Texte intégral
MICHEL FIELD
Bonsoir à toutes, bonsoir à tous. Merci de rejoindre le plateau de « Public ». Elisabeth GUIGOU, bonsoir. Merci d'être avec nous. Vous êtes évidemment ministre de la Justice, garde des Sceaux, mais aussi une des, personnalités importantes du Parti socialiste, donc on va parler politique dans la première partie de l'émission, en profitant du résumé dé l'actualité de la semaine, il y a beaucoup de choses à en dire. Et puis, comme vous le savez, la formule de l'émission permet aux gens d'appeler, de nous écrire, on a reçu évidemment des centaines et des centaines d'appels, de lettres, de messages Minitel sur le département dont vous avez la charge, preuve que les Français ont un rapport extrêmement passionné à leur institution judiciaire. Il a fallu choisir. On a choisi deux grands thèmes : la lutte contre la délinquance et les problèmes de sécurité puisque c'est au cœur de l'actualité, et des tensions qui existent au sein du gouvernement et puis la réforme de la justice, où en est-elle. Juste d'un mot, les querelles avec Jean-Pierre CHEVENEMENT, c'est une querelle personnelle, c'est une divergence politique, idéologique ?
ELISABETH GUIGOU
Ce n'est pas une querelle, c'est un débat. D'abord il ne faut pas exagérer les différences parce que nous sommes d'accord sur le diagnostic déjà, la délinquance des jeunes, de certains jeunes, c'est grave et il faut trouver de bonnes réponses ; et puis d'autre part, nous discutons sur les meilleures solutions et là il ne faut pas se tromper. Il ne faut pas évidemment des faux semblants, il faut apporter des solutions qui tiennent la route dans la durée. Alors ça ne peut pas être une querelle personnelle parce que d'abord Jean-Pierre CHEVENEMENT, j'ai de l'amitié et de l'estime pour lui. Quand il a eu son accident de santé, j'ai éprouvé un choc parce que c'est un ami ; ensuite, il nous a manqué au gouvernement - il apporte beaucoup à ce gouvernement. Alors on a des débats de fond...
MICHEL FIELD
Pour l'instant, il vous apporte des soucis d'abord.
ELISABETH GUIGOU
Non, je crois que c'est une façon de... il faut que nous ayons le courage de regarder la réalité en face. Cette réalité, c'est celle du fait que des jeunes, de plus en plus jeunes, se livrent à des actes de violence et que ça ce n'est pas supportable. Ce n'est pas supportable tout simplement parce que des gens en souffrent tous les jours. C'est des enfants qui se font racketter au collège ou au lycée, c'est des parents qui ont peur pour leurs enfants, c'est des personnes âgées qui se font agresser, c'est des gens qui ont peur dans le métro, dans l'autobus, c'est la violence sur les enseignants. Donc ça, ce n'est pas possible et cette insécurité-là, elle est d'autant moins supportable qu'elle touche, on le voit bien, encore plus les plus fragiles, les plus modestes, ceux qui ont le plus de mal à se défendre. Cette réalité-là, nous portons là-dessus le même regard et simplement nous avons un débat sur les solutions à apporter parce que d'abord ce n'est pas évident, ensuite nous avons des responsabilités différentes, je suppose qu'on y reviendra. Et moi je suis heureuse qu'on ait un débat de fond d'ailleurs. Dans cette majorité, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais des débats, on en a. C'est des débats sur des vrais sujets parce que ce sont des questions complexes et puis moi je suis... contrairement à la droite, si vous voulez, on ne se dispute pas sur rien. Voilà. Alors ce sont des discussions qui doivent avoir lieu. Moi j'estime que par rapport à Jean-Pierre CHEVENEMENT, j'ai des choses à dire, je les dis. Je pense que l'insécurité, c'est grave ; je pense qu'elle s'attaque à ceux qui sont les plus fragiles, je pense qu'il faut apporter de vraies réponses, je pense que pour apporter de vraies réponses, on a besoin de temps. Je pense qu'on a besoin aussi de se dire qu'aucun jeune n'est irrécupérable.
MICHEL FIELD
On va reprendre un certain nombre de ces points en commençant peut-être par le dernier, ce congrès du Front national bis avec Bruno MEGRET.
ELISABETH GUIGOU
Le Front national, on savait qu'il haïssait tous les autres, ils tiennent un langage de haine tout le temps, de mépris: Et maintenant on voit qu'ils se haïssent entre eux. Ils ont à la fois un langage ordurier, ça vole à ras de terre, c'est d'une extrême violence, je crois vraiment que c'est le parti de la haine. Ca ne m'étonne pas qu'ils implosent d'ailleurs, au moment où finalement les Français retrouvent confiance, parce que le Front national a prospéré si vous voulez sur l'inquiétude, sur la peur, il en a fait un fonds de commerce. Et donc ce qu'on voit aujourd'hui, c'est que finalement, les Français ont confiance. On n'avait plus vu ça depuis des années et des années. Les Français ont le moral. Ils ont le moral parce qu'ils se disent : les choses avancent. Bien sûr, toutes les difficultés ne sont pas résolues, il y a encore beaucoup de chômage, il y a encore beaucoup de précarité, il y a encore beaucoup de pauvreté dans notre pays, mais on avance, on crée, on bouge, le gouvernement fait avancer ses réformes. C'est la loi sur les trente-cinq heures, vous voyez qu'il y a des accords, il y a eu des accords dans le secteur public, il commence à y avoir des accords dans le secteur privé, dans les grandes entreprises, c'est les emplois jeunes, c'est la couverture maladie universelle, c'est le débat Qui a lieu en ce moment sur l'aménagement du territoire, qui intéresse tous les Français parce qu'on a besoin d'avoir dans nos régions, dans nos pays, une vie locale plus intense, mieux organisée, où on sache qui fait quoi, c'est le débat sur la moralisation de la vie politique, de la vie publique en général. Donc les Français ont le sentiment que ça avance, ils ont confiance et je crois que ce que vont montrer à mon avis ces élections européennes qui sont devant nous, j'espère en tout cas que nous allons pouvoir parler des vrais enjeux parce que ce qu'on constate dans tous ces débats politiques, aussi bien ce qui se passe au Front national que ce qui a pu se passer si vous voulez dans certains débats politiciens, c'est que finalement on ne parle pas des vrais enjeux et je crois que cette élection européenne, moi je souhaite puisque c'est l'échéance qui est devant nous maintenant, qu'elle soit l'occasion d'abord de parler de l'Europe, quelle Europe nous voulons faire, l'Europe sociale bien entendu, une Europe qui soit plus proche des gens et une Europe qui ne soit pas simplement celle des marchants et des banquiers. Il faut absolument qu'on réussisse l'euro. L'euro, c'est une chose formidable. Moi j'ai été parmi les gens qui y ont beaucoup travaillé, pour moi évidemment c'est un accomplissement mais encore faut-il que l'euro ne soit pas surévalué... la compétitivité de l'euro...
MICHEL FIELD
Mais on ne peut pas dire que l'euro suscite une vague d'enthousiasme dans le pays.
ELISABETH GUIGOU
Non, mais si vous voulez, je crois qu'il y a un climat où on se dit on avance, on crée, on bouge aussi bien en Europe qu'en France ; et cela, il faut arriver à le faire et il faut que la vie politique se mette à l'unisson de ça, c'est-à-dire qu'on quitte ces débats absolument stériles, ces querelles qu'on voit à droite par exemple. Qu'est-ce qui se passe à droite aujourd'hui ? Mais on les voit se déchirer pour des places, pour savoir qui est le chef, pour savoir quelle place ils vont avoir... bon.
MICHEL FIELD
Il n'y a pas que ça, l'intransigeance de quelqu'un comme François BAYROU au moment de l'élection d'Anne-Marie COMPARINI en Rhône-Alpes, c'était un petit peu une position de principe quand même non ?
ELISABETH GUIGOU
Oui, c'est une façon d'éviter le pire, c'est sûr, heureusement que cette région n'est pas retombée dans les mains de Charles MILLON qui avait fait l'alliance avec le Front national. Mais ce qui est désolant si vous voulez, c'est toutes ces palinodies, ces changements de pied, on a l'impression qu'il n'y a pas de direction. Moi ce que je crois, c'est que pays souhaite qu'on avance, qu'il y ait un vrai débat démocratique. Moi franchement, je souhaite qu'on ait une droite démocratique et républicaine qui retrouve sa capacité à produire des idées, à enrichir le débat de fond.
MICHEL FIELD
Ce n'est pas le cas en ce moment ?
ELISABETH GUIGOU
Non, ce n'est pas le cas, non, sur rien. Et je trouve ça désolant parce que je pense que la vie démocratique, c'est ça. Et c'est la raison pour laquelle, quand on a des débats au sein de la gauche plurielle, on en a, on n'est pas d'accord sur tout y compris sur l'Europe, nous le savons bien, mais nous allons... sur les grandes lignes, on va dans le même sens. Alors on discute et puis on ne cherche pas à cacher nos différences mais c'est des différences sur des débats de fond qui intéressent tous les Français, vis-à-vis desquels d'ailleurs les Français eux-mêmes sont partagés, ils ne savent pas très bien comment se situer parce que la vie est complexe et je pense que ce qu'il faudrait qu'on fasse, c'est qu'on profite de ces élections européennes pour qu'on ait des débats politiques sur les vrais sujets. Par exemple ne pas escamoter l'Europe. J'espère que cette élection européenne, ça ne va pas être comme l'a dit monsieur SEGUIN l'autre jour, simplement conçue comme une répétition sur la future présidentielle ou les futures législatives. C'est désolant d'entendre ça.
MICHEL FIELD
Vous craignez que la politique française et les enjeux franco-français déterminent le débat électoral ?
ELISABETH GU/GOU
Je trouve désolant si vous voulez qu'une bonne partie du débat politique se focalise sur des choses qui n'intéressent pas les Français, c'est-à-dire les bisbilles internes, les querelles internes par rapport à des choses qui sont encore une fois des luttes pour les places, des luttes pour le pouvoir, des luttes de chefs, on voit ça au Front national, on voit ça aussi - je ne mets pas dans le même sac la droite républicaine et le Front national... - mais je trouve qu'il faut sortir de ça et il faut qu'on ait des débats sur les vrais enjeux. C'est pour ça que quand vous m'interrogiez tout à l'heure sur le débat que j'ai avec Jean-Pierre CHEVENEMENT, je dirais à la limite tant mieux qu'on ait des débats sur ces sujets complexes. Ce n'est pas facile de dire comment on va s'attaquer à cette délinquance juvénile qui heureusement n'atteint pas tous les jeunes.
MICHEL FIELD
On y revient tout à l'heure. L'accueil que Daniel COHN-BENDIT a eu à La Hague, outre le caractère un peu scandaleux de ces scènes de violence et l'absence, semble-t-il, de forces de l'ordre pour faire régner cet ordre-là, qu'est-ce que vous pensez de l'irruption de Daniel COHN-BENDIT qui arrive un petit peu comme une boule dans un jeu de quilles et qui pose problème notamment à certains secteurs de la gauche ?
ELISABETH GUIGOU
D'abord je trouve que c'est honteux la façon dont il a été traité à La Hague. On est dans un pays démocratique et donc il faut avoir la tolérance d'accepter d'autres qui n'ont pas les mêmes idées... moi je n'ai pas les mêmes idées que Daniel COHN-BENDIT sur le nucléaire ; je pense que l'énergie nucléaire... on n'a pas à faire du tout nucléaire mais je pense que l'énergie nucléaire restera pour un bon bout de temps l'essentiel de l'énergie dans notre pays, donc je n'ai pas les mêmes idées mais je ne peux pas admettre que dans un pays démocratique, on traite quelqu'un comme ça. Alors Daniel COHN-BENDIT, il est sympa... pour moi, il me rappelle mes vingt ans... vous aussi peut-être ?
MICHEL FIELD
Oui... enfin ça serait maladroit de ma part de vous dire plutôt mes quinze ans !
ELISABETH GUIGOU
Alors vous, vos quinze ans et moi mes vingt ans...
MICHEL FIELD
Le fait qu'il vienne d'Allemagne ne vous pose pas un problème aussi important que celui qu'il semble poser à Jean-Pierre CHEVENEMENT à cette même table il y a quinze jours ?
ELISABETH GUIGOU
On a des élections européennes. Moi je trouverais très bien qu'on ait sur nos listes plus d'Européens. Je trouve que si on allait dans ce sens là, ça serait une formidable chose parce que ça voudrait dire que ce sont les Européens qui font l'Europe, ce n'est pas simplement des technocrates... voilà. Donc Il a une fraîcheur aussi.
MICHEL FIELD
Mais est-ce que politiquement, il est intéressant pour vous, c'est-à-dire comme quelqu'un qui remet un petit peu en cause peut-être des enjeux qui étaient un petit peu figés etc., dans ce côté un peu trublion qu'il a et qu'il continue à avoir. Est-ce qu'il fait du bien à la gauche ?
ELlSABETH GUIGOU
Moi ce que je trouve intéressant si vous voulez, c'est que la gauche plurielle, c'est vivant, ce n'est pas quelque chose de figé...
MICHEL FIELD
En ce moment, c'est le moins qu'on puisse dire, oui.
ELISABETH GUIGOU
Ce n'est pas quelque chose d'uniforme mais c'est sur des débats d'idées. C'est ça qui est intéressant. Et je dis que aussi bien Daniel COHN-BENDIT que Jean-Pierre CHEVENEMENT sont nécessaires à la gauche plurielle. Et que donc il n'y a pas à s'attaquer, il y a à débattre, à éviter si on peut, il vaut mieux, les petites piques comme ça qui ne servent à rien à mon avis et qui alors elles, n'alimentent pas le débat. Et puis c'est cette diversité assumée qui fait la force de la gauche plurielle, voilà.
MICHEL FIELD
Aux Européennes, quel est le dispositif que vous trouvez le plus souhaitable, une liste du Parti socialiste en tant que tel avec à côté une liste du Parti communiste, une liste des Verts ? Une liste éventuellement commune PS, Mouvement des Citoyens, PC ? Qu'est-ce que vous souhaiteriez le plus ?
ELISABETH GUIGOU
On voit ce qui est en train de se dessiner. Moi vous savez, je suis quelqu'un de très pragmatique, fataliste même. Je suis née au Maroc, donc j'ai appris à voir les choses et les prendre comme elles sont. Il y aura une liste communiste, une liste des Verts. Si on peut faire une liste MDC - PS - Radicaux très bien. Ce qu'il y a, c'est qu'il faut qu'on soit d'accord sur un socle commun de langage; et j'ai l'impression qu'on l'a...
MICHEL FIELD
Même avec le Parti communiste ?
ELISABETH GUIGOU
Mais bien sûr. C'est-à-dire que si on regarde sur ce qui est devant nous... on a été en désaccord, c'est vrai, sur des choses... sur la monnaie unique... mais si on regarde ce qui est devant nous, qu'est-ce qu'on veut ? On ne veut pas n'importe quelle Europe, on veut une Europe qui soit faite pour les gens, on veut une Europe de la croissance, on veut une Europe de l'emploi - d'ailleurs la même chose - on veut une Europe qui soit plus proche des problèmes quotidiens des Européens. Moi je vais vous dire, j'ai la conviction qu'après l'euro, il faut bien gérer l'euro et surtout il faut faire en sorte qu'on ne fasse pas que du monétaire et du financier, il faut qu'on coordonne nos politiques économiques sur la croissance et l'emploi, mais après l'euro, moi j'ai la conviction que le moteur de l'Europe, ça va être les problèmes de sécurité et de liberté à l'intérieur pour les Européens. C'est quoi ? Est-ce qu'on est capable d'avoir une même attitude par exemple face aux problèmes d'immigration ? On a intérêt à se rapprocher là dessus. Est-ce qu'on est capable d'avoir une politique commune pour lutter contre la criminalité organisée ? Vous savez ce que c'est la criminalité organisée ? C'est 500 milliards de dollars aujourd'hui, autant que le produit des recettes pétrolières. C'est quelque chose de gigantesque. Il faut absolument qu'on ait une action européenne résolue là-dessus, il faut qu'on lutte contre le blanchiment de l'argent, contre l'argent du crime, contre toutes les sortes de trafics internationaux, il faut que l'Europe montre l'exemple là-dessus. Donc a des chantiers formidables devant nous. Alors on pourra discuter après de la façon de faire, de savoir s'il faut un peu plus, un peu moins... comment on fait pour les institutions, mais sur le fond, sur l'Europe qu'on veut, oui, je crois qu'on a fondamentalement un accord, oui.
MICHEL FIELD
Et dernière question, quelle est la personnalité qui serait la plus appropriée pour diriger la liste socialiste aux Européennes ? Votre nom avait même été évoqué et vous, vous avez dit : non, ça ne sera pas moi.
ELISABETH GUIGOU
Ce n'est pas que ça ne m'aurait pas intéressée, l'Europe, ça me passionne et puis j'aime bien les élections... de toute façon, je serai présente dans la campagne, ça, vous pouvez compter sur moi ; mais bon, j'ai un chantier, la réforme de la justice et j'estime qu'on ne peut pas poser son sac au milieu de la route. Donc qui ? Aujourd'hui, il y a deux personnes, François HOLLANDE ou Jack LANG, Jack LANG ou François HOLLANDE, ce sont deux très bons candidats...
MICHEL FIELD
Vous avez une préférence pour l'un des deux ?
ELISABETH GUIGOU
Non, je crois que vraiment ils peuvent être l'un et l'autre... ils peuvent très bien mener cette liste, d'abord parce qu'ils ont l'un et l'autre des convictions européennes ancrées, qu'ils ont l'expérience politique qu'il faut, que je pense qu'ils peuvent entraîner, voilà. Alors ce sera décidé au mois de mars, on a un petit peu de temps devant nous. Je pense qu'on a bien fait de ne pas se précipiter parce que je crois que quand on part trop tôt, ce n'est pas forcément une bonne chose... bon, j'espère qu'on va mettre à profit ces deux mois - c'est d'ailleurs prévu comme ça - pour avoir un débat sur l'Europe que nous voulons ; qu'est-ce que nous voulons faire avancer ? Qu'est-ce que nous faisons par rapport à l'élargissement de l'Europe ? Quelle va être l'architecture ? Qu'est-ce que ce sera l'Europe dans cinq ans ; dans dix ans ? On a besoin d'éclairer les Français là-dessus. Qu'est-ce que nous avons décidé de mettre en commun parce que si nous ne mettons pas en commun, nous savons que nous serons impuissants et qu'est-ce que nous devons absolument garder dans nos compétences nationales parce que ça touche de près à nos identités, à nos spécificités, à notre culture, à tout ça. Eh bien ça, c'est des sujets absolument passionnants et je pense que les Françaises et les Français ont envie qu'on leur parle de l'Europe.
MICHEL FIELD
Alors on va passer maintenant à ce thème, du gouvernement face aux problèmes d'insécurité. Un petit sujet de Jérôme PAOLI, le gouvernement face à la délinquance, pour faire un résumé des positions du gouvernement depuis quelques mois.
JOURNALISTE
Juin 98. Après plusieurs mois de débats, le gouvernement annonçait ses premières mesures de lutte contre la délinquance des mineurs. A mi-chemin entre la ligne dure du ministère de l'Intérieur et la ligne plus modérée du ministère de la Justice, Lionel JOSPIN avait tranché : aucun acte de délinquance des mineurs ne restera impuni mais toute sanction devra comporter une dimension éducative. Mais avec les mauvais chiffrés du mois de janvier sur la délinquance, en hausse de 2 % par rapport à 97, la polémique au sein du gouvernement sur les méthodes à employer pour contenir les mineurs délinquants, revient à l'ordre du jour. Soutenu par Ségolène ROYAL et Alain RICHARD, Jean-Pierre CHEVENEMENT voudrait durcir les sanctions en supprimant les allocations familiales des parents de délinquants mineurs, en instaurant des centres de retenue pour les mineurs récidivistes. Favorable à une révision de l'ordonnance de 45 qui régit les délits des mineurs, le ministre de l'Intérieur voudrait aussi réduire de 16 à 13 ans l'âge légal de la détention provisoire. Mais au ministère de la Justice, Elisabeth GUIGOU reste opposée à toute réforme du régime d'incarcération des mineurs. Soutenue par Martine AUBRY et le ministre de la Ville, Claude BARTOLONE, la ministre de la Justice préfère orienter sa politique autour de l'éducatif tout en conservant l'ordonnance de 45. Une ordonnance qui suivant la ministre, offre déjà toute la palette de sanctions à l'égard des mineurs : du simple avertissement à l'incarcération en passant par l'éloignement. Coincé entre les méthodes divergentes de ses deux ministres et de leurs clans, Lionel JOSPIN se pose aujourd'hui en arbitre, un arbitre qui après avoir réfuté toute idée de suppression des allocations familiales et d'incarcération des mineurs de moins de 16 ans, semble donner une nouvelle fois l'avantage à son ministre de la Justice.
MICHEL FIELD
Alors sur cette question, évidemment beaucoup d'appels de téléspectateurs. On en a retenu un qui synthétise un petit peu tous ceux qu'on a reçus.
AUDITEUR
Bonsoir Madame GUIGOU. Avignonnais, j'ai voté pour vous aux législatives de 97. Aujourd'hui, j'habite à Toulouse au quartier du Mirail où nous avons récemment essuyé une guérilla. Les prix annuels de la délinquance en général sont supérieurs au budget de la justice. Pouvez-vous nous dire comment comptez-vous sérieusement et durablement lutter contre la délinquance sachant que les moyens préventifs et répressifs sont encore très déficitaires en personnel et matériels dans la majorité des départements ?
MICHEL FIELD
Alors bonne question pourrais-je dire...
ELISASETH GUIGOU
C'est vrai qu'on a un problème de moyens, ça c'est clair, La délinquance des mineurs a augmenté de 13 % par an depuis vingt ans, les réponses judiciaires de 16 % et le nombre d'éducateurs est resté le même. Le nombre de juges pour enfants a très faiblement augmenté. Donc on a un problème massif de moyens. Bon. Mais c'est vrai aussi que par rapport à ce phénomène de la délinquance des mineurs, je crois qu'il ne faut pas tout mélanger, c'est-à-dire qu'il ya plusieurs formes de délinquance des jeunes. Il y a les petits délinquants, en général des primo-délinquants, c'est la grande masse. Ceux-là, on les· convoque maintenant systématiquement chez le procureur ou chez le délégué du procureur - j'ai créé deux cents postes...
MICHEL FIELD
Ce que vous appelez le traitement en temps réel.
ELISABETH GUIGOU
Le traitement en temps réel. On les convoque avec leurs parents et il y a immédiatement une sanction. Alors une sanction proportionnée, qui peut aller du rappel de la loi à la lettre d'excuse en passant par la réparation - on efface le tag, on répare les vitres - au travail d'intérêt général. 80 à 90 % des mineurs qui passent par ces procédures ne récidivent pas. Bon. C'est déjà quelque chose. Il ne faut pas non plus s'imaginer qu'on est face à des mouvements qu'on n'arrive absolument pas à maîtriser. Et ça, avec évidemment un concours des maires qui est évidemment irremplaçable parce que c'est un travail en commun avec les magistrats, les policiers, les élus. A l'opposé, vous avez les délinquants les plus durs, ceux qui commettent des crimes. Pour ceux-là, il y a la prison. Il est faux de dire qu'on ne peut pas mettre des jeunes en prison. On met des jeunes en prison...
MICHEL FIELD
Pour les crimes, c'est à partir de 13 ans...
ELISABETH GUIGOU
A partir de 13 ans. Mais les crimes, qu'est-ce que c'est ? Ce n'est pas simplement des meurtres ou des viols. Ca peut être des vols avec menace d'une arme, ça peut être des vols en réunion, c'est-à-dire commis à plusieurs. Donc il y a la prison qui évidemment - j'essaie de changer ça aussi parce que pour les jeunes, il faut absolument qu'ils soient mieux encadrés en prison, qu'il y ait davantage de surveillants, on n'en a pas assez, qu'ils soient dans des petits quartiers... par exemple, j'ai, fait éclater Fleury-Mérogis, il y avait 140 jeunes entassés là, en plusieurs petites unités, il ne faudrait pas qu'il y ait plus de 20 à 25 mineurs, il faut qu'il y ait plus d'enseignants dans les prisons pour que les jeunes soient occupés, qu'ils fassent quelque chose de leur séjour en prison. Et puis au milieu, il y a cette forme de délinquance nouvelle, violente et celle-là, c'est vrai qu'on a besoin d'avoir des réponses qui soient meilleures que celles qu'on a aujourd'hui car quel est le problème ? C'est que c'est vrai qu'aujourd'hui, on a un problème qui est d'éviter que ces jeunes qui ont brûlé, qui ont agressé, ne retournent pas dans leur quartier tout de suite. Alors ce dont on manque, c'est de foyers de placement immédiat, on en a quelques-uns, mais on manque de foyers de placement immédiat pour mettre ces jeunes-là. Pour quoi faire ? Pour d'abord évaluer leur situation, psychologique, leur situation de famille et pour savoir où les orienter, parce qu'ensuite, le traitement de fond, c'est autre chose. Ces foyers de placement immédiat, on en a une dizaine actuellement autour des grandes villes principalement ; sinon ailleurs qu'est-ce qui se passe ? On réserve des places dans des. foyers ordinaires. Alors ces jeunes qui arrivent qui sont souvent très agités, quelquefois violents, eh bien ils perturbent la vie de tous les autres. Vendredi dernier, j'étais en Avignon. Je suis allée voir donc un foyer, je leur ai dit comment vous faites quand vous avez des... bon, eh bien les éducateurs m'ont dit : c'est un vrai problème.
MICHEL FIELD
Mais les dispositifs éducatifs renforcés qui sont au nombre de 13 par exemple...
ELISABETH GUIGOU
Attendez... Pour tous ces jeunes, quand on a besoin de faire un placement, ce qui est essentiel, c'est de savoir que nous avons une variété de placements et qu'il n'y a pas qu'une solution et une seule. Vous avez des placements dans des familles, vous avez des foyers de jour, vous avez des foyers 24 heures sur 24 et vous avez les fameux centres éducatifs renforcés, il y ,en a 13 actuellement, il y en aura 23 à, la fin de l'année.
MICHEL FIELD
Et là, il semble que les résultats soient bons mais ils ont traité 200 jeunes l'année dernière, donc c'est rien...
ELISABETH GUIGOU
Alors ces centres, c'est très bien parce que ça organise des séjours de rupture, c'est-à-dire qu'on reconstruit le jeune. Pourquoi ? Parce qu'il ya un éducateur par jeune, c'est-à-dire que le jeune est suivi 24 heures sur 24, qu'on lui apprend tout, on lui apprend à ne plus confondre le jour et la nuit, on lui apprend les horaires, on lui apprend à se lever tôt le matin, à se coucher à une heure raisonnable le soir, on lui apprend le travail, on lui apprend à se dépasser souvent en faisant des sports à risques, on lui apprend à respecter les règles de la vie quotidienne, à s'asseoir pour manger, etc. Donc c'est vrai que ça ne marche pas à 100 % mais en général, beaucoup de jeunes s'en sortent. Ce qu'il faudrait, l'année dernière il y a eu 200 jeunes, si on veut pouvoir faire passer dans ces structures, 600, 700, 800 jeunes - il me semble que ce soit ça à peu près l'ordre de grandeur - eh bien voyez, il faut multiplier par cinq. Donc je crois que ça, c'est une chose, mais il ne faudrait pas croire que c'est la seule solution. On a aussi besoin... ces jeunes qui passent dans ces centres éducatifs renforcés, ils restent trois mois, six mois, on peut allonger... mais il faut ensuite qu'ils reviennent parce que l'éducation, c'est ça, tous les parents le savent, c'est une série d'allers et retours. Le but, c'est évidemment de réinsérer ces jeunes dans leur famille, dans leur quartier. Donc il faut pouvoir permettre qu'ils fassent des allers et retours. C'est-à-dire qu'entre-temps, ils aillent par exemple... soit ils retournent dans leur famille si on estime qu'ils sont suffisamment reconstruits, rééduqués, soit qu'ils aillent dans un foyer qui leur laisse un petit peu plus de liberté, donc on a besoin d'une palette d'accueil. Donc il faut augmenter... il faut tout augmenter en réalité... toutes les capacités d'accueil : Il nous faudrait beaucoup plus d'éducateurs pour les classes relais, pour les foyers normaux, pour les foyers éducatifs renforcés, mais ce qui nous manque, c'est vrai que ce sont ces foyers de placement immédiat, tout de suite, pour pouvoir d'abord évaluer la structure d'un jeune, savoir où l'orienter pour une action qui soit plus de fond, par exemple dans un centre éducatif renforcé, et pour éviter que ces jeunes puissent, parce qu'il n'y a pas de place, qu'ils retournent dans leur quartier, narguer leurs victimes et quelquefois se faire reprendre tout de suite par une bande, par des réseaux de trafic.
MICHEL FIELD
Ce sera la priorité que vous défendrez au conseil de sécurité intérieure.
ELISABETH GUIGOU
Moi je vais faire des propositions là-dessus, absolument. Mais vous voyez que c'est une question de moyens. La loi... ce n'est pas une question de modifier la loi. La loi, elle nous permet des tas de choses aujourd'hui. Je vous ai dit qu'elle nous permettait, quand il le faut, de mettre des mineurs en prison ; elle permet de poursuivre des parents qui par exemple sont complices de leurs enfants qui ont volé des objets, quand ils les gardent chez eux. La loi permet à tout un chacun de ramener chez lui un enfant qu'on voit traîner dans la rue le soir...
MICHEL FIELD
Donc pas de durcissement des textes par exemple concernant la préventive en dessous de 16 ans puisque là on n'a pas le droit de mettre en détention préventive un mineur de 13 à 16 ans.
ELISABETH GUIGOU
Attendez, mais de 13 ans à 16 ans, on peut mettre aussi en détention provisoire un mineur du moment qu'il a commis un crime mais je pense que pour les délits, je pense que ce n'est pas la solution parce que, encore une fois, la prison telle qu'elle fonctionne aujourd'hui et parce que aussi, ça a ce côté... si vous voulez, ça paraît forcément moins sur l'éducation, je pense que ce n'est pas la solution. Ce que je dis moi, c'est que le problème ce n'est pas de changer la loi ; le problème, c'est de mieux appliquer sur le terrain, de se donner les moyens sur le terrain de mieux appliquer la loi, de mieux coordonner aussi les interventions de tous ceux qui sont responsable et c'est finalement de faire en sorte de bien se dire que quand on a affaire à un jeune comme ça, qui est délinquant, de bien se dire que le but, c'est évidemment de le réinsérer, ce n'est pas de le mettre à l'écart et d'autre part, qu'il faut absolument combiner l'éducation et la sanction et que ce que font tous les parents pour des enfants qui évoluent dans des structures normales, vous voyez bien que c'est du temps, c'est de l'écoute, c'est de l'amour, c'est de la tendresse, c'est de la sanction mais proportionnée à ce qui a été fait. Il faut qu'une sanction soit juste pour être comprise et acceptée. Alors ce qui est déjà dur à faire dans des familles si vous voulez, qui n'ont pas de problème, avec des enfants qui n'ont pas de problème, vous imaginez comme c'est dur à faire pour des délinquants. Et moi je dis qu'il faut s'inspirer des expériences des professionnels, tous ces éducateurs, ces magistrats, ces policiers qui se coltinent les jeunes tous les jours, tous les jours, ils sont en corps à corps avec eux, parce qu'ils sont là, ils passent du temps avec eux, ils les écoutent, ils leur apportent l'attention que personne ne leur a jamais apportée. Eh bien c'est ça qu'il faut qu'on arrive à faire et ne pas imaginer... surtout pas aller dans des faux-semblants.
MICHEL FIELD
D'autres questions, d'autres thèmes sur la réforme de la justice notamment, après la publicité.
MICHEL FIELD
Retour sur le plateau de « Public » en compagnie de la ministre de la Justice garde des Sceaux, Elisabeth GUIGOU. Beaucoup de questions sur l'institution judiciaire. Sans perdre de temps, on en prend une.
AUDITEUR
Bonjour madame la Ministre : La région du Nord est sous-administrée, explosion des pourvois devant la Chambre sociale de la cour d'appel de Douai, délai pour obtenir un jugement : quatre à cinq ans. 80 % des jugements y sont confirmés. Que devient le projet de rendre exécutables les jugements prononcés ? Que comptez-vous faire pour résorber et traiter dans un délai normal les dossiers empilés ?
MICHEL FIELD
Ca, c'est je dirais... sur toutes les questions qu'on a reçues, la masse de questions sur les délais de justice est évidemment conséquente.
ELISABETH GUIGOU
Oui mais c'est le principal problème qui touche nos concitoyens. Quand je suis arrivée, d'abord j'ai identifié les points douloureux, j'ai pris ça comme priorité parce que vous le voyez bien, on a le même nombre de magistrats qu'en 1857 alors que le nombre d'affaires évidemment augmente. Et donc on ne va pas rattraper en deux ans ou trois ans un retard de plusieurs décennies, ça c'est clair. Mais donc les priorités, alors les cours d'appel, notamment les chambres sociales. C'est vrai à Douai, c'est vrai à Aix-en-Provence, c'est vrai à Paris : il faut quatre ans pour arriver à faire juger définitivement un conflit. Alors je crois que là, il Y a plusieurs choses. D'abord j'ai affecté des moyens prioritairement aux cours d'appels, c'est-à-dire que les magistrats que le Premier ministre m'a autorisée à recruter - j'en ai recruté plus de deux cents depuis l'année dernière plus les concours exceptionnels - je les affecte prioritairement aux cours d'appel, aux juges pour enfants et les cours d'appel, je leur donne quoi ? Je leur donne évidemment des magistrats pour affecter aux chambres sociales et d'autre part ce qu'on appelle des magistrats placés, c'est-à-dire qu'on puisse faire circuler dans l'ensemble des tribunaux des cours d'appel pour faire face aux congés impromptus, aux congés maladie, aux congés grossesse etc. Alors à Douai, on commence déjà un peu à voir la différence ; on a pu créer une chambre supplémentaire, on a fait la même chose à Aix-en-Provence. Ce qu'il y a, c'est qu'il ne faut pas se contenter de donner des moyens supplémentaires, il faut aussi simplifier les procédures. Et là c'est vrai que je suis en ce moment de faire étudier la possibilité de rendre exécutoire un certain nombre de décisions de première instance parce que souvent, il y a des appels dilatoires qui sont faits spécialement dans le domaine social, qui sont faits uniquement pour gagner du temps. Vous voyez bien qu'une entreprise qui a un conflit avec un salarié par exemple sur un licenciement, elle a intérêt à faire appel parce que le temps, ça fait gagner... c'est de l'argent. Donc je pense qu'il y a un certain nombre de choses à faire du côté des simplifications des procédures. Ce que je crois aussi, c'est qu'il faut arriver à comprendre qu'on ne peut pas nécessairement régler tous les conflits en allant systématiquement devant un tribunal.
MICHEL FIELD
D'où le développement des structures de médiation qui éviteraient l'engorgement des tribunaux.
ELISABETH GUIGOU
Voilà, il ya une loi très importante qui est la première à être votée par le Parlement et je m'en réjouis, dans l'ensemble de ma réforme, qui a été votée d'ailleurs à une écrasante majorité par le Parlement et qui consiste à dire: d'abord, il faut que chacun ait accès à ses droits, tout le monde doit avoir accès au droit, donc il faut développer les structures, les aides pour les plus modestes mais il faut aussi savoir passer par des procédures de médiation-conciliation parce que ce n'est pas nécessairement en allant devant le tribunal qu'on trouve la meilleure solution à un contentieux. D'autre part, il faut arriver à décentraliser la justice, c'est-à-dire avoir des maisons de la justice et du droit, avoir des centres départementaux d'aide juridique, à ce que la justice aille au devant des gens pour se faire mieux comprendre parce que souvent si vous voulez, dans cette multiplications des procédures, les gens ne savent pas où ils vont... Donc je crois que c'est surtout sur ça qu'il faut agir. Il faut donner évidemment des moyens matériels aux magistrats de travailler…
MICHEL FIELD
Et vous attendez une hausse considérable de votre budget puisqu'à chaque fois qu'on vous pose la question, vous dites « je manque de moyens ».
ELISABETH GUIGOU
J'ai déjà eu une augmentation importante de moyens pour les magistrats, pour les fonctionnaires...
MICHEL FIELD
Vous ne diriez pas non à davantage encore.
ELISABETH GUIGOU
Bien entendu mais ça, personne ne pourra dire non, Ce que je dis, il y a des ordinateurs, on commence à ne plus avoir des plafonds qui fuient, à refaire les circuits électriques, à construire aussi... on construit de nouveaux palais de justice. Ce que je dis simplement, c'est qu'on ne s'en ,sortira pas uniquement en augmentant les moyens parce que vous voyez bien que si on ne fait rien pour simplifier les procédures et pour faire en sorte... pour moderniser les méthodes de travail aussi... dans les tribunaux où les gens se parlent, où les magistrats du Parquet parlent aux magistrats du Siège, où ceux-là parlent aux greffiers, aux fonctionnaires, où cet ensemble parle aux avocats, où donc on se met d'accord sur des contrats de procédure, on dit : eh bien voilà, un conflit familial, on ne mettra pas plus de six mois pour le régler, ça marche. Donc il y a aussi une modernisation des méthodes de travail et moi j'ai demandé qu'on me signale pas seulement ce qui ne va pas mais ce qui va bien aussi, pour qu'on puisse l'améliorer. Alors c'est vrai qu'il y a des pans entiers sur lesquels il faut qu'on soit plus performants, par exemple sur la lutte contre la délinquance économique et financière, mais là je crée des pôles économiques et financiers. On en a à Paris, on en a Bastia, on en a six ou huit sur l'ensemble de la France, on fait une réforme des tribunaux de commerce puisqu'on est dans le champ...
MICHEL FIELD
Oui, il Y avait beaucoup de questions là-dessus aussi...
ELISABETH GUIGOU
Dans le champ économique. Donc je crois que ça, le problème principal en effet, c'est de réduire les délais.
MICHEL FIELD
Une autre question tout de suite.
AUDITEUR
Comment se fait-il que la France qui se prétend être le pays des droits de l'homme, soit rappelée à l'ordre régulièrement par la Cour européenne pour la lenteur des procédures et pour les détentions provisoires abusives ?
MICHEL FIELD
Par la Cour européenne et puis aussi par la Ligue internationale des droits de l'homme en ce qui concerne la lutte anti-terroriste, la justice française a été mise un peu sur la sellette cette semaine.
ELISABETH GUIGOU
Puisque vous parlez du procès CHALABI (phon) et de la lutte antiterroriste, moi je vais vous dire là-dessus... la lutte anti-terroriste, ce n'est pas une plaisanterie et donc je trouve légitime de centraliser les procédures parce que ce sont des réseaux qui opèrent sur tout le territoire et quelquefois avec des prolongements internationaux, donc on a besoin de centralisation. Alors ça n'empêche pas... bien entendu ça ne veut pas dire qu'il ne faille pas qu'il y ait des contrôles internes et des contrepouvoirs. Là en l'occurrence ils jouent puisque vous avez vu que la Chambre d'accusation qui contrôle les juges d'instruction, a par exemple décidé dans certaines affaires, de libérer des personnes qui avaient été mises en détention provisoire ; elle a décidé de déclarer un non-lieu sur une des procédures qui visaient CARLOS, ce qui ne l'empêche pas de rester condamné naturellement, heureusement. La Chambre d'accusation fait son travail. Sur le procès anti-terroriste, sur le réseau CHALABI, le juge d'instruction avait choisi... la magistrature avait choisi d'avoir un seul procès mais il n'y a pas eu qu'une seule décision. Vous avez vu que des prévenus ont été relaxés. Alors il y a le problème de la détention provisoire. C'est vrai que ceux qui ont été relaxés et qui ont fait de la détention provisoire, c'est vrai que ça paraît insupportable parce que, au passage, c'est des vies qui ont été bouleversées. Donc là-dessus, moi je crois qu'il faut - c'est d'ailleurs l'objet d'un projet de loi sur la présomption d'innocence que je fais défendre devant l'Assemblée nationale au mois de mars - je crois qu'il faut limiter les cas de détention provisoire, en limiter la durée et faire en sorte aussi qu'il y ait deux juges qui décident de la détention provisoire. C'est pour ça que je propose qu'il y ait un juge de la détention provisoire : le juge d'instruction propose mais il y a un double regard, un autre regard sur cette décision qui est la plus intentatoire si vous voulez aux libertés.
MICHEL FIELD
La présomption d'innocence, c'est l'objet de la question suivante.
AUDITRICE
Je trouve que l'on parle beaucoup de la présomption d'innocence en ce qui concerne les hommes politiques mais je pense qu'il serait important qu'on en parle pour le citoyen ordinaire. La question que je voudrais poser à madame GUIGOU, c'est : est-ce qu'elle ne pense pas que la présomption d'innocence est l'un des éléments essentiels de la réforme de la justice mais que le contrôle de la profession du juge d'instruction est aussi un élément qui doit être pris en compte de façon régulière et importante ?
MICHEL FIELD
On a le sentiment que les juges ne sont pas contrôlés.
ELISABETH GUIGOU
Mais non, mais ça... ils le sont évidemment. D'abord cette dame a parfaitement raison de dire que la présomption d'innocence, c'est un problème pour monsieur et madame tout le monde. Il y a 66 000 mises en cause aujourd’hui en France, vous voyez bien que pour une poignée d'affaires dont tout le monde parle, ça peut arriver à tout un chacun. 22 000 personnes qui ont été placées en garde à vue, donc c'est très important. Et donc la question de la détention provisoire est évidemment au centre de tout ça, je viens de vous dire ce que je fais pour que justement il y ait un double regard là-dessus. Mais dans ce projet de loi que je propose au Parlement, il y a d'autres choses, par exemple les délais. On dit : il faudra que le juge d'instruction indique, ou le procureur qui fait l'enquête préliminaire, indique le délai et puis si le délai doit être dépassé, eh bien il y aura un contrôle de la Chambre d'accusation et il devra expliquer pourquoi il faut prolonger les délais. Je pense aussi qu'il faut voir que la présomption d'innocence, c'est aussi se préoccuper des atteintes à la réputation d'une personne, des atteintes à son image. C'est la raison pour laquelle je dis qu'on ne doit pas prendre de photos de personnes qui sont menottées ou entravées. D'abord on doit éviter autant que possible de les exposer aux regards lorsqu'il a fallu mettre des menottes parce que c'est des personnes dangereuses ou qui risquent de s'échapper, mais qu'on doit éviter de prendre des images. Je dis aussi que la présomption d'innocence est évidemment un droit de la déclaration des droits de l'homme mais qu'il faut aussi penser au droit des victimes et qu'il faut aussi assurer la liberté d'expression. Et vous voyez que ces trois droits, ils s'entrechoquent...
MICHEL FIELD
Ils sont contradictoires les uns par rapport aux autres.
ELISABETH GUIGOU
Alors qu'ils ont une égale valeur humaine et constitutionnelle. Et que tout le problème, c'est d'arriver à trouver des équilibres nouveaux qui correspondent à l'état de la société. Par exemple, dans ce projet de loi, moi je dis n'oublions pas les victimes, donnons aux victimes la possibilité d'abord de se défendre mieux à travers leurs associations, d'arriver plus facilement et plus simplement devant le tribunal, de protéger leur image aussi parce que c'est insupportable quand on a été victime par exemple d'un attentat de voir publier sa photo. Il y a une dame comme ça d'un certain-âge, qui a vu sa photo en double page, elle était à moitié déshabillée, c'est quelque chose... et puis il ya la liberté d'expression. La liberté d'expression, c'est la presse mais c'est tout un chacun. Et donc il ne faut pas... moi je ne propose rien dans ce projet de loi qui porte atteinte à la liberté de pouvoir informer. Je crois qu'il faut pouvoir assurer ça mais la limite s'arrête là où on porte atteinte à la dignité des personnes. Voilà. Alors c'est un équilibre à trouver. C'est l'idée qu'il faut absolument augmenter les droits de la défense dans notre pays et puis c'est une bataille chaque fois. Quand on a introduit des avocats pour la première fois dans les cabinets des juges d'instruction en 1897, on a dit oh là là ! Eh bien aujourd'hui moi je propose que l'avocat soit présent dès la première heure de la garde à vue parce que je pense que c'est nécessaire qu'il y ait 14 un contact et que la défense soit placée... ait les mêmes armes que l'accusation...
MICHEL FIELD
Et le contrôle des juges... vous disiez d'un revers de main... vous disiez : non, non, ils sont contrôlés mais le sentiment quand même de beaucoup de gens, c'est que suivant la formule consacrée, le juge d'instruction est l'homme le plus puissant de France, qu'il n'y a pas de véritable contrôle en tout cas public, des juges d'instruction.
ELISABETH GUIGOU
Mais il y a le contrôle de la Chambre d'accusation, je viens de vous le dire, je viens de vous donner des exemples il y a un instant.
MICHEL FIELD
Il vous semble suffisant, il n'est pas besoin de le renforcer ?
ELISABETH GUIGOU
Il s'exerce. Alors après... vous savez, le métier de juge, c'est un métier très difficile. Par définition, quand on juge quelqu'un ou quand on prend partie, on fait souvent un heureux, un malheureux. Moi ce que je dis, c'est qu'il faut protéger les juges dans leur activité juridictionnelle et là, il doit y avoir des contre-pouvoirs à l'intérieur de l'institution judiciaire, ce n'est pas aux politiques, de l'extérieur, de venir faire ce contrôle juridictionnel puisque la décision juridictionnelle si vous voulez, c'est l'indépendance. Et il faut accepter l'indépendance. Alors il faut qu'il y ait des contre-pouvoirs et des contrôles. Alors après, si vous posez la question de la responsabilité des juges, il y a la question des responsabilités disciplinaires par exemple mais ça c'est autre chose ; un juge qui se comporte mal, qui ne fait pas son travail, à ce moment-là, il ya la responsabilité disciplinaire. Il faut qu'elle joue naturellement. Et ça, c'est mis en jeu par le garde des Sceaux devant le Conseil supérieur de la magistrature.
MICHEL FIELD
Puisque vous évoquiez ce mélange des genres entre politique et justice, ce sera ma dernière question, va s'ouvrir bientôt le procès du sang contaminé. Des voix s'élèvent aujourd'hui, je pense à des contributions d'Alain MINC ou de Jean-Noêl JEANNET (phon) dans LE MONDE cette semaine, qui s'opposent finalement... ou qui disent qu'il va y avoir là un piètre spectacle de quelque chose qui est de l'ordre d'un procès politique et d'une pénalisation finalement de la fonction gouvernementale.
ELISABETH GUIGOU
Moi je crois, vous voyez, que d'abord il ne faut pas oublier que le drame du sang contaminé, c'est un drame national, qui a atteint des centaines de victimes, des hémophiles, des transfusés, qui a dévasté des familles. C'est un drame où il y a de multiples responsabilités. Ce que j'espère, c'est que le procès qui va s'ouvrir dans quinze jours, le 9 février devant la Cour de justice de la République, le procès qui concerne les ministres, le procès qui va s'ouvrir ensuite, qui concerne les fonctionnaires, j'espère que ces procès vont aider à établir la vérité, qu'aussi ils aideront à diminuer un peu la souffrance des victimes qui est irréparable évidemment. Voilà et je n'en dirai pas plus parce que là, plus encore que dans les autres domaines, il faut que la justice soit complètement indépendante et qu'elle puisse être sereine, voilà, indépendance et sérénité, là plus qu'ailleurs encore.
MICHIEL FIELD
Elisabeth GUIGOU, je vous remercie.