Déclaration de M. Pierre Méhaignerie, ministre de la justice, sur les grandes orientations du programme pluriannuel pour la justice, à l'Assemblée nationale le 4 juillet et au Sénat le 18 octobre 1994.

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Circonstance : Présentation à l'Assemblée nationale le 4 juillet et au Sénat le 18 octobre 1994 du programme pluriannuel de la justice

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Pour la première fois le Parlement est saisi d'un programme pluriannuel pour la Justice associant des choix budgétaires dans une perspective pluriannuelle, et des réformes d'organisation et de procédure. Pourquoi cette démarche ? Pourquoi sortir du cadre étriqué mais à certains égards confortables de la loi de finances annuelle ? Et pourquoi mettre ainsi l'accent sur la nécessité de réformer l'organisation judiciaire et les procédures ?

Ma première réponse est celle de l'urgence à agir.

Personne ne se satisfait d'une situation dans laquelle le budget de la Justice représente un peu moins de 1,50 % du budget de l'État. Et où : par exemple (au moins pour ces dernières années) le budget de la Justice administrative toute entière est de l'ordre de grandeur de la subvention allouée à l'Opéra de Paris. Deux sénateurs, dans un rapport bien connu, ont pu parler de justice sinistrée.

Il y a urgence à agir, dans une situation où le flot du contentieux ne cesse de monter : le nombre des affaires croît de 4 à 5 % l'an en matière civile et en matière administrative. Les moyens ne suivant pas au même rythme, les procédures s'allongent.

Il y a urgence à agir parce que l'augmentation de la délinquance, notamment dans les quartiers des villes, déborde les moyens de la justice pénale. Il en résulte, chez les fauteurs de troubles, un sentiment d'impunité, et dans la population, un sentiment d'impuissance et d'exaspération.

Il y a urgence à agir enfin, parce que les moyens sont insuffisants. C'est presque un objet de consensus entre élus de tous bords : la Justice est mal dotée au regard de ses missions.

Pour autant, il est impossible, aujourd'hui, de s'en tenir à des solutions purement financières. Pour lutter efficacement contre le chômage, il nous faut maîtriser la dépense publique. Les déficits doivent être réduits : vous l'avez-vous mêmes décidé.

Les chiffres de la loi programme représentent certes un effort sensible en faveur de la justice. Il suffit, pour s'en convaincre de comparer ces chiffres avec ceux de la période quinquennale précédente.

Mais je n'ai jamais envisagé de me placer dans une pure logique de demande de moyens supplémentaires. Du reste, une approche exclusivement budgétaire ne manquerait pas de conduire très vite à de nouveaux blocages, et à des déceptions à la mesure de certaines promesses passées, si peu suivies d'effet. Que l'on se souvienne de l'année « de la Justice », annoncée pour 1991.

C'est pourquoi, délibérément, j'ai voulu associer à ces choix budgétaires, et en cohérence avec eux, des réformes d'organisation et de procédure pour traduire trois grandes orientations :

1) L'État doit recentrer son action sur l'une de ses grandes fonctions régaliennes.

2) L'organisation judiciaire et les procédures doivent être simplifiées et allégées.

3) La politique pénale de la nation doit être renforcée pour mieux assurer, à la fois, la sécurité de nos concitoyens et la prévention de la récidive.

Les mesures qui vous ont été présentées dans les trois projets ne sont pas sorties tout armées des bureaux de la Chancellerie. Elles ont été précédées de travaux de réflexion, auxquels des parlementaires ont été associés.

Elles ont donné lieu à de vastes consultations de magistrats et de fonctionnaires, directement dans les juridictions, et à travers les organisations syndicales et professionnelles.

Elles sont toutes inspirées du même objectif : réconcilier les Français avec leur justice. Cela suppose, à mon sens, un constat et une approche.

Le constat est le suivant : la demande de Justice portée par nos concitoyens a des racines très profondes et des causes qui échappent totalement à l'institution judiciaire. Il faudrait citer la complexité de l'organisation sociale ; l'inflation législative et réglementaire (toujours déplorée, mais jamais endiguée) ; la meilleure connaissance, par chacun de ses droits ; le développement des professions juridiques ; l'affaiblissement des solidarités et des modes traditionnels de résolution des litiges. Aucune de ces vagues n'est suffisante ; mais ensemble, elles constituent la marée montante, qui atteint d'ailleurs aussi bien les pays comparables au nôtre. Il n'est pas vain, à ce propos, de parler d'un phénomène de société.

L'approche politique en découle directement : ce n'est pas aux Français d'ajuster leurs attentes à l'état de la Justice, mais à l'institution elle-même de s'adapter. Il est inutile, je pense, de souligner l'importance de l'enjeu, pour la société comme pour l'individu.

Pour la société, la Justice est à la fois le socle et le garant de l'ordre démocratique. Pour l'individu, la confiance dans la Justice est un pilier de la sécurité, elle justifie son adhésion au pacte social. Cette confiance est constamment mise à l'épreuve nous le savons bien, chacun d'entre nous ressent au fond de lui-même une exigence absolue de justice ; la demande de justice est de nature morale, affective, Pour le plaideur il n'y a pas de « petite » affaire et il entend que l'institution lui prête la même qualité d'attention, quelle que soit la nature du litige et la portée de la décision à rendre. D'où la nécessité, pour réformer, d'agir sur plusieurs plans : réduire les délais de jugement, c'est un indice essentiel de satisfaction, mais aussi : créer les conditions d'une meilleure écoute du justiciable ; mieux administrer, pour donner une plus grande efficacité à la dépense publique.

Il faut diversifier les réponses, au civil comme au pénal : à l'origine d'une saisine de la Justice il y a toujours une forte charge émotive, née d'un conflit, d'une fracture, voire d'une agression plus ou moins grave ; il y a parfois un trouble à l'ordre social. Mais pourquoi faudrait-il que chacune de ces saisines soit l'occasion de déployer l'ensemble des procédures, dans la lourdeur de leur appareil ? Nos concitoyens ne sont-ils pas prêts à accepter des modes de résolution des litiges, ou de réparation, plus souples que les procès traditionnels ?

En réalité, ces interrogations se ramènent à une question fondamentale : quelle Justice voulons-nous pour la société française de demain ?

Une démarche pluriannuelle, et globale m'a paru s'imposer.

Tout ne sera pas résolu dans les cinq ans qui viennent. Mais je voudrais qu'au cours de cette période des progrès significatifs soient accomplis en faveur d'une justice :

– plus proche du citoyen ;
– plus rapide ;
– mieux équipée et mieux organisée ;
– mieux armée pour faire face à la délinquance.

Une justice plus proche du citoyen

Voilà un objectif clair, mais qui n'appelle pas de solutions toute faite.

Ce n'est pas une affaire de proximité géographique. Les tribunaux d'instance, tribunaux de proximité par excellence, sont bien répartis sur le territoire.

L'accueil

L'accueil est pour beaucoup, dans la perception du citoyen et de ce point de vue il y a beaucoup à faire. Des justiciables se perdent encore dans les palais de justice, et pas seulement dans le maquis des procédures. Il faut pouvoir les orienter, au moment si décisif du premier contact avec la juridiction. Les greffiers sont les mieux placés pour cela et leurs effectifs seront renforcés.

La conciliation et la médiation

Il y a aussi la distance créée par le rite judiciaire. C'est pourquoi j'estime qu'il faut attendre beaucoup de la conciliation et de la médiation. Rechercher en commun une solution, préférer un accord négocié à une décision d'autorité, n'est-ce pas là une démarche naturelle de la vie sociale ? Elle ne convient certes pas à tous les litiges portés devant les tribunaux : il est bien des cas où il est nécessaire de dire le droit.

Mais la conciliation et la médiation seront les plus utiles dans les litiges de la vie quotidienne, en particulier ceux qui viennent devant les tribunaux d'instance. Ces procédures existent déjà : les conciliateurs ont été institués par un décret de 1978. Mais comme l'ont noté les sénateurs Haenel et Arthuis, la conciliation est restée trop éloignée des lieux de justice et du rite judiciaire. Ils ont recommandé une meilleure articulation entre l'office du conciliateur – ou du médiateur – et celui du juge. C'est le sens du projet, qui donne une nouvelle assise juridique à ces procédures. S'agissant de la conciliation préalable prescrite par la loi, le juge lui-même pourra renvoyer les parties devant un tiers conciliateur au sens du décret de 1978. Et à tout moment d'un procès, il pourra l'interrompre pour faire procéder à une tentative de médiation, par un tiers qui sera toute personne de son choix.

La médiation pénale

La médiation pénale s'inscrit évidemment dans cette perspective. Elle a été dotée d'une base légale suffisante par la loi du 4 janvier 1993. Aussi mon projet n'y revient-il pas. Mais je prévois d'en encourager la pratique car elle privilégie la réparation due à la victime, plutôt que la répression exercée par la société. La victime est trop souvent l'oubliée du procès pénal. Il faut considérer, dans bien des cas, que le trouble apporté à l'ordre social cesse lorsqu'elle a obtenu réparation.

Conciliation, médiation

Enfin, à la suite d'un rapport du Conseil d'État, la conciliation, la transaction et l'arbitrage en matière administrative font actuellement l'objet d'un travail interministériel. Il donnera lieu, le moment venu, à toute mesure législative ou réglementaire utile.

Le juge de paix

Mieux associer le citoyen à l'œuvre de justice, c'est aussi, pour moi, l'associer à l'acte de juger. D'où ma proposition d'expérimenter un juge de paix, non magistrat de carrière mais compétent pour régler, au niveau du tribunal d'instance, des litiges relevant de cette juridiction. En matière de recrutement de magistrats, les solutions diffèrent selon les pays. Le nôtre a fait le choix de privilégier la formation initiale et l'engagement dans une carrière pour la totalité de la vie professionnelle. Ce système a fait ses preuves et je ne le remets pas en cause. Mais pourquoi ne pas faire une plus large place à l'expérience ? Pourquoi voudrait-on que le diplôme et le passage par l'École soient nécessairement supérieurs et préférables à l'expérience, notamment lorsqu'elle a été acquise dans l'exercice d'une profession juridique ? En Grande-Bretagne, les parlementaires qui m'ont accompagné ont pu mesurer tout l'intérêt d'un modèle dans lequel le juge est très fortement intégré à la société civile. En France même, des milliers de juges non professionnels rendent la justice, dans les tribunaux de commerce et les conseils de prud'homme. Il ne s'agit pour moi ni de reconstituer le juge de paix d'avant 1958, qui d'ailleurs constituait un corps, ni de créer une nouvelle catégorie de juridiction. C'est à l'instance, juridiction de proximité non spécialisée que le juge de paix interviendra, pour trancher les litiges de la vie quotidienne qui n'auront pu se dénouer autrement que par une décision de justice.

Une justice plus rapide

C'est une exigence essentielle des Français, peut-être Ia première vis-à-vis de la justice.

Certes, des progrès dans les méthodes, et bien souvent des rythmes d'audiences plus soutenus ont permis jusqu'ici de contenir l'allongement des délais.

Mais d'une façon générale, les délais sont considérés comme excessifs et les faits portent d'eux-mêmes leur allongement.

Effectifs

La première réponse doit être un ajustement des effectifs. Certains redéploiements sont possibles je vais d'ailleurs y procéder mais, il est des secteurs entiers où se fait sentir le manque de magistrats : les parquets, pour répondre aux nouvelles formes de délinquance ; les tribunaux pour enfants ; le juge d'application des peines, pour s'en tenir aux besoins les plus urgents.

La loi programme prévoit donc le recrutement de 300 magistrats sur 5 ans (soit 60 par an ; comparé à 131 créations de postes pendant la période quinquennale précédente). L'effectif des magistrats administratifs sera accru de 180. Ces créations d'emploi n'ont de sens que si elles s'accompagnent de postes de fonctionnaires des greffes : les chiffres correspondants seront de 1 020 (juridictions judiciaires) et de 200 (juridictions administratives).

Capacités de jugement

Il est possible ensuite de dégager à effectif constant une certaine capacité de jugement par des mesures d'organisation et de procédure. Ce sont les dispositions du projet visant à assouplir la procédure de délégation de magistrats, et à augmenter le nombre des magistrats placés.

Juge unique

Il est prévu également d'étendre ou d'instaurer les procédures de jugement à juge unique. En matière correctionnelle ce sera une extension à des délits tels que le vol, les dégradations simples et autres infractions correspondant à des affaires d'une relative simplicité.

Pour la première fois, en revanche, le juge des enfants aura la possibilité de prendre seul des décisions telles que la mise sous protection judiciaire d'un mineur ou son emplacement en foyer d'hébergement. Pour la première fois également, le juge administratif aura la possibilité de statuer seul dans un certain nombre de contentieux limitatifs, choisis sur proposition du Conseil d'État.

Il me paraît indispensable, enfin, de recentrer le juge sur sa mission essentielle, qui est de trancher un litige selon le droit. Trop souvent il a été chargé de tâches de nature administrative, qui ont certes leur importance, mais le détournent de sa mission juridictionnelle première. Ces tâches peuvent être redistribuées. Il est prévu ainsi d'opérer un premier transfert de compétences administratives aux greffiers ; d'autres sont à l'étude.

Il est un autre domaine où le recentrage du juge sur ses missions juridictionnelles était particulièrement attendu, je veux parler des procédures de surendettement des particuliers. Il ne s'agit pas bien entendu, d'une refonte de la législation de 1989, ce n'est pas l'objet de notre débat, mais de s'interroger sur la répartition des missions dévolues respectivement à la commission administrative d'une part, au juge d'autre part.

Actuellement, 60 % des dossiers de surendettement sont traités avec succès à l'amiable par la commission administrative et dans des délais inférieurs à trois mois. En revanche pour les 40 % restant, qui sont les dossiers les plus difficiles, humainement souvent les plus douloureux, le traitement judiciaire qui succède à l'échec de la phase amiable, n'est pas adapté. L'absence d'articulation entre le travail de la commission et celui du juge qui est ainsi contraint de refaire toute une procédure a eu pour résultat que 15 000 dossiers sont en attente dans les tribunaux d'instance. Les délais de traitement ne cessent de s'allonger, sans que le surendetté ne puisse bien comprendre pourquoi il est nécessaire de recommencer toute la procédure devant le juge.

Je me suis donc attaché à chercher des solutions qui renforceraient les pouvoir de la commission administrative en cas d'échec de la phase amiable, le juge n'étant plus qu'une instance de recours des décisions de cette commission.

Une telle modification du dispositif actuel ne doit pas cependant avoir pour effet indirect d'altérer le bon climat qui règne dans les commissions et de compromettre ce qui marche bien, c'est-à-dire la phase amiable. Votre commission des lois propose ainsi quelques aménagements qui sans dénaturer la volonté légitime du Gouvernement de recentrer le juge sur ses tâches juridictionnelles, améliorera le traitement des affaires pour lesquelles la commission n'a pas pu parvenir à un accord amiable.

Une justice mieux armée pour faire face à la délinquance

Il faut pouvoir exécuter les peines, et je prévois la construction de 4 000 places de prison.

Par ailleurs, un grand nombre d'infractions pénales ne sont suivies d'aucune poursuite, non pas en vertu d'une appréciation d'opportunité, mais parce que les parquets ne sont pas en mesure d'exercer ces poursuites.

Le classement pur et simple permet certes de réguler le flot des affaires pénales mais il n'est pas sans danger. Il alimente chez les victimes le sentiment d'injustice, chez les délinquants celui d'impunité. Il décourage les forces de sécurité. Il accrédite l'idée d'un État impuissant, voire démissionnaire. On ne peut l'accepter. Je crois qu'il faut chercher à faire en sorte qu'aucun fait de délinquance ne reste sans réponse, quelle que soit la nature de cette réponse.

La transaction pénale

Or, l'une des faiblesses de notre système est de n'offrir le choix qu'entre le classement sans suite et le déroulement des poursuites jusqu'au procès. Il manque un outil juridique intermédiaire : je propose de l'introduire avec la transaction pénale. Aux auteurs de certaines infractions pour lesquels une peine maximale de 3 années d'emprisonnement est encourue le Procureur de la République aurait la possibilité de proposer le paiement d'une somme, lequel éteindrait l'action publique. Telle qu'elle est conçue, cette procédure ne veut se substituer en aucune manière aux peines d'emprisonnement. L'unique objectif est de « mordre » sur le classement sans suite. Une réponse pénale serait apportée là où actuellement il n'y a pas de réponse.

La convocation du mineur par OPJ

De même la délinquance des mineurs peut-elle trop souvent, aujourd'hui, s'exercer sans obstacle. Il n'est pas besoin de souligner l'effet destructeur, pour le délinquant, entretenu dans sa déviance, et pour la société, confirmée dans son impuissance, de cette impunité de fait. Que l'on songe à la situation de bien des quartiers, où l'on oscille entre le découragement et la révolte. La société doit pouvoir réagir. Je propose d'ouvrir la possibilité d'une convocation du mineur par officier de police judiciaire, à comparaître devant un juge. Ce magistrat exercera ses pouvoirs traditionnels, qui ne changent pas de nature. Mais dans tous les cas, cette convocation sera une semonce utile.

J'ai proposé enfin de développer les alternatives à l'incarcération. Les outils législatifs existent : ce sont les formules de sursis (simple, avec mise à l'épreuve), les travaux d'intérêt général (TIG) et la libération conditionnelle.

Actuellement la condamnation à des TIG peut être infligée directement par le juge (sous réserve de l'accord de l'intéressé).

Le tribunal peut également décider, sur proposition du juge d'application des peines (JAP) de convertir une peine d'emprisonnement ferme en TIG, dès lors que la condamnation initiale a été prononcée en dehors de la présence du prévenu. L'intérêt de cette conversion est manifeste dès lors qu'il peut s'écouler un délai (lequel se compte en mois, parfois en années), entre le prononcé de la condamnation et la mise à exécution de la peine, il faut pouvoir prendre en compte l'évolution de la personne intéressée pour adapter l'exécution de la peine. C'est toute l'individualisation de la peine, qui concourt à l'efficacité de la politique pénale. Il est des cas où l'exécution d'une peine de prison n'a plus aucun sens : que penser de cette jeune femme condamnée à cinq mois de prison ferme pour escroquerie par chèques volés ou falsifiés et que l'on vient chercher un an après pour exécuter sa peine, alors qu'elle a entre-temps trouvé un emploi et indemnisé ses victimes ? Dans ce cas, la conversion de la peine en TIG permet d'éviter une incarcération en complet décalage avec les efforts accomplis et la nouvelle situation de la personne condamnée.

C'est un exemple parmi d'autres. Je veux seulement assouplir et alléger cette procédure de conversion.

Pour les mêmes motifs d'une meilleure prise en compte de l'évolution de l'individu, j'avais envisagé que la libération conditionnelle pourrait être décidée par le JAP avant même que l'intéressé eût accompli la moitié de sa peine. Votre commission des lois n'a pas retenu cette proposition et je prends acte de sa position.

C'est une question difficile. Il faut poursuivre la réflexion : il me paraît utile d'assouplir ces procédures débouchant sur des alternatives à l'emprisonnement.

Une justice mieux équipée et mieux organisée

La réforme de l'institution judiciaire passe aussi par la rénovation de son patrimoine.

Il existe une correspondance entre une fonction et les lieux où les hommes l'exercent. Les palais de justice, au cœur de nos cités, en sont le témoignage. La majorité des immeubles montre que juger n'est pas une tâche banale. Si la justice n'est plus sacrée, au moins elle est la mission première de l'État.

Mais il faut s'adapter aux mœurs modernes, qui sont plus économes et moins ostentatoires. Il faut aussi tenir compte de l'apparition de besoins nouveaux.

Le patrimoine ancien n'est plus adapté au fonctionnement moderne des services. Pour plus de la moitié antérieure à 1900, il a été constitué à une époque où les magistrats travaillaient chez eux, ne venaient au Palais qu'au moment des audiences et où les greffes étaient des charges. Il ne permet ni l'information du justiciable, ni son écoute, ni l'organisation du travail.

En outre, en dépit des efforts passés, il reste un déficit de surfaces judiciaires complémentaires de l'ordre de 250 000 m2, en raison de l'accroissement du contentieux ; surtout les besoins de réparation et de mise en sécurité sont importants.

Depuis 1992, la Chancellerie a procédé à l'inventaire de ses besoins. Un schéma directeur de restructuration a été établi. Il couvre 26 départements.

Il se fonde sur une prévision des besoins à l'horizon 2010. Le programme d'investissements pour les palais de justice soumis à votre approbation, à savoir 4,8 milliards y sera consacré prioritairement. 3 milliards seront affectés aux opérations hors Paris. En dehors de la poursuite de ce plan, les crédits permettent de mener à bien des travaux d'entretien pour un demi-milliard et, pour 800 millions, des opérations nouvelles dans d'autres départements.

En ce qui concerne les juridictions administratives, les crédits d'investissements prévus devraient permettre la création sur cinq ans de quatre nouvelles juridictions : deux tribunaux administratifs et deux cours administratives d'appel.

La restructuration des Palais de Justice doit permettre un meilleur fonctionnement de la Justice, mais les progrès ne seront sensibles que si dans le même temps l'institution est réorganisée.

Je me fixe deux objectifs : organiser une véritable déconcentration, créer des pôles de gestion dans les cours d'appel. L'expérience a démontré que le bon niveau de déconcentration était la cour d'appel parce que ses chefs bénéficient d'une autorité naturelle sur toutes les juridictions de ressort. C'est là que doivent être réalisés l'harmonisation et l'arbitrage des propositions budgétaires, c'est à que doivent être gérés les crédits relatifs à l'investissement, à l'équipement informatique lourd, à la formation. La Cour d'Appel est aussi le bon niveau de gestion des personnels, aujourd'hui trop centralisée.

Ces idées rencontrent un large accord. Leur mise en œuvre suppose un renforcement des moyens. Je me propose de créer dans chaque cour des secrétariats généraux pour l'administration organisés en services, « budget et personnels », « promotion et équipement », « formation ». Les secrétaires généraux pourraient être magistrats ou fonctionnaires. L'origine importe peu, l'essentiel est de doter la Justice d'une administration compétente et consciente de l'importance de la gestion.

Par ailleurs, il faut créer une véritable inspection du ministère de la Justice : c'est pourquoi j'accueille très favorablement la proposition de M. Marsaud.

Telles sont les lignes de force des textes soumis à votre examen. Ils proposent de vraies réformes sur lesquelles le débat s'est engagé. Certaines d'entre elles ont suscité quelques critiques. C'est normal : quelle vraie réforme est immédiatement objet de consensus ? Les textes peuvent être améliorés. Votre commission des lois a d'ailleurs beaucoup œuvré en ce sens. Et si les objectifs sont clairs, les modalités ne sont pas toujours bien comprises.

En ce qui concerne tout d'abord les juridictions :

– pourquoi ne pas augmenter plus le nombre de magistrats ?
– le juge de paix ne rendra-t-il pas une justice au rabais ?

En ce qui concerne les effectifs des magistrats ce n'est pas seulement une question budgétaire. Il faut préserver l'équilibre du corps et le déroulement harmonieux des carrières. Il n'est donc pas possible d'envisager une augmentation indéfinie du nombre des magistrats. Du reste, ceux-ci, à ma connaissance ne le souhaitent pas.

En réalité, ce dont nous avons le plus besoin c'est de formules souples permettant de renforcer temporairement les juridictions et d'adapter ra piedmont les capacités aux besoins. Va dans ce sens, par exemple, la constitution des conseillers de cours d'appel en service extraordinaire, qui permettront de résorber les stocks d'affaires en instance accumulés dans ces juridictions. Le même avantage est attendu des magistrats en surnombre au nombre de 75 qui viendront renforcer les juridictions administratives.

Les juges de paix répondent parfaitement à cet objectif d'ajustement en souplesse. Leur emploi pourra correspondre très étroitement aux besoins des juridictions. Cela n'est d'ailleurs pas Contesté. C'est sur d'autres points que portent les critiques, auxquelles je voudrais maintenant répondre.

Non, le juge de paix ne sera pas l'artisan d'une justice au rabais. Les conditions de recrutement, alignées sur celles de l'intégration dans la magistrature, l'avantage de l'expérience dont il faut absolument maintenir l'exigence le rôle de filtre joué par la commission d'avancement et le Conseil Supérieur de la Magistrature : tout cela créé les conditions d'une sélection qui garantit la qualité des intéressés.

Au surplus, pourquoi ce juge issu d'un milieu local qu'il connaît bien, et dont il est lui-même honorablement connu, instruit par l'expérience, serait-il nécessairement moins bon juge qu'un jeune magistrat frais émoulu de l'ENM ?

Ce juge sera-t-il indépendant ? La question se pose pour celui qui exerce une activité professionnelle par ailleurs ce que la commission des lois a souhaité et que j'approuve. Il faut seulement, dans ce cas, définir un bon régime d'incompatibilités. Je crois que votre commission y est parvenue.

Par ailleurs, et sauf exceptions très limitées, ce juge sera soumis au statut de la magistrature.

Enfin, je voudrais rappeler que cette institution du juge de paix sera expérimentée. Elle ne réussira que si elle est acceptée, des magistrats, des avocats, aussi bien que des justiciables. Or, comment mieux vérifier ce point que par l'expérimentation ? Je prévois que pendant trois ans le juge ne sera possible que dans le ressort de deux ou trois cours d'appel.

Voilà une méthode qui me paraît présenter bien des avantages. Elle mériterait sans doute d'être appliquée plus souvent. Elle permettra en l'espèce de vérifier si l'institution du juge de paix, comme je l'ai entendu, sera le « prototype de la vraie fausse idée » ou au contraire, une contribution utile à la justice de demain.  

La transaction pénale

Cette procédure nouvelle a suscité beaucoup de questions.

Je voudrais, là aussi, apporter des réponses simples et claires.

S'agit-il d'un privilège pour la délinquance en col blanc ? Certes non. Abus de biens sociaux, escroquerie, trafic d'influence, corruption, sont des infractions qui, par la peine encourue, se situent hors du champ d'application de la transaction.

S'agit-il d'une procédure réservée aux riches, qui seuls pourraient m'offrir d'échapper à la prison ? Non plus. Les infractions visées ressortissent à la délinquance la plus ordinaire. Ensuite il est prévu que dans la limite d'un maximum, le procureur pourra proportionner le montant de la somme à payer aux moyens des intéressés. Enfin la transaction ne se substituera pas, je l'ai dit, aux poursuites conduisant à des peines privatives de liberté, qui sont les plus graves, mais au classement sans suite. Cette procédure ne méconnaît-elle pas les droits des victimes ? Au contraire, et j'y insiste, elle sera un moyen privilégié de faciliter l'indemnisation de la victime. Car informée de la proposition de transaction, cette dernière peut à tout moment interrompre la procédure, en mettant en mouvement l'action publique : elle dispose là d'un moyen de pression très fort sur l'auteur des faits de délinquance.

Enfin la transaction pénale ne donne-t-elle pas des pouvoirs exorbitants au procureur ? Ne faut-il pas prévoir une homologation par un juge du siège ? Mais la transaction est une alternative à la poursuite, dont l'opportunité est de la seule appréciation du procureur.

Et surtout, une homologation ferait changer de nature la transaction : elle deviendrait une peine, ce qu'elle n'est pas. Il faudrait alors concevoir toute une procédure devant le juge de l'homologation et prévoir une voie de recours contre sa décision. Tout l'effet de simplification recherché en serait annulé. Il faut donc être prudent dans ce domaine.

En définitive, la transaction pénale est une novation importante. Je crois qu'elle fournit un outil juridique très utile pour, à la fois, mieux lutter contre l'impunité et mieux prendre en compte l'intérêt de la victime.

Le problème pénitentiaire

Parmi vos interrogations ou celles qu'ont exprimé les personnalités auditionnées par la commission des lois figure l'avenir de l'administration pénitentiaire. Le plan du Gouvernement que je résume en deux chiffres : 3 milliards de crédits ; 3 920 emplois fait l'objet de deux types de critiques diamétralement opposées.

Pour certains, il aurait recours à une politique du « tout carcéral » vouée à l'échec, les constructions des places de prison amenant des incarcérations. Il vaudrait mieux envisager des mesures alternatives à l'emprisonnement.

Pour d'autres, un programme de constructions de prisons modéré serait insuffisant eu égard aux besoins.

Ces critiques sont inspirées par des réflexions idéologiques. Pour ma part, je m'en tiens aux faits. Quelle est la situation ? Il y a en France 57 477 détenus alors que la capacité actuelle des prisons est de 49 373 places.

Les projections d'un modèle, qui se vérifient depuis 1982, montrent qu'il pourrait y avoir 70 000 l'an 2000. Une évolution du même type est constatée dans tous les pays européens. En Hollande, le numerus clausus des détenus a dû être supprimé. Le taux de détenus dans l'ensemble de la population est comparable en Angleterre et en France.

Il faut faire face à cette croissance des besoins.

Pour autant, il n'est pas souhaitable de relancer un nouveau programme « 13 000 places », sept ans après le premier.

D'une part, parce qu'un tel programme absorberait une trop grande part des possibilités de la Justice. D'autre part, parce que toutes les études montrent que les petites peines, ne constituent pas une panacée dans la lutte contre la délinquance.

Le Gouvernement a donc estimé qu'il devait établir un programme équilibré combinant un effort de construction et le développement des peines alternatives à l'incarcération.

Il faut construire, mais construire de façon diversifiée. En premier lieu, deux établissements pour les condamnés dangereux, des maisons centrales à petits effectifs. Il ne s'agit pas de recréer des quartiers de haute sécurité, mais de renforcer l'encadrement et la surveillance de 180 détenus. À l'inverse, il paraît inutile de mettre dans des prisons classiques un grand nombre de détenus qui ont une bonne insertion sociale et de véritables garanties de présentation. C'est la raison pour laquelle 1 250 places en centres de semi-liberté seront réalisées.

Entre ces deux extrêmes, il faut des prisons classiques, 4 000 places nouvelles seront construites. D'autres seront rénovées ou réaménagées puisque les crédits permettent un programme de réparation de plus d'un milliard de francs. Il sera possible de prévoir des places pour détenus particulièrement signalés dans une maison d'arrêt par région pénitentiaire.

En outre, l'augmentation des effectifs permettra d'assurer une surveillance à la fois plus sûre et plus humaines ce qui devrait contribuer à la sécurité et à la lutte contre la récidive.

Mais le gouvernement ne s'en tient pas à ce programme classique. Il veut porter l'accent sur les mesures exécutées en milieu ouvert : travail d'intérêt général, chantiers extérieurs, sursis avec mise à l'épreuve. Ces mesures sont peu utilisées faute de structure d'encadrement. Près de 100 000 personnes sous contrôle judiciaire. Sont suivies par moins de 800 agents. Dans ces conditions, on ne peut pas s'étonner que les juges ne croient pas aux mesures alternatives et qu'ils ne les prononcent pas. Si on veut éviter des incarcérations inutiles, il faut s'en donner les moyens. Le nombre des travailleurs sociaux du milieu libre sera donc doublé en cinq ans.

Développer cette nouvelle politique pénale, c'est d'abord une affaire de moyens car les outils législatifs existent. Faut-il aller plus loin et modifier notre législation ? Le projet qui vous est soumis fait plusieurs propositions en ce sens. Nous en discuterons. À tout le moins, je crois nécessaire que les condamnations à des courtes peines, dont l'exemplarité n'est pas avérée, puissent être convertis en travaux d'intérêt général lorsque la situation du condamné a évolué.


Conclusion

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

S'il faut trouver un axe commun à ces projets, je n'en vois qu'un : c'est le souci de replacer le citoyen au centre du débat et de mieux prendre en compte les intérêts de la victime.

Quelles sont ces attentes des Français ?

Il suffit de lire leurs correspondances. Depuis que j'occupe ces fonctions je reçois des milliers de lettres toutes instructives sur le fonctionnement de la justice.

Comment mieux que par des citations, mesurer la charge émotive que parient les mots ? Quelques phrases, tirées de ces lettres :

« Nous sommes toujours sans réponses et attendons avec impatience le PV de justice concernant cette affaire ».

« Nous sommes tristes de ce manque d'information, peut-être que si vous consentiez à intervenir, nous obtiendrions une réponse ? »

« Ce dossier jugé “petit” a été pris à la légère, est la procédure en appel risque de doubler nos frais déjà bien lourds ».

« J'ai déposé mon dossier le 24/09/92 à la Cour d'Appel ; depuis cette date, j'attends de la Cour d'Appel qu'une audience soit passée, cela fait deux ans que j'attends ».

À propos d'une enquête abandonnée sur un meurtre : « Voilà où j'en suis, c'est-à-dire très déçu de voir la Justice abandonner aussi rapidement cette affaire sur crime aussi abominable ».

À propos de plaintes pour coups et blessures : « Ces plaintes ont toujours été classées sans suites, alors qu'il y a eu coups et blessures avec séquelles auditives constatées par médecin ».

On pourrait multiplier les exemples. Ce sont toujours les mêmes reproches, mes mêmes inquiétudes, les mêmes critiques qui reviennent : la lenteur, le manque d'information, la difficulté d'accès, le désarroi, voire la douleur de voir les affaires classées sans suites. C'est à cela qu'il faut répondre.

Ces projets sont partis d'une réalité : celle d'un recours à la justice de plus en plus fréquent, parfois plein d'espérance, souvent déçu : non seulement par le résultat du procès toujours aléatoire mais par le contact avec l'institution. Saisie dans des circonstances souvent douloureuses, parfois dramatiques, la justice n'est pas toujours à la hauteur de ces situations humaines. Si demain, l'explication de ces textes pourrait faire en sorte que le justiciable soit mieux accueilli, mieux écouté ; que son affaire soit traitée plus rapidement ; que la délinquance trouve une meilleure réponse alors je crois que nous aurions ait ensemble œuvre utile.


Plan pluriannuel pour la justice, Sénat, le 18 octobre 1994

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Le Parlement est saisi d'un programme pluriannuel pour la Justice associant des choix budgétaires dans une perspective pluriannuelle, et des réformes d'organisation et de procédure. Pourquoi cette démarche ? Pourquoi sortir du cadre traditionnel mais à certains égards confortables de la loi de finances annuelle ? Et pourquoi mettre ainsi l'accent sur la nécessité de réformer l'organisation judiciaire et les procédures ?

Personne ne se satisfait d'une situation dans laquelle le budget de la Justice représente un peu moins de 1,50 % du budget de l'État. Et où : par exemple (au moins pour ces dernières années) le budget de la Justice administrative toute entière est de l'ordre de grandeur de la subvention allouée à l'Opéra de Paris. Deux sénateurs, dans un rapport bien connu, ont pu parler de justice sinistrée.

Il y a urgence à agir aujourd'hui parce que l'augmentation de la délinquance, notamment dans les quartiers des villes, déborde les moyens de la justice pénale. Il en résulte, chez les fauteurs de troubles, un sentiment d'impunité, et dans la population, un sentiment d'impuissance et d'exaspération.

Il y a aussi urgence à agir, parce que le flot du contentieux ne cesse de monter : le nombre des affaires croît de 4 à 5 % l'an en matière civile et en matière administrative. Les moyens ne suivant pas au même rythme, les procédures s'allongent.

Il y a urgence à agir aussi parce que l'augmentation de la délinquance, notamment dans les quartiers des villes, déborde les moyens de la justice pénale. Il en résulte, chez les fauteurs de troubles, un sentiment d'impunité, et dans la population, un sentiment d'impuissance et d'exaspération.

Pour autant, il est impossible de se limiter exclusivement à des solutions purement financières. Pour lutter efficacement contre le chômage, il nous faut maîtriser la dépense publique. Les déficits doivent être réduits : vous l'avez vous-mêmes décidé.

Les chiffres de la loi programme représentent dans la période actuelle un effort non négligeable en faveur de la justice. Surtout si l'on compare ces chiffres à ceux de la période quinquennale précédente.

Mais je n'ai jamais envisagé de me placer dans une pure logique de demande de moyens supplémentaires. Du reste, une approche exclusivement budgétaire ne manquerait pas de conduire très vite à de nouveaux blocages, et à des déceptions à la mesure de certaines promesses passées, si peu suivies d'effet. Que l'on se souvienne de l'« année de la justice », annoncée pour 1991. En outre, les problèmes de la justice ne sont pas seulement d'ordre financier.

C'est pourquoi, délibérément, j'ai voulu associer à ces choix budgétaires, et en cohérence avec eux de vraies réformes d'organisation et de procédure pour traduire trois grandes orientations :

1. L'État doit recentrer son action sur l'une de ses grandes fonctions régaliennes.

2. L'organisation judiciaire et les procédures doivent être simplifiées et allégées.

3. La politique pénale de la nation doit être renforcée pour mieux assurer, à la fois la sécurité de nos concitoyens et la prévention de la récidive.

Les mesures qui vous sont présentées dans les trois projets ne sont pas sorties tout armées des bureaux de la Chancellerie. Elles ont été précédées de travaux de réflexions, auxquelles des parlementaires ont été associés.

Elles ont donné lieu à de vastes consultations de magistrats et de fonctionnaires, directement dans les juridictions, et à travers les organisations syndicales et professionnelles.

Elles sont toutes inspirées du même objectif : réconcilier les français avec leur justice.

Cela suppose, à mon sens, un constat et une approche.

Le constat est le suivant : la demande de Justice portée par nos concitoyens a des racines très profondes et des causes qui échappent totalement à l'institution judiciaire. Il faudrait citer la complexité de l'organisation sociale ; inflation législative et réglementaire (toujours déplorée, mais jamais endiguée) ; la meilleure connaissance, par chacun de ses droits ; l'affaiblissement des solidarités et des modes traditionnels de résolution des litiges. Aucune de ces vagues n'est suffisante ; mais ensemble, elles constituent la marée montante, qui atteint d'ailleurs aussi bien les pays comparables au nôtre. Il n'est pas vain, à ce propos, de parler d'un phénomène de société.

L'approche politique en découle directement : ce n'est pas aux français d'ajuster leurs attentes à l'état de la Justice, mais à l'institution elle-même de s'adapter.

Il est inutile, je pense, de souligner l'importance de l'enjeu, pour la société comme pour l'individu. Pour la société, la Justice est à la fois le socle et le garant de l'ordre démocratique. Pour l'individu, la confiance dans l'individu est un pilier de la sécurité : elle justifie son adhésion au pacte social. Cette confiance est constamment mise à l'épreuve : nous le savons bien, exigence absolue de justice ; la demande de justice est de nature morale, affective. Pour le plaideur il n'y a pas de « petite » affaire et il entend que l'institution lui prête la même qualité d'attention, quelle que soit la nature du litige et la portée de la décision à rendre. D'où la nécessité, pour réformer, d'agir sur plusieurs plans : réduire les délais de jugement, c'est un indice essentiel de satisfaction, mais aussi : créer  les conditions d'une meilleure écoute du justiciable ; mieux administrer, pour donner une plus grande efficacité à la dépense publique.

Il faut diversifier les réponses, au civil comme au pénal : à l'origine d'une saisine de la Justice il y a toujours une forte charge émotive, née d'un conflit, d'une fracture, voire d'une agression plus ou moins grave ; il y a parfois un trouble à l'ordre social. Mais pourquoi faudrait-il que chacune de ces saisines soit l'occasion de déployer l'ensemble des procédures, dans la lourdeur de leur appareil ? Nos concitoyens ne sont-ils pas prêts à accepter des modes de résolution des litiges, ou de réparation, plus souples que les procès traditionnels ?

En réalité, ces interrogations se ramènent à une question fondamentale : quelle Justice voulons-nous pour la société française de demain ?

Une démarche pluriannuelle, et globale m'a paru s'imposer.

Tout ne sera pas résolu dans les cinq ans qui viennent. Mais je voudrais qu'au cours de cette période des progrès significatifs soient accomplis en faveur d'une justice :

1. plus proche du citoyen
2. plus rapide
3. mieux équipée et mieux organisée
4. mieux armée pour faire face à la délinquance.

Une justice plus proche du citoyen

Voilà un objectif clair, mais qui n'appelle pas de solution toute faite.

Ce n'est pas seulement une affaire de proximité géographique. Les tribunaux d'instance, tribunaux de proximité par excellence sont bien répartis sur le territoire C'est aussi et peut-être surtout une affaire de proximité « psychologique ». Comprendre la justice pour mieux y accéder et accepter les décisions rendues.

L'accueil

L'accueil est pour beaucoup, dans la perception du citoyen, et de ce point de vue il y a beaucoup à faire. Des justiciables se perdent encore dans les palais de justice et pas seulement dans le maquis des procédures. Il faut pouvoir les orienter au moment si décisif du premier contact avec la juridiction. Les greffiers sont les mieux placés pour cela et leurs effectifs seront renforcés.

La conciliation et la médiation    

Il y a aussi la distance créée par le rite judiciaire, c'est pourquoi j'estime qu'il faut attendre beaucoup de la conciliation et de la médiation. Rechercher en commun une solution, préférer un accord négocié à une décision d'autorité, n'est-ce pas là une démarche naturelle de la vie sociale ? Elle ne convient certes pas à tous les litiges portés devant les tribunaux : il est bien des cas où il est nécessaire de dire le droit.

J'avais ainsi proposé et l'Assemblée nationale l'a approuvé, que le juge puisse, dans les cas où il doit recourir à une tentative préalable de conciliation, d6signer un tiers pour y procéder. Le juge, le plus souvent n'a pas la disponibilité suffisante pour y procéder lui-même de façon satisfaisante. La tentative de conciliation n'est souvent ainsi qu'une formalité sans portée. De même, je proposais de consacrer dans la loi la faculté pour le juge, en cours de procès, de désigner un médiateur.

Les frais de ce médiateur pourraient être pris en charge au titre de l'aide juridictionnelle.

Votre commission des lois n'a pas retenu ces propositions, au motif que l'institutionnalisation de la conciliation et de la médiation risquerait de favoriser le développement d'« officines », qui conduirait à créer une profession nouvelle, de limiter le libre choix du juge et qui grèverait les crédits de l'aide juridictionnelle.

Je vous demanderai, pour ma part, d'adopter le texte du Gouvernement complété judicieusement par l'Assemblée nationale. En effet, sans entrer d'ores et déjà dans le débat, je crois indispensable de favoriser ces modes de solution des conflits, si utile dans les litiges de la vie quotidienne, et qui permettent au juge de choisir sous son contrôle, la modalité la mieux appropriée à la solution du litige.

Je fais confiance aux juges pour veiller à ce que le risque que vous avez dénoncé c'est-à-dire la création d'officines de médiateur ne se réalise pas.

La médiation pénale

La médiation pénale s'inscrit aussi dans cette perspective. Elle a été dotée d'une base légale suffisante par la loi du 4 janvier 1993. Ainsi mon projet n'y revient-il pas. Mais je prévois d'en encourager la pratique, car elle privilégie la réparation due à la victime, plutôt que la répression exercée par la société. La victime est trop souvent l'oubliée du procès pénal. Il faut considérer, dans bien des cas, que le trouble apporté à l'ordre social cesse lorsqu'elle a obtenu réparation.

Le juge de paix

Mieux associer le citoyen à l'œuvre de justice, c'est aussi, pour moi, l'associer à l'acte de juger. D'où ma proposition d'expérimenter un juge de paix, qui ne serait pas un magistrat de carrière mais qui serait compétent pour régler, au niveau du tribunal d'instance, des litiges relevant de cette juridiction. En matière de recrutement de magistrats, les solutions diffèrent suivant les pays. Le nôtre a fait le choix de privilégier la formation initiale et l'engagement dans une carrière pour la totalité de la vie professionnelle. Ce système a fait ses preuves, et je ne le remets pas en cause.

En Grande-Bretagne, les parlementaires qui m'ont accompagné ont pu mesurer tout l'intérêt d'un modèle dans lequel le juge est très fortement intégré à la société civile. En France même, des milliers de juges non professionnels rendent la justice, dans les tribunaux de commerce et les conseils de prud'homme. Il ne s'agit pour moi ni de reconstituer le juge de paix d'avant 1958, qui d'ailleurs constituait un corps, ni de créer une nouvelle catégorie de juridiction.

C'est à l'instance, juridiction de proximité que le juge de paix interviendrait, pour trancher les litiges de la vie quotidienne qui n'auront pu se dénouer autrement que par une décision de justice. Votre commission des lois, comme l'Assemblée nationale, approuve le principe du recrutement temporaire de juges non professionnels. Elle vous proposera cependant de ne pas les appeler « juges de paix » et d'élargir leur mission au Tribunal de Grande Instance. Le Gouvernement est pleinement d'accord avec cet élargissement qui est d'ailleurs logique puisque le juge d'instance est lui-même organiquement rattaché à un tribunal de grande instance où il est souvent appelé en renfort.

En revanche sur l'appellation de « juges recrutés temporairement » que votre commission propose d'adopter, je serais plus réservé. Je ne pense pas qu'il puisse y avoir confusion dans l'esprit des justiciables avec les juges de paix d'avant 1958 – plus de 25 ans en effet se sont écoulés – et les mots mêmes de « juges de paix » traduisent bien, à mon sens, la préoccupation plus grande de « paix civile » que je souhaite voir prédominer dans les prétoires.

Une justice plus rapide

C'est une exigence essentielle des français, peut être la première vis à vis de la justice.

Certes, des progrès dans les méthodes, et bien souvent des rythmes d'audiences plus soutenus ont permis jusqu'ici de contenir le rallongement des délais.

La première réponse doit être un ajustement des effectifs. Certains redéploiements sont possibles et ils seront réalisés avant la fin de l'année mais, il est des secteurs entiers où se fait sentir le manque de magistrats : les parquets, pour répondre aux nouvelles formes de délinquance ; Les tribunaux pour enfants ; les juges d'application des peines, pour s'en tenir aux besoins les plus urgents.

La loi programme prévoit donc le recrutement de 300 magistrats sur 5 ans (soit 60 par an ; comparé à 131 créations de postes pour toute la période quinquennale précédente). L'effectif des magistrats administratifs sera accru de 180. Ces créations d'emploi n'ont de sens que si elles s'accompagnent de postes de fonctionnaires des greffes : les chiffres correspondants seront de 1 020 (juridictions judiciaires) et de 200 (juridictions administratives).

Capacités de jugement 

Il est possible ensuite de dégager à effectif constant une certaine capacité de jugement par des mesures d'organisation et de procédure. Ce sont les dispositions du projet visant à assouplir la procédure de délégation de magistrats, et à augmenter le nombre des magistrats placés.

Juge unique

Il est prévu également d'étendre ou d'instaurer les procédures de jugement à juge unique. En matière correctionnelle ce sera une extension à des délits tels que le vol, les dégradations simples et autres infractions correspondant à des affaires d'une relative simplicité.

Pour la première fois, en revanche, le juge des enfants aura la possibilité de prendre seul des décisions telles que la mise sous protection judiciaire d'un mineur ou son placement en foyer d'hébergement. Pour la première fois également, le juge administratif aura la possibilité de statuer seul dans un certain nombre de contentieux limitatifs, choisis sur proposition du Conseil d'État.

Il me paraît indispensable, enfin, de recentrer le juge sur sa mission essentielle, qui est de trancher un litige selon le droit. Trop souvent il a été chargé de tâches de nature administrative, qui ont certes leur importance, mais le détournent de sa mission juridictionnelle première. Ces tâches peuvent être redistribuées. Il est prévu ainsi d'opérer un premier transfert de compétences administratives aux greffiers ; d'autres de nature réglementaire sont à l'étude. Ces transferts, réclamés par les greffiers, sont admis dans leur principe par votre commission. Nous aurons bien sûr un débat quant à leur étendue.

Il est un autre domaine où le recentrage du juge sur ses missions juridictionnelles était particulièrement attendu, je veux parler des procédures de surendettement des particuliers. Il ne s'agit pas bien entendu, d'une refonte de la législation de 1989, ce n'est pas l'objet de notre débat, mais de s'interroger sur la répartition des missions dévolues respectivement à la commission administrative d'une part, au juge d'autre part.

Actuellement, 60 % environ des dossiers de surendettement sont traités avec succès à l'amiable par la commission administrative et dans des délais inférieurs à trois mois. En revanche pour les 40 % restant,     qui sont les dossiers les plus difficiles, humainement souvent les plus douloureux, le traitement judiciaire qui succède à l'échec de la phase amiable, n'est pas adapté. L'absence d'articulation entre le travail de la commission et celui du juge qui est ainsi contraint de refaire toute une procédure a eu pour résultat que 15 000 dossiers sont en attente dans les tribunaux d'instance. Les délais de traitement ne cessent de s'allonger, sans que le surendetté puisse bien comprendre pourquoi il est nécessaire de recommencer toute la procédure devant le juge.

Je me suis donc attaché à chercher des solutions qui renforceraient les pouvoirs de la commission administrative en cas d'échec de la phase amiable, le juge n'étant plus qu'une instance de recours des décisions de cette commission. L'Assemblée nationale a amélioré le projet du Gouvernement de façon tout à fait satisfaisante et je vous demanderai de l'adopter. En effet, il ne peut avoir pour effet indirect d'altérer le bon climat qui règne dans les commissions et de compromettre ce qui marche bien, c'est-à-dire la phase amiable. Il se limite à recentrer véritablement le juge sur ses tâches juridictionnelles et à améliorer le traitement des affaires pour lesquelles la commission n'a pu parvenir à un accord amiable. Ces buts ne me paraissent pas pouvoir être atteints avec les simples ajustements de la procédure actuelle que vous proposez.

Une justice mieux armée

Pour faire face à la délinquance il faut pouvoir exécuter les peines : je prévois la construction de 4 000 places de prison.

Par ailleurs, un grand nombre d'infractions pénales ne sont suivies d'aucune poursuite, non pas en vertu d'une appréciation d'opportunité, mais parce que les parquets ne sont pas en mesure d'exercer ces poursuites.

Le classement pur et simple permet certes de réguler le flot des affaires pénales mais il n'est pas sans danger. Il alimente chez les victimes le sentiment d'injustice, chez les délinquants celui d'impunité. Il décourage les forces de sécurité. Il accrédite l'idée d'un État impuissant, voire démissionnaire. On ne peut l'accepter. Je crois qu'il faut chercher à faire en sorte qu'aucun fait de délinquance ne reste sans réponse, quelle que soit la nature de cette réponse.

La transaction pénale

Or, l'une des faiblesses de notre système est de n'offrir le choix qu'entre le classement sans suite et le déroulement des poursuites jusqu'au procès. Il manque un outil juridique intermédiaire : j'ai proposé de l'introduire avec la transaction pénale. Aux auteurs de certaines infractions – pour lesquelles une peine maximale de 3 années d'emprisonnement est encourue – le Procureur de la République aurait la possibilité de proposer le paiement d'une somme, lequel éteindrait l'action publique. Telle qu'elle est conçue, cette procédure ne veut se substituer en aucune manière aux peines d'emprisonnement. L'unique objectif est de « mordre » sur le classement sans suite. Une réponse pénale serait apportée là où actuellement il n'y a pas de réponse, mais l'impunité.

L'Assemblée nationale n'a pas adopté cette partie du projet. Vous avez estimé, monsieur le Rapporteur, qu'il s'agit moins de la part de cette assemblée, « d'une opposition de principe » que d'une « inquiétude à l'égard de ses modalités d'application ».

Vous vous êtes employé à répondre à cette inquiétude par de nouvelles propositions qui notamment place la préservation des intérêts de la victime au cœur du dispositif. Je    vous en remercie ainsi que la commission des lois de l'excellent travail qui a été fait sur l'un des points essentiels de mon projet et vous indique que le Gouvernement donnera dans l'ensemble un avis favorable à vos propositions.

La convocation du mineur par OPJ

De même la délinquance des mineurs peut trop souvent, aujourd'hui, s'exercer sans obstacle. Il n'est pas besoin de souligner l'effet destructeur, pour le délinquant, entretenu dans sa déviance, et pour la société, confirmée dans son impuissance, de cette impunité de fait. Que l'on songe à la situation de bien des quartiers, où l'on oscille entre le découragement et la révolte. La société doit pouvoir réagir. Je propose d'ouvrir la possibilité d'une convocation du mineur par officier de police judiciaire, à comparaître devant un juge. Ce magistrat exercera ses pouvoirs traditionnels, qui ne changent pas de nature. Mais dans tous les cas, cette convocation sera une semonce utile.

J'ai proposé enfin de développer certaines alternatives à l'incarcération. Les outils législatifs existent : ce sont les formules de sursis (simple, avec mise à l'épreuve), les travaux d'intérêt général (TIG) et la libération conditionnelle.

Actuellement la condamnation à des TIG peut être infligée directement par le juge (sous réserve de l'accord de l'intéressé).

Le tribunal peut également décider, sur proposition du juge d'application des peines (JAP) de convertir une peine d'emprisonnement ferme en TIG, à la condition que la condamnation initiale ait été prononcée en dehors de la présence du prévenu. Je souhaite étendre cette possibilité de conversion au cas où la personne concernée était présente à l'audience. L'intérêt de cette conversion est manifeste : dès lors qu'il peut s'écouler un délai (lequel se compte en mois, parfois en années), entre le prononcé de la condamnation et la mise à exécution de la peine, il faut pouvoir prendre en compte l'évolution de la personne intéressée pour adapter l'exécution de la peine. C'est toute l'individualisation de la peine, qui concourt à l'efficacité de la politique pénale. Comme l'Assemblée nationale, votre commission des lois approuve cette extension de la possibilité de convertir une peine de prison ferme en TIG.

C'est un exemple parmi d'autres. Je veux seulement assouplir et alléger cette procédure de conversion.

Une Justice mieux équipée et mieux organisée

La réforme de l'institution judiciaire passe aussi par la rénovation de son patrimoine.

Il existe une correspondance entre une fonction et les lieux où les hommes l'exercent. Les palais de Justice, au cœur de nos cités, en sont le témoignage. La majesté des immeubles montre que juger n'est pas une tâche banale. Si la Justice n'est plus sacrée, au moins est-elle l'une des missions premières de l'État.

Mais il faut s'adapter aux mœurs actuelles, qui sont plus économes et moins ostentatoires. Il faut aussi tenir compte de l'apparition de besoins nouveaux.

Le patrimoine ancien n'est plus adapté au fonctionnement moderne des services.

Pour plus de la moitié antérieure à 1900, il a été constitué à une époque où les magistrats travaillaient chez eux, ne venaient au Palais qu'au moment des audiences et où les greffes étaient des charges.

Il ne permet ni l'information du justiciable, ni son écoute, ni l'organisation du travail. Comment parler d'une justice moderne si des avocats perdent leur temps en aller et venues, si l'audiencement des affaires est retardé faute de salles, si les greffes ou les parquets ne sont pas rassemblés ?

En outre, en dépit des efforts passés, il reste un déficit de surfaces judiciaires complémentaires de l'ordre de 250 000 m2, dû à l'accroissement du contentieux. Surtout les besoins de réparation et de mise en conformité aux normes de sécurité sont importants.

Depuis 1992, la Chancellerie a procédé à l'inventaire de ses besoins. Un schéma directeur de restructuration a été établi. Il couvre 26 départements.

Il se fonde sur une prévision des besoins à l'horizon 2010. Le programme d'investissements pour les palais de Justice soumis à votre approbation, à savoir 4,5 milliards y sera consacré prioritairement, 3 milliards seront affectés aux opérations. À la fin du plan, 40 % des besoins de surfaces nouvelles et 30 % des nécessaires réaménagements seront satisfaits.

En ce qui concerne les juridictions administratives, les crédits d'investissements prévus devraient permettre la création sur 5 ans de quatre nouvelles juridictions : deux tribunaux administratifs et deux cours administratives d'appel.

La restructuration des palais de Justice doit permettre un meilleur fonctionnement de la Justice, mais les progrès ne seront sensibles que si dans le même temps l'institution est réorganisée.

Je me fixe deux objectifs : organiser une véritable déconcentration, créer des pôles de gestion dans les Cours d'Appel. L'expérience a démontré que le bon niveau de déconcentration était la Cour d'Appel parce que ses chefs bénéficient d'une autorité naturelle sur toutes les juridictions de ressort. C'est là que doivent être réalisés l'harmonisation et l'arbitrage des propositions budgétaires, c'est là que doivent être gérés les crédits relatifs à l'investissement, à l'équipement informatique, à la formation. La Cour d'Appel est aussi le bon niveau de gestion des personnels, aujourd'hui trop centralisée.

Ces idées rencontrent un large accord. Leur mise en œuvre suppose un renforcement des moyens. Je me propose de créer dans chaque Cour des secrétariats généraux pour l'administration, autour de 3 services « budget et personnels », « programmation et équipements », « formation ». Les secrétaires généraux pourraient être magistrats ou fonctionnaires. L'origine importe peu, l'essentiel est de doter la Justice d'une administration compétente et consciente de l'importance de la gestion.

Par ailleurs il faut créer une véritable inspection du ministère de la justice. Une réflexion très avancée sur la réforme de l'Inspection générale des services est en cours. Elle va aboutir prochainement.

Telles sont les lignes de force des textes soumis à votre examen. Ils proposent de vraies réformes sur lesquelles le débat s'est engagé. Certaines d'entre elles ont suscité quelques critiques. C'est normal : quelle vraie réforme est immédiatement objet de consensus ? Les textes peuvent être améliorés. Votre commission des lois a d'ailleurs beaucoup œuvré en ce sens. Et si les objectifs sont clairs, les modalités ne sont pas toujours bien comprises.

En ce qui concerne tout d'abord les juridictions

J'ai été sensible à deux interrogations :

– pourquoi ne pas augmenter plus le nombre de magistrats ?
– le juge de paix ne rendra-t-il pas une justice au rabais ?

Sur le premier point, il est clair que la question des effectifs des magistrats n'est pas seulement de nature budgétaire. Il faut préserver l'équilibre du corps. Il n'est donc pas possible d'envisager une augmentation indéfinie du nombre des magistrats.

En réalité, ce dont nous avons le plus besoin c'est de formules souples permettant de renforcer temporairement les juridictions et d'adapter rapidement les capacités aux besoins. Va dans ce sens, par exemple, la constitution des conseillers de cours d'appel en service extraordinaire, qui permettront de résorber les stocks d'affaires en instance, accumulés dans ces juridictions. Le même avantage est attendu des magistrats en surnombre au nombre de 75 qui viendront renforcer les juridictions administratives.

Votre commission des lois a proposé de prévoir dans la loi le recrutement d'assistants de justice. Le Gouvernement    n'est pas, bien entendu, opposé au recrutement d'étudiants qui apporteraient un concours ponctuel aux magistrats pour les travaux préparatoires à la décision (recherches, notes juridiques) : le projet de loi programme prévoit une ligne de crédit à cet effet. Toutefois, il ne m'apparait pas utile de le prévoir dans la loi. Au surplus, il faut se garder de toute dérive vers la création d'un nouveau corps, à statut particulier. La plus grande souplesse doit présider à ce recrutement.

Sur le second point, je répondrai tout d'abord que les juges de paix répondent parfaitement à l'objectif d'ajustement en souplesse des effectifs. Leur emploi pourra correspondre très étroitement aux besoins des juridictions. Cela n'est d'ailleurs pas contesté. C'est sur d'autres points que portent les critiques.

Non, le juge de paix ne sera pas l'artisan d'une justice au rabais. Les conditions de recrutement, alignées sur celles de l'intégration dans la magistrature, l'avantage de l'expérience dont il faut absolument maintenir l'exigence le rôle de filtre joué par la commission d'avancement et le Conseil Supérieur de la Magistrature : tout cela créé les conditions d'une sélection qui garantit la qualité des intéressés.

Au surplus, pourquoi ce juge issu d'un milieu local qu'il connaît bien, et dont il est lui-même honorablement connu, instruit par l'expérience, serait-il nécessairement moins bon juge qu'un jeune magistrat frais émoulu de l'ENM ?

Ce juge sera-t-il indépendant ? La question se pose pour celui qui exerce une activité professionnelle par ailleurs ce que votre commission des lois a maintenu et que j'approuve. Il faut seulement, dans ce cas, définir un bon régime d'incompatibilités. Je crois que votre commission y est parvenue.

À quelques exceptions près, très limitées, ce juge sera soumis au statut de la magistrature.

Cette institution ne réussira que si elle est acceptée des magistrats, des avocats, aussi bien que des justiciables. Or, comment mieux le vérifier que par l'expérimentation ? (Je prévois que pendant 3 ans le juge de paix ne sera possible que dans le ressort de 2 ou 3 cours d'appel).

Elle mériterait sans doute d'être appliquée plus souvent. Elle permettra en l'espèce de vérifier si l'institution du juge de paix, est une contribution utile à la justice de demain.

Le problème pénitentiaire

Parmi les interrogations ou celles qu'ont exprimé les personnalités auditionnées par la Commission des Lois figure l'avenir de l'administration pénitentiaire. Le plan du Gouvernement que je résume en deux chiffres : 3 milliards de crédits ; 3 920 emplois fait l'objet de deux types de critiques diamétralement opposées.

Pour certains, il aurait recours à une politique du « tout carcéral » vouée à l'échec, les constructions des places de prison amenant des incarcérations. Il vaudrait mieux envisager des mesures alternatives à l'emprisonnement.

Pour d'autres, un programme de constructions de prisons modéré serait insuffisant eu égard aux besoins. Ces critiques sont inspirées par des réflexions idéologiques. Pour ma part, je m'en tiens aux faits. Quelle est la situation ? il y a en France plus de 57 000 détenus alors que la capacité actuelle des prisons est de 49 373 places.

Les projections d'un modèle, qui se vérifient depuis 1982, montrent qu'il pourrait y en avoir 70 000 en l'an 2000. Une évolution du même type est constatée dans tous les pays européens. En Hollande, le numerus clausus des détenus a dû être supprimé. Le taux de détenus par rapport à l'ensemble de la population est comparable en Angleterre et en France.

Il faut faire face à cette croissance des besoins.

Pour autant, il n'est pas souhaitable de relancer un nouveau programme « 13 000 places », sept ans après le premier. Il est clair qu'un tel programme absorberait une trop grande part des possibilités de la justice, mais surtout toutes les études montrent que les petites peines ne constituent pas une panacée dans la lutte contre la délinquance.

Le Gouvernement a donc estimé qu'il devait établir un programme équilibré combinant un effort de construction et le développement des peines alternatives à l'incarcération.

Il faut construire mais construire de façon diversifiée. En premier lieu, deux établissements pour les condamnés dangereux, des maisons centrales à petits effectifs. Il ne s'agit pas de recréer des quartiers de haute sécurité, mais de renforcer l'encadrement et la surveillance de 180 détenus. À l'inverse, il paraît inutile de mettre dans des prisons classiques un grand nombre de détenus qui ont une bonne insertion sociale et de véritables garanties de présentation. C'est la raison pour laquelle 1 200 places en centres de semi-liberté seront réalisées.

Entre ces deux extrêmes, il faut des prisons classiques : 4 000 places nouvelles seront construites. D'autres seront rénovées ou réaménagées puisque les crédits permettent un programme de réparation de plus d'un milliard de francs. Il sera possible de prévoir des places pour détenus particulièrement signalés dans une maison d'arrêt par région pénitentiaire.

En outre, l'augmentation des effectifs permettra d'assurer une surveillance à la fois plus sûre et plus humaine, ce qui devrait contribuer à la sécurité et à la lutte contre la récidive.

Mais le Gouvernement ne s'en tient pas à ce programme classique. Il veut porter l'accent sur les mesures exécutées en milieu ouvert : travail d'intérêt général, chantiers extérieurs, sursis avec mise à l'épreuve. Ces mesures sont peu utilisées faute de structures d'encadrement. Près de 100 000 personnes sous contrôle judiciaire sont suivies par moins de 800 agents. Dans ces conditions, on ne peut pas s'étonner que les juges ne croient pas aux mesures alternatives et qu'ils ne les prononcent pas assez. Si on veut éviter des incarcérations inutiles il faut s'en donner les moyens. Le nombre des travailleurs sociaux du milieu libre sera donc doublé en cinq.