Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, et dossier de presse sur la réforme de l'Etat, Paris le 14 septembre 1995.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Séminaire gouvernemental sur la réforme de l'Etat. Paris le 14 septembre 1995

Texte intégral

(Intervention de M. Alain Juppé)
Dans de nombreux secteurs de l'action publique, qu'il s'agisse de la santé, de l'éducation, de la justice, de la sécurité, les Français n'attendent pas moins de l'État aujourd'hui qu'hier.
Le besoin de réformes qui s'est exprimé au cours de la campagne présidentielle est cependant porteur d'exigences nouvelles à l'égard de l'État.
Il traduit, en effet, l'existence d'une certaine insatisfaction à l'égard de son fonctionnement actuel.
La dernière réforme d'importance de l'organisation des pouvoirs publics, la décentralisation, remonte au début des années 80. Depuis, la France a changé. Elle a vu monter de nouveaux périls : le chômage, l'exclusion, l'inadéquation de son système éducatif, le déséquilibre du territoire, l'apparition de nouvelles maladies comme le SIDA. Autant de défis pour la société toute entière mais plus particulièrement pour les grands systèmes administratifs.
Confronté à cette situation, l'État a fait front, tant bien que mal. Il n'a pas pris cependant le temps d'un réexamen de ses méthodes et de ses structures.
De la période récente, les Français gardent, dans l'ensemble, l'image d'un État dispendieux, dépassé par les problèmes auxquels il est confronté, figé dans ses organisations et ses procédures.
Ce jugement dicte les objectifs de la nécessaire réforme de l'État qu'il faut désormais entreprendre sans délai. L'État doit être efficace ; il doit être économe de l'argent public ; il doit être, enfin, davantage accessible au citoyen.
Les axes de cette entreprise de réforme sont nombreux. Il faut aller au terme du mouvement de décentralisation, interrompu avant d'être achevé, en clarifiant les compétences et les financements. Il faut engager, avec la même ambition, la déconcentration : accroître la part des personnels et des crédits gérés au plan local, assouplir les procédures de gestion pour développer la responsabilité des décideurs plus proches du terrain ; réorganiser les services en quelques grands pôles reflétant les missions principales de l'État ; donner au Préfet les moyens d'exercer pleinement sa mission de coordination gouvernementale.
Il faut mettre un terme à la dérive des coûts de l'intervention publique dont le dérapage accroît exagérément l'emprise de l'État sur l'économie et le revenu des Français.
Il faut, parallèlement, lutter contre la concentration excessive du pouvoir au profit des administrations financières qui déresponsabilise et démotive le reste des services.
Il faut, avant tout, se préoccuper du citoyen. S'il est un domaine où la modestie de l'État a un sens c'est bien celui du service du public, de la facilité d'accès à l'administration, de l'édiction de normes simples, de réglementations compréhensibles en nombre raisonnable.
Le Président de la République a clairement indiqué qu'il souhaitait faire de cette réforme l'une des grandes volontés du septennat.
J'ai, pour ma part, la ferme détermination qu'elle constitue l'un des axes prioritaires de l'action du gouvernement.
La démarche que j'ai définie pour y parvenir essaye de tenir compte des erreurs du passé.
- J'ai souhaité que la réflexion gouvernementale soit courte car l'expérience l'a montré, les processus trop longs ont tendance à s'enliser en chemin.
Entre la circulaire du 26 juillet 1995, dans laquelle j'ai fixé les orientations du travail gouvernemental, et la publication du plan triennal de réforme de l'État, il se sera écoulé moins de quatre mois. Cette rapidité est possible car vos propositions peuvent s'appuyer sur un volume considérable d'études, de rapports, de projets de réforme, élaborés au cours des dix dernières années, souvent de grande qualité et dont l'essentiel reste à mettre en uvre. Il faut d'emblée passer au stade suivant : prendre les décisions de principe et engager l'action de réforme. C'est donc un travail directement opérationnel que je vous invite à entreprendre.
- J'ai souhaité disposer d'un outil au service de la réforme. Le commissariat à la réforme de l'État créé auprès de moi et qui prêtera son concours à M. Claude GOASGUEN sera cet outil. Il veillera à la mise en uvre des décisions du gouvernement ; il entretiendra la mobilisation de vos services autour des objectifs de réforme arrêtés ; il apportera son concours pour aider à les définir lorsque cela sera nécessaire; il sera le site permanent de la coordination interministérielle en matière de réforme de l'État.
- J'ai souhaité, enfin, que le gouvernement prenne des engagements précis sur les actions qu'il entend conduire en termes de procédures, de méthodes, d'organisation administrative. Ce sera l'objet du plan triennal de réforme de l'État qui constitue en la matière un précédent.
Je souhaite que ce plan, dont le ministre chargé de la réforme de l'État assurera la préparation, puisse être publié en novembre, ce qui exigera de la part de chacun d'entre vous un investissement personnel important pour obtenir des administrations placées sous votre autorité des projets de réforme significatifs.
La lecture des contributions que vous m'avez transmises au début de ce mois comporte, à cet égard, des éléments intéressants. D'une manière générale, toutefois vos premières réflexions me semblent traduire une vision trop modeste, trop mesurée, trop prudente du travail de réforme à entreprendre. Je vous invite, à la lumière des échanges que nous permettra ce séminaire, à relever dans les semaines qui viennent la barre de vos ambitions réformatrices.
Je constate par ailleurs, qu'un certain nombre de projets sont en marche. J'ai, pour ma part, engagé une réforme du SGDN qui devrait permettre d'accroître l'efficacité de cet instrument tout en réduisant considérablement son coût administratif.
J'ai demandé à M. Jean ARTHUIS de me faire, s'agissant du commissariat général au plan, des propositions de réforme allant dans le même sens. Les organismes rattachés aux services du Premier ministre ont fait l'objet d'un examen systématique qui se traduira par des suppressions - c'est déjà le cas de la délégation à l'espace aérien - ou par des transferts aux ministres les plus concernés car la dimension interministérielle d'une question n'implique pas, dans mon esprit, un rattachement qui se révèle souvent formel au Premier ministre.
Dans le cadre du comité interministériel des moyens de l'État à l'étranger et des missions que j'ai confiées aux ministres concernés, des réflexions aboutiront prochainement qui serviront de base à la rationalisation et à la modernisation de la présence extérieure de la France.
La réforme des organismes de soutien au commerce extérieur sera prochainement engagée.
Dans tous les cas que je viens d'évoquer un très large consensus existe sur le fait qu'il est possible de mieux faire, de rendre un meilleur service aux usagers, d'accroître l'intérêt des missions confiées aux fonctionnaires, tout en dépensant moins, en se montrant plus économe des moyens et des deniers publics.
A travers ces exemples, la clé de la réussite pour atteindre ces objectifs indissociables d'efficacité et d'économie me semble claire. Elle repose dans l'examen critique des missions imparties aux structures publiques, des tâches qu'elles réalisent et, dans un second temps seulement, des organisations retenues pour les mettre en uvre. Que doit faire l'État ? Que peut-il ne pas faire ? Que sait-il faire ? Telles sont les questions qu'il faut poser à l'orée de toute réflexion réformatrice.
Enfin, nous devons dans ce travail de réforme apporter une attention particulière aux fonctionnaires et aux agents publics. Ils ne sont pas les responsables des dysfonctionnements ou des imperfections de l'organisation étatique. Ils ne doivent pas être les victimes de son amélioration.
Ce travers n'a pas toujours été évité dans le passé. Chacun garde en mémoire le souvenir de délocalisations administratives décidées à la hâte sans aucune considération pour les difficultés personnelles ou professionnelles des agents concernés. Ce type d'attitude n'est pas seulement contestable sur le plan social; il est surtout porteur d'inefficacité. La réforme de l'État ne peut se concevoir contre les fonctionnaires. Les efforts qui leur sont demandés, l'acceptation du changement auquel le gouvernement les invite, devra s'accompagner d'une prise en considération accrue des difficultés humaines et professionnelles qu'une action ambitieuse de réorganisation des structures administratives serait susceptible d'engendrer si le gouvernement n'y prenait garde.
J'ai demandé à M. Jean PUECH d'engager une réflexion et une concertation imaginatives sur ce sujet qui me semble déterminant pour la réussite de cette entreprise.
Avant que nous entamions nos débats, je souhaite enfin, vous faire part d'un certain nombre de décisions, destinées à concrétiser l'esprit de réforme qui animera le gouvernement et qu'il m'a paru possible d'annoncer dès maintenant sans attendre que soit conclu le travail de préparation du plan triennal de réforme de l'État.
Ces décisions traduisent des engagements généraux du gouvernement destinés à rapprocher l'administration des citoyens, à améliorer l'efficacité de l'organisation étatique, à faciliter, enfin, la réalisation de vos ambitions de réformes.
Elles constituent un cadre général dans lequel devront s'inscrire les propositions que vous serez amenés à préciser dans les semaines à venir.
- La première mesure concerne la suppression d'un nombre important de régimes d'autorisations ou de déclarations préalables.
Je souhaite qu'un inventaire précis de ces régimes soit réalisé rapidement - il en existerait environ un millier - et qu'un examen critique de leur actualité et de leur utilité soit entrepris avec l'objectif de supprimer en trois ans le plus grand nombre possible. Une première liste de suppressions accompagnera le plan triennal de novembre.
- La deuxième mesure concerne l'accélération des délais de réponse de l'administration. Dès 1996, et sauf exception précisément justifiée, toute demande d'autorisation n'ayant pas un caractère financier ou fiscal sera considérée comme acceptée si l'administration n'a pas répondu dans les deux mois. Dans le domaine des demandes financières et fiscales, je charge le ministre de l'économie de me faire, avant la fin de cette année, des propositions d'amélioration de la situation.
- La troisième mesure concerne la tâche de codification des textes législatifs et réglementaires. Je souhaite qu'en accord avec le Parlement, un programme de travail précis soit arrêté pour codifier dans un délai de cinq ans l'ensemble des textes législatifs et réglementaires. A cette fin, les moyens alloués à la commission de codification seront doublés dès l'an prochain.
- La quatrième mesure concerne l'appréciation de l'impact des projets de lois et du décret en matière d'emploi, de dépense publique et de contraintes administratives. Je signerai avant la fin du mois une circulaire précisant la nature de l'étude d'impact qui devra accompagner dès le 1er janvier 1996 tout projet de loi. L'extension de cette procédure aux décrets sera réalisée en cours d'année 1996.
- La cinquième mesure concerne la mobilité des hauts fonctionnaires de l'État dans les services territoriaux. J'ai décidé qu'à compter du prochain concours de recrutement de l'ENA, les hauts fonctionnaires issus de cette école débuteront leur carrière administrative par l'exercice de tâches dans l'administration territoriale de l'État, comme c'est déjà le cas dans les grands corps techniques.
- La sixième mesure concerne la simplification de l'organisation territoriale de l'État, aujourd'hui excessivement compliquée par la diversité des niveaux d'administration et la tendance à dupliquer dans les services déconcentrés l'organisation de l'État central.
J'ai décidé de charger les préfets de réfléchir dans chaque région à une réorganisation des services départementaux et régionaux de l'État visant à en diminuer très sensiblement le nombre. Leurs propositions devront me parvenir avant la fin de l'année et seront soumises au comité interministériel de la réforme de l'État qui arrêtera un ou plusieurs schémas de réorganisation avant le 1er mars 1996.
- La septième mesure concerne la simplification de l'organisation centrale de l'État.
Je demande à chacun d'entre vous de veiller au respect de ma directive visant la diminution de 10 % d'ici la fin de 1996 des effectifs de l'administration centrale. Il s'agit d'une première étape d'un mouvement de déconcentration qui ne doit laisser subsister au niveau central de l'État que les tâches ayant une indispensable vocation à y figurer. Je souhaite, en outre, une réduction importante du nombre des directions d'administration centrale qui approche aujourd'hui 200.
- La huitième mesure concerne la rationalisation du nombre de corps dans la fonction publique. Le nombre très excessif de statuts différents constitue une source de difficultés de gestion, un frein à la réforme et une limitation de l'horizon professionnel de nombreux agents de l'État.
- La neuvième mesure concerne la déconcentration de la gestion des personnels de l'État qui devra être, pour l'essentiel, réalisée à l'échéance du plan triennal, en cohérence avec les décisions précédentes.
Je demande au ministre de la fonction publique d'engager très rapidement une large concertation avec les fonctionnaires et leurs organisations représentatives sur les changements qui les concernent plus directement et de me présenter un train de mesures qui constituera une première avancée significative.
- La dixième mesure, enfin, concerne la création d'un fonds pour la réforme de l'État destiné à aider ceux d'entre vous qui souhaiteront engager des réorganisations administratives importantes, à financer les mesures d'accompagnement nécessaires à une mise en uvre rapide et réussie de ces réformes. Bien entendu, la création de ce fonds ne doit pas engendrer une dépense supplémentaire pour l'État : il sera en conséquence alimenté par un prélèvement de 1 pour mille sur l'ensemble des budgets de fonctionnement, de personnel et d'intervention de l'État.
Ces dix mesures que j'ai souhaité annoncer sans attendre ont une cohérence d'ensemble. Elles me paraissent tracer l'architecture claire d'un État rénové, plus simple dans son fonctionnement et dans sa lisibilité par le citoyen; plus réfléchi dans ses interventions ; offrant à ses agents davantage d'opportunités et de responsabilités ; présentant un cadre plus souple à l'effort permanent d'adaptation qu'exige l'évolution de plus en plus rapide notre société.
Car la réforme de l'État n'est pas une fin en soi.
L'édification d'un État plus efficace, plus économe, plus équilibré a pour but ultime de lui permettre de jouer tout le rôle qui lui revient, aux côtés des autres acteurs du corps social, dans l'entreprise de réformes que le pays réclame et que le gouvernement a la responsabilité de conduire.