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Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, une institution mieux reconnue

Temps de lecture  10 minutes

Par : La Rédaction

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), plus communément appelé le Contrôleur général des prisons, a été institué par la loi du 30 octobre 2007. Quels sont ses missions et ses pouvoirs ? Quel est l’impact de ses avis, recommandations et rapports ?

Une institution créée en 2007

La loi du 30 octobre 2007, à l’origine de la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), s’appuie sur une réflexion initiée en France à la fin des années 1990 sur le contrôle des prisons et, au niveau international, sur le protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 18 décembre 2022.

Ce protocole préconise l’instauration d’un "mécanisme national de visites régulières dans tous les lieux où des personnes sont privées de liberté sur décision de l’autorité publique". Il prévoit la mise en place par les pays signataires d’un mécanisme national de prévention indépendant dans un délai maximum d’un an après sa ratification.

Le CGLPL est une autorité administrative indépendante nommée pour un mandat non renouvelable de six ans par décret du président de la République, après avis des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Il est choisi en raison de ses compétences et connaissances professionnelles, ce qui est une garantie supplémentaire de son indépendance et est conforme à l’article 18-2 du protocole de l’ONU. Il est assisté de contrôleurs qui sont placés sous sa seule autorité et sont tenus au secret professionnel et soumis à un devoir d’impartialité.

Le Contrôleur général ne reçoit aucune instruction de la part des autorités ministérielles, ni de leurs administrations.

Les missions du CGLPL

Le CGLPL est chargé de contrôler le respect des droits fondamentaux des personnes que l’autorité publique a décidé d’isoler. Il veille à ce que ces personnes soient traitées avec humanité et dignité.

Ses missions s’exercent sur le territoire français, à l’égard de tous les lieux où des personnes sont privées de leur liberté. Il s’agit notamment :

  • des établissements pénitentiaires (maisons d’arrêt, maisons centrales, centres pénitentiaires, établissements pour mineurs…) ;
  • des établissements de santé, y compris privés (établissements recevant des personnes hospitalisées sans leur consentement, chambres sécurisées au sein des hôpitaux, unités pour malades difficiles…) ;
  • des établissements sous tutelle des ministères de la santé et de la justice (unités d’hospitalisation sécurisées interrégionales, unités hospitalières spécialement aménagées, établissement public de santé national de Fresnes…) ;
  • des locaux de garde à vue de la police et de la gendarmerie ;
  • des dépôts ou geôles des tribunaux ;
  • des centres et locaux de rétention administrative des étrangers ;
  • des zones d’attente des aéroports, ports et gares ;
  • des locaux de rétention douanière ;
  • des centres éducatifs fermés.

La loi du 26 mai 2014 a notamment étendu la mission de l’institution au contrôle de l’exécution matérielle des procédures d’éloignement des étrangers jusqu’à leur remise aux autorités de l’État de destination.

Pour visiter ces lieux, le Contrôleur général n’a pas à demander d’autorisation, ni informer l’autorité concernée. Il peut choisir soit de programmer sa visite, soit de procéder à une visite inopinée à tout moment.

Les autorités responsables du lieu de privation de liberté ne peuvent s’opposer à sa visite que pour des motifs graves et impérieux (défense nationale, sécurité publique...).

Le Contrôleur général peut s’entretenir avec toutes celles et ceux qu’il juge utile de rencontrer (les personnes privées de liberté, l’ensemble des personnels, les médecins, les auxiliaires de justice...).

À l'issue de sa visite, il transmet un rapport au(x) ministre(s) concerné(s). Ces rapports, accompagnés des éventuelles observations du ou des ministres, sont publiés sur le site internet du Contrôleur. À la suite de ses visites, le CGLPL peut également décider de publier au Journal officiel des recommandations spécifiques à un ou plusieurs établissements ou des avis sur des problématiques transversales.

S’il a connaissance de faits laissant présumer l’existence d’une infraction pénale, il en saisit le procureur de la République. Il informe l’autorité investie du pouvoir disciplinaire des faits de nature à entraîner des poursuites disciplinaires.

Le pouvoir d’injonction n’a pas été accordé au Contrôleur général. Les raisons invoquées étant que ce type de pouvoir aurait pu dégrader les relations de confiance entre le Contrôleur général et les administrations.

À l’instar du Défenseur des droits, il peut mettre en demeure les personnes intéressées de lui répondre dans un délai qu’il fixe.

La saisine du Contrôleur général est large. Ainsi toute personne physique, ou toute personne morale ayant pour objet le respect des droits fondamentaux, qui a connaissance d’atteintes aux droits des personnes dans un lieu privatif de liberté, peut s’adresser au Contrôleur. Dans ce cas, le Contrôleur peut mener une enquête, y compris sur place, et formuler des recommandations à l’autorité responsable du lieu privatif de liberté. Ces recommandations peuvent être rendues publiques.

Le Contrôleur peut aussi se saisir d’office de tout fait ou de toute situation relevant de sa compétence.

Un délit d’entrave à l’action du CGLPL a été créé par la loi du 26 mai 2014 (infraction punissant le fait d'entraver le contrôle ou d’user d’intimidations à l’égard des personnes en relation avec le Contrôleur général).

De 2008 à 2024 (selon les chiffres du rapport d'activité 2023), le CGLPL a effectué 2 119 visites d’établissements et a été saisi 50 828 fois (environ 3 000 courriers par an). En 2024, le CGLPL a visité 133 lieux de privation de liberté et a reçu plus de 2 500 courriers de signalements d'atteintes aux droits fondamentaux. La Cour des comptes, dans ses observations du 6 octobre 2025, relève tout de même une baisse du nombre de contrôles depuis 2019. Le nombre de signalements a également diminué depuis 2018, tandis que les délais de traitement ont augmenté de 2017 à 2021 (95 jours en moyenne en 2021), avant de diminuer à compter de 2023 (52 jours). 

 

  • En quoi consiste votre activité ?

    Alors le contrôle général des lieux de privation de liberté a un statut d'autorité administrative indépendante et ça repose sur mon mandat qui est de 6 ans irrévocable.

    Nous faisons 150 visites par an.

    Tous les mois les équipes partent les quinze premiers jours du mois.

    Restent sur place cinq jours, six jours, dix jours s'il le faut et à la suite de quoi nous rendons des rapports concernant les lieux qu'on a visités.

    Mais avant nous effectuons ce qu'on appelle une restitution devant toute l'équipe du lieu visité.

    Nous visitons une immense variété de lieux, puisque ça va de la prison au centre éducatif fermé pour enfants et adolescents, en passant par les hôpitaux psychiatriques, dans les services fermés de soins sans consentement, mais aussi les locaux de garde à vue, les centres de rétention pour étrangers, les points à la frontière où passent les exilés.

    Nous avons en tout à visiter environ 5 000, un peu plus de 5 000 lieux de privation de liberté en France.

    Je préfère que nos visites soient inopinées, c'est-à-dire qu'on ne prévienne pas avant.

    Mais il y a des lieux dans lesquels on prévient, par exemple quand on sait qu'il y a, pendant la pandémie, quand on savait qu'il y avait un cluster dans un hôpital ou dans une prison, on prévenait.

    Dans les prisons, nous sommes accueillis, en raison d'une surpopulation carcérale honteuse, eh bien, l'administration pénitentiaire n'est pas mécontente que nous venions constater ce qui se passe.

    Ce n'est pas eux qui sont responsables de la surpopulation carcérale.

    Ils ne peuvent pas afficher complet.

    Ils ne peuvent pas mettre complet, on ne prend plus personne, au fronton des prisons.

    Donc ils subissent eux aussi les condamnés ou les détenus provisoires que leur envoient les magistrats.

    On en est à 71 000 détenus.

    Il y a 1 800 matelas au sol.

    Un matelas au sol, je l'ai vu dans les prisons, cela veut dire dans des conditions d'hygiène déplorables, avec des rats dans la cour.

    Oui, beaucoup de rats.

    Et dans les cellules, ce que les détenus nous décrivent, et ce que j'ai vu, des cafards, des punaises de lit.

    Qu'est-ce qu'ils font les détenus ?

    Ils s'enroulent très serrés dans leurs draps pour pas que, pendant la nuit, les cafards leur courent dessus, et ils dorment avec du papier toilette dans les oreilles et dans le nez pour pas que les cafards rentrent dedans.

    Ça n'a pas empêché, à la prison de Toulouse-Seysses, un détenu de voir son conduit auditif infecté.

    Et pourquoi ?

    Parce qu'on a retrouvé un cafard mort au fond.

  • Comment êtes-vous alertée sur les situations les plus critiques ?

    Nous recevons environ 3 500 à 4 000 lettres par an.

    Beaucoup d'appels téléphoniques, principalement de la part des détenus qui ont maintenant le téléphone en cellule.

    Bien qu'il coûte extrêmement cher, mais c'est un autre sujet.

    Et puis, aussi de gens enfermés dans des hôpitaux psychiatriques, dans des services de soins sans consentement.

    Ces appels téléphoniques et ces lettres nous guident dans nos visites parce qu'ils nous signalent des endroits où on devrait bien aller mettre notre nez, si j'ose dire.

    C'est-à-dire que, on se dit : « Tiens, dans tel endroit, on reçoit trop de lettres.

    Ce n'est pas normal.

    Trop de signalements, trop d'appels téléphoniques. »

    Des associations nous saisissent également.

    On prend tous les signalements qu'on peut.

    Par exemple à la prison de Toulouse-Seysses, surpeuplée à 187 %, quand la prison s'est ouverte, il y avait 1 surveillant pour 53 détenus.

    Aujourd'hui, on en est à 1 surveillant pour 150 détenus.

    Je voudrais savoir quel corps de métier pourrait supporter de voir sa tâche triplée.

    Je peux vous citer par exemple un centre éducatif fermé qu'on a visité il y a un an, c'est-à-dire pour les enfants, où la situation était épouvantable.

    Les éducateurs, c'étaient des anciens tenanciers de boîte de nuit qui s'étaient fait engager là parce que leur boîte de nuit avait fermé pendant le Covid.

    L'équipe n'était pas pérenne.

    Il y avait peu d'heures d'enseignement.

    Tout allait à vau-l'eau et bien là, la directrice nous a appelés et la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse aussi pour nous dire : « Écoutez, venez voir. On s'est démenés pendant un an pour se conformer à ce que vous nous aviez dit. »

    Et là, on a passé une journée absolument, je ne peux pas dire enchanteresse, parce que c'est un lieu d'enfermement, mais à voir à quel point tout avait été transformé.

    C'est ainsi qu'on récolte sur place pas mal de résultats.

  • Quelle appréciation portez-vous sur la situation générale de la détention en France ?

    J'ai vu les conditions se dégrader et se dégrader en raison de la surpopulation carcérale.

    Cette surpopulation carcérale, c'est pour moi une honte.

    On ne peut pas laisser vivre des gens dans des conditions pareilles.

    Je regrette d'autant plus cette situation qu'en 2018, il y avait eu un espoir, un très fort espoir suscité par le président de la République lui-même, qui avait dans un discours à l'École de l'administration pénitentiaire, dit qu'il était pour l'expérimentation de la régulation carcérale, à savoir quand la prison atteint un certain degré de suroccupation, eh bien, on arrête d'incarcérer.

    Et quand un détenu rentre un autre sort le plus proche de sa fin de peine.

    Pourquoi ? Pourquoi ça n'a pas été fait ?

Une institution reconnue pour les répercussions positives de son action

En 2017, à l’occasion des dix ans de la création de l’institution, Adeline Hazan (CGLPL du 16 juillet 2014 au 16 juillet 2020), constate que l’action de l’autorité qu’elle préside "a renforcé la visibilité des personnes privées de liberté, suscité des évolutions du droit, permis des améliorations de la vie quotidienne des personnes privées de liberté et, dans certains cas, conduit à dénoncer des violations graves des droits fondamentaux. 

Elle constate que son action a des répercussions positives : "Devant une situation chaque jour plus insupportable, le CGLPL continue à réunir, autour de lui, les acteurs de la prison : associations, syndicats, organisations pénitentiaires, magistrats, médecins, avocats. La très grande majorité d’entre eux s’est prononcée pour des mesures d’urgence de libérations, comme au temps de la pandémie. Et surtout pour une régulation carcérale pérenne, inscrite dans la loi en restreignant les incarcérations, en facilitant les sorties encadrées, en privilégiant d’autres peines que la prison, comme l’a fidèlement répercuté le CGLPL dans un avis publié le 15 septembre 2023 au Journal officiel. Sur la même ligne, des parlementaires ont élaboré des propositions de loi. Pas plus de prisonniers que de places.
[...] Il faut aussi multiplier les voies pour agir et le CGLPL se félicite du développement de la voie contentieuse, grâce aux avocats, associations, et aux magistrats administratifs ou judiciaires. Car si des choses changent, en bien, après les visites du CGLPL, c’est trop lent et trop peu. En revanche, un procès contre les conditions indignes de détention appuyé sur les rapports du CGLPL porte ses fruits autrement plus vite. Ces deux dernières années, les tribunaux administratifs, en particulier, ont condamné l’État à des aménagements, réparations, entretien, désinfections dans de nombreuses prisons, à des dédommagements et à des astreintes de centaines d’euros par jour de retard. Le tout, ajouté aux 110 euros par jour et par détenu, finit par coûter très cher."

Dans ses observations du 6 octobre 2025, la Cour des comptes rappelle que la crédibilité du CGLPL est reconnue par l'ensemble de ses partenaires internationaux. L'institution est estimée satisfaire aux engagements internationaux de la France (vérifier le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté), notamment par ses contrôles réguliers et approfondis des différents lieux de privation de liberté qui se trouvent sur le territoire. 

Mais des recommandations pas toujours suivies d'effets

Les recommandations du CGLPL, parfois réitérées à propos d'un même établissement ou d'une même problématique, restent souvent sans suite. Une procédure de suivi des recommandations émises trois ans auparavant a été instaurée en 2018, sur une base déclarative. 

Selon les termes de Dominique Simonnot (CGLPL depuis le 14 octobre 2020) dans son rapport d’activité pour 2023, rendu public le 15 mai 2024 : "Le suivi des recommandations du CGLPL demeure pour les ministres un exercice formel et non contraignant. Les difficultés pour obtenir ces réponses illustrent ces qualificatifs.
Cet exercice a montré au cours de ces six années, des réponses souvent parcellaires et un pourcentage de recommandations prises en compte par les établissements de l’ordre de 40 à 60%. C’est un pourcentage faible au regard de ce qui avait été acté comme acquis, constatant que plus le temps passe moins celles-ci ont de chance d’être mise en œuvre.". 

Le taux de suivi des recommandations du CGLPL en 2023

Le CGLPL indique en 2025 que les réponses des établissements pénitentiaires sont "meilleures qu'avant". Néanmoins, en 2023, le taux de mise en œuvre des recommandations particulières faites aux établissements restait estimé entre 30 et 40%. Concernant les recommandations générales aux ministres formulées la même année, toujours selon l'institution, seules 23% ont été totalement mises en œuvre, et 29% d'entre elles étaient en cours de mise en œuvre ou partiellement mises en œuvre. Les 48,5% recommandations restantes n'étaient pas mises en œuvre (ou du moins le CGLPL n'avait pas l'assurance qu'elles aient été mises en œuvre). 

La Cour des comptes formule plusieurs recommandations pour remédier au manque de suivi des recommandations du CGLPL

  • "regrouper les recommandations en fonction du degré de gravité de l'atteinte aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté et des autorités auxquelles elles s'adressent, de manière à en limiter le nombre, et préciser les responsables de leur mise en œuvre" ;
  • "engager un dialogue avec les autorités responsables des lieux de privation de liberté afin d'améliorer la mise en œuvre des recommandations".