Déclaration de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, sur la fiscalité des entreprises, les mesures pour la recherche et l'innovation industrielle et l'aménagement du droit du travail, Paris le 7 décembre 2005.

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Circonstance : Remise des prix "Challenges des Patrons les plus performants 2005", à Paris le 7 décembre 2005

Texte intégral

Monsieur le Directeur de la Rédaction,
Mesdames, Messieurs et Chers Amis.
Je me réjouis d'être parmi vous ce soir à l'occasion de cette 10e édition des trophées des patrons les plus performants. Et je tiens à féliciter tous les lauréats et bien sûr tout particulièrement le président d'AIR LIQUIDE, Benoît POTIER. Dans la vie d'un Premier ministre, c'est un moment agréable que de participer à une remise de prix d'autant que, vous le savez, on est exclu de toutes les catégories. De pouvoir dire bravo à quelqu'un, c'est vrai que c'est une satisfaction. Reconnaître le travail, la détermination, l'engagement de quelqu'un, la réussite de quelqu'un, c'est une immense satisfaction, peut-être un peu trop rare dans notre pays. Dire bravo ça implique à un moment donné de constater qu'il y a des qualités remarquables, des qualités qu'on aurait aimé avoir, des qualités de performance, d'engagement qui au bout du compte font la différence et qui se mesurent à travers un résultat et un résultat collectif.
Alors, "Challenges" c'est un beau mot parce qu'on peut livrer des challenges collectifs, on peut aussi se livrer des challenges individuels. On peut se battre contre soi-même pour se dépasser, pour espérer, réaliser de nouveaux projets. C'est donc quelque chose qui est en perpétuel mouvement. Et c'est ce qui nous rassemble ici, tous, femmes ou hommes d'entreprise, responsables, hommes publics, un challenge pour notre pays, un challenge bien sûr pour les entreprises dont vous avez la responsabilité avec toujours le souci de garder un temps d'avance, toujours le souci de nous adapter et de nous moderniser dans un monde qui change très rapidement. La réussite industrielle et économique, c'est à la fois une tradition, un savoir-faire, une capacité à innover et une capacité aussi à saisir les opportunités, mais au centre de cette réussite, il y a d'abord des hommes, des femmes, un chef d'entreprise qui fait vivre un projet collectif. Vous prenez des risques, vous portez la responsabilité quotidienne d'embaucher, de développer, d'investir et nous savons tous que le monde dans lequel vous évoluez est un monde difficile, changeant, compétitif. Il ne laisse place ni à l'erreur, ni à l'immobilisme. Et en tant que Premier ministre, je veux vous dire ma fierté et le respect que j'éprouve ce soir devant chacune de vos réussites.
Dans tous les grands domaines, la France est présente, elle marque des points, dans les secteurs industriels comme l'énergie, la pharmacie, l'automobile mais aussi dans les services financiers, les nouvelles technologies, les médias, le luxe, l'agroalimentaire. Vous avez su vous adapter et maintenir la France dans le peloton de tête. Et les résultats sont là. Après une période difficile, la croissance est de retour, elle a atteint 0,7 % au troisième trimestre, c'est-à-dire le taux le plus élevé des grands pays européens. L'économie française progresse plus vite et plus fort que la zone euro dans son ensemble, et le chômage recule. Certes, pas assez vite. Désormais, nous sommes au rythme de plus de 20.000 demandeurs d'emploi en moins chaque mois, 130.000 demandeurs d'emploi en moins au cours des six derniers mois. Avec près de 20.000 créations d'entreprises par mois, nous nous situons au plus haut niveau depuis vingt ans.
Pour répondre à vos attentes, le gouvernement a engagé des réformes profondes. Que vous soyez patrons de grandes, de moyennes ou de petites entreprises, je sais que vous avez deux préoccupations, certains aspect du code du travail vous paraissent trop contraignants, notre fiscalité vous semble souvent trop incertaine et parfois trop pénalisante dans la compétition internationale. J'ai voulu répondre à ces préoccupations et vous donner les moyens d'affronter la compétition à armes égales. Nous avons fait évoluer les règles du contrat de travail, le gouvernement a cherché un nouvel équilibre entre sécurité des salariés et capacité d'adaptation des entreprises. Il ne s'agit certes pas, en effet, de remettre en question la sécurité que le contrat de travail apporte aux salariés, ce serait à la fois injuste et inefficace. Injuste parce que les salariés ont besoin de stabilité dans leur vie quotidienne pour vivre, pour emprunter, pour se loger, pour faire face aux accidents de la vie. Ce serait aussi inefficace parce qu'aucune réforme de fond ne peut être conduite dans notre pays sans être tout à fait comprise et sans recueillir l'adhésion de nos concitoyens. Le contrat nouvelles embauches destiné aux très petites entreprises offre plus de souplesse à l'employeur et en même temps de véritables garanties aux salariés avec des droits qui augmentent au fur et à mesure du temps passé dans l'entreprise. Avec plus de 200.000 contrats nouvelles embauches, ce contrat est d'ores et déjà un succès et nous voulons aller plus loin dans les outils susceptibles de relancer l'emploi dans notre pays.
Sur la fiscalité, nous avons voulu répondre à deux problèmes, le premier c'est le changement incessant des règles du jeu. Pour faire des prévisions à moyen et à long terme, vous avez besoin de stabilité et vous avez besoin de visibilité. C'est pourquoi nous avons confirmé la poursuite des allégements de charges. Le deuxième problème, c'est l'existence d'une compétition fiscale à l'échelle mondiale, c'est une réalité dont nous voulons tirer les conséquences. Dans cette bataille-là, je veux vous donner les moyens d'une plus grande compétitivité, c'est l'objectif de la réforme de la taxe professionnelle. Cet impôt pénalisait l'investissement en plafonnant cette taxe à 3,5 % de la valeur ajoutée. L'Etat a décidé de remettre les compteurs à zéro, il prendra à sa charge les hausses de taux intervenues entre 1995 et 2004, ce qui revient à alléger la charge fiscale de 200.000 entreprises. Nous avons également voulu corriger une anomalie majeure, une anomalie de la taxe professionnelle qui taxe les investissements avant même que ceux-ci aient pu produire leurs premiers résultats. Le gouvernement a donc décidé de pérenniser le dégrèvement pour les investissements nouveaux. Par ailleurs, j'ai engagé une réforme en profondeur de l'impôt sur le revenu qui permettra aux salariés de vos entreprises de bénéficier davantage des fruits de leur travail, près de 70 % de la baisse de l'impôt sur le revenu profitera aux salariés qui touchent moins de 3.500 euros par mois, c'est-à-dire l'immense majorité des salariés. Elle plafonnera à 60 % du revenu les impôts directs de façon à valoriser le travail et éviter toute pénalisation excessive des revenus de l'activité. Enfin, l'Etat doit garantir la pérennité des entreprises en facilitant leur transmission. Vous le savez, 500.000 entreprises vont changer de main au cours des dix prochaines années, c'est donc un enjeu majeur pour notre économie. Dès le 1er janvier 2006, les dirigeants de PME qui souhaitent céder leurs entreprises bénéficieront d'une exonération totale.
Au-delà de ces mesures, nous redéfinissons la place de l'Etat à l'égard des entreprises. Vous regrettez parfois que l'Etat intervienne trop et parfois à mauvais escient. Je veux vous faire part de quelques convictions. Depuis plusieurs siècles déjà, l'Etat est au c?ur de l'organisation de la société française, c'est une part essentielle de notre identité à laquelle nos concitoyens sont attachés. Mais il a accumulé au cours du temps des responsabilités multiples sans toujours se préoccuper de leur cohérence ou de leur pertinence. D'abord, Etat gardien de la règle de droit, il est devenu planificateur, actionnaire, investisseur, régulateur. Aujourd'hui, nous avons besoin de préciser le rôle de l'Etat dans le domaine économique. Sa première mission, c'est de rassembler nos atouts et nos compétences dans un véritable esprit de patriotisme économique. C'est l'objectif des pôles de compétitivité, nous en avons retenus 66, donc 15 ont une vocation mondiale. Beaucoup d'entre vous sont directement impliqués dans ce défi qui ouvre un dialogue inédit et fructueux entre chercheurs, universitaires et entrepreneurs. La deuxième mission de l'Etat c'est d'encourager la recherche et bien sûr l'innovation. Nous savons tous que l'enjeu majeur de notre économie dans les années à venir c'est sa capacité à se positionner sur les secteurs à très haute valeur ajoutée et sur les produits les plus innovants. C'est la première condition du dynamisme de notre économie. L'Etat a mobilisé des moyens nouveaux, deux milliards d'euros sur l'Agence pour l'Innovation Industrielle, c'est un effort sans précédent. Il appartient aux entreprises de relayer cet effort. Ces actions doivent s'inscrire dans le cadre d'une gestion responsable des finances publiques et c'est pourquoi le gouvernement s'est engagé en 2006 à ramener le déficit public sous la barre des 3 % du PIB et à stabiliser le poids de la dette dans la richesse nationale. J'ai la conviction que les mois qui viennent confirmeront ces tendances : retour de la croissance, recul du chômage grâce, entre autre, au développement des contrats nouvelles embauches.
C'est le résultat de vos efforts que nous devons continuer à accompagner. Aujourd'hui, nous devons construire ensemble une économie davantage tournée vers l'innovation et une meilleure rétribution de l'effort. Aujourd'hui, l'Etat et les entreprises sont confrontés aux mêmes enjeux. La mondialisation est un défi pour nous tous, pour les entreprises naturellement qui doivent sans cesse innover et produire aux meilleurs coûts, mais aussi pour l'Etat qui se trouve désormais mis en concurrence pour attirer sur notre sol les compétences, les investissements, les centres de décision.
La cohésion sociale, c'est un autre défi. L'Etat en est le premier garant mais la participation des salariés à la vie de l'entreprise est aussi un moyen d'y parvenir. C'est pourquoi j'ai fixé un cap, celui de la croissance sociale qui conjugue dynamisme économique, capacité d'innovation, mais aussi justice sociale. Au cours des décennies passées, nos entreprises ont eu à c?ur de développer leur présence sur les marchés mondiaux, d'internationaliser leurs financements et leurs investissements. Elles doivent aujourd'hui se tourner plus résolument vers la recherche et l'innovation. Vous détenez entre vos mains l'avenir de notre économie, de nos emplois, de notre niveau technologique, vous dessinez tous les jours le futur de notre Nation et il est de ma responsabilité de m'assurer que vous avez les moyens de vous défendre et de valoriser notre potentiel économique et industriel. C'est tout le sens de la relance de la politique de recherche et de la politique industrielle. Aujourd'hui, c'est à l'échelle de l'Europe que nous devons porter nos efforts. Dans le domaine spatial par exemple, les ministres européens ont décidé hier la préférence européenne pour le lancement de satellites financés par l'Agence Spatiale Européenne, c'est un exemple à suivre dans d'autres secteurs.
Notre économie doit aussi récompenser les efforts de chacun, et là rien ne peut se faire sans vous. Vous devez accompagner les salariés dans leur formation, lors de leur entrée dans la vie active avec l'apprentissage, et tout au long de leur vie professionnelle. Ils doivent aussi être associés au destin de leur entreprise, notamment à travers la participation. Le gouvernement a décidé de permettre aux entreprises qui le souhaitent de distribuer à leurs salariés des primes pouvant aller jusqu'à 1.000 euros, entièrement exonérées de charges sociales. Le succès qu'ont rencontré auprès des salariés les opérations menées par EDF et GAZ DE FRANCE est un encouragement dans la voie de l'actionnariat salarié, c'est à la fois un facteur de motivation des salariés et de stabilisation du capital des sociétés cotées. Vous devez également faire une place à chacun. Aujourd'hui, il y a trop d'inégalités sur le marché du travail, cela crée chez certains de nos compatriotes un sentiment d'injustice, car ils ne disposent pas des mêmes chances que les autres. Nous devons d'abord faire confiance aux jeunes, les accueillir dans l'entreprise, les former, les encourager, nous devons aussi reconnaître l'expérience des seniors qui ont parfois le sentiment qu'on ne mesure pas l'importance du savoir qu'ils ont acquis et qui se sentent écartés prématurément du marché de l'emploi. Nous devons, enfin, faire entrer la diversité dans l'entreprise.
Je sais que certains d'entre vous ont d'ores et déjà signé la charte de la diversité, et je profite de cette occasion pour saluer l'engagement de Claude BEBEAR pour la lutte contre les discriminations. Je vous encourage à utiliser tous les moyens qui sont à votre disposition et notamment les CV anonymes. Mais le combat contre les discriminations, nous le savons tous, c'est d'abord un combat pour changer le regard et les mentalités. Dans ce combat, vous avez bien sûr un rôle éminent à jouer.
Mesdames et messieurs, chers amis, l'esprit de libre entreprise, je veux le rappeler ici, devant vous, est au c?ur de la tradition de la République. Il porte des valeurs fortes d'initiatives, de responsabilité, il fait vivre quotidiennement le principe d'égalité des chances et de récompense du mérite, des talents. Vous en témoignez ici, tous, ce soir. Je veux vous dire bien sûr ma gratitude, je veux vous dire aussi ma confiance dans la capacité et l'énergie de notre pays, des Françaises et des Français. Merci.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 13 janvier 2006