Interviews de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire socialiste à l'Assemblée nationale, à France-Inter le 4 novembre 1998 et dans "Le Figaro" le 9, et tribune dans "Libération" le 4 intitulée "Les vraies raisons du rejet du PACS", sur les enseignements du débat parlementaire relatif au Pacte civil de solidarité (PACS), l'obstruction de l'opposition de droite, et sur ses propositions de réforme du règlement intérieur de l'Assemblée nationale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jean-Marc Ayrault - président du groupe parlementaire socialiste à l'Assemblée nationale

Circonstance : Débat parlementaire sur le PACS (Pacte civil de solidarité) à l'Assemblée nationale le 4 novembre 1998

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission Forum RMC Libération - France Inter - Le Figaro - Libération

Texte intégral

FRANCE INTER – le 04 novembre 1998

DENIS ASTAGNEAU
Le gouvernement n'engagera pas sa responsabilité pour abréger le débat de l'Assemblée nationale sur le PACS. Pas de 49.3 a confirmé Elisabeth GUIGOU, à l'issue du Conseil des ministres ce matin. La ministre de la Justice estime qu'il faut laisser se développer le débat afin qu'on puisse échanger tous les arguments. C'est un débat de société qui le mérite, dit-elle. En tout cas hier soir et cette nuit, l'Assemblée nationale a vécu sinon de grandes heures du moins des moments chauds, avec le discours marathon de la députée UDF Christine BOUTIN. Elle a défendu pendant plus de 5 heures, une motion d'irrecevabilité. Un discours qui a beaucoup énervé les députés de la majorité, à tel point que le président de la séance – Arthur PAECHT, un UDF – a suspendu les travaux pour un quart d'heure, afin de ramener le calme. Cela a, au contraire, décupler la colère de certains élus socialistes, notamment Jean-Marc AYRAUT – le président du groupe – qui aurait bousculé Arthur PAECHT. Ce dernier ne veut pas envenimer l'incident. Écoutez sa version des faits recueillie par Jérôme DARVILLE.

ARTHUR PAECHT
Puisque le règlement de l'Assemblée prévoit des motions de procédure sans limitation de temps, il était donc normal que je fasse respecter le temps de parole de Madame BOUTIN, que les gens l'écoutent et si cela avait été un orateur de la majorité, j'aurais eu exactement le même comportement. Arrive un moment, tard dans la nuit, où le bruit était tel que Madame BOUTIN devenait inaudible. Et à partir de ce moment-là, je me devais de lever la séance pour calmer les esprits. Je crois que c'est aussi simple que cela. Quant aux injures et aux invectives, je cherche totalement à dédramatiser cette affaire ; ça ne m'impressionne pas, çà n'honore pas ceux qui utilisent ces moyens-là. Et ce que j'ai pu noter, ce que le plus excité des gens qui lançaient des injures à la ronde, était le président du groupe socialiste, sans aucun doute, pour rattraper ses erreurs de la semaine d'avant. Mais là, je n'en suis pas responsable, moi je devais faire en sorte que Madame BOUTIN soit entendue, que ça plaise ou pas. Je n'ai pas à porter de jugement sur le contenu de ce qu'elle a dit.

DENIS ASTAGNEAU
Finalement l'exception d'irrecevabilité a été repoussée à 3 h 35 ce matin. Jean-Marc AYRAULT bonjour.

JEAN-MARC AYRAULT
Bonjour.

DENIS ASTAGNEAU
Merci d'être avec nous au téléphone après cette nuit agitée. Je rappelle que vous êtes le président du groupe socialiste à l'Assemblée et député-maire de Nantes. Alors c'est vrai que vous en êtes venu aux mains avec Arthur PAECHT.

JEAN MARC AYRAULT
Non, absolument pas, non, non, d'ailleurs Monsieur PAECHT ne l'a pas dit, je viens d'entendre ses propos.

DENIS ASTAGNEAU
Oui, oui.

JEAN-MARC AYRAULT
Il est vrai qu'il a présidé, qu'il y a eu plusieurs interruptions de séance, donc le récit que vous avez fait était incomplet ; la dernière suspension de séance c'était à sa demande ; il se tourne vers les bancs de l'opposition : « voulez-vous une suspension de séance » et l'opposition répond en criant : « oui » et il arrête la séance. Donc, ce qui a provoqué effectivement une réaction vive de la part des députés de la majorité. Mais ce n'est pas cela l'essentiel. L'essentiel c'est que…, d'ailleurs çà avait été décrit par Monsieur PAECHT lui-même, c'est qu'on a une organisation des travaux d'Assemblée nationale qui n'est pas digne d'un Parlement moderne et parler pendant six heures, comme un moulin à prières, pour répéter les mêmes arguments et puis recommencer le lendemain et puis le surlendemain pour la même chose, c'est-à-dire des motions de procédure qui visent à bloquer le travail parlementaire avant qu'on commence même l'examen des articles, je crois qu'il faut changer cela. Ce n'est pas bon pour la démocratie et ça nourrit l'antiparlementarisme. En tout cas il y a une chose qui est sûre…

DENIS ASTAGNEAU
Jean-Marc AYRAULT, Christine BOUTIN avait réussi quand même à faire le plein de l'hémicycle puisqu'il était aux trois quarts pleins.

JEAN-MARC AYRAULT
Oui bien sûr et la gauche était unie et était d'accord bien sûr pour voter contre les initiatives de blocage de la droite et favorable au PACS, qui sera voté.

DENIS ASTAGNEAU
Mais vous savez bien que le blocage c'est un petit jeu que pratiquent les Partis dans l'opposition…

JEAN-MARC AYRAULT
Oui mais je pense qu'il faut en finir avec ce jeu un peu archaïque…

DENIS ASTAGNEAU
Oui mais vous-même aviez présenté beaucoup d'amendements me semble-t-il, à l'époque où…

JEAN-MARC AYRAULT
Oui mais ce n'est pas parce que dans le passé mes prédécesseurs ont procédé de cette façon, qu'il faut forcément continuer. Moi je pense que si on veut redonner une image positive au Parlement, il faut sans doute procéder à un certain nombre de réformes. Par exemple, pouvoir déposer une motion de procédure c'est peut-être nécessaire mais en tout cas il faut au moins que le temps de parole soit réglementé, parce qu'il n'y a aucune limite. Madame BOUTIN a parlé près de six heures, elle aurait pu parler vingt heures, rien ne pouvait l'arrêter. Donc, que ça soit un député de droite ou un député de gauche qui utiliserait ce type de méthode, moi je trouve cela navrant et ça nourrit l'antiparlementarisme. Ça c'est la première chose. La deuxième chose que je voudrais dire sur le fond, sur le PACS, ce qui me frappe, c'est que la droite envoie ses ultras, les plus rétrogrades, les plus conservateurs – c'est le cas de Madame BOUTIN sur cette question de société – demain c'est Monsieur LENOIR, du Parti de Monsieur MADELIN. Pourquoi les hommes et les femmes de droite qui sont – il y en a encore quelques-uns – qui sont des hommes ouverts, Monsieur Lucien NEUWIRTH qui est aujourd'hui sénateur, était le père de la contraception, il y a quand même des hommes et des femmes de progrès à droite, il ne sont pas tous qu'à gauche. Pourquoi est-ce qu'ils ne se lèvent pas, pourquoi ils laissent parler seulement les ultra-réactionnaires, les conservateurs, les…

DENIS ASTAGNEAU
On entend aussi Roselyne BACHELOT dans les rangs du RPR…

JEAN-MARC AYRAULT
Eh bien on les entend dans les couloirs, mais qu'ils s'expriment à la tribune. Parce que finalement, est-ce que ce n'est pas un signe ou un gage donné à l'Extrême-droite ?

DENIS ASTAGNEAU
Et est-ce qu'on entend à gauche des gens qui sont contre le PACS ?

JEAN-MARC AYRAULT
Eh bien à gauche moi je… en tout cas en ce qui concerne le groupe socialiste, on a beaucoup travaillé sur ce projet qui était… c'est vrai qu'il est complexe, mais sur 251 députés socialistes ou apparentés, 250, ont tenu à le signer personnellement puisqu'on avait prétendu qu'on avait eu honte du PACS. Nous avons voulu laver cet affront et nous l'avons fait de façon très nette et très ferme hier soir, avec nos collègues de la gauche plurielle…

DENIS ASTAGNEAU
Jean-Marc AYRAULT, qu'est-ce que vous pensez de l'attitude d'Elisabeth GUIGOU qui ne veut pas utiliser le 49.3 et qui dit qu'il faut le débat de société se poursuive à l'Assemblée ?

JEAN-MARC AYRAULT
Eh bien je pense que cela c'est de la responsabilité du Premier ministre et du gouvernement d'utiliser ou non le 49.3. Je pense que la décision étant prise de ne pas l'utiliser, nous irons jusqu'au bout et le PACS sera voté. Ce que je ne comprends pas c'est pourquoi l'opposition fait une telle obstruction, en utilisant toutes les astuces de la technique parlementaire d'une autre époque – ce qu'on appelle le flibustoring – je pense que l'opposition devrait plutôt se consacrer au débat de fond. Donc, nous permettre de commencer à examiner les articles mais en plus, déposer mille amendements dont certains sont des amendements de pure forme, pour faire durer le plaisir ! Alors je ne pense pas que tout cela contribue à la sérénité et surtout à la clarté. Les Français attendent des réformes, sur des questions de société qui sont des questions difficiles, bon, il faut de la patience et de la pédagogie. C'est ce qu'a voulu dire Elisabeth GUIGOU et je pense que c'est tout à fait cette méthode de la pédagogie.

DENIS ASTAGNEAU
Je vous remercie Jean-Marc AYRAULT.


Le Figaro : 9 novembre 1998

LE FIGARO. – Quels enseignements tirez-vous des débats sur le Pacs et des nombreux dérapages auxquels on a pu assister depuis le début de la semaine ?

Jean-Marc AYRAULT. - L'Assemblée nationale fonctionne mal. Ce n'est pas nouveau et je l'ai fait savoir depuis mon arrivée à la présidence du groupe socialiste sans jamais être entendu. Aujourd'hui, tout le monde reconnaît enfin cette évidence. Je suis entièrement d'accord avec mon homologue du groupe RCV, Michel Crépeau, lorsqu'il déclare dans votre journal (lire nos éditions de samedi) qu'il faut revenir à l'esprit et à la lettre de la session unique initiée par l'ancien président de l'Assemblée nationale Philippe Séguin. Il faut impérativement limiter à trois jours (du mardi au jeudi) la présence des députés au Palais-Bourbon afin que ceux-ci puissent rester en contact avec les électeurs sur le terrain. Dans le même ordre d'idées, il faut absolument en finir – seul exception en période budgétaire – avec les séances de nuit. J'ajoute que je ne comprends pas très bien pourquoi l'opposition s'accommode si bien de voir dénaturer la réforme Séguin qu'elle avait votée en son temps.

LE FIGARO. – Que voulez-vous dire ?

– Depuis le début de la législature, l'opposition fait de la flibusterie parlementaire en déposant des motions de procédure sur tous les textes – y compris le projet de loi de finances, qui est une obligation constitutionnelle, et sur laquelle la droite a récemment défendu une exception d'irrecevabilité en tentant de démontrer une prétendue anticonstitutionnalité. Celle tactique d'obstruction parlementaire est révélatrice d'une stratégie plus globale de l'opposition. Il n'a échappé à personne – on a pu l'observer lors des débats sur la nationalité, sur l'immigration, ou encore sur le Pacs – que l'opposition RPR UDF-DL envoie à la tribune de l'Assemblée ses porte-parole les plus ultras. Il y a là des signes que la droite adresse de manière explicite aux électeurs du Front national.

LE FIGARO. – Que proposez-vous pour améliorer la qualité des débats parlementaires ?

– Il faut réformer notre règlement intérieur. Il en va du prestige et de la dignité de l'Assemblée nationale. A ce titre, je suggère que l'on s'inspire du règlement intérieur de l'autre grande institution parlementaire qu'est le Sénat. Tout le monde s'accorde à reconnaître que la Haute Assemblée possède un règlement qui ne brime pas les droits de l'opposition. Or, dans leur grande sagesse, les sénateurs ont accordé aux orateurs un maximum de quinze minutes pour défendre une motion de procédure, alors que les députés disposent d'un temps de parole illimité. Pourquoi ne pas s'inspirer du réalisme et de l'équilibre du Sénat ? Il suffirait pour cela d'une simple résolution de l'Assemblée nationale.

LE FIGARO. – Croyez-vous qu'il puisse y avoir un consensus sur ce point ?

- Si nous pouvions parvenir à cette réforme en dégageant un consensus, ce serait parfait. Mais il faudrait d'abord réussir à convaincre tout le monde qu'une organisation moderne de nos débats ne limiterait pas les droits de l'opposition – actuelle et future. Peut-être est-ce encore prématuré ?

LE FIGARO. – – Pensez-vous que le Pacs pourra être adopté mardi comme annoncé ?

– Je n'ose plus faire de pronostic sur ce texte. Une chose est certaine : le Gouvernement continuera à inscrire à l'ordre du jour prioritaire les propositions de loi sur le Pacs.


Libération : 4 novembre 1998

Le rejet, le 9 octobre, de la proposition de loi instaurant un pacte commun de solidarité a suscité de nombreux commentaires : ils tournent autour de deux questions : le groupe socialiste voulait-il vraiment de ce texte ? Le groupe socialiste est-il bien présidé ?

On a posé également, à cette occasion, une troisième question : pourquoi, depuis un an, à trois ou quatre reprises, les députés de la majorité se sont-ils retrouvés en minorité en séance publique ?

Je ne suis pas, aujourd'hui, en situation de traiter les deux premières interrogations. Pour la première, il faudra bien, le jour venu, écrire la vraie histoire du cheminement du Pacs : maintenant, il est à la fois trop tard et trop tôt.

Pour la deuxième, après l'avalanche de petites phrases assassines, le plus souvent anonymes ; après les fausses et vraies confidences des « entourages » ou des « proches de… », je ne dirai que deux choses : attribuer le résultat du vote du 9 octobre au fonctionnement administratif du groupe socialiste relève du mauvais procès, fruit de la mauvaise conscience. Cela dit, les attaques contre la présidence du groupe posent, par la diversité de leurs origines, la question de la gestion politique de la majorité dite « jospiniste ». Il faut donc rapidement clarifier les choses. Comme cette mise au net n'est pas encore intervenue, je ne veux rien ajouter au climat de méfiance qui prévaut désormais : « Tout ce qui peut être dit peut-être dit clairement, et tout ce dont on ne peut parler, il faut le taire. »

Par contre, président du groupe sur lequel repose la responsabilité principale d'assurer, dans sa dimension législative, la politique du gouvernement, je me sens libre de m'exprimer sur la question de la présence des députés socialistes en séance publique. Pour la clarté des choses, levons l'hypothèse qui pèse sur cette querelle de l'absentéisme, à savoir le cumul des mandats.

Si l'on pense que limiter la capacité de détenir d'autres mandats que celui de député peut résoudre à la fois les difficultés inhérentes aux fonctions institutionnelles du député et l'absentéisme en séance publique, on se trompe.

Ce qui donne son sens à la réforme sur le non-cumul des mandats, que j'ai soutenue en première lecture, c'est une nouvelle étape, décisive, de la décentralisation. J'ai appelé et je continue d'appeler de mes voeux une nouvelle grande loi Defferre.

Qu'en même temps l'on estime que le travail parlementaire sera mieux fait, grâce à des emplois du temps moins chargés, on peut le soutenir. Mais rien ne fera que le député puisse passer toute sa semaine à l'Assemblée. En effet, le député peut exercer les fonctions qui lui sont dévolues par la Constitution que s'il garde un contact étroit avec les citoyens. Pour cela, il doit les rencontrer. C'est ainsi qu'il peut ne pas être entre les mains de la technocratie et, en même temps, sentir battre le pouls du pays, donc, bien légiférer. Pour ce faire, il faut qu'il soit fréquemment dans sa circonscription, et – c'est l'évidence – de préférence les jours ouvrables.

Il faut donc, sauf cas d'extrême et gravissime urgence, que l'Assemblée ne siège que trois jours par semaine. Ce qui est encore loin d'être le cas. Dans cet effort de clarification, distinguons le travail parlementaire de la présence en séance publique.

Tout d'abord, le député, en dehors de sa fonction de législateur, se doit de contrôler l'exécutif : cela demande du temps et une compétence affirmée. De même, la préparation du débat législatif en séance nécessite à la fois elle aussi temps et compétence. Du temps au sein des groupes politiques, en commission, pour entendre ceux qui peuvent éclairer l'élude d'un projet. Il faut aussi se spécialiser : qui peut prétendre être pertinent à la fois sur tout ? Ce principe indispensable de spécialisation conduit à faire confiance, au sein de chaque groupe parlementaire, à ceux qui s'investissent dans tel domaine ou tel autre : Le projet, quand il arrive au stade de la séance publique, a été décanté par un petit nombre de députés, et arbitré sur les points essentiels en réunion de groupe : la séance publique n'est que le moment ultime où législateur et gouvernement confrontent leurs points de vue en connaissance de cause.

Le caractère souvent formel de la séance publique, où finalement le Gouvernement, sa majorité et l'opposition se confrontent publiquement sur quelques questions centrales, a été décrit de nombreuses fois ; de nombreuses fois également des solutions pour alléger la séance publique ont été esquissées. Elles ont toutes été rapidement abandonnées, faute d'un consensus recherché entre tous les groupes parlementaires. En effet, ce consensus est impossible à trouver parce que les uns se projettent dans le moment où ils seront à nouveau dans l'opposition ; les autres parce qu'ils sont dans l'opposition.

Les débats en séance publique sont tellement austères, sauf pour les spécialistes qui s'y affrontent avec talent, que l'opposition y recherche l'incident qui soudain réveille les journalistes et nourrit les papiers du lendemain.