Texte intégral
LE MONDE - 13 novembre 1998
1. En tant que ministre délégué à la ville, vous demandez au maire de « tirer les premiers » et de s'inscrire dans une logique résolument intercommunale alors que les deux projets de loi censés organiser ce nouveau cadre ne sont pas votés. Les élus ne vont-ils pas attendre pour s'engager ?
Les élus ont déjà une pratique des contrats de ville. Et c'est, en fait, l'État qui a tiré le premier. Le gouvernement, en augmentant d'un tiers l'ensemble des financements de la politique de la ville, a donné le signal de la mobilisation. Mais nous demandons maintenant aux élus de définir un projet politique de solidarité pour leur territoire. Ce sera l'objet du projet de ville présenté en commun par l'ensemble des responsables des collectivités locales concernées. Ce sera à eux, avec l'État, de valider les programmes d'action à mettre en oeuvre dans les sites prioritaires.
2. Le travail intercommunal sera-t-il un préalable à la signature des contrats ?
Rien ne sera figé. Pour un certain nombre de zones géographiques, en région parisienne, par exemple, l'agglomération n'est pas toujours le périmètre pertinent. Le projet de loi Chevènement prévoit des incitations financières à l'intercommunalité mais dans les agglomérations de plus de 50 000 habitants seulement. Pour les autres, et notamment les petites villes qui connaissent des difficultés qu'il va falloir prendre en compte, l'action pourra se situer au niveau communal.
3. Que se passera-t-il pour les villes qui refuseront d'entrer dans cette logique de solidarité urbaine ?
Il faudra bien qu'elles soient pénalisées, notamment financièrement quand elles refusent de construire du logement social. Il faut lever ce blocage par la loi si la persuasion ne marche pas. La loi d'orientation sur la ville (LOV) mériterait d'être renforcée. Il y aura aussi obligation pour le gouvernement de donner plus de force à la péréquation fiscale et financière entre communes riches et communes pauvres. La troisième clé, ce sont les crédits propres de la politique de la ville mais aussi, et surtout, les crédits communs des ministères. C'est là qu'est le vrai gisement. La bonne politique, c'est amener les différents ministères à s'engager en faveur du renouvellement urbain dans le cadre de leurs crédits propres. La politique de la ville a souvent joué, jusqu'ici, un rôle d'amortisseur social, elle doit devenir un moteur social de développement.
RADIO CLASSIQUE - samedi 14 novembre 1998
Q - Dans de nombreux rapports on a évoqué les sommes importantes qu'il fallait mobiliser. Celui qui a donné la somme la plus précise c'est Jean-Pierre SUEUR, le Maire d'Orléans qui avait été chargé par Lionel JOSPIN et Martine AUBRY de remettre un rapport sur la politique de la ville ; et au moment où il a présenté son rapport on lui a posé la question de savoir quel était le montant financier qui était nécessaire pour mettre en oeuvre ces orientations.
Il avait dit qu'il faudrait 35 milliards sur 10 ans. Nous allons approcher les 32 milliards cette année puisque Lionel JOSPIN a voulu que cette politique de la ville soit une réelle priorité et l'ensemble des financements de la politique de la ville vont augmenter d'un tiers cette année. Donc les 35 milliards sont à notre portée. Certes, il faut que l'État, en ce qui concerne les décisions qu'il peut prendre, en terme d'emploi, en terme de sécurité, d'éducation, d'égalité devant le service public ; soit au premier poste. Mais il faut aussi que les villes, les départements, les régions, la Caisse des Dépôts et Consignations, les Offices d'HLM participent à cette aventure. Et c'est la raison pour laquelle le calendrier que nous avons adopté actuellement me paraît être le bon. D'abord ce message clair de l'État qui dit : « j'augmente d'un tiers, c'est le signe de la mobilisation générale.» Dans un deuxième temps, sur l'année 99 nous allons négocier ces contrats de ville pour fixer ce que nous voulons faire. On ne va pas mener une politique de gribouille. Il faut que chacun sache sur quoi il s'engage pour la période 2000/2006 mais dans le même temps nous allons avoir une grande chance, c'est que nous allons négocier les contrats de plan État/régions : les contrats qui vont lier les investissements que veulent réaliser les régions avec l'État et là, ce sera le moment d'un grand choix entre les parties qui seront concernées. Est-ce que pour la période 2000/2006 on va donner une nouvelle fois une priorité aux liens, au national, aux autoroutes, au confort de nos automobiles ou est-ce que nous allons donner comme priorité des priorités le développement solidaire de nos villes et de nos quartiers. Et là, non seulement on aura un beau débat mais cela permettra aussi de mobiliser des sommes qui seront indispensables pour repenser et reconstruire nos villes et faire reculer la misère.
Q - Concernant les zones considérées comme difficiles, le Ministre de la Ville a annoncé qu'il y avait 1 400 quartiers en difficulté, ce qui représente une population d'environ 6 millions de personnes.
On sait qu'il y a 1 400 quartiers pour la France entière, qui présentent des difficultés, mais dans Ces 1 400 quartiers ils ne sont pas tous à abattre. Ils touchent 6 millions de personnes qui vivent dans ces quartiers terriblement dégradés. On sait que pour un certain nombre de ces quartiers on y vit mal, mais ils ne réclament pas tous des opérations de reconstruction ou de démolition. Pour un certain nombre d'entre eux on y vit mal parce que ce sont des quartiers complètement enclavés. Compte-tenu de l'organisation des transports c'est une véritable expédition pour se retrouver dans des endroits où l'on peut trouver du travail. Il y a des quartiers où on y vit mal parce qu'il n'y a plus aucun service public à proximité. Il y a des quartiers où l'on y vit mal parce que ce sont des taux de chômage de plus de 30 % qui y sont enregistrés. Et, quelques fois, tout cela n'est pas lié au bâti lui-même, c'est lié à un travail de réparation qui nécessite pas forcément d'arriver à de la reconstruction / démolition mais qui passe par l'utilisation des emplois jeunes, la reconquête des bas de logements HLM pour y installer des activités de proximité, l' amélioration de la qualité de l'école, le retour de la sécurité, le retour des services publics et on aura pas besoin de démolir.
Q - Interrogé sur ce qu'il pensait des zones franches installées par le précédent Gouvernement d'Alain Juppé, Claude Bartolone s'est dit dubitatif quant à l'efficacité de cette initiative, mais il attend deux rapports qu'il aura à la fin de l'année pour se prononcer.
Sur les zones franches urbaines lorsque l'on va sur le terrain, on entend quand même un certain nombre de remarques négatives qui nous parviennent. C'est l'effet pervers et c'est tout le problème de ces zonages décidés de Paris en termes de périmètres sur une carte sans donner la place à la réflexion en terme de projet de développement économique et social. On se rend compte qu'il y a un certain nombre d'entreprises qui n'étaient pas très loin de la zone franche et qui ce sont délocalisées de 300 mètres à dix kilomètres pour pouvoir bénéficier de ces avantages. On se rend compte que, quelques fois, le nombre d'emplois supplémentaires créés est très faible. Je lisais le rapport sur la zone franche urbaine de Cenon ; on parle d'un emploi. En plus, une fois que l'on fait le compte des entreprises qui on déménagé tout cela coûte 2,6 milliards. Alors pour essayer de savoir exactement quel est l'impact de la création de ces zones franches j'ai demandé à l'Inspection Générale des Affaires Sociales, à l'Inspection Générale des Finances de me remettre un rapport et il me sera remis fin décembre, et nous essaierons d'en tirer les conclusions et d'améliorer le système. Cela ne veut pas dire forcément de les arrêter, avant d'en arriver là nous essaierons de les améliorer. Mais je ne voudrais pas que l'on soit en situation de dépenser 2,6 milliards pour constater au bout du compte que l'on a très peu de création d'emplois pour les populations concernées. Ça méritera qu'il y ait une moralisation de cet outil pour qu'il soit réellement un outil qui permette le développement de l'emploi.
Q - Il a par ailleurs regretté l'initiative de la création de METEOR, estimant qu'il aurait mieux valu intervenir sur les structures de transports publics existantes pour les améliorer...
Je ne suis pas certain que si j'avais été Ministre des Transports à l'époque, j'aurais donné l'autorisation à la RATP de construire METEOR et de ne pas rénover, avant, les lignes de RER. Le problème est de savoir aussi à quelle population et quelle est l'amélioration des conditions de transports et à qui on les offre. Quelque soit le transporteur. D'ailleurs, un certain nombre de petits villages on évité finalement le départ d'un certain nombre de familles en organisant leur transport de ramassage scolaire pour permettre aux enfants de pouvoir bénéficier de l'école de la République. D'une certaine manière il faut que l'on soit en situation de réfléchir les déplacements des populations pour aller d'un endroit culturel à un endroit qui relève d'une zone économique, au travail ou à l'école. C'est ce qu'on essaie aussi de faire lorsqu'on est en position de réfléchir à ce que doit être l'aménagement d'une ville ou d'une agglomération.