Article de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, dans "Le Monde" le 27 janvier 1996, sur l'avancement de la réforme de la Sécurité sociale, les mesures de financement, le contrôle parlementaire des dépenses de santé, la contribution des médecins, et la réforme hospitalière, intitulé "Oui, la réforme se construit".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Le Monde

Texte intégral

La réforme a commencé. Elle est en marche. Les deux premières ordonnances viennent d'être adoptées par le conseil des ministres. Il y en aura trois autres avant le 30 avril. Et la révision de la Constitution a été votée hier par l'Assemblée nationale.

Cette première étape a été franchie dans les temps, comme l'avait annoncé le premier ministre. C'était un préalable nécessaire. Il fallait remettre les compteurs à zéro et freiner immédiatement les dérives, pour s'engager ensuite dans un effort de maîtrise de la dépense continu, efficace et évaluable. Il fallait aussi donner au Parlement la place qui lui revient afin qu'il puisse déterminer chaque année les orientations de la politique de sécurité sociale et fixer le cadre d'évolution de la dépense.

On aurait bien tort de minimiser la portée de ce premier acte de la réforme. Il s'agit d'apurer un passif et, en deux ans, de redresser les comptes. Même si elle n'était que financière, l'ambition ne serait déjà pas si mince. Mais le dispositif retenu va au-delà de cette ambition. Il se veut illustratif d'une démarche plus profonde. Il préfigure la suite de la réforme : un système de santé mieux financé, mieux géré et optimisé.

Le financement : avec le RDS, l'appel à la solidarité a été général, allant bien au-delà du champ couvert par la CSG, instituée en 1990. Les revenus du patrimoine, de l'assurance-vie à l'épargne-logement, en passant par les jeux, les bijoux et les oeuvres d'art, sont eux aussi mis à contribution. Au-delà des nécessités conjoncturelles, cet appel à la solidarité trouvera sa légitimité profonde dans la garantie d'une évolution désormais maîtrisée de nos dépenses de santé.

Dans le même esprit, les cotisations d'assurance-maladie seront progressivement remplacées par une cotisation assise sur tous les revenus. Elle élargira le financement de la sécurité sociale au-delà des revenus du travail, corrigera les effets des prélèvements sociaux sur l'emploi, sera déductible du revenu imposable.

La gestion : par-delà le rôle majeur désormais dévolu par Parlement, la révision de la Constitution va introduire une logique d'objectifs et une dynamique contractuelle entre l'État et les partenaires sociaux gestionnaires de la sécurité sociale.

Le Parlement arrêtera chaque année les grandes orientations de notre politique de sécurité sociale et les priorités de notre politique de santé. Il fixera les conditions de l'équilibre des différentes branches. Son vote déterminera les objectifs de dépenses d'assurance-maladie dont le dépassement entraînera l'application de mécanismes correctifs. Restera ensuite à conclure les contrats d'objectifs et de moyens qui lieront les partenaires sociaux et l'État. Ces contrats reposeront sur un partage clair des responsabilités. Ils privilégieront les engagements sur les objectifs par rapport à la tutelle sur les actes.

L'optimisation : la contribution exceptionnelle demande aux médecins n'ira pas se perdre dans la masse mais sera affectée à la modernisation de la médecine libérale : elle servira à la réorientation des médecins vers la prévention et à l'informatisation des cabinets médicaux. Elle est maintenue dans son montant, comme toutes les autres contributions destinées à rétablir rapidement l'équilibre des comptes (industrie pharmaceutique, contribution de certaines entreprises, frais de procédure…), mais aidera ainsi à adapter l'offre de soin.

Le rééquilibrage des comptes, comme le remboursement de la dette sociale, loin de faire perdre de vue la réforme structurelle peut, au contraire, y contribuer directement et la préfigurer.

Entre le système de santé administré qui conduit tout droit au rationnement des soins, et les modèles qui reposent sur le libre jeu de la protection individuelle, il y a toujours place pour une voie française combinant solidarité et liberté. Les trois ordonnances de réforme structurelle de la sécurité sociale y contribueront. Elles reposeront toutes trois sur des principes simples de responsabilité et d'évaluation. Elles seront complétées par la loi qui garantira l'accès de tous au système de santé, y compris des plus démunis, en posant les règles d'une assurance maladie universelle. Ces trois ordonnances vont moderniser la sécurité sociale, permettre une maîtrise médicalisée des dépenses et réformer l'hôpital.

La modernisation de la sécurité sociale : il s'agit de renforcer le rôle des organismes de sécurité sociale dans la maîtrise des dépenses de santé et d'adapter l'organisation et le réseau des caisses à l'exercice de cette nouvelle mission.

Aux fonctions traditionnelles de paiement aux assurés, de contrôle médical et de négociation avec les professions de santé vont s'ajouter de nouvelles missions d'évaluation et de suivi de l'activité médicale. La mise en place de nouveaux instruments de pilotage va modifier l'organisation de la sécurité sociale en même temps que le fonctionnement de notre système de santé. Les chantiers sur lesquels les partenaires sociaux et les organisations de médecins vont devoir massivement et durablement s'investir ne manqueront pas !

La maîtrise médicalisée devra tendre vers une meilleure qualité des soins. Elle reposera sur trois piliers : l'évaluation de l'exercice individuel au regard des règles de bonne pratique contenues dans les « références médicales » ; la détection des comportements excessifs du point de vue du nombre d'actes et du volume des prescriptions ; l'application d'un mécanisme de régulation national en ce qui concerne les honoraires.

La réforme hospitalière, fondée sur une appréciation des besoins réels de la population et sur l'évaluation de la qualité et de la sécurité des soins, nous permettra de sortir d'un système où les situations acquises se perpétuent années après année. L'intérêt de la santé publique n'y trouve pas son compte, faute d'avoir procédé aux réallocations de moyens et aux restructurations pourtant si nécessaires.

Ce pays attend de son gouvernement qu'il conjugue réforme et dialogue. Il l'a dit clairement en décembre. Comment peut-on, au moment où ce dialogue se noue, en tirer argument pour prétendre que le gouvernement renonce à ses projets ?

Ouvrir le dialogue, ce n'est pas enterrer la réforme, c'est au contraire la rendre possible et l'améliorer. C'est pour cela que des ateliers avec tous les partenaires concernés se sont déjà mis au travail, auprès du secrétaire d'État à la santé et à la sécurité social, Hervé Gaymard, et de moi-même. Un dialogue vrai est fait d'allers et de retours. Nous aurons la modestie d'un pouvoir politique qui sait bien qu'on ne peut pas toujours écrire juste du premier coup. Puis nous prendrons nos responsabilités. Quand l'ouvrage sera conçu, le temps des critiques… ou des louanges pourra venir.

Pour réussir, la réforme doit être comprise. Pour qu'elle le soit, il faut éviter de brouiller les messages. J'entends d'un côté les commentateurs trop pressés, toujours prêts à donner la leçon, et qui veulent que tout soit accompli tout de suite. J'entends de l'autre les partisans de l'immobilisme, qui guettent toute occasion de faire naître des peurs irraisonnées.

Leur duo serait mortel pour la réforme. Je veille à frayer le chemin entre les dogmatismes et les conservatismes qui entravent si souvent la créativité de la France. Parce qu'elle est inspirée par un vrai projet et soutenue par une éthique, la réforme réussira !