La nécessité d'un choc de compétitivité
La compétitivité d'une économie est sa capacité à maintenir et à attirer des activités économiques et à faire face à la concurrence internationale. La compétitivité dépend de multiples facteurs parmi lesquels figurent la qualité des infrastructures, l'évolution de la productivité, le niveau d'éducation, la stabilité économique et politique, l'ouverture commerciale, l'accès au financement, l'environnement technologique.
Traditionnellement, la compétitivité se décompose en compétitivité-prix et hors prix. La compétitivité-prix (ou compétitivité-coût) fait référence au coût du travail, aux charges sociales, à la fiscalité ou au prix de l'énergie, c'est-à-dire à l'ensemble des facteurs qui influence directement les prix à l'exportation. La compétitivité hors-prix (ou hors coût) fait, elle, référence à la qualité des produits, à l'image de marque, à l'innovation, à la montée en gamme, ou à la capacité à répondre à la demande mondiale.
Depuis le Rapport Gallois (2012) qui appelait à créer "un choc de compétitivité", la France a déployé un ensemble de politiques pour améliorer son positionnement sur l'échiquier mondial. Il s'agit de lutter, d'une part, contre une pression concurrentielle croissante, issue de la mondialisation et, d'autre part, contre une désindustrialisation concomitante. L'objectif est de restaurer une base productive nationale capable de rivaliser avec les grandes puissances économiques. Cet objectif est d'autant plus stratégique dans un contexte de remise en cause du libre-échange, avec le retour de politiques protectionnistes, de relocalisations et de conditions d'accès asymétriques aux marchés.
Ces politiques ont-elles porté leurs fruits ? Où en est, aujourd'hui, la France en matière de compétitivité industrielle par rapport à ses principaux concurrents, notamment européens ? La France dispose-t-elle encore de marges de manœuvre pour améliorer son potentiel industriel ?
Une décennie de réformes pour renforcer la compétitivité et le tissu industriel
La France a mené une série de réformes structurelles pour restaurer sa compétitivité et enrayer la désindustrialisation. Cette action repose sur 3 piliers :
- la réduction des coûts de production ;
- le soutien à l'innovation ;
- la structuration territoriale de l'investissement industriel.
La réduction des coûts de production : des progrès, mais peut mieux faire
Instauré en 2013, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) visait à alléger le coût du travail dans les entreprises exposées à la concurrence internationale. Il a été transformé en 2019 par des baisses durables de cotisations sociales. En parallèle, le taux de l'impôt sur les sociétés a été progressivement abaissé de 33,3% à 25% en 2022. À partir de 2021, le plan France Relance marque une étape importante dans la politique de baisse des impôts de production.
Depuis les travaux fondateurs de Diamond et Mirrlees (publié en 1971 dans l'American Economic Review), les impôts à la production sont jugés distorsifs et nuisibles. Leur théorème énonce qu'un système fiscal optimal ne doit pas taxer les intrants de la production (capital, biens intermédiaires, travail en amont), mais uniquement la consommation finale par la TVA. Cette approche vise à préserver l'efficience productive et à éviter de pénaliser les chaînes de valeur industrielles. Dans cette optique, le plan France relance propose une réduction massive de la fiscalité sur les entreprises industrielles (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises - CVAE, cotisation foncière des entreprises - CFE, taxe foncière sur les propriétés bâties - TFPB et autres).
Ces mesures ont certes contribué à un allègement fiscal significatif de 10 milliards par an en 2021 et en 2022 pour environ 600 000 entreprises. Ces mesures demeurent néanmoins insuffisantes pour combler l'écart avec les principaux partenaires européens. Selon Rexecode ("La compétitivité de la France en 2024"), les cotisations employeurs et les impôts de production acquittés par l'industrie, nets des subventions, représentent encore 18% de la valeur ajoutée du secteur en France. C'est un niveau supérieur à celui de la zone euro (11%), mais aussi de l'Allemagne (11%), de l'Italie (12%) ou de la Suède (13%). La fiscalité de production demeure donc un frein structurel à la compétitivité-prix. Et, la France reste à mi-chemin d'un basculement complet de la fiscalité de production vers une fiscalité sur la consommation finale, jugée plus neutre économiquement.
Outre la pression fiscale, le coût horaire du travail dans l'industrie manufacturière française (46,36 euros/heure) reste supérieur d'environ 16% à la moyenne de la zone euro (38,94 euros/heure). Cette situation pèse sur la compétitivité-prix des entreprises françaises, car la productivité horaire du travail, bien qu'élevée, ne suffit pas à compenser entièrement ce différentiel.
Au final, une fiscalité de production et un coût du travail plus élevés qu'en Allemagne en Italie ou en Espagne constituent un frein durable à l'amélioration du positionnement industriel de la France.
Le soutien à l'innovation : le crédit d'impôt recherche en débat
La France a également misé sur le renforcement de sa capacité de recherche et d'innovation pour améliorer sa compétitivité hors prix qui est un facteur clé de la croissance à long terme. Instauré en 1983 puis réformé en 2008, le crédit d'impôt recherche (CIR) permet aux entreprises de déduire 30% de leurs dépenses de R&D jusqu'à 100 millions d'euros, puis 5% au-delà. Le Conseil d'analyse économique a publié en 2022 une étude qui considère que, par ce dispositif fiscal, l'État français finance 20% de la R&D privée contre 6% en moyenne pour les pays de l'OCDE. Une étude du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (2023) estime que 28 810 entreprises françaises ont bénéficié du CIR en 2021. Le montant estimé est supérieur à 7 milliards par an, ce qui fait du CIR la principale niche fiscale.
Selon la Direction générale du Trésor (2021) : "la réforme du CIR aurait permis d'accroître l'activité de 0,5 point de PIB et de créer 30 000 emplois 15 ans plus tard, les effets mettant du temps à se matérialiser. À long terme, la réforme permettrait de rehausser l'activité de 0,8 pt de PIB et de créer 60 000 emplois. Ces effets prennent en compte le financement de la réforme via une baisse des dépenses publiques hors CIR. Ils demeurent toutefois entourés d'une forte incertitude".
La Cour des comptes (2021) souligne cependant d'importants effets d'aubaine, notamment pour les grandes entreprises, sans garantie de résultats proportionnés en termes d'innovation ou d'emplois créés. La note du CAE considère que 1 million d'euros de CIR implique le dépôt de 1,165 brevet pour les TPE, contre seulement 0,464 pour les grandes entreprises. Le rendement du CIR serait donc inversement proportionnel à la taille de l'entreprise.
Une étude de France Stratégie (2021) confirme que l'effet incitatif du CIR est plus fort au sein des TPE-PME, qui mobilisent plus efficacement ces aides pour intensifier leurs efforts de recherche. Le CAE, quant à lui, plaide alors pour une réforme du CIR pour le calquer sur les modèles allemands et britanniques, où les incitations fiscales à la R&D privée sont davantage orientées vers les TPE et les PME. Et, pour renforcer son impact, le CAE propose d'abaisser le plafond de dépenses éligibles à 20 millions, mais d'augmenter le taux de subvention de 30 à 42%. Ces constats sont relayés par les représentants des petites entreprises du numérique. Ils appellent à une réorientation du CIR vers les plus petits acteurs, estimant que ces derniers génèrent "le plus d'innovation, de croissance et de compétitivité". Ils proposent de plafonner les aides aux grands groupes et de conditionner le bénéfice du CIR à des engagements de localisation ou de souveraineté technologique.
Le soutien aux filières stratégiques et aux territoires
La France a également déployé une stratégie industrielle reposant sur le soutien aux filières stratégiques et la revitalisation des territoires industriels. Deux dispositifs structurent cette politique :
Bpifrance joue un rôle déterminant en tant qu'opérateur de financement et accompagnant stratégique. Bpifrance indique avoir mobilisé près de 10 milliards d'euros dans le cadre de France 2030.
Lancé en octobre 2021, France 2030 est un plan d'investissement de 54 milliards d'euros sur 5 ans. Il est destiné à accélérer la transformation des secteurs économiques jugés stratégiques pour la souveraineté technologique et industrielle de la France. Dix priorités ont été ciblées, notamment, la décarbonation de l'industrie, la production de véhicules électriques, les énergies renouvelables, la biomédecine, ou encore les technologies du numérique (intelligence artificielle, cloud…).
Ce plan ambitionne de faire émerger les champions technologiques de demain tout en relocalisant certaines chaînes de valeur critiques. À fin 2024, 4 700 projets avaient été soutenus, dont 50% portés par des PME et des ETI, impliquant la création ou la préservation de 93 000 emplois, selon le ministère de l'économie et des finances. Le Comité de surveillance des investissements d'avenir (2023, p. 14) indique : "le plan d'investissement devrait avoir des effets de très grande envergure sur l'activité économique, avec une hausse du PIB comprise entre 40 et 80 milliards d'euros à l'horizon 2030… Les impacts attendus de France 2030 sur l'emploi sont également majeurs, avec une fourchette de 288 000 à 600 000 créations nettes d'emplois". En 2025, la Cour des comptes examine la mission "Investir pour la France de 2030", qui englobe le plan France 2030. La Cour souligne l'ambition du plan, mais aussi la complexité du pilotage budgétaire et la nécessité de renforcer le contrôle interne et l'évaluation des investissements. Le rapport met en évidence des défis liés à la coordination des acteurs et à la gestion pluriannuelle des crédits.
En parallèle, le programme Territoires d'industrie, relancé en 2023 pour une deuxième phase jusqu'en 2027, vise à accompagner 150 territoires à fort potentiel industriel dans leur stratégie de reconquête. Il s'appuie sur une logique de gouvernance locale, impliquant les intercommunalités, les industriels et les préfets, pour identifier les projets prioritaires et leur offrir un appui financier et technique. Selon la Cour des comptes (2023), ce programme a permis de financer plus de 800 projets industriels entre 2018 et 2022, contribuant au maintien ou à la création de plusieurs milliers d'emplois dans les zones concernées. Toutefois, la Cour souligne également des limites dans le pilotage du programme, notamment un manque de coordination entre les différentes strates de l'action publique et une évaluation encore incomplète des effets réels sur les dynamiques industrielles locales.
Ces deux dispositifs incarnent une inflexion notable de la politique industrielle française vers une logique de soutien ciblé, de souveraineté économique et de territorialisation de l'action publique. Ils marquent aussi le retour assumé d'un État investisseur dans l'économie productive, à rebours de la logique de neutralité sectorielle longtemps dominante. Cependant, les effets du plan sur la croissance, l'emploi et la compétitivité restent encore à documenter, compte tenu du caractère pluriannuel des financements et du temps de mise en œuvre des projets.
La France en 2025 : quel potentiel industriel ?
La productivité, le commerce extérieur ou l'attractivité constituent des marqueurs de notre potentiel industriel.
Une productivité en recul : un frein à la compétitivité hors prix
En 2025, la France peine à restaurer sa productivité d'avant crise : la productivité horaire du travail reste inférieure de 2,4% à son niveau de 2019, un recul nettement plus marqué que dans la plupart des pays développés. L'Espagne, par exemple, a enregistré un gain de +2,2% sur la même période, tandis que l'Italie et l'Allemagne ont quasiment retrouvé leurs niveaux d'avant crise.
Les données d'Eurostat confirment cette tendance. En 2023, la productivité par heure travaillée (base 2015 = 100) s'élève à 104,1 pour la France, contre 107,3 pour l'Espagne, 105,4 pour l'Italie, et 108,2 pour l'Allemagne. Selon France Stratégie (2023), ce déficit de productivité est imputable à plusieurs facteurs structurels : un retard persistant dans la diffusion des technologies numériques, un tissu industriel marqué par la fragmentation des chaînes de valeur, une faible automatisation dans les PME industrielles ou encore la faiblesse du système éducatif. La Banque de France souligne également que la productivité multifactorielle française progresse deux fois moins vite que celle de l'Allemagne depuis une décennie.
Le risque est alors grand de voir la France durablement pénalisée sur les segments industriels à haute valeur ajoutée, notamment dans les secteurs technologiques ou exportateurs. Pour inverser cette tendance, un effort renforcé d'investissement dans les compétences, la R&D et la numérisation des processus productifs apparaît indispensable. À ces facteurs structurels s'ajoute un effet conjoncturel : le développement massif de l'alternance, salué comme un levier d'insertion, a eu un effet temporairement négatif sur la productivité moyenne. L'arrivée de jeunes alternants, souvent moins productifs à court terme, a contribué à faire baisser la productivité apparente du travail. Cet effet d'arithmétique ne remet toutefois pas en cause l'intérêt de l'alternance, dont les retombées positives sur le capital humain sont attendues à moyen terme.
La balance commerciale : le déficit structurel de l'industrie
Certes, le déficit commercial de la France s'est amenuisé en 2024 (81 milliards d'euros) par rapport à 2022 (163 milliards d'euros) et 2023 (100 milliards d'euros), principalement en raison de l'évolution des prix de l'énergie. Mais ce déficit est structurel et contraste fortement avec la situation de nos voisins.
L'Allemagne conserve un excédent commercial important (241 milliards d'euros en 2024) qui reflète la force de son industrie exportatrice, notamment dans les machines-outils, l'automobile et la chimie. L'Italie a également affiché un excédent commercial de 55 milliards d'euros en 2024, du fait de sa spécialisation dans les biens d'équipement et le textile haut de gamme. Quant à l'Espagne, elle est parvenue à réduire son déficit de manière significative au cours de la dernière décennie et se rapproche désormais de l'équilibre, avec un solde légèrement négatif (environ –2 milliards d'euros) .
En France, la structure du déficit révèle, d'une part, le niveau élevé des importations de biens intermédiaires et d'énergie. Et, d'autre part, une montée en gamme industrielle insuffisante pour enrayer l'érosion des parts de marché à l'export. La France ne représente plus que 2,5% des exportations mondiales de biens en 2024, contre plus de 5% en 2000, selon l'OMC. Elle occupe désormais la 9e place du commerce international, dépassée en 2024 par l'Italie et Hong Kong. Les entreprises françaises exportatrices sont moins nombreuses et plus concentrées que chez nos voisins : environ 125 000 entreprises exportatrices en France, contre 230 000 en Allemagne. Cette situation limite la capacité du tissu productif à se projeter à l'international.
Enfin, l'appréciation du taux de change de l'euro ou les tensions commerciales mondiales (guerres tarifaires, fragmentation des chaînes de valeur) accentuent la vulnérabilité de l'industrie française aux chocs extérieurs. Le déficit manufacturier reste ainsi le talon d'Achille du commerce extérieur français, en dépit de quelques performances sectorielles notables (aéronautique, cosmétiques, pharmacie).
L'attractivité : un bilan ambivalent
Symbole de la politique de l'offre, l'attractivité de notre économie est mesurée par notre capacité à attirer des investissements directs étrangers (IDE). En 2024, la France reste championne d'Europe des IDE selon le baromètre EY. Mais la courbe s'infléchit du fait des barrières commerciales, des tensions géopolitiques et du contexte macroéconomique. C'est aussi le cas chez nos voisins.
Cette 1ère place (20 milliards d'euros investis) est notable mais elle doit être relativisée. Les projets financés sont moins denses en emplois (33 en moyenne) qu'ailleurs (128 en Allemagne) car les délais d'implantation sont plus longs, l'accès au foncier plus contraint et le coût de la main-d'œuvre plus importants. 15% seulement des IDE "greenfield" contre 57% en Espagne. Les IDE sortants, ceux réalisés par des entreprises françaises dans le reste du monde, restent structurellement supérieurs aux IDE entrants. Par exemple, Sanofi (Lemonde.fr, 14 mai 2025) investira 20 milliards de dollars aux États-Unis dans les 5 ans. Les IDE entrants ne constituent qu'une fraction marginale de l'investissement total des entreprises en France en 2023 estimé à 335 milliards selon l'INSEE (2024).
Au total, la part de l'industrie dans le PIB reste plus faible en France (10,6%) qu'ailleurs (Allemagne 18,6%, Italie 15,4%, Espagne 13,6%). L'emploi industriel représente environ 11% de l'emploi total. En nombre de salariés, il est resté stable entre 2014 et aujourd'hui. Si la France a lancé des politiques industrielles ambitieuses, force est de constater que le chemin reste long. La réussite passera par la continuité des efforts, l'investissement dans les compétences et la décarbonation des activités, et un pilotage stratégique stable et lisible.