Extraits de la déclaration de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, sur la mise en place de la commission d'évaluation prévue dans la loi de programme pour l'Outre-Mer, parallèlement aux audits de modernisation de la gestion publique lancés en 2006, Paris le 11 juillet 2006.

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Circonstance : Réunion du Conseil économique et social : « Évaluation de la loi de programme pour l'Outre-Mer du 21 juillet 2003 », le 11 juillet 2006

Texte intégral

« Monsieur le Président, Cher Jacques Dermagne, Mesdames et Messieurs les conseillers, Monsieur le rapporteur, Monsieur le président Ghigonis, je suis très heureux de me trouver devant vous et de croiser le regard de personnalités pour lesquelles j'ai estime, respect, considération, et ce depuis très longtemps.
Je veux rendre un hommage tout particulier à la qualité des travaux du rapporteur et de la section, synthèse tout à fait remarquable, où vous avez choisi d'éliminer l'aspect quantitatif et de vous concentrer sur l'esprit qui a nourri la volonté du législateur dans la définition de cette loi de programme. C'est un exercice difficile, d'autant plus complexe que le calendrier était serré. Vous y êtes parvenu avec une véritable volonté de tirer l'essentiel de ce qui fonctionne, d'insister sur ce qui devra être corrigé, tout en conservant l'esprit général qui nous rassemble, à savoir la conscience qu'une politique adaptée à l'Outre-mer nécessite des dispositions dérogatoires du droit commun, compte tenu des spécificités de chacun de nos territoires.
La loi de programme constitue un engagement très fort du Président de la République, qui a voulu tout mettre en oeuvre pour compenser les retards de développement et d'équipement de l'Outre-mer. La grande idée du rattrapage économique de Jacques Chirac, engagement pris auprès des Français, a été appliquée sans délai par le gouvernement Raffarin et par le gouvernement de Dominique de Villepin auquel j'ai l'honneur d'appartenir. Plus en continuité qu'en rupture avec les précédentes politiques, comme le rapporteur l'a démontré, l'objectif était de contribuer de façon décisive au rattrapage économique, en réunissant les conditions de la création d'emploi et de la relance de l'investissement privé.
L'Union européenne a reconnu l'obligation de conduire les départements d'Outre-mer à un niveau égal ou supérieur à 75 % de la moyenne du produit intérieur brut des régions européennes. Elle a, par ailleurs, conféré un statut particulier à ces départements, celui de régions ultra-périphériques. Ceux qui connaissent l'Outre-mer savent que c'est là un dispositif puissant sur lequel nous nous appuyons dans nos négociations internationales pour accompagner nos territoires, le dispositif européen ayant d'ores et déjà montré son efficacité.
Il faut cesser de comparer les dispositifs métropolitains avec ceux mis en place pour l'Outre-mer. Une des contributions importantes de votre rapport est de tordre le cou à un certain nombre de canards qui volent, ici ou là, Outre-mer comme en métropole. « C'est loin l'Outre-mer, combien cela coûte ? Combien cela rapporte ? ». Avec ce prisme, on est certain non seulement de manquer de respect aux deux millions et demi de nos compatriotes qui vivent en Outre-mer, mais encore plus certain de commettre la grave erreur politique d'avoir une lecture comptable, alors que la réalité de ces territoires est toute différente.
L'Outre-mer, c'est la France, avec des réalités qui, au quotidien, sont malheureusement très souvent éloignées de celles de la métropole. Le taux de chômage est deux à trois fois supérieur à celui de la métropole. La démographie est dynamique et, dans certains de nos départements et collectivités, plus de la moitié de la population a moins de vingt-cinq ans. Les enjeux et les perspectives sont là : quelle politique allons-nous mettre en place en matière de logement social ? En termes d'éducation, combien d'écoles, de collèges, de lycées faudra-t-il construire ? Comment assurer la continuité territoriale pour nos jeunes ultramarins, qui devront bénéficier d'un enseignement supérieur de même qualité pour s'insérer dans le tissu économique des territoires et dans l'emploi durable du secteur marchand ? Voilà des questions essentielles, sans parler de l'environnement régional, souvent difficile, avec beaucoup de pauvreté, qui oblige l'Outre-mer, donc la France, à renforcer ses relations de bon voisinage.
Dans cet esprit, il fallait des dispositifs dérogatoires adaptés. Un seul exemple : les exonérations de cotisations métropolitaines sont fixées sur les bas salaires, ce qui n'est pas le cas Outre-mer, où la loi de programme a voulu les fonder sur une logique sectorielle et dans un objet d'abaissement du coût du travail.
Il s'agissait non seulement de soutenir et de développer l'emploi non qualifié, mais également de soutenir l'encadrement intermédiaire et les emplois qualifiés qui font particulièrement défaut outre-mer. Je pense particulièrement aux secteurs de l'information, de la communication et, plus généralement, des services.
L'inscription de la loi-programme dans la durée sur quinze ans, sans altérer la qualité de l'annualité budgétaire, qui amène les débats que vous avez rappelés, notamment ceux de l'an passé avec les commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale, devait offrir le cadre juridique sécurisé indispensable aux acteurs économiques. En effet, il n'y a pas d'investissement possible sur ces territoires s'il n'y a pas de garanties du respect de la parole donnée.
Ce thème de la parole donnée est essentiel pour notre « bien vivre » ensemble, où que nous soyons et quelles que soient nos identités. S'agissant de l'Etat, dans sa présence Outre-mer, il prend une valeur encore plus forte et crée une exigence pour le représentant de l'Etat d'assurer une continuité de la politique publique. Pour quelqu'un qui veut prendre des risques, dont c'est le métier lorsqu'il est chef d'entreprise, savoir que la politique qui lui est proposée sera préservée est sécurisant pour assurer son investissement.
Pour prendre en compte cette longue durée d'application, la loi de programme avait d'ailleurs prévu dans ses articles 5 et 38, une évaluation triennale. Il est à mon avis de bonne méthode d'évaluer régulièrement les politiques publiques. Le législateur, dans sa sagesse, l'a prévu dans le texte pour l'Outre-mer. Nous pourrions avoir une réflexion d'égale valeur et d'égale puissance sur l'ensemble des politiques publiques de l'Etat dans tous ses territoires ; cela me paraît relever des rendez-vous sincères, objectifs et utiles qu'un gouvernement peut avoir avec le Parlement. Il convient d'avoir une sincère objectivité et de porter un regard pertinent sur ce qui a été dit, fait, voté, appliqué, pour conserver ce qui fonctionne et corriger ce qui ne fonctionne pas. Cette disposition, est bien dans l'esprit de la nouvelle LOLF qui régit désormais toutes nos politiques publiques et la Cour des comptes l'a salué à sa juste valeur.
Il convenait donc de la mettre en oeuvre dès cette année, tout en observant que la loi n'avait prévu ni le format ni les indicateurs.
Dans son projet d'avis, votre rapporteur propose au Conseil économique et social de mettre en garde contre toute réforme qui ne s'appuierait pas sur une évaluation préalable, notamment financière. Lors des débats budgétaires de l'an dernier, le Premier ministre a pris devant les parlementaires de l'intergroupe de l'Outre-mer l'engagement d'associer étroitement la représentation nationale à cette évaluation et de constituer ainsi une commission composée de parlementaires et de représentants de l'Etat.
La méthode que j'ai défendue lors de l'examen du projet de loi de finances 2006 - pas de réforme sans évaluation, pas d'évaluation sans concertation - devait se concrétiser par la mise en place de la commission que j'ai installée mercredi dernier.
Il n'y a donc pas de concurrence, pour reprendre le terme du rapporteur, mais une étroite complémentarité entre votre important rapport et le futur travail de cette commission d'évaluation dans les semaines qui viennent, car de ces deux regards, dont nous espérons évidemment un maximum de convergence, nous pourrons utilement animer le débat avec le législateur.
Garder ce qui fonctionne, corriger ce qui doit l'être, c'est une forme de pragmatisme, qui nous éloigne du prêt à penser et des idéologies et qui donne des vertus d'efficacité aux politiques publiques Outre-mer. Elle permettra également aux parlementaires ultramarins de faire oeuvre pédagogique auprès des parlementaires des commissions des finances qui seront associés à l'établissement d'un constat objectif permettant de travailler sans tabou et à livre ouvert. Comme l'a fait votre rapporteur.
Pour aider sa réflexion, mon collègue ministre délégué au budget, mais aussi à la réforme de l'Etat Jean-François Copé, a lancé depuis le début de l'année des audits de modernisation menés par les grands corps d'inspection de l'Etat
Parallèlement, la direction des affaires économiques, sociales et culturelles du ministère dont j'ai la charge a effectué des travaux et des enquêtes, soit en interne, soit avec l'aide d'un cabinet privé. C'est une contribution complémentaire sur le plan statistique.
Je sais, que vous regrettez de n'avoir pu bénéficier de leurs conclusions à temps, mais si certains de ces travaux sont terminés, d'autres ne le sont pas encore; voilà pourquoi l'idée de la complémentarité de ces deux actions prend tout son sens, notamment dans la gestion calendaire de nos différentes obligations. Ces travaux constitueront les matériaux de base d'une réflexion approfondie sur la pertinence des dispositifs de la loi de programme.
Compte tenu du caractère sensible du sujet, parallèlement à la mise en place de cette commission, le Premier ministre a souhaité que le Conseil économique et social soit saisi. C'était indispensable et nécessaire parce qu'il y a des idées reçues et parce que, lorsque l'on n'a pas été outre-mer, on peut avoir un effet d'optique déformé de la réalité de ces territoires.
Trop souvent, d'ailleurs, l'Outre-mer s'est enfermé dans des réflexions tantôt statutaires, tantôt institutionnelles. Petit à petit, et de façon inconsciente, son discours ne s'est plus adressé aux hommes et aux femmes qui y vivent et méritent d'être accompagnés avec beaucoup de force, mais à des spécialistes et à des praticiens de la chose publique, à de grands élus, certes respectables, mais qui créaient une sorte de soupape d'intervention ne permettant pas à la population de comprendre l'action de l'État, comment la métropole accompagnait l'Outre-mer et de quelle façon, tous ensemble, nous pouvions partager un projet commun, fondé sur ces belles et grandes valeurs de la République. Voilà pourquoi nous devons associer tout le monde, permettre une meilleure connaissance de tous et faire partager la réalité ultramarine. Une fois ce constat commun partagé, on peut ensuite engager des débats plus objectifs.
Évaluer une loi adoptée sous cette législature ne vise pas à savoir si cette loi est bonne ou mauvaise. Cela ne serait pas très cohérent avec l'action du gouvernement et discréditerait le travail accompli par le Parlement depuis 2003. Il s'agit plutôt, je le répète, d'examiner si les dispositifs mis en place sont efficaces, voire efficients, s'ils remplissent bien les objectifs de la loi de programme et s'ils le font avec un coût de dépense publique non disproportionné par rapport aux impacts économiques et sociaux attendus.
Bien entendu, il n'est pas illégitime d'attendre de cette évaluation des amendements, voire des corrections. Mais un bouleversement trop important, et vous l'avez vous-même souligné en conclusion, Monsieur le rapporteur, serait contraire à l'esprit même de permanence de la loi. Du reste, j'ai bien noté l'appréciation globalement positive que vous avez formulée, et il est évidemment rassurant pour le gouvernement de constater qu'il va dans la bonne direction et que les mesures de défiscalisation et d'exonération des cotisations patronales mises en place en 2003 ont contribué - vous l'avez dit, les statistiques le prouvent et les faits sont têtus - à atténuer les handicaps structurels de l'Outre­mer.
Votre rapporteur, Mesdames et Messieurs les conseillers, vous met en garde contre une diminution substantielle des avantages liés aux deux dispositifs qui conduirait à la disparition de nombreuses entreprises. J'en suis profondément persuadé. Je veux aussi le rassurer : le gouvernement n'a inscrit dans le projet de loi de finances pour 2007 aucune mesure qui viendrait, de près ou de loin, remettre en cause ces dispositifs. Mon collègue Jean-François Copé, chargé d'élaborer le projet de loi de finances, l'a annoncé la semaine dernière lors de son déplacement aux Antilles, et nous sommes sur ce point sur la même longueur d'ondes.
Votre rapporteur relève également des imperfections de la loi de programme du 21 juillet 2003, notamment s'agissant des effets de seuil, du manque de transparence de certaines procédures, du renchérissement du foncier ainsi que de l'insuffisance de l'aide au logement social. Pour mémoire, je vous rappelle que nous avons enregistré un très gros retard en matière de production de logement social Outre-mer, amplifié par la perspective démographique que j'évoquais, c'est-à-dire la réalité d'une population qui, dans certains départements, est composée à plus de 50 % de moins de 25 ans. La production de logement social est donc d'une impérative nécessité. Votre rapporteur propose également plusieurs aménagements pour remédier à la situation actuelle, propositions qui seront expertisées par les services du ministère et soumises à la commission d'évaluation.
Pour l'heure, je laisserai le soin à votre assemblée d'en débattre. Je tiens à remercier le Conseil économique et social, son Président et tous les conseillers de m'avoir permis de venir ici devant vous. Votre contribution sera précieuse, utile et nécessaire pour une bonne gestion des finances publiques, pour une bonne évaluation d'une politique publique et à n'en pas douter pour nos deux millions et demi de compatriotes ultramarins qui attendent beaucoup de l'État et souhaitent que les politiques menées soient adaptées aux réalités de leur quotidien.
Je vous remercie. » source http://www.ces.fr, le 21 juillet 2006