Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la réforme de l'Etat et la modernisation des impôts locaux, Nantes le 24 juin 2005.

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Circonstance : Etats généraux des élus locaux des Pays de la Loire à Nantes (Loire-Atlantique), le 24 juin 2005-discours de fermeture

Texte intégral

A l'issue de cette matinée de débats intenses et passionnés, je tiens, d'emblée, à vous adresser mes chaleureux remerciements pour votre participation, et plus encore, pour la richesse et la sincérité de nos échanges.
C'est pour moi une immense joie de vous avoir réuni, un peu comme en famille, afin de débattre sans préjugé et de dialoguer sans tabou, sur l'avenir de la décentralisation. C'est aussi cela la méthode sénatoriale !
Au-delà de nos différences, j'ai encore pu mesurer ce matin combien nous partagions une conception à la fois exigeante et ambitieuse de la décentralisation.
Bien plus qu'un simple constat, il s'agit, à mes yeux, d'un véritable motif de réjouissance.
Car dans un monde globalisé, souvent perçu comme une menace, dans une Europe aujourd'hui en panne, qui a perdu sa propension à faire rêver, dans une France meurtrie par la gangrène du chômage, les collectivités locales jouent un rôle déterminant pour le maintien du lien social et la préservation, coûte que coûte, du " vivre ensemble républicain ". Plus qu'un simple " espace de vie ", nos collectivités constituent pour nos concitoyens tout à la fois un ancrage, un repère et un refuge.
A bien des égards, la décentralisation apparaît comme la réponse à cette crise endémique de la démocratie représentative.
La démocratie locale permet, en effet, de satisfaire l'immense besoin d'enracinement et de proximité qu'expriment nos concitoyens.
Mais je ne céderai pas à la tentation délétère du pessimisme. Car ces États généraux des élus locaux des Pays de la Loire ont confirmé une intime conviction : la France peut compter sur ses élus locaux pour mener à bien cette exaltante mission de préservation de notre République.
C'est l'occasion pour moi de leur rendre l'hommage qu'ils méritent.
- Alors merci à vous qui, ceints de votre écharpe tricolore, incarnez la devise républicaine, la trilogie inscrite au fronton de nos mairies.
- Merci à vous, les " nouveaux Hussards de la République ", les " fantassins " de la démocratie locale, vous qui mettez toute votre énergie et toute votre détermination pour faire battre le cur de nos territoires et préserver notre pacte républicain aujourd'hui malmené.
Sans revenir, rassurez-vous, sur l'ensemble des questions évoquées ce matin, je voudrais simplement vous livrer mes réflexions, d'une part, sur le rôle des collectivités locales comme moteur d'une nouvelle " ère territoriale " et, d'autre part, sur les moyens qu'il nous faudra mobiliser pour relever ce défi.
D'emblée, je voudrais " tordre le cou " aux idées reçues : NON la décentralisation ne signifie pas la fin de l'État, NON la décentralisation n'emporte pas l'abandon de la solidarité nationale.
Bien au contraire, la décentralisation, c'est le nécessaire prélude à l'indispensable réforme de l'État. La décentralisation ce n'est pas moins d'État, c'est mieux d'État.
Mieux d'État, c'est un État recentré sur ses fonctions régaliennes, un État concentré sur son indispensable rôle de stratège et son irremplaçable mission de garant et de gardien de l'égalité des chances entre les hommes et entre les territoires.
Décentraliser ce n'est pas brader la solidarité nationale : c'est simplement redonner un peu de muscle à l'État, en l'allégeant des compétences dont les collectivités territoriales s'acquittent avec davantage d'efficience.
Action sociale, éducation, aménagement du territoire, transports, formation professionnelle, environnement, culture... autant de politiques pour lesquelles les collectivités locales ont fait leurs preuves ces vingt dernières années.
L'exemple de la gestion immobilière des écoles, des collèges et des lycées en fournit un témoignage éclatant.
Mais rien n'aurait été possible, ou si peu, sans le dévouement, le dynamisme, l'énergie, le talent et la détermination des femmes et des hommes qui, aux côtés des élus, incarnent au quotidien la gestion de proximité.
Alors ne les oublions pas et saisissons l'opportunité de l'acte deux de la décentralisation, et de l'intégration dans nos collectivités locales des personnels techniques, ouvriers et de service (TOS) et autres agents des directions départementales de l'équipement, pour procéder à la nécessaire modernisation du statut de la fonction publique territoriale.
Cette modernisation passe, à mon sens, par davantage de souplesse, en simplifiant notamment les modalités de recrutement. Elle passe aussi par davantage de compétence, en renforçant l'offre et la qualité de la formation tout au long du parcours professionnel. Elle passe enfin par davantage de reconnaissance en favorisant la prise en compte du " talent " de chacun.
Tel est, je le crois, le chemin à suivre afin de conférer à la fonction publique territoriale l'attractivité qui lui fait encore trop souvent défaut. Vous pouvez compter sur moi et sur le Sénat pour mener à bien cette réforme.
Chers amis, j'ai pu mesurer ce matin, pour m'en réjouir, combien les élus locaux des Pays de la Loire étaient prêts à assumer de nouvelles responsabilités. Le jugement positif que vous portez sur l'acte deux de la décentralisation illustre, en effet, cet esprit volontariste qui vous caractérise et vous honore.
- Comme vous, je suis convaincu que la participation des collectivités locales aux politiques de l'emploi renforcera leur efficacité. Les nouveaux contrats d'avenir, qu'il nous faut apprivoiser, en seront une probante illustration.
- Comme vous, je crois qu'on ne peut pas mener une politique de logement social ambitieuse sans associer l'expérience éclairée des élus locaux. Leur connaissance du " terrain " est en effet un bien trop précieux pour s'en priver. La délégation des aides à la pierre aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale démontrera, une fois de plus, tous les bienfaits de la gestion de proximité.
- Enfin, comme vous, je crois qu'une société fragilisée, en perte de repères, où l'école de la République laisse sur le " bord du chemin " de trop nombreux jeunes, doit davantage associer les collectivités locales à l'éducation. Il en va de l'avenir de notre pays, de notre capacité à former, à intégrer et à préparer les jeunes générations à exercer leurs responsabilités de citoyens. Il va de notre aptitude à remettre en marche " l'ascenseur social " !
Vous l'avez compris, je partage avec vous cet élan décentralisateur et je soutiens, sans retenue, vos aspirations à exercer toujours plus de responsabilités.
Mais ces États généraux des élus locaux des Pays de la Loire m'incitent, encore une fois, à ne pas pécher par un optimisme béat. Car vous le savez, " chat échaudé craint l'eau froide "... !
Ceux qui me connaissent savent qu'il n'est pas dans mes habitudes de manier la langue de bois ni de me voiler la face !
Alors une nouvelle fois, je le répète, il nous faut exercer, encore et toujours, un devoir de vigilance. Car nous avons l'obligation de réussir l'acte deux de la décentralisation ! Son échec sonnerait le glas d'une réforme en profondeur de notre pays.
Or, nous le savons tous, l'une des clefs de la réussite de la décentralisation passe, à l'évidence, par l'établissement de relations financières saines, sûres et sereines entre l'État et les collectivités territoriales.
C'est pourquoi le Sénat, fort des enseignements tirés des dix-sept États généraux des élus locaux, a obtenu l'inscription dans la Constitution de principes forts, de principes protecteurs de l'autonomie locale, de principes garants de relations apaisées entre l'État et les collectivités locales.
À mon sens, deux conditions doivent être réunies pour que la décentralisation produise pleinement ses effets bénéfiques.
- Première condition : l'État doit compenser intégralement les nouvelles compétences dévolues aux collectivités locales.
En ce sens, le transfert de la taxe intérieure sur les produits pétroliers et de la taxe sur les conventions d'assurance aux régions et aux départements constitue un premier motif d'espérance.
Pour faire face à l'augmentation des charges dans les années à venir, les collectivités locales devront bénéficier d'impôts dynamiques et modernes dont elles voteront les taux.
- Seconde condition : il nous faut engager, sans délai, mais aussi sans tabou, la réforme des finances et de la fiscalité locales. Un chiffre : 78 % d'entre vous considèrent que les moyens financiers mis à leur disposition sont notoirement insuffisants. Je les comprends ! Ces moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux de la décentralisation.
La refonte engagée des concours financiers de l'État, c'est-à-dire des dotations, vers davantage de péréquation, est donc essentielle.
Mais la réforme en cours de la dotation globale de fonctionnement démontre combien la résolution de l'équation n'est pas chose facile. Il nous faut, en effet, définir un mécanisme permettant à la fois de contribuer au financement des charges imposées par l'Etat, de réduire les inégalités et de garantir un niveau minimal de ressources aux collectivités locales.
Les réformes de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR) concourent au renforcement de la péréquation, à la " réalisation " de cet objectif constitutionnel de solidarité entre les territoires auquel vous êtes légitimement attachés en Pays de la Loire.
Au total, si le nouveau " potentiel financier " et la rénovation des critères d'attribution des dotations vont dans le bon sens, la réforme des concours financiers demeure encore perfectible. Alors de grâce, ne la remettons pas au lendemain !
C'est aussi dans cet esprit réformateur que les élus locaux des Pays de la Loire souscrivent à l'objectif de modernisation des impôts locaux.
Mais en la matière, vous posez une condition à toute évolution des règles du jeu : le maintien de votre pouvoir de lever l'impôt, pouvoir essentiel qui constitue à vos yeux une composante fondamentale du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales.
En effet, la réforme de la fiscalité locale ne saurait, par une sorte de facilité intellectuelle, se solder par la seule disparition d'impôts et leur remplacement par des " dotations à la merci de Bercy ".
C'est à la lumière de ces principes que je voudrais à présent vous livrer mes réflexions sur l'avenir de la fiscalité locale.
- Sur la taxe professionnelle, d'abord : les choses sont désormais très claires.
Le Premier ministre vient d'annoncer que la réforme de la taxe professionnelle passerait par un allègement limité aux seules entreprises les plus taxées, c'est-à-dire celles dont l'imposition au titre de la taxe professionnelle dépasse 3,5 % de leur valeur ajoutée.
En tant que Président du Sénat, gardien de l'autonomie fiscale et financière des collectivités locales et veilleur vigilant de la décentralisation, cette décision ne me choque pas !
Bien au contraire ! Car elle procède d'une démarche pragmatique. Elle constitue une solution de compromis qui maintient " l'équilibre du pendule " entre d'une part, une imposition mesurée des entreprises et d'autre part, l'attribution aux collectivités locales d'une ressource dynamique.
Pour les entreprises, cette décision annihile toutes les craintes de transferts de fiscalité de l'industrie vers les services.
Pour les collectivités locales, elle répond aux trois objectifs que j'assigne à une imposition économique locale :
- Premier objectif : préserver un lien entre les collectivités territoriales et leur environnement économique. C'est essentiel !
- Deuxième objectif : inciter au développement de l'intercommunalité et renforcer la péréquation. C'est une nécessité !
- Troisième objectif : respecter le principe d'autonomie financière des collectivités locales. C'est une obligation !
Certes, les propositions de la Commission FOUQUET de remplacer la base actuelle de taxe professionnelle par une assiette mixte fondée pour 80 % sur la valeur ajoutée et pour 20 % sur la valeur locative foncière, et de supprimer la part régionale de la taxe professionnelle, ont eu le mérite d'ouvrir un débat passionné et constructif ; mais elles étaient trop ambitieuses dans leur portée et trop incertaines dans leurs effets pour avoir une chance d'aboutir.
Au final, le gouvernement a, je le crois, suivi la bonne direction, en empruntant la " voie de la sagesse " et celle du respect de l'autonomie financière des collectivités locales !
- Deuxième impôt sur la sellette, la taxe foncière sur les propriétés non bâties, dont l'annonce de l'exonération pour les exploitants agricoles n'a pas manqué de soulever interrogations, perplexités et inquiétudes.
Le Sénat a mis en place un groupe de travail, au sein de sa commission des finances. Plusieurs pistes de réformes sont actuellement à l'étude comme le remplacement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties par la création de deux impôts distincts : l'un assis sur la propriété foncière (à la charge du propriétaire), l'autre assis sur la production (à la charge de l'exploitant agricole). Jean ARTHUIS vous en a parlé ce matin. Son groupe de travail rendra ses conclusions dans les tous prochains jours. Je n'y reviens pas.
- Enfin, troisième impôt décrié, la taxe d'habitation dont une majorité d'entre vous estime qu'elle est aussi injuste qu'obsolète. Je partage ce point de vue et formule à mon tour le souhait que le gouvernement considère sa remise à plat comme une " ardente obligation ".
En la matière, la " feuille de route " semble claire : la révision des bases, dont la dernière remonte aux années 70, constitue la piste de réforme privilégiée.
C'est à ce prix que nous parviendrons à moderniser la taxe d'habitation et à réduire considérablement les inégalités entre les contribuables. Mais, je n'en dirai pas plus...
Mesdames, messieurs, vous l'avez compris, les espérances sont nombreuses et les difficultés multiples ...
Je ne doute pas que le gouvernement saura y répondre afin de doter nos collectivités locales d'impôts modernes, justes et dynamiques.
En conclusion, je voudrais vous redire ma conviction qu'il nous revient de bâtir, ensemble, les fondements de notre France décentralisée, de notre République des territoires.
Comme les précédents, ces États généraux des élus locaux des Pays de la Loire, incarnation de la méthode sénatoriale, ne resteront pas lettre morte. Ils permettront d'alimenter notre réflexion et d'enrichir les débats qui ne manqueront pas de se poursuivre dans les mois à venir.
Alors ensemble, tournons nous résolument vers l'avenir pour démontrer toute l'énergie, toute la vivacité et toute la vitalité de nos territoires, au service d'une France moderne, d'une France humaine, d'une France solidaire
(Source http://www.senat.fr, le 29 juin 2005)