frais de siège, d'intendance, de communication Les dépenses sont lourdes et nombreuses.
Ces contraintes budgétaires pesant certes sur l'Etat mais aussi sur les collectivités territoriales, nous devons nous interroger.
La logique aurait sans doute voulu qu'une intercommunalité soit, avant tout, une source d'économies. Les dépenses engagées au nom de l'intercommunalité doivent permettre non pas de moins augmenter mais tout simplement de réduire les dépenses des communes cumulées.
- Autre grief important: la définition de l'intérêt communautaire reste trop souvent formelle ou superficielle. Si nous voulons éviter les doublons administratifs, il nous est essentiel de bien le définir.
Vous n'êtes pas sans savoir que le délai prévu pour définir l'intérêt communautaire doit être prolongé d'une année. Les groupements de communes auront donc jusqu'au 18 août 2006 pour y parvenir. Soyez convaincus que je mettrai à profit ce délai supplémentaire pour que la démarche intercommunale puisse se poursuivre sur des bases claires. Il nous faut un intérêt communautaire substantiel qui concerne les compétences essentielles, qui soit défini précisément et dont le respect devra être assuré fermement.
- L'exercice effectif des compétences transférées pose également des difficultés. Or, là encore, on ne peut pas se contenter de compétences qui, après plusieurs années d'existence de l'intercommunalité, ne soient exercées que partiellement. Une telle situation est source de gaspillage et d'incompréhension pour les citoyens usagers.
De la même manière, il n'est plus acceptable que l'intercommunalité cautionne une politique anarchique de multiplications d'équipements publics de nature identique et juxtaposés les uns aux autres.
Les stratégies d'investissement communautaires doivent générer de véritables synergies, sources d'un service public de meilleure qualité mais aussi d'économies pour le contribuable local.
- La répartition des charges de centralité revient aussi très souvent dans les commentaires négatifs. De quoi s'agit-il ? Un nombre croissant de maires de villes moyennes et de bourgs importants en milieu rural jugent inéquitable la répartition de la compensation des charges entre le centre et la périphérie.
Ce sentiment est parfois accentué par les règles de majorité qui s'appliquent au sein des conseils communautaires et qui peuvent apparaître frustrantes pour les communes les plus peuplées ou les plus riches.
- Enfin, la critique la plus aiguë porte sur le manque de projets susceptibles de fédérer les énergies locales. De nombreuses communautés de communes éprouvent des difficultés pour piloter de véritables projets intercommunaux. La meilleure preuve est que le nombre de syndicats à vocation unique ou multiple n'a quasiment pas diminué alors que la multiplication des groupements en milieu rural aurait dû entraîner la disparition de beaucoup d'entre eux.
3. Face à ces critiques, nous devons améliorer le système actuel avant même de songer à le développer.
L'avenir de l'intercommunalité est d'abord de tirer les leçons de ses succès et de ses lacunes. On a sans doute trop souvent voulu faire de la quantité au détriment de la qualité. C'est donc un problème de positionnement, plus que de vitesse, auquel nous sommes aujourd'hui confrontés.
Pour y remédier, explorons ensemble les pistes suivantes:
1) La première consiste à réaffirmer avec force que la vocation première de l'intercommunalité à fiscalité propre est de générer des idées neuves, c'est-à-dire des projets à l'échelle pertinente et qui dégagent des synergies incontestables.
Pour y parvenir, plusieurs voies sont envisageables :
- convertir une partie de la bonification de la dotation de fonctionnement des communautés de communes en dotations d'équipement dont le versement serait conditionné à l'effectivité de projets locaux définis au titre de l'intérêt communautaire ;
- prévoir, après avis de la commission départementale de coopération intercommunale, la possibilité pour le préfet de retirer à un EPCI la bonification de sa dotation de fonctionnement lorsque l'intérêt communautaire mentionné dans les statuts du groupement de communes demeure superficiel et imprécis ou qu'il tarde à se concrétiser. Ce retrait pourrait être précédé d'une lettre d'avertissement de la préfecture ;
- offrir aux communautés de communes de moins de 10.000 habitants la possibilité de contractualiser avec l'Etat à condition qu'elles portent des projets innovants en matière de maintien ou de retour des services publics en milieu rural. Un contrat de même nature pourrait être envisagé, cette fois en zone urbaine, pour les EPCI qui revendiqueraient la faculté de se doter d'une compétence forte en matière d'acquisition foncière.
2) La seconde voie consiste à aller plus loin dans la clarification des relations entre structures intercommunales et communes.
Cette clarification concerne d'abord la pertinence des périmètres des intercommunalités existantes. A cet égard, le rôle des préfets doit être réaffirmé pour relancer la recherche de la taille et de la masse critique, notamment pour ce qui concerne les 1.500 communautés de communes de moins de 10.000 habitants dont il n'est pas établi que chacune d'entre elles correspond bien à un bassin de vie ou d'emploi.
Par ailleurs, la question des charges de centralité devra recevoir rapidement un début de réponse pour désamorcer la grogne naissante. On pourrait, par exemple, agir sur le taux de progression annuelle de la dotation de solidarité communautaire pour assurer aux villes-centres une indexation de cette dotation même en cas de désaccord des communes périphériques.
Enfin, je crois qu'il est souhaitable de valoriser le "couple institutionnel" que forment communes et communauté en mettant l'accent sur le caractère essentiel du comportement des acteurs.
Avant de conclure, je souhaiterais répondre à une question soulevée dans votre rapport, celle de l'identité politique de l'intercommunalité. Selon moi, l'heure n'est pas encore à l'élection au suffrage universel. Je crois que les esprits n'y sont pas prêts et que ce n'est pas un hasard si cette question, soulevée dès 1976 par le rapport Guichard, n'a toujours pas trouvé de traduction législative 30 ans après.
Ceci étant dit, il est évident que le dialogue doit continuer et que d'autres mutations sont à venir. L'intercommunalité est en marche, elle connaît des évolutions rapides et fortes.
Son avenir reste en grande partie à inventer d'abord sur le terrain, mais aussi à travers une vraie réflexion à mener, par exemple sur la requalification juridique des communautés, sur l'évolution des principes d'exclusivité et de spécialité ou encore sur les ressources futures des groupements.
Je suis déterminé à poursuivre cette réflexion avec vous et ce, pour nos territoires, pour nos communautés, pour notre pays. Avec courage, lucidité et détermination, nous parviendrons à faire de l'intercommunalité un acteur majeur de nos collectivités et surtout utile au paysage français.
Merci de votre attention.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 22 juin 2005)