Texte intégral
PARIS-MATCH : 30 avril 1998
Q - Jacques Chirac vient de le reconnaître : « La France souffre de trop d'impôts, de bureaucratie et de dépenses publiques ». Êtes-vous conscient, vous aussi, du ras-le-bol fiscal des Français ?
- Le gouvernement est très conscient que les Français jugent leurs impôts et leurs cotisations sociales très élevés. C'est pourquoi, lorsque nous sommes arrivés en juin dernier, nous les avons stabilisés, au lieu de les accroître de 120 milliards comme Alain Juppé à l'été 1995. D'où une bouffée d'oxygène donnée au pouvoir d'achat et le redressement actuel de la consommation.
Q - Dominique Strauss-Kahn, qui se flatte de réduire l'an prochain le déficit public à 2,3 %, annonce, le même jour, que les dépenses de l'Etat progresseront de 1 % en volume. Pourquoi l'Etat français ne réussit-il pas à réduire son train de vie ?
- Accroître les dépenses de l'Etat de 1 %, en volume, à comparer à près 3 % de croissance de la richesse nationale, ne constitue pas un dérapage. C'est un minimum pour répondre aux priorités politiques exprimées il y a un an par les Français : la lutte contre l'exclusion au profit des plus faibles, mais aussi l'éducation, l'emploi, la sécurité…
Q - Une majorité de Français est lasse de payer, à son goût, trop d'impôts sur le revenu. Notamment lorsque le prélèvement atteint 54 % et plus…
- Pour atteindre celle tranche à 54 %, il faut être soit un célibataire avec un revenu de 35 000 francs par mois, soit un couple avec deux enfants et un revenu de 104 000 francs par mois. Notre priorité n'est pas d'alléger l'impôt de tous les revenus élevés mais de ceux des créateurs d'entreprises et d'emplois.
Q - Vous n'avez donc aucune intention d'alléger l'impôt sur le revenu ?
- Notre souci de justice sociale ne nous pousse pas à réduire prioritairement l'impôt sur le revenu. Il est progressif, payé seulement par la moitié des Français, beaucoup plus juste, donc, que des impôts qui touchent aveuglément toute la population comme la T.v.a., la taxe d'habitation, les cotisations sociales.
Q - Beaucoup de créateurs d'entreprises rêvent ou vont carrément s'installer à Londres pour payer moins d'impôts. Cela vous préoccupe-t-il ?
- Entre 1992 et 1997, beaucoup de Français sont partis en Angleterre car ce pays connaissait la croissance, contrairement à la France, et ils y ont trouvé un emploi. Je suis certain que nombre d'entre eux reviendront pour occuper l'un des 200 000 emplois que les entreprises françaises vont créer cette année. Quant aux comparaisons fiscales, attention ! Une étude de notre ambassade à Londres démontre qu'il n'y a pas de réels avantages à s'installer là-bas, sauf à être célibataire, à avoir un revenu extrêmement élevé - plus de 1 million par an -et à se priver de couverture sociale !
Q - Le coiffeur et le boulanger de Valence adhérents du C.d.c.o. et partis s'immatriculer à Cardiff ont reçu un écho très populaire. Cette résurgence du poujadisme en France vous inquiète-t-elle ?
- Il existe des individus qui proposent périodiquement des miroirs aux alouettes. Ce sont des escrocs, des charlatans. Les commerçants et artisans de bonne foi, qui gagnent durement leur vie, et les écoutent en payant même leurs services, s'exposent, s'ils ne règlent pas leurs cotisations, à des contrôles et à des rappels. Ce jour-là les charlatans se seront envolés.
LE NOUVEL ÉCONOMISTE : 20 mai 1998
Q - Quelle est la finalité de la réforme des stock-options ?
Le gouvernement veut privilégier l'esprit d'entreprise, la prime de risques et non pas les rentes de situation. C'est pourquoi nous réformons progressivement la fiscalité des stock-options en faveur des entreprises dynamiques nouvellement créées. Les stock-options doivent être une prime au succès, et non un complément de rémunération à l'avantage des cadres dirigeants des grandes entreprises.
L'HEBDO DES SOCIALISTES : 12 juin 1998
Q - Que représentent les DDOEF, les Diverses dispositions d'ordre économique et financier, qui viennent d'être votées ?
Il existe plusieurs types de textes financiers. Il y a les textes fondamentaux qui arrivent chaque année selon un rythme prévu par la Constitution ; c'est la loi de Finance qui se prépare actuellement et est soumise à l'examen du Parlement au quatrième trimestre, ou la loi sur le financement de la Sécurité sociale, elle aussi examinée par les parlementaires durant le quatrième trimestre. Entre ces lois, il y a des textes d'ajustement qui peuvent permettre de poursuivre des objectifs précis. Ce DDOEF est électrique, Il couvre beaucoup de sujets, mais c'est un texte où, cette année, on a mis l'accent sur l'amélioration de la vie quotidienne des Français et des entreprises.
Q - En quoi un texte du Budget peut-il améliorer la vie quotidienne des Français ?
Par exemple, le gouvernement et les députés de la majorité ont réduit de deux à un an le délai nécessaire pour que le conjoint survivant d'une personne qui a souscrit une assurance-vie et s'est suicidé puisse en bénéficier. Ils ont baissé le taux de TVA de 20,6 % à 5,5 % pour la réhabilitation et la construction des logements-foyers qui abritent des jeunes, des personnes en situation de détresse. A la demande de la majorité plurielle, et surtout du PS, un crédit de 30 millions de francs a été prévu pour aider les associations d'aide à domicile en difficultés financières car, dans la loi sur le financement de la Sécurité sociale, on a réduit les exonérations de charges sociales pour les salariés à temps partiel, qui sont nombreux dans leurs rangs. Voilà du concret pour les Français.
Q - Et pour les entreprises ?
On a simplifié « l'impôt papier » en réduisant le nombre de formulaires à remplir par les PME, facilité le passage à l'euro de la comptabilité des entreprises, donné les moyens à Gaz de France de desservir en gaz mille communes supplémentaires.
Enfin, on a pris un certain nombre de dispositions relatives à la justice fiscale. Les juges auront désormais des assistants spécialisés dans les questions financières : c'est important parce que la délinquance financière est de plus en plus sophistiquée. Les voitures de location seront immatriculées là où elles ont leur premier client, et non dans le département de la Marne qui avait fixé un taux de vignette automobile très bas. Le système des quirats -qui permet à des particuliers d'acheter des parts de bateaux en les déduisant de leur Impôt sur le revenu - a été réformé.
Q - Demain, débute au Parlement la discussion sur les grandes orientations budgétaires. Quelles sont-elles ?
Ce sera le deuxième budget Jospin, dans la continuité de l'effort commencé avec le budget de 1998. Croissance, emploi, solidarité : ce sont les trois maîtres mots pour 1999, comme pour 1998, et je pense qu'en l'an 2000, ce sera la même chose. Nous avons un cap très clair ; répondre aux principaux problèmes que se posaient les Français, le 1er juin 1997.
Q - Comment comptez-vous soutenir la croissance ?
Il y aura un effort budgétaire sur l'éducation, la recherche, les entreprises de nouvelles technologies et l'on fera en sorte que les impôts ne prennent pas tout le pouvoir d'achat des entreprises et des particuliers, comme cela a été le cas en 1996. La stabilité des impôts, voire telle ou telle diminution ponctuelle, permettront que la consommation, notamment la consommation populaire - premier moteur de la croissance - soit vigoureuse, et que l'investissement des entreprises soit dynamique. Il vaut mieux s'appuyer sur la consommation et l'investissement que sur l'exportation car celle-ci dépend de ce qui peut se produire en Asie ou ailleurs : c'est un moteur parmi d'autres, et non plus un moteur unique comme à l'époque de Juppé.
Q - Stabilité des impôts, voire diminution. Verra-t-on se profiler la réforme fiscale ?
En ce qui concerne la fiscalité, trois chantiers sont ouverts pour 1999 et les années suivantes. C'est la fiscalité locale (en clair, la taxe d'habitation que paient les particuliers, la taxe professionnelle que paient les entreprises) ; la fiscalité du patrimoine avec l'impôt de solidarité sur la fortune, les droits de succession et l'impôt foncier ; la fiscalité écologique.
Q - Y aura-t-il des avancées sur ces points ?
Un certain nombre d'études techniques ont été faites. Commencent maintenant la discussion, le dialogue avec la majorité. Les décisions seront prises le 22 juillet par le Premier ministre. Donc, sur la fiscalité, rendez-vous le 23 juillet.
On ouvre des pistes, puis on fait des choix politiques. Si, par exemple, on veut mettre principalement l'accent sur l'emploi, peut-être touchera-t-on d'abord à la taxe professionnelle. Si l'on veut mettre la priorité sur la justice fiscale, on pourra être tenté de corriger la taxe d'habitation qui est très différente d'une commune à l'autre et qui est la même pour des contribuables ayant des revenus très différents.
Les choix ne sont pas arrêtés car la phase de dialogue politique n'est pas encore ouverte. Elle commencera avec le débat d'orientation budgétaire au Parlement, et elle se poursuivra au sein du Gouvernement, entre le Gouvernement et les différentes composantes de sa majorité...
Q - Dans quel cadre financier ce budget s'inscrit-il ?
Le Premier ministre a défini un cadre pour le budget 1999 et le propre du cadre, c'est que la peinture doit se trouver à l'Intérieur.
Le Premier ministre a qualifié la première règle de « ni rigorisme ni laxisme ». Les dépenses, pour l'État, doivent croître de 1 % en volume, à prix constant : si on ajoute une hausse des prix de 1,2 %, la moyenne des dépenses de l'État doit croître de 2,2 %.
2,2 %, c'est plus que ce que souhaite la droite - elle voudrait que les dépenses de l'État diminuent ou soient stables en francs courants -, mais c'est moins que la progression de la richesse nationale. Celle-cl serait, l'an prochain, grosso modo, de 2,8 % de croissance, plus 1,2 % de hausse des prix : cela fait 4 %. Donc, les dépenses de l'État vont être dynamiques, sans être excessives.
Deuxième règle : les déficits de l'État, de la Sécurité sociale et des collectivités locales devront au total diminuer, de 3 % en 1998 à 2,3 % en 1999. Pour l'État, le déficit devrait diminuer d'une vingtaine de milliards de francs, ce qui est un pas dans la bonne direction, celle où la dette de l'État arrête de croître. Si l'on continue dans cette direction, on y arrivera normalement, non pas en 1999, mais en l'an 2000.
Troisième règle : les effectifs civils de l'État resteront stables en 1999 comme en 1998. Les salaires des fonctionnaires vont croître, puisqu'il y a eu un important accord salarial, mais il n'y aura pas d'accroissement de leur nombre. Les embauches compenseront seulement les départs : entre 45 et 50 000 fonctionnaires de l'État partiront à la retraite l'an prochain.
Q - Qu'y aura-t-il pour la deuxième priorité, l'emploi ?
La première source d'emploi sera la croissance ; on peut en attendre la création de plus de 200 000 emplois supplémentaires l'an prochain, ce qui est bien mais pas suffisant par rapport au chômage. Il y a, en plus, les dispositifs très importants des contrats-jeunes, qui vont continuer à monter en puissance, et de la réduction négociée de la durée du travail dont 1999 sera la première année pleine de mise en route. Le budget, c'est comme la fusée Ariane : Il y a la fusée, c'est la croissance, et deux boosters que sont les contrats-jeunes et la réduction négociée de la durée du travail.
Q - Et la solidarité ?
En ce qui concerne la solidarité, le principal volet sera de faire de 1999 la première année de mise en oeuvre pleine de la loi contre l'exclusion. Je ne peux pas en dire plus maintenant, mais c'est une priorité trois étoiles. »