Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le rôle des préfets dans la mise en oeuvre de la politique en matière de sécurité et d'ordre public, le pacte de développement et de solidarité, la réforme de l'Etat et les transformations dans la gestion du corps préfectoral, Paris le 7 juin 1999.

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Circonstance : Intervention devant les préfets à Paris le 7 juin 1999

Texte intégral

Monsieur le ministre,
Mesdames et Messieurs les préfets,
Mesdames et Messieurs,
Il y a presque deux ans, le 24 juin 1997, je vous réunissais pour vous dire quel rôle vous revenait dans la mise en uvre de la politique dont j'avais tout juste tracé les orientations devant le Parlement. Le 11 septembre dernier, je venais à nouveau devant vous. En ouvrant la réunion que le ministre de l'Intérieur, frappé par un grave accident, ne pouvait présider, je voulais alors exprimer devant vous aussi mon émotion et marquer la continuité de l'action de l'Etat.
Aujourd'hui, en présence de M. Jean-Pierre Chevènement, revenu aux commandes avec une énergie et une détermination inchangées, je m'adresse à vous pour évoquer votre fonction, et pour rappeler les objectifs de la politique dont vous êtes les relais.
Je le fais dans un contexte particulier.
Je le sais, nous le savons tous ici : nous nous retrouvons au lendemain d'un épisode difficile pour le corps préfectoral.
A tous les moments de l'Histoire de la République, les membres du corps préfectoral ont su, par leur courage, leur capacité de décision et leur sens de l'Etat, se montrer irremplaçables dans la mise en oeuvre des politiques gouvernementales. Dans certaines circonstances, dans certains lieux, la tâche des préfets et de leurs collaborateurs peut être exceptionnellement rude.
C'est aujourd'hui le cas en Corse. Depuis deux ans, le Gouvernement mène en Corse une politique cohérente. Elle consiste tout d'abord à appliquer la loi républicaine avec fermeté mais avec mesure, avec conviction et souci du dialogue. C'est pour les Corses qui, dans leur grande majorité, aspirent à l'Etat de droit, que nous agissons. Cette politique consiste ensuite à encourager le développement économique et social de l'île, pour que les Corses, exploitant au mieux les atouts dont ils disposent, puissent y bâtir leur avenir. Elle consiste enfin à favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'île, à travers sa langue, sa culture, son patrimoine.
La mise en oeuvre de cette politique globale a été engagée par le Préfet Claude ERIGNAC. De premiers résultats avaient été obtenus en dépit de conditions très difficiles, lorsque sa mission a été tragiquement interrompue par son assassinat. Une nouvelle fois, je voudrais saluer devant vous la mémoire de Claude Erignac.
Dans ce contexte exceptionnel et dramatique, le Préfet Bernard BONNET a poursuivi le travail entrepris. Je ne peux oublier le courage dont lui et ses collaborateurs ont alors fait preuve. Je sais les résultats qui sont à mettre au crédit de son action déterminée : la criminalité, l'insécurité et la fraude ont reculé ; l'activité économique retrouve son dynamisme ; l'environnement des entreprises s'améliore ; les conditions sont réunies pour que l'action culturelle connaisse un renouveau. Le Préfet BONNET s'est investi avec passion dans sa lourde tâche sans doute avec trop de passion, jusqu'à ce que sa mise en cause, par des officiers de la gendarmerie qui ont reconnu être les auteurs de l'incendie volontaire survenu dans la nuit du 19 au 20 avril dernier, imposât qu'il fût mis fin à ses fonctions.
Depuis cette décision, le Gouvernement s'en remet à la Justice, dans le respect des personnes, dans le respect de l'Etat et des corps qui le servent, dans le respect de la présomption d'innocence. En toute indépendance, celle-ci accomplit ce qu'il lui appartient en propre de faire : rechercher la vérité, établir les responsabilités.
Je veux à nouveau souligner ici que l'Etat de droit, par nature même, ne peut s'établir qu'avec les seuls moyens du droit. Ce principe ne saurait souffrir aucune exception. La règle de la démocratie exige de combattre les violations du droit dans le respect des lois. Que cette règle soit enfreinte par des serviteurs de l'Etat, et c'est la confiance dans le droit et dans la démocratie qui est atteinte. L'efficacité du combat pour le droit n'est donc pas diminuée, mais au contraire renforcée, par le strict respect de la règle de droit, lequel doit s'étendre aux décisions juridictionnelles. Il vous appartient de vous y conformer et de le rappeler aux agents placés sous votre autorité.
Les défaillances individuelles ne sauraient rejaillir sur tout un corps.
Des erreurs personnelles ne sauraient non plus mettre en cause les objectifs d'une politique tout entière.
Le nouveau Préfet de Corse, Jean-Pierre LACROIX, va mettre en oeuvre cette politique avec détermination et esprit de dialogue. Elle répond à l'attente de l'immense majorité des Corses qui savent que rien ne se fera dans l'île si la violence continue de frapper : ni pour son développement, ni pour l'épanouissement de sa culture, ni pour l'exercice, par ses élus, de leurs responsabilités.
A cet égard, l'arrestation de plusieurs organisateurs présumés du meurtre du Préfet ERIGNAC, grâce à l'enquête menée par les services de police sous l'autorité des magistrats compétents, constitue un événement important pour tous ceux qui ont été frappés dans leur affection par cette disparition, pour l'Etat et pour la République.
A ceux qui assument aujourd'hui la charge de poursuivre la mise en uvre de la politique du Gouvernement pour la Corse, je redis ma profonde estime, ma confiance et tous mes encouragements.
Mesdames et Messieurs les préfets,
C'est dans la mise en oeuvre de l'ensemble de la politique du Gouvernement que vous jouez un rôle déterminant.
Il y a deux ans, j'avais présenté le programme gouvernemental autour de deux pactes proposés aux Français : un pacte républicain, un pacte de développement et de solidarité. La réalisation de ce programme a conduit à adopter de nombreux textes législatifs et réglementaires que les services de l'Etat ont appliqués, en règle générale, dans de très bonnes conditions. Une part significative vous revient du succès des politiques engagées. J'en citerai quelques-unes pour lesquelles votre implication a été et doit rester forte.
Au titre du pacte républicain, ces deux années ont été marquées par la modernisation du fonctionnement de notre démocratie, par l'engagement de réformes visant la pleine indépendance de la Justice, par une nouvelle législation sur l'entrée et le séjour des étrangers.
La sécurité a été affirmée comme une priorité du Gouvernement. L'actualité vient de nous rappeler, en région parisienne, la grande sensibilité de nos concitoyens à des événements qui cristallisent le sentiment d'insécurité. Assurer à tous une sécurité plus grande ne peut être obtenu que par une politique d'ensemble. C'est pourquoi le Gouvernement arrête sa politique de sécurité, en Conseil de sécurité intérieure, après délibération de tous les ministres concernés.
L'aide aux victimes, la lutte contre la violence à l'école et dans les transports, le redéploiement des personnels des services de sécurité et la territorialisation de certaines forces mobiles, les contrats locaux de sécurité et les contrats de ville : telles sont quelques dimensions de cette politique. Dans chacun des départements, vous avez la responsabilité de les mettre en oeuvre.
Au titre du pacte de développement et de solidarité, le Gouvernement a défini une politique résolue de croissance et de lutte contre le chômage et les exclusions. La croissance de notre économie en 1998 a été la plus élevée de la décennie. Le recul du chômage se poursuit. Le plan pour l'emploi des jeunes, dans lequel les préfets sont particulièrement actifs, y contribue de manière significative. Les négociations sur la réduction du temps de travail également. La loi d'orientation contre les exclusions doit permettre de conjuguer les efforts de l'Etat et des collectivités territoriales pour permettre l'accès de tous aux droits fondamentaux.
Je veux vous dire quelques mots de la politique d'aménagement du territoire, au moment où les préfets de région vont aborder une nouvelle phase de la procédure d'élaboration des contrats de plan. La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire fournit les outils d'un développement durable et équilibré du territoire national. Au début du mois de juillet, après la réunion du CIADT qui approuvera les mandats de négociation confiés aux préfets de région, ceux-ci pourront engager les discussions avec les présidents des conseils régionaux.
Le Gouvernement a dégagé une enveloppe de 105 milliards de francs pour les contrats de plan. C'est là un effort très significatif, compatible avec notre politique budgétaire de maîtrise des finances publiques. Je compte sur votre vigilance pour que ces crédits soient utilisés dans les conditions les plus utiles au développement régional.
La préparation de la carte d'éligibilité aux fonds structurels européens débutera en même temps que la négociation sur les contrats de plan. Les préfets de région recevront dans les prochains jours des instructions à ce sujet, avec la notification de la population éligible dans la région, qui devra être répartie au regard des critères arrêtés par la Commission européenne. L'élaboration des cartes sera délicate et devra faire l'objet d'une large concertation.
D'autres priorités du Gouvernement vous sollicitent. Ainsi, après mon intervention, Mme Marie-George BUFFET évoquera avec vous les problèmes du sport et de la violence. Puis M. Jean GLAVANY vous précisera les conditions de la mise en oeuvre de la loi d'orientation agricole. Cet après-midi, le secrétaire général de la défense nationale, M. Mallet, vous parlera des dimensions informatiques du passage à l'an 2000, autrement dit du bogue.
Vous le voyez, le Gouvernement attend beaucoup de vous.
Il attend aussi que la fonction préfectorale, au coeur de la réforme de l'Etat, s'adapte aux évolutions de la société qu'elle sert.
Notre société veut que l'exercice de l'autorité n'aille pas sans responsabilité.
Comme toute autorité d'un Etat démocratique, votre responsabilité peut en particulier être engagée devant les juridictions.
L'engagement de votre responsabilité pénale vous préoccupe, je le sais. Le nombre des mises en cause pénales de préfets, de sous-préfets ou de fonctionnaires du cadre national des préfectures s'est en effet accru ces dernières années. Cet accroissement touche aussi les élus locaux. Les poursuites sont plus fréquentes. Elles interviennent le plus souvent pour des délits commis sans caractère intentionnel, de plus en plus à l'initiative de personnes qui choisissent la voie pénale de préférence à celle du contentieux administratif.
La notoriété que vos fonctions vous donnent confère à ces mises en cause un caractère public, parfois très médiatisé. Il convient certes d'observer que dans la très grande majorité des cas des non-lieux ou des relaxes sont intervenus. Mais je comprends votre inquiétude.
C'est l'honneur de notre démocratie, vous le savez, que chacun soit soumis au droit, que chacun ait à répondre de ses actes devant la justice, selon les mêmes règles et quelles que soient ses fonctions. Les fonctionnaires bénéficient naturellement de toutes les garanties auxquelles ont droit les citoyens de ce pays. Et avant tout, de la présomption d'innocence, dont le Gouvernement a décidé de renforcer les garanties, dans un projet de loi que l'Assemblée nationale a déjà adopté en première lecture.
Mais il convient de réfléchir, dans le respect le plus strict du principe d'égalité devant la justice, aux conséquences qu'il pourrait être nécessaire de tirer des caractéristiques particulières des fonctions exercées par les exécutifs des collectivités territoriales et par les agents de l'Etat, notamment les fonctionnaires d'autorité, sur les conditions d'engagement de leur responsabilité pénale. La ministre de la Justice a chargé une commission, présidée par M. Jean Massot, président de section au Conseil d'Etat, d'analyser cette question et de faire toute proposition au Gouvernement.
Depuis deux siècles, le corps préfectoral s'est adapté aux transformations intervenues dans les techniques, l'économie, la société, comme dans nos relations avec le monde. Cette faculté d'adaptation lui a permis de demeurer une des plus solides armatures de notre Etat. Il a été un des acteurs de la modernisation du pays. S'il est resté pour l'action gouvernementale un relais indispensable, il s'est affirmé depuis la décentralisation comme un partenaire apprécié des collectivités locales, et il est devenu une irremplaçable instance de médiation sociale.
Le ministre de l'Intérieur en est bien convaincu. C'est pourquoi, dans le cadre de la réforme de l'Etat, il a engagé de profondes transformations dans la gestion du corps préfectoral. Si la très grande majorité des préfets sont choisis parmi les sous-préfets et les administrateurs civils du ministère de l'Intérieur, certains doivent aussi être nommés parmi des fonctionnaires ayant servi dans d'autres administrations, de même que des préfets sont choisis pour des fonctions de direction dans des ministères. Cette ouverture est un enrichissement pour le corps préfectoral. Elle est conforme au caractère interministériel de vos fonctions. La qualité du choix initial ne dispense pas d'une évaluation régulière des aptitudes et de la manière de servir. Le ministre de l'Intérieur a entrepris de rénover les méthodes d'évaluation des préfets et de réfléchir aux conditions de leur inspection.
Ces réformes permettront aux préfets de mieux jouer leur rôle dans la déconcentration, qui est un des axes fondamentaux de cette réforme. Sur ce point, un prochain comité interministériel, préparé par le ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l'Etat et de la Décentralisation, examinera plusieurs décisions importantes. L'élaboration d'un projet territorial, donnant une cohérence d'ensemble aux actions des services de l'Etat dans la région ou le département, la faculté donnée au préfet d'adapter, après concertation, l'organisation des services administratifs de son ressort, permettront de nouvelles avancées de la déconcentration. Les préfets y trouveront un nouvel espace pour exercer leur métier, inchangé dans ses principes et profondément renouvelé dans ses méthodes.
Mesdames et Messieurs les préfets,
Le Gouvernement a toute confiance dans votre plein engagement pour expliquer et appliquer, dans les régions et les départements, la politique qu'il met en uvre pour notre pays.
J'ai conscience de l'ampleur de votre tâche, du poids de vos responsabilités, de la qualité de votre travail. Je vous assure de mon estime et de mon soutien.
Et puisque l'un d'entre vous assiste aujourd'hui pour la dernière fois à une telle réunion, après vingt années d'exercice de la fonction de préfet, je voudrais, en rendant hommage à M. Alain Ohrel, préfet du Nord, préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, nommé conseiller d'Etat, rendre hommage à chacun d'entre vous, qui faites chaque jour le métier si exigeant de serviteurs de l'Etat et de la République.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 08 juin 1999)