Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la commission des lois,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
J'ai l'honneur de vous présenter le projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 77 de la Constitution. Le mot honneur prend ici tout son sens car pour un ministre de la République défendre devant le Sénat une réforme constitutionnelle sur la Nouvelle-Calédonie est un honneur tant votre Haute-assemblée a toujours su être attentive aux questions calédoniennes.
Qu'il me soit permis dans un premier temps -et quand bien même cela ne s'inscrit pas dans la tradition parlementaire-, de remercier le Président du Sénat, Christian Poncelet pour son action déterminée en
faveur des collectivités d'Outre-mer, collectivités à part entière de la République.
Qu'il me soit aussi permis de remercier, Jean-Jacques Hyest, Président de la commission des lois pour le rapport qu'il va vous présenter et qui témoigne d'une profonde maîtrise des enjeux calédoniens. Mes
remerciements vont également au Président Patrice Gélard qui à l'occasion de l'examen de ce projet par votre commission a montré, comme à l'accoutumée, son intérêt pour l'histoire de la Nouvelle-Calédonie et ses conséquences institutionnelles.
Cette histoire fut parfois tragique.
Cette histoire mérite notre respect.
Cette histoire impose de préparer l'avenir.
C'est ce qui m'anime aujourd'hui : respecter l'histoire et la logique des accords de réconciliation ; préciser devant la Haute-assemblée le contenu et la portée de ces accords pour simplement - mais c'est essentiel - respecter la parole donnée.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
La démarche qui nous conduit à vous présenter ce projet de loi constitutionnelle ne serait pas compréhensible si nous n'avions pas tous à l'esprit le contexte historique, politique et humain dans lequel s'inscrit l'évolution de la Nouvelle-Calédonie depuis plus de 20 ans.
Chacun garde en mémoire les évènements tragiques qu'a connus le territoire entre 1984 et 1988, les trop nombreuses victimes dans les deux communautés et parmi les serviteurs de l'Etat, le cycle infernal de la violence qui aurait pu dégénérer en véritable guerre civile, mais également le sursaut qui a permis de rétablir la paix.
Rétablir la concorde civile n'a pas été chose facile. Nous pouvons être fiers, collectivement, d'y être parvenus. En 1988, les Accords de Matignon ont réussi à établir un équilibre entre ceux qui se prévalent
de leur qualité de premier occupant comme tous ceux qui depuis le 19e siècle ont contribué à la mise en valeur de ce magnifique territoire.
Ces accords ne se sont pas faits sans compromis de part et d'autre.
Christian Blanc, dont chacun connaît le rôle important dans le processus de réconciliation en Nouvelle-Calédonie, a eu l'occasion d'évoquer devant l'Assemblée nationale, le 13 décembre dernier, la proposition d'accord en huit points, approuvée par Messieurs Lafleur et Tjibaou, et qui allait constituer la trame des accords de Matignon.
Le point 7 de ce document indiquait, je cite : « La question de l'indépendance sera mise entre parenthèses pour dix ans grâce au renvoi à un scrutin d'autodétermination sur le territoire. Cela implique que les évolutions démographiques ne soient pas perturbées et que donc l'immigration soit très strictement contrôlée. » Par immigration, il faut naturellement entendre, ici, le peuplement du territoire par de nouveaux apports de population extérieure, et notamment métropolitaine.
L'esprit des Accords de Matignon était donc bien, dès l'origine, marqué par la volonté de restreindre aux seules personnes ayant un lien suffisamment fort et durable avec la Nouvelle-Calédonie, le corps
électoral pour les scrutins qui décideraient de l'avenir du territoire.
Le point n° 6 des Accords de Matignon prévoyait une telle mesure -et je cite : « Les électeurs et les électrices de Nouvelle-Calédonie qui seront appelés à se prononcer sur ce projet de loi référendaire, ainsi que leurs descendants accédant à la majorité, constituent les populations intéressées à l'avenir du Territoire. Ils seront donc seuls autorisés à participer jusqu'en 1998 aux scrutins qui détermineront cet
avenir : scrutins pour les élections aux conseils de province et scrutins d'autodétermination ». Il constitue un des aspects essentiels de leur architecture.
N'oublions pas aujourd'hui les conditions sans lesquelles ce pari de la réconciliation n'aurait pas été gagné.
Je voudrais ici saluer ceux qui se sont engagés pour la paix, qui ont permis de dépasser les clivages politiques, les logiques partisanes, les intérêts particuliers, au bénéfice de la plus haute conception de
l'intérêt général. En Nouvelle-Calédonie, les perspectives économiques, sociales et culturelles qui s'ouvrent devant nous sont le fruit de leur ténacité.
Le statut de la Nouvelle-Calédonie du 9 novembre 1988, adopté directement par le peuple français, était prévu pour 10 ans. A l'approche de cette échéance, il est apparu qu'un nouveau scrutin aboutissant à opposer deux camps antagonistes ne pourrait que contribuer à la détérioration de la paix civile instaurée en 1988. Dès 1991, Jacques Lafleur, avec sagesse, avait préconisé ce qu'il appelait la « solution consensuelle » pour échapper à un engrenage qui aurait pu être destructeur. A l'époque, en effet, un scrutin d'autodétermination aurait été de nature à faire renaître les affrontements. Les responsables politiques d'alors se sont donc dirigés, avec le concours de l'Etat, vers la recherche d'une solution consensuelle permettant de dépasser des positions en apparence irréconciliables.
Demeurer dans l'esprit des Accords de Matignon, c'était renoncer à ces affrontements et entretenir le dialogue. L'Accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998 et qui est le prolongement des Accords de Matignon, a entendu exclure ce qui est source de division pour s'appuyer sur ce qui rassemble.
L'Accord de Nouméa a acquis force constitutionnelle en 1998 par l'effet de l'article 77 de la Constitution qui assigne pour mission au législateur organique - je cite - "d'assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre". Il s'agissait de surmonter ainsi les obstacles de nature constitutionnelle qui pouvaient empêcher l'adoption des mesures prévues par l'Accord, et, en particulier, celles relatives à la définition d'un corps électoral restreint pour l'élection des assemblées délibérantes locales.
Quel est le contenu exact de l' Accord de Nouméa ?
Outre une organisation originale des pouvoirs publics fondée sur un partage territorial des responsabilités et un gouvernement collégial, ainsi que le principe du rééquilibrage économique du territoire, il instaure dans la nationalité française une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie qui concrétise la participation au destin commun des communautés qui y vivent.
La question de la définition du corps électoral est dès lors étroitement liée à celle de la citoyenneté calédonienne. C'est en effet le droit de vote qui fonde cette citoyenneté de quelque origine que l'on soit.
Il s'agit d'abord des scrutins d'autodétermination qui seront organisés entre 2014 et 2018. Pour le droit de voter à ces scrutins-là, la cause est entendue : ne voteront que les électeurs inscrits sur les listes
électorales en 1988 ou pouvant justifier d'une durée de résidence continue de 20 ans au 31 décembre 2014, ou d'autres conditions telles que la naissance en Nouvelle-Calédonie, ou la possession du statut
coutumier.
Le principe de ce corps électoral particulièrement restreint n'est pas contesté.
S'agissant de la définition du corps électoral pour l'élection des assemblées de provinces et au congrès, la question de principe est également tranchée. L'existence même d'un corps électoral restreint a déjà été validée par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 que le Parlement, réuni en Congrès, a adoptée à la quasi unanimité de ses membres, puis par les électeurs de Nouvelle-Calédonie qui ont approuvé, avec 72 % des suffrages, l'accord de Nouméa lors du scrutin du 8 novembre 1998.
Il nous revient toutefois aujourd'hui de lever la dernière difficulté qui subsiste dans la lecture de l'Accord de Nouméa et qui résulte de l'interprétation du Conseil Constitutionnel de 1999.
L'Accord de Nouméa distingue au sein du corps électoral, pour les élections au congrès et aux assemblées de provinces, trois catégories d'électeurs :
- d'abord, les personnes qui, pouvant justifier de dix ans de résidence, ont ou auraient pu participer à la consultation du 8 novembre 1998 ;
- ensuite, celles qui auront résidé dix ans sur le territoire au moment des élections provinciales et sont inscrites au tableau annexe, sur lequel je reviendrai ;
- enfin, dès qu'ils deviennent majeurs, les enfants de ces personnes.
Les articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie fixent les modalités d'établissement de la liste électorale spéciale : les personnes ne pouvant prétendre au droit de
vote sont inscrites sur un tableau annexe.
Or, la définition du « tableau annexe » a soulevé une difficulté d'interprétation alors même que les deux rapporteurs du projet de loi organique, en particulier le Président de votre commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, dont je salue ici le travail, s'étaient exprimés sans ambiguïté sur ce point lors des débats parlementaires.
Pour deux des signataires au moins, dont l'Etat, le tableau annexe était celui établi à l'occasion du scrutin du 8 novembre 1998. Dans sa décision du 15 mars 1999, le Conseil constitutionnel a jugé que la rédaction de l'accord de Nouméa conduisait à considérer que le tableau annexe devait être évolutif et qu'il avait vocation à accueillir toutes les personnes arrivées après 1998. Ainsi pourraient voter à partir de
2009 les personnes arrivées en 1999, et en 2014 celles arrivées en 2004, c'est-à-dire après la signature de l'accord de Nouméa. Le corps électoral devenait ainsi « glissant ».
Nous sommes ici au cœur de la difficulté. Le temps a passé mais la notion d'esprit des Accords de Matignon et de Nouméa demeure et si l'on refuse la notion d'esprit des accords, alors j'utiliserai la notion de logique des accords.
La logique de ces accords était bien de réserver la participation - et je cite à nouveau les Accords de Matignon - « aux scrutins qui déterminent l'avenir de la Nouvelle-Calédonie » (dont les élections
provinciales) aux « populations intéressées » à l'avenir du territoire, c'est-à-dire aux électeurs présents dans le territoire à une certaine époque et à leurs descendants.
Voilà pourquoi, de façon constante depuis 1999, l'Etat, signataire de ces accords, considère qu'il s'agit d'un corps électoral gelé.
Le Gouvernement de l'époque s'est alors engagé à réviser la Constitution afin de permettre une définition « gelée » du corps électoral. Le Président de la République a accédé à sa demande.
L'Assemblée nationale et le Sénat ont déjà adopté à une très large majorité et en termes identiques, en 1999, un projet de loi constitutionnelle destiné, notamment, à compléter l'article 77 de la Constitution. Il se trouve que les circonstances du moment, sans lien aucun avec cette affaire d'ailleurs, n'ont pas permis que ce texte soit soumis à l'approbation définitive du Parlement réuni en Congrès.
L'unique article du présent projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis reprend les dispositions figurant dans le projet de 1999, en y apportant une disposition complémentaire destinée à s'assurer que les dispositions des articles 188 et 189 seront interprétées dans un sens conforme à nos intentions. L'Assemblée nationale a fort utilement précisé le texte du projet.
Les juridictions administratives et judiciaires seront naturellement liées par l'interprétation du pouvoir constituant et par le véritable sens ainsi rétabli des articles 188 et 189 de la loi organique du 19
mars 1999 lorsqu'elles seront appelées à statuer sur d'éventuels contentieux.
Je tiens à souligner ici très précisément la portée exacte de la réforme qui vous est proposée. Tout d'abord, avec le corps électoral « gelé », ce sont environ 700 électeurs supplémentaires, inscrits en 1999, qui seront écartés du droit de vote pour les élections de 2009.
Ensuite, je rappelle qu'elle revêt une portée purement transitoire :
- elle n'a vocation à s'appliquer que pour les élections territoriales et provinciales de 2009 et de 2014, ou pour des élections partielles ou consécutives à une dissolution de ces assemblées. Au terme de la
période d'application de l'Accord de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie aura à décider de son avenir. - Enfin, la réforme n'affecte en rien l'exercice du droit de vote en Nouvelle-Calédonie pour les élections autres que territoriales et provinciales. Tous nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie continueront
donc de participer aux scrutins présidentiels, législatifs, municipaux et européens, ainsi qu'aux référendums nationaux, dans les conditions du droit commun.
Mais au-delà de la nécessaire clarification juridique, c'est plus fondamentalement encore le respect de la parole donnée qui est en jeu. Si rien n'est fait, nombre de Calédoniens auront le sentiment d'une remise en cause des accords passés et que l'Etat n'a respecté ni sa signature ni l'engagement pris en 1999 de conduire cette réforme jusqu'à son terme. Ce serait mettre en péril tout l'édifice qui a permis à la Nouvelle-Calédonie de retrouver une paix civile, néanmoins encore fragile.
Mesdames et messieurs les Sénateurs, j'invite chacun d'entre vous à peser les conséquences de son vote et à ne pas oublier les leçons du passé. Ce qui a été fait en Nouvelle-Calédonie française depuis vingt ans est grand, ce qui reste à faire est plus grand encore.
Les institutions issues de l'Accord de Nouméa sont à l'évidence le fruit d'un compromis. Il faut les faire vivre, en s'attachant à lever les ambiguïtés qui sont source de problèmes et de tensions. Ce projet de loi constitutionnelle y contribue.
J'entends les objections et je conçois les réticences de certains : je leur affirme qu'ils sortiront grandis de s'être élevés au-delà de considérations particulières pour embrasser l'intérêt général.
L'avenir de la Nouvelle-Calédonie dépend, à nouveau, de notre faculté à nous réunir pour que les plaies se referment et cette collectivité poursuive le chemin qui est le sien dans le cadre de la République.
Votre Haute Assemblée a toujours exprimé une sensibilité particulière pour l'outre-mer de la République. L'avenir de la Nouvelle-Calédonie est une question que le Sénat a toujours su aborder avec hauteur de vue et mise en perspective. Je connais l'attachement du plus grand nombre d'entre vous, et d'abord de Simon Loueckhote, à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie dans la République. C'est un choix qui est aussi le
mien. Encore une fois, il s'agit seulement de respecter la parole donnée. C'est à cette condition que le destin de la Nouvelle-Calédonie, qui sera décidé par les Calédoniens et par eux seuls, pourra se poursuivre, le moment venu, au sein de la République. Rien de ce que vous déciderez aujourd'hui ne s'y oppose.
Le Chef de l'Etat a pris l'engagement que cette question serait traitée avant la fin de ce quinquennat. Le Gouvernement tient aujourd'hui, devant vous, cet engagement solennel.
C'est notre devoir, et ma responsabilité en tant que ministre de l'outre-mer.
C'est donc avec beaucoup de conviction, et une grande espérance pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie que je vous invite à adopter conforme ce projet de loi constitutionnelle.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 17 janvier 2007