Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je suis, comme toujours, très heureux de me retrouver parmi vous aujourd'hui, pour cette nouvelle audition. Suivant l'usage, vous savez par avance qu'en guise d'introduction, je vais vous dire que l'actualité européenne a été particulièrement dense depuis notre précédente rencontre.
Dans cette actualité fort riche, j'ai donc choisi de retenir quatre grands sujets qui ont pour caractéristique commune de conditionner très étroitement l'avenir de l'Union européenne :
- d'abord, bien entendu, la mise en place du nouveau Parlement européen et de la nouvelle Commission, qui se traduit par des changements, que j'estime importants, pour l'évolution politique et institutionnelle future de l'Union ;
- ensuite, la réunion du Conseil européen extraordinaire qui s'est tenue à Tampere, en Finlande, les 15 et 16 octobre dernier, et qui met l'accent sur une dimension fondamentale, là encore, pour les développements à venir de la construction européenne ;
- par ailleurs, la conférence de Seattle, qui doit lancer un nouveau cycle de négociations multilatérales ; elle doit faire l'objet, comme vous le savez, d'un débat à l'Assemblée nationale le 26 octobre, mais je veux insister dès aujourd'hui sur les enjeux considérables de ce nouveau cycle pour l'avenir de l'Union ;
- dernier point, enfin, pour vous donner quelques éléments sur le rapport de la Commission du 13 octobre, qui traite des perspectives d'élargissement de l'Union : là encore, vous le savez, c'est un sujet majeur pour l'Europe de demain.
I. D'abord, quelques mots sur la mise en place du Parlement européen et de la nouvelle Commission.
Lors de ma précédente audition, j'avais évoqué avec vous la chronique des événements qui avaient conduit, le 15 mars dernier, à la démission collective de la Commission, et les premiers enseignements qu'on pouvait tirer de cette crise institutionnelle. Désormais, la nouvelle Commission, qui a été investie le 15 septembre dernier, et le nouveau Parlement européen, élu le 13 juin dernier, sont en place, ce qui me conduit, à nouveau, à vous faire part de quelques réflexions.
Je crois, d'abord, qu'il y a désormais un certain risque d'asymétrie dans les pouvoirs du Parlement et de la Commission, et que cette évolution découle tout autant de l'accroissement des pouvoirs institutionnels du Parlement depuis l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam que du terrain politique perdu par la Commission Santer. Il me semble aussi que ce risque peut et doit être conjuré.
Au fond, que voyons-nous ? La Commission est juridiquement responsable devant le Parlement ; cette évolution résulte non seulement des pouvoirs du Parlement en matière budgétaire et du renforcement de ses prérogatives législatives, qui contraignent la Commission à un dialogue de plus en plus étroit avec lui. Mais la Commission est aussi, de plus en plus, responsable politiquement devant le Parlement, puisque celui-ci dispose désormais du pouvoir d'investir son président et l'ensemble du collège, et plus uniquement du droit de censure.
Pour parler clair, le Parlement européen dispose désormais de l'ensemble des compétences parlementaires classiques pour exercer un contrôle effectif de la Commission, comme on l'a vu encore très récemment, à l'occasion des auditions individuelles des Commissaires précédant le vote d'investiture du 15 septembre. C'est une bonne chose, l'aboutissement d'un long processus, qu'il faut maintenant "digérer", et non pas accentuer encore.
Or, face à un Parlement qui dispose de prérogatives institutionnelles et politiques croissantes, il est clair que la nouvelle Commission devra apporter la preuve qu'elle dispose d'une autorité plus forte que celle de la Commission précédente, afin d'éviter une trop forte parlementarisation des institutions européennes, qui n'ont pas été conçues pour cela.
Pour conjurer ce risque, mon sentiment est que la Commission Prodi est mieux armée pour résister à la pression du Parlement :
- d'abord parce que parce que son président est doté d'une personnalité et d'une autorité politique indéniables, et que ses membres semblent avoir un poids individuel plus lourd que ceux de l'équipe sortante ;
- ensuite, parce que la nouvelle Commission s'annonce plus collégiale que la Commission Santer, et qu'elle affiche la volonté de tirer les leçons des errements individuels de la période précédente ;
- parce que je ne crois pas, par ailleurs, que le Parlement européen veuille et puisse endosser la responsabilité de crises institutionnelles répétées ;
- enfin et surtout, parce que j'espère que la nouvelle Commission saura nouer, dans son propre intérêt, et peut-être plus que par le passé, des alliances avec le Conseil afin de mieux résister à certaines tentations du Parlement.
La question qui se pose à présent, c'est, selon moi, de savoir jusqu'où le Parlement européen va chercher à pousser l'avantage, notamment par rapport au Conseil des ministres de l'Union. Comme je l'indiquais en effet, le nouveau traité a renforcé son rôle dans les procédures législatives, instituant, avec la quasi-généralisation de la co-décision, une plus grande égalité entre ces deux Institutions.
Dans ce contexte, il me paraît possible que le Parlement cherche, lors de la Conférence intergouvernementale qui va s'ouvrir dans quelques mois, non seulement à revendiquer le droit d'y participer - c'est déjà fait - non seulement à obtenir une extension de la co-décision - c'est une conséquence logique de l'extension, que nous souhaitons, du champ de la majorité qualifiée -, mais aussi, et peut-être surtout, le pouvoir constituant de ratifier les traités.
Une telle revendication ne peut pas nous laisser indifférents, pas plus, d'ailleurs, les gouvernements que les Parlements nationaux :
- d'abord, parce que nous savons les conditions dans lesquelles se sont tenues les élections au Parlement européen, en juin dernier. Et, paradoxalement, c'est à l'heure où celui-ci prend une place de plus en plus importante dans l'ordre institutionnel de l'Union qu'on a pu observer une forte abstention lors de ces élections ;
- ensuite, parce qu'une parlementarisation trop poussée de l'ordre communautaire risquerait de créer un conflit de légitimité, et de déstabiliser ainsi l'équilibre actuel entre la légitimité populaire incarnée par les gouvernements, qui siègent au Conseil, et celle des peuples européens, que le Parlement veut représenter.
C'est ce contexte-là qui - je conclus sur ce point - doit nous rendre extrêmement attentif aux conditions dans lesquelles s'ouvrira, en mars prochain, la Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions européennes.
De ce point de vue, constatons que le rapport qui vient d'être remis par le groupe dit de "Sages", constitué par la Commission autour de M. Jean-Luc Dehaene, ne contribue pas à clarifier la situation, loin s'en faut. En effet, l'idée principale de ce rapport, qui est de transformer la prochaine CIG en exercice constitutionnel, tout en prétendant tenir le calendrier prévu - achèvement des travaux fin 2000 -, et donc sans retarder les prochains élargissements, est, pour l'heure, irréaliste. Je suis convaincu que si cette idée de constitutionnalisation - à laquelle je ne suis pas opposé en soi et ad vitam aeternam - était retenue comme objectif de la future CIG, elle nous conduirait, sans nul doute, à un échec cuisant.
Mon sentiment est, en effet, que ce rapport, rédigé par un groupe nommé par la Commission et destiné à la Commission peut être source de malentendus, non seulement pour les Etats membres et pour les pays candidats, mais aussi pour la Commission elle-même, et qu'il risque de nous compliquer la tâche.
D'abord, je ne crois pas que la meilleure démarche soit que la Commission prenne l'initiative de déposer, à l'entrée de la CIG, un projet constitutionnel ficelé : c'est peut-être possible juridiquement ; mais l'expérience des précédentes CIG montre que ce sont les Etats membres, et non la Commission, qui ont joué le rôle essentiel.
Ensuite, le rapport Dehaene laisse accroire que la prochaine CIG pourrait constituer, en quelque sorte, un "grand soir constitutionnel" permettant de régler, maintenant et une fois pour toutes, les conditions de fonctionnement d'une Union élargie à 25 ou 30 membres : telle n'est pas la réalité des positions des Etats membres et des opinions publiques européennes, dont les futures présidence française et portugaise doivent tenir compte ; le rapport des Sages, au demeurant, est plus ambitieux sur la procédure qu'il n'est loquace sur la manière d'améliorer concrètement le fonctionnement - et de rendre plus légitime aux yeux des citoyens - l'ordre institutionnel européen.
Parlons clair: la démarche des Sages est louable, et leur rapport contient des propositions utiles. Mais toute la démarche suggérée par l'approche constitutionnelle qu'ils retiennent revient à "charger la barque" de la CIG, au risque de l'empêcher d'arriver à bon port.
Notre propre démarche doit être plus réaliste. Nous devons partir des trois "reliquats" d'Amsterdam, et tenter d'aller aussi loin que possible sur des questions connexes. Si nous y parvenons sous notre présidence, ce sera déjà un beau succès, qui permettra l'élargissement. On le voit, le mieux est ici, comme souvent, l'ennemi du bien.
Nous aurons sans doute, si vous le souhaitez, l'occasion d'y revenir dans la discussion, mais je tenais dès à présent à vous faire part des vives réserves que ce rapport m'inspire.
II. J'aborde à présent le deuxième point de mon intervention, à savoir le compte-rendu du déroulement du Conseil européen de Tampere, auquel j'ai participé aux côtés du Premier ministre et du président de la République.
Comme vous le savez, il s'agissait du premier Conseil européen consacré aux affaires intérieures et de justice. L'idée avait été lancée lors du Conseil européen informel de Pörtschach, il y a un an. Ce sommet avait pour objectif de définir des orientations politiques au plus haut niveau pour la mise en place de l'espace de sécurité, de liberté et de justice, au moment même où le Traité d'Amsterdam, qui offre un cadre juridique profondément renouvelé à l'action de l'Union dans ce domaine, commence à être mis en oeuvre.
La présidence finlandaise avait retenu un ordre du jour ambitieux, autour de trois thèmes majeurs : les migrations et l'asile, la mise en place d'un espace judiciaire européen, la lutte contre la criminalité transfrontière.
Je crois que nous pouvons dire, sans autosatisfaction excessive, que les résultats sont plutôt bons et assez conformes à la vision défendue en commun par le président de la République et le Premier ministre, même si les conclusions, bien sûr, ne sont pas toujours, dans le détail, parfaitement à la hauteur de nos attentes ; en tout état de cause, nous avons pu faire passer un certain nombre de points auxquels nous tenions et réussi à éviter ce que nous refusions.
Ainsi, dans le domaine de l'immigration, notre approche globale des phénomènes migratoires a prévalu ; nous souhaitons en effet que l'on considère ces problèmes dans toutes leurs dimensions : tout d'abord en tenant compte de la situation des pays sources d'immigration, dont nous devons stabiliser les populations; à cet égard, l'idée de partenariats avec les pays d'origine pour favoriser le codéveloppement a été retenue. Quant aux étrangers installés légalement dans l'Union, ils verront leurs droits progressivement rapprochés de ceux des citoyens de l'Union, et ils devront avoir la possibilité, au bout d'une certaine durée, d'acquérir la nationalité de l'Etat membre dans lequel ils résident.
Dans le domaine de l'asile, nous n'avons pas voulu instaurer un système unique ; c'est un objectif vers lequel il faut tendre très progressivement, après avoir harmonisé nos procédures nationales, dans le respect plein et entier de la Convention de Genève.
Pour la mise en place d'un véritable espace de justice, le Conseil a considéré que le principe, pour lequel nous avons toujours fortement plaidé, de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires civiles et pénales devait constituer la pierre angulaire de la coopération judiciaire.
Sans entrer dans le détail, je dirai simplement qu'il s'agit là d'une avancée importante, qui aura des répercussions concrètes pour nos concitoyens, notamment en droit de la famille - je pense à la question de la garde des enfants en cas de divorce - et dans le règlement des litiges concernant les entreprises - je pense au problème de recouvrement de créances qui peut mettre certaines PME en difficulté.
Ensuite, pour lutter contre la criminalité organisée, le Conseil a souligné le rôle majeur que devra jouer Europol. A cet égard, il a annoncé la mise en place d'un institut européen de formation de la police, qui prendra la forme d'une mise en réseau des écoles nationales existantes et qui pourra accueillir les responsables de la police des pays candidats à l'adhésion.
Par ailleurs, le Conseil européen a annoncé la création d'Eurojust, une unité composée de procureurs et de magistrats, qui travailleront en étroite liaison, dans le cadre des procédures judiciaires nationales. C'est naturellement une décision très importante, dont nous devrons assurer la mise en oeuvre lorsque nous exercerons la présidence de l'Union, au second semestre 2000.
Enfin, pour lutter contre le blanchiment de l'argent, le Conseil européen a affirmé la nécessité d'une définition uniforme des infractions dans tous les Etats membres, et de l'accès aux informations confidentielles dans le cas d'enquêtes, c'est-à-dire, en particulier, la levée du secret bancaire.
Enfin, il a demandé que soient élaborées des normes communes pour empêcher le recours à des sociétés écrans destinées à blanchir les produits du crime.
Ainsi, vous le voyez, les résultats de ce Sommet sont loin d'être négligeables. Ils sont assortis d'un tableau de bord et d'un échéancier et feront l'objet, lors du Conseil européen de la fin 2001, sous présidence belge, d'un débat sur les progrès réalisés. Mais plusieurs tâches importantes devront être réalisées d'ici la fin 2000 et concerneront donc la présidence française de l'Union. Je cite les principales :
- avant la fin 2000, adoption de dispositions législatives européennes pour lutter contre l'immigration clandestine, la traite des êtres humains et l'exploitation économique ;
- adoption, d'ici la fin 2000 également, d'un programme de mesures destinées à mettre en oeuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice ;
- enfin, d'ici 2001, examen d'un rapport visant à éliminer les obstacles au bon déroulement des procédures civiles.
Nous entendons bien nous y tenir et faire si possible encore plus, concrètement, pour la mise en oeuvre de l'espace de sécurité, de liberté et de justice.
III. Troisième moment de ma présentation : je souhaite, avant le débat du 26 octobre, vous donner quelques éléments d'analyse concernant la préparation de la Conférence de Seattle.
A l'issue du Conseil affaires générales qui s'est tenu à Luxembourg le 11 octobre dernier, auquel je représentais, avec François Huwart, notre pays, je dois d'abord dire que nous sommes en présence d'un bon texte de position du Conseil, d'un très bon texte même, pour au moins trois raisons.
Première raison : ce projet de "mandat" du Conseil à la Commission consacre notre vision du prochain cycle de négociations, qui doit être :
- un cycle global, ce qui veut dire que rien ne pourra être décidé tant qu'il n'y aura pas d'accord sur l'ensemble des thèmes de négociation. C'est l'idée, fondamentale pour nous, d'un engagement unique ;
- un cycle large, qui aille au-delà de "l'agenda intégré" de Marrakech, qui prévoyait la réouverture obligatoire à partir de 2000 des discussions sur l'agriculture et les services. L'Union souhaite y ajouter des négociations sur l'investissement, la protection internationale de la propriété industrielle, le droit de la concurrence, les marchés publics, les normes environnementales et les normes sociales.
Deuxième raison de notre appui à ce texte : il fait référence intégralement aux conclusions du Conseil Agriculture du 27 septembre dernier, qui valent donc désormais position de l'Union. Celles-ci comportent de multiples références au "modèle européen d'agriculture" fondé sur la multifonctionnalité, ainsi qu'une référence au principe de précaution, et elles précisent enfin la stratégie de négociation en matière agricole, qui s'appuiera sur quelques principes simples :
- les décisions adoptées dans le cadre de l'Agenda 2000 doivent constituer le mandat de négociation de la Commission, conformément aux conclusions du Conseil européen de Berlin de mars dernier ;
- s'agissant des soutiens internes, l'Union souhaite le maintien de l'équilibre de Marrakech. En particulier, nous souhaitons le maintien durable d'une "boîte bleue" (aides directes de la PAC, garantes de la multifonctionnalité de notre agriculture) ;
- par ailleurs, nous sommes prêts à examiner un processus de réduction des soutiens à l'exportation à la condition impérative que les concessions soient équilibrées avec celles consenties par les autres grandes puissances agricoles (Etats-Unis notamment).
Troisième raison, enfin, de notre soutien au texte du Conseil : celui-ci appelle à une ouverture croissante des échanges dans le domaine des services. Nous souhaitons naturellement promouvoir les avantages comparatifs de l'Europe dans le domaine des télécommunications, des services financiers, des services environnementaux (traitement des eaux et des déchets, par exemple).
Cependant, malgré ces éléments positifs, ce texte restait nettement insuffisant sur deux points importants, ce qui a justifié, à Luxembourg, notre refus et, j'y insiste, celui de l'Allemagne, de l'approuver définitivement comme mandat du Conseil pour la Conférence de Seattle.
- Notre premier souci portait sur la question des normes sociales fondamentales. Notre souhait était que l'Union marque plus nettement son attachement à ce que ces normes - notamment les droits fondamentaux du travail - soient mieux prises en compte dans le commerce international. Le projet de la présidence allait dans la bonne direction, mais nous souhaitions qu'il soit à la fois plus précis et plus contraignant.
- Le deuxième point absolument fondamental pour nous, c'est la question de la préservation des identités culturelles.
Or, je crois, j'espère, que nous sommes en passe d'aboutir. Les Représentants permanents des Quinze, réunis hier à Bruxelles, sont en effet parvenus, grâce à nos efforts et à l'appui de la présidence et de la Commission, à un texte de compromis sur les deux difficultés que je viens de signaler. En ce qui concerne notamment la question culturelle, nous avons pu convaincre nos partenaires d'adopter une formulation qui reprend l'ensemble des conditions que nous avions exigées.
Cette rédaction devrait préciser que l'Union veillera, au cours des prochaines négociations OMC, à garantir, comme dans le cycle d'Uruguay, la possibilité pour la Communauté et ses Etats membres de préserver et de développer leur capacité à définir et mettre en oeuvre librement leurs politiques culturelles et audiovisuelles, afin de préserver leur diversité culturelle.
Au total, s'agissant de la préparation des positions de l'Union pour la Conférence de Seattle, je crois que nous respectons parfaitement l'esprit et la lettre de la résolution adoptée très récemment par votre Délégation, sur le rapport - de très grande qualité - de Béatrice Marre, résolution qui sera débattue en séance publique mardi prochain.
Je voudrais dire, en particulier, que nous avons eu comme préoccupation majeure que le Conseil donne un mandat politique clair à la Commission, conformément au point 17 de votre résolution.
Et je crois donc que, si les ultimes réserves d'examen qui portent sur le texte sont levées, nous aurons une bonne base pour faire valoir, à Seattle, les positions de l'Union.
IV. Pour conclure cette présentation, je souhaite vous apporter quelques rapides éclairages concernant le rapport de la Commission européenne, daté du 13 octobre et relatif aux perspectives d'élargissement de l'Union européenne.
Comme vous le savez, nous sommes un peu à la croisée des chemins. Six négociations ont été engagées au mois de mars 1998 ; elles se poursuivent à leur rythme, sans difficultés insurmontables à ce stade, mais il est vrai aussi que les secteurs les plus difficiles - je pense, bien sûr, à l'agriculture, mais aussi à la politique sociale, à la fiscalité ou à l'adoption de la monnaie unique - n'ont pas encore été ouverts à la négociation.
A cet égard, j'y insiste, il me paraît évident que les vraies difficultés sont devant nous.
Or, en même temps, la Commission a publié, le 13 octobre, il y a quelques jours seulement, un rapport concernant les progrès effectués par les pays candidats, notamment par ceux qui ne sont pas encore entrés en négociation mais qui - chacun peut le comprendre - aspirent à le faire le plus rapidement possible.
Ainsi, elle recommande au Conseil européen qui se tiendra dans quelques semaines à Helsinki, d'ouvrir, en l'an 2000, les négociations avec tous ces pays, je veux parler de Malte, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Slovaquie, mais aussi de la Roumanie et de la Bulgarie. J'observe enfin qu'elle recommande pour la Turquie le statut plein et entier de candidat, même si, naturellement, les négociations ne pourront être ouvertes qu'en fonction des efforts que ce pays doit encore accomplir, en ce qui concerne notamment le respect des Droits de l'Homme. C'est là une approche positive, qui rejoint totalement nos propres préoccupations.
Alors, au fond, que voyons-nous ? D'abord, c'est heureux, et contrairement aux propos tenus par Romano Prodi, il y a quelques semaines, la Commission ne recommande pas une accélération du calendrier, et ne suggère pas de fixer dès à présent une date pour l'adhésion des six premiers candidats. C'est une bonne chose.
Nous pensons, en ce qui nous concerne, que fixer in abstracto une telle date, alors que les négociations les plus difficiles n'ont pas commencé, aurait abouti à dénaturer le processus d'adhésion, et à faire aux pays candidats une promesse dont nous ne savons pas aujourd'hui, ni eux-mêmes d'ailleurs, si elle pourra être tenue.
En revanche, nous pensons qu'il serait naturel, et, d'ailleurs beaucoup plus utile, que le Conseil européen indique que l'Union sera prête, d'ici une certaine date à déterminer, mais qui pourrait être 2002 ou 2003, à accueillir de nouveaux membres. Il confirmerait ainsi le lien, que nous souhaitons et que vous-mêmes avez clairement soutenu, avec l'achèvement de la réforme institutionnelle destinée précisément à préparer l'Union aux prochaines adhésions.
Que voyons-nous ensuite ? C'est que la Commission a parfaitement tenu compte du souci exprimé par certains Etats membres, au premier rang desquels la France, qui est que le prochain Conseil européen d'Helsinki ne doit pas marginaliser les six candidats du second groupe, étant entendu, naturellement, que l'ouverture des négociations devra être accompagnée par des calendriers différenciés et adaptés, en fonction de la situation actuelle de chacun d'entre eux.
Sur l'ensemble de cette problématique, il reviendra naturellement au Conseil européen d'Helsinki de prendre les décisions politiques nécessaires, mais, comme vous le voyez, j'ai le sentiment que le débat s'engage bien par rapport aux positions du gouvernement que j'ai déjà eues l'occasion de présenter devant vous.
J'en ai à présent terminé avec cette présentation, certes sélective, de l'actualité européenne. C'est donc volontairement que j'ai laissé de côté certains sujets en renvoyant leur examen à une prochaine audition. Je souhaite cependant dire quelques mots encore sur deux sujets qui, je le sais, vous tiennent à coeur.
Le premier concerne le projet de Charte européenne des droits fondamentaux, dont le principe a été arrêté par le Conseil européen de Cologne, et sur lequel certains parmi vous m'avaient interrogé lors de ma dernière audition.
Ce que je veux vous dire, c'est qu'il y a un accord sur la structure du groupe de rédaction de cette Charte, qui sera composé de 62 membres : 15 représentants personnels des chefs d'Etat ou de gouvernement - je vous confirme, à cet égard, que le président de la République et le Premier ministre ont désigné M. Guy Braibant, conseiller d'Etat -, un représentant du président de la Commission, 16 membres du Parlement européen et 30 membres des Parlements nationaux.
Cette instance doit à présent se mettre au travail avec l'idée, comme je vous l'ai déjà indiqué, d'essayer de parvenir à un texte agréé lors de la présidence française de l'Union, au second semestre 2000. Il restera ensuite à décider du statut futur de ce texte, qui devrait être, dans un premier temps, une déclaration des trois institutions de l'Union, mais qui, le moment venu, pourrait être intégré, en préambule, aux traités.
Un tout dernier mot pour vous répondre, comme je m'y suis engagé auprès de votre président, sur un aspect de procédure.
Alain Barrau m'a, en effet, écrit récemment pour me signaler des difficultés issues d'un nombre excessif de demandes d'examen en urgence sur des propositions de règlement du Conseil.
Ce que j'observe d'abord, c'est que, depuis le début de l'année jusqu'à ce jour, 15 textes, sur 120 transmis, ont fait l'objet d'une telle procédure. C'est au cours de la période estivale que le recours à cette procédure a été le plus fréquent (9 entre le 30 juin et le 30 septembre). Cette situation s'explique par plusieurs éléments, que je souhaite rappeler ici :
- d'abord, la Commission et le Parlement européen ont vu, comme vous le savez, leur activité fortement ralentie, voire suspendue, durant plusieurs mois au cours du premier semestre de cette année.
Depuis la reprise du fonctionnement normal de ces institutions, vers la mi-septembre, le rythme des procédures décisionnelles est devenu plus intense, précisément pour compenser la période de relative inactivité législative des mois précédents.
- ensuite, en matière budgétaire, l'année est particulière par le nombre élevé de budgets rectificatifs au budget 1999 (quatre jusqu'à présent), ainsi que de lettres rectificatives au projet de budget 2000 (trois jusqu'à ce jour) : ils traduisent la mise en place rapide de nouvelles institutions dont le principe a été accepté par tous, je pense notamment au poste de "M. PESC", ainsi qu'à l'Organisme de Lutte contre la Fraude.
- enfin, comme vous le savez, le Parlement français a dû être saisi en urgence de textes relatifs à des situations de crise humanitaire, qui ont malheureusement été nombreuses : je pense au Kosovo et au Timor-Oriental naturellement.
Je conclus en vous indiquant que, sur les neuf textes qui ont fait l'objet d'une procédure d'examen accéléré durant l'été, sept ont été adoptés. La proposition de règlement relative à l'Agence de reconstruction du Kosovo est actuellement bloquée par le Parlement européen ; quant à la proposition de décision relative à la prorogation de l'accord international sur le café, elle est suspendue faute de décision au niveau des Nations unies.
J'espère, Monsieur le Président, avoir pu contribuer à éclaircir cette situation dont je conviens, avec vous, du caractère relativement anormal. Je pense que, désormais, la tendance devrait s'orienter à la baisse, ce qui, j'en suis convaincu, devrait nous satisfaire, vous autant que moi.
J'en ai à présent terminé avec cette présentation, sans doute, comme toujours, un peu longue, mais, vous l'avez vu, l'actualité européenne était d'une grande densité. Je suis, naturellement, disposé à répondre à toutes vos questions.
J'imagine que, parmi elles, quelques-unes porteront sur la préparation de la présidence française de l'Union européenne, au second semestre de l'an 2000 : je n'ai pas voulu, à ce stade, parce que le premier document de synthèse est en cours de finalisation entre le gouvernement et le président de la République, déflorer le sujet. Mais je suis, bien entendu, tout disposé à satisfaire, dès ce matin, votre curiosité ; nous aurons, bien sûr, de nombreuses autres occasions d'en reparler dans les mois qui viennent.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 octobre 1999 et le 10 novembre 1999)
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je suis, comme toujours, très heureux de me retrouver parmi vous aujourd'hui, pour cette nouvelle audition. Suivant l'usage, vous savez par avance qu'en guise d'introduction, je vais vous dire que l'actualité européenne a été particulièrement dense depuis notre précédente rencontre.
Dans cette actualité fort riche, j'ai donc choisi de retenir quatre grands sujets qui ont pour caractéristique commune de conditionner très étroitement l'avenir de l'Union européenne :
- d'abord, bien entendu, la mise en place du nouveau Parlement européen et de la nouvelle Commission, qui se traduit par des changements, que j'estime importants, pour l'évolution politique et institutionnelle future de l'Union ;
- ensuite, la réunion du Conseil européen extraordinaire qui s'est tenue à Tampere, en Finlande, les 15 et 16 octobre dernier, et qui met l'accent sur une dimension fondamentale, là encore, pour les développements à venir de la construction européenne ;
- par ailleurs, la conférence de Seattle, qui doit lancer un nouveau cycle de négociations multilatérales ; elle doit faire l'objet, comme vous le savez, d'un débat à l'Assemblée nationale le 26 octobre, mais je veux insister dès aujourd'hui sur les enjeux considérables de ce nouveau cycle pour l'avenir de l'Union ;
- dernier point, enfin, pour vous donner quelques éléments sur le rapport de la Commission du 13 octobre, qui traite des perspectives d'élargissement de l'Union : là encore, vous le savez, c'est un sujet majeur pour l'Europe de demain.
I. D'abord, quelques mots sur la mise en place du Parlement européen et de la nouvelle Commission.
Lors de ma précédente audition, j'avais évoqué avec vous la chronique des événements qui avaient conduit, le 15 mars dernier, à la démission collective de la Commission, et les premiers enseignements qu'on pouvait tirer de cette crise institutionnelle. Désormais, la nouvelle Commission, qui a été investie le 15 septembre dernier, et le nouveau Parlement européen, élu le 13 juin dernier, sont en place, ce qui me conduit, à nouveau, à vous faire part de quelques réflexions.
Je crois, d'abord, qu'il y a désormais un certain risque d'asymétrie dans les pouvoirs du Parlement et de la Commission, et que cette évolution découle tout autant de l'accroissement des pouvoirs institutionnels du Parlement depuis l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam que du terrain politique perdu par la Commission Santer. Il me semble aussi que ce risque peut et doit être conjuré.
Au fond, que voyons-nous ? La Commission est juridiquement responsable devant le Parlement ; cette évolution résulte non seulement des pouvoirs du Parlement en matière budgétaire et du renforcement de ses prérogatives législatives, qui contraignent la Commission à un dialogue de plus en plus étroit avec lui. Mais la Commission est aussi, de plus en plus, responsable politiquement devant le Parlement, puisque celui-ci dispose désormais du pouvoir d'investir son président et l'ensemble du collège, et plus uniquement du droit de censure.
Pour parler clair, le Parlement européen dispose désormais de l'ensemble des compétences parlementaires classiques pour exercer un contrôle effectif de la Commission, comme on l'a vu encore très récemment, à l'occasion des auditions individuelles des Commissaires précédant le vote d'investiture du 15 septembre. C'est une bonne chose, l'aboutissement d'un long processus, qu'il faut maintenant "digérer", et non pas accentuer encore.
Or, face à un Parlement qui dispose de prérogatives institutionnelles et politiques croissantes, il est clair que la nouvelle Commission devra apporter la preuve qu'elle dispose d'une autorité plus forte que celle de la Commission précédente, afin d'éviter une trop forte parlementarisation des institutions européennes, qui n'ont pas été conçues pour cela.
Pour conjurer ce risque, mon sentiment est que la Commission Prodi est mieux armée pour résister à la pression du Parlement :
- d'abord parce que parce que son président est doté d'une personnalité et d'une autorité politique indéniables, et que ses membres semblent avoir un poids individuel plus lourd que ceux de l'équipe sortante ;
- ensuite, parce que la nouvelle Commission s'annonce plus collégiale que la Commission Santer, et qu'elle affiche la volonté de tirer les leçons des errements individuels de la période précédente ;
- parce que je ne crois pas, par ailleurs, que le Parlement européen veuille et puisse endosser la responsabilité de crises institutionnelles répétées ;
- enfin et surtout, parce que j'espère que la nouvelle Commission saura nouer, dans son propre intérêt, et peut-être plus que par le passé, des alliances avec le Conseil afin de mieux résister à certaines tentations du Parlement.
La question qui se pose à présent, c'est, selon moi, de savoir jusqu'où le Parlement européen va chercher à pousser l'avantage, notamment par rapport au Conseil des ministres de l'Union. Comme je l'indiquais en effet, le nouveau traité a renforcé son rôle dans les procédures législatives, instituant, avec la quasi-généralisation de la co-décision, une plus grande égalité entre ces deux Institutions.
Dans ce contexte, il me paraît possible que le Parlement cherche, lors de la Conférence intergouvernementale qui va s'ouvrir dans quelques mois, non seulement à revendiquer le droit d'y participer - c'est déjà fait - non seulement à obtenir une extension de la co-décision - c'est une conséquence logique de l'extension, que nous souhaitons, du champ de la majorité qualifiée -, mais aussi, et peut-être surtout, le pouvoir constituant de ratifier les traités.
Une telle revendication ne peut pas nous laisser indifférents, pas plus, d'ailleurs, les gouvernements que les Parlements nationaux :
- d'abord, parce que nous savons les conditions dans lesquelles se sont tenues les élections au Parlement européen, en juin dernier. Et, paradoxalement, c'est à l'heure où celui-ci prend une place de plus en plus importante dans l'ordre institutionnel de l'Union qu'on a pu observer une forte abstention lors de ces élections ;
- ensuite, parce qu'une parlementarisation trop poussée de l'ordre communautaire risquerait de créer un conflit de légitimité, et de déstabiliser ainsi l'équilibre actuel entre la légitimité populaire incarnée par les gouvernements, qui siègent au Conseil, et celle des peuples européens, que le Parlement veut représenter.
C'est ce contexte-là qui - je conclus sur ce point - doit nous rendre extrêmement attentif aux conditions dans lesquelles s'ouvrira, en mars prochain, la Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions européennes.
De ce point de vue, constatons que le rapport qui vient d'être remis par le groupe dit de "Sages", constitué par la Commission autour de M. Jean-Luc Dehaene, ne contribue pas à clarifier la situation, loin s'en faut. En effet, l'idée principale de ce rapport, qui est de transformer la prochaine CIG en exercice constitutionnel, tout en prétendant tenir le calendrier prévu - achèvement des travaux fin 2000 -, et donc sans retarder les prochains élargissements, est, pour l'heure, irréaliste. Je suis convaincu que si cette idée de constitutionnalisation - à laquelle je ne suis pas opposé en soi et ad vitam aeternam - était retenue comme objectif de la future CIG, elle nous conduirait, sans nul doute, à un échec cuisant.
Mon sentiment est, en effet, que ce rapport, rédigé par un groupe nommé par la Commission et destiné à la Commission peut être source de malentendus, non seulement pour les Etats membres et pour les pays candidats, mais aussi pour la Commission elle-même, et qu'il risque de nous compliquer la tâche.
D'abord, je ne crois pas que la meilleure démarche soit que la Commission prenne l'initiative de déposer, à l'entrée de la CIG, un projet constitutionnel ficelé : c'est peut-être possible juridiquement ; mais l'expérience des précédentes CIG montre que ce sont les Etats membres, et non la Commission, qui ont joué le rôle essentiel.
Ensuite, le rapport Dehaene laisse accroire que la prochaine CIG pourrait constituer, en quelque sorte, un "grand soir constitutionnel" permettant de régler, maintenant et une fois pour toutes, les conditions de fonctionnement d'une Union élargie à 25 ou 30 membres : telle n'est pas la réalité des positions des Etats membres et des opinions publiques européennes, dont les futures présidence française et portugaise doivent tenir compte ; le rapport des Sages, au demeurant, est plus ambitieux sur la procédure qu'il n'est loquace sur la manière d'améliorer concrètement le fonctionnement - et de rendre plus légitime aux yeux des citoyens - l'ordre institutionnel européen.
Parlons clair: la démarche des Sages est louable, et leur rapport contient des propositions utiles. Mais toute la démarche suggérée par l'approche constitutionnelle qu'ils retiennent revient à "charger la barque" de la CIG, au risque de l'empêcher d'arriver à bon port.
Notre propre démarche doit être plus réaliste. Nous devons partir des trois "reliquats" d'Amsterdam, et tenter d'aller aussi loin que possible sur des questions connexes. Si nous y parvenons sous notre présidence, ce sera déjà un beau succès, qui permettra l'élargissement. On le voit, le mieux est ici, comme souvent, l'ennemi du bien.
Nous aurons sans doute, si vous le souhaitez, l'occasion d'y revenir dans la discussion, mais je tenais dès à présent à vous faire part des vives réserves que ce rapport m'inspire.
II. J'aborde à présent le deuxième point de mon intervention, à savoir le compte-rendu du déroulement du Conseil européen de Tampere, auquel j'ai participé aux côtés du Premier ministre et du président de la République.
Comme vous le savez, il s'agissait du premier Conseil européen consacré aux affaires intérieures et de justice. L'idée avait été lancée lors du Conseil européen informel de Pörtschach, il y a un an. Ce sommet avait pour objectif de définir des orientations politiques au plus haut niveau pour la mise en place de l'espace de sécurité, de liberté et de justice, au moment même où le Traité d'Amsterdam, qui offre un cadre juridique profondément renouvelé à l'action de l'Union dans ce domaine, commence à être mis en oeuvre.
La présidence finlandaise avait retenu un ordre du jour ambitieux, autour de trois thèmes majeurs : les migrations et l'asile, la mise en place d'un espace judiciaire européen, la lutte contre la criminalité transfrontière.
Je crois que nous pouvons dire, sans autosatisfaction excessive, que les résultats sont plutôt bons et assez conformes à la vision défendue en commun par le président de la République et le Premier ministre, même si les conclusions, bien sûr, ne sont pas toujours, dans le détail, parfaitement à la hauteur de nos attentes ; en tout état de cause, nous avons pu faire passer un certain nombre de points auxquels nous tenions et réussi à éviter ce que nous refusions.
Ainsi, dans le domaine de l'immigration, notre approche globale des phénomènes migratoires a prévalu ; nous souhaitons en effet que l'on considère ces problèmes dans toutes leurs dimensions : tout d'abord en tenant compte de la situation des pays sources d'immigration, dont nous devons stabiliser les populations; à cet égard, l'idée de partenariats avec les pays d'origine pour favoriser le codéveloppement a été retenue. Quant aux étrangers installés légalement dans l'Union, ils verront leurs droits progressivement rapprochés de ceux des citoyens de l'Union, et ils devront avoir la possibilité, au bout d'une certaine durée, d'acquérir la nationalité de l'Etat membre dans lequel ils résident.
Dans le domaine de l'asile, nous n'avons pas voulu instaurer un système unique ; c'est un objectif vers lequel il faut tendre très progressivement, après avoir harmonisé nos procédures nationales, dans le respect plein et entier de la Convention de Genève.
Pour la mise en place d'un véritable espace de justice, le Conseil a considéré que le principe, pour lequel nous avons toujours fortement plaidé, de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires civiles et pénales devait constituer la pierre angulaire de la coopération judiciaire.
Sans entrer dans le détail, je dirai simplement qu'il s'agit là d'une avancée importante, qui aura des répercussions concrètes pour nos concitoyens, notamment en droit de la famille - je pense à la question de la garde des enfants en cas de divorce - et dans le règlement des litiges concernant les entreprises - je pense au problème de recouvrement de créances qui peut mettre certaines PME en difficulté.
Ensuite, pour lutter contre la criminalité organisée, le Conseil a souligné le rôle majeur que devra jouer Europol. A cet égard, il a annoncé la mise en place d'un institut européen de formation de la police, qui prendra la forme d'une mise en réseau des écoles nationales existantes et qui pourra accueillir les responsables de la police des pays candidats à l'adhésion.
Par ailleurs, le Conseil européen a annoncé la création d'Eurojust, une unité composée de procureurs et de magistrats, qui travailleront en étroite liaison, dans le cadre des procédures judiciaires nationales. C'est naturellement une décision très importante, dont nous devrons assurer la mise en oeuvre lorsque nous exercerons la présidence de l'Union, au second semestre 2000.
Enfin, pour lutter contre le blanchiment de l'argent, le Conseil européen a affirmé la nécessité d'une définition uniforme des infractions dans tous les Etats membres, et de l'accès aux informations confidentielles dans le cas d'enquêtes, c'est-à-dire, en particulier, la levée du secret bancaire.
Enfin, il a demandé que soient élaborées des normes communes pour empêcher le recours à des sociétés écrans destinées à blanchir les produits du crime.
Ainsi, vous le voyez, les résultats de ce Sommet sont loin d'être négligeables. Ils sont assortis d'un tableau de bord et d'un échéancier et feront l'objet, lors du Conseil européen de la fin 2001, sous présidence belge, d'un débat sur les progrès réalisés. Mais plusieurs tâches importantes devront être réalisées d'ici la fin 2000 et concerneront donc la présidence française de l'Union. Je cite les principales :
- avant la fin 2000, adoption de dispositions législatives européennes pour lutter contre l'immigration clandestine, la traite des êtres humains et l'exploitation économique ;
- adoption, d'ici la fin 2000 également, d'un programme de mesures destinées à mettre en oeuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice ;
- enfin, d'ici 2001, examen d'un rapport visant à éliminer les obstacles au bon déroulement des procédures civiles.
Nous entendons bien nous y tenir et faire si possible encore plus, concrètement, pour la mise en oeuvre de l'espace de sécurité, de liberté et de justice.
III. Troisième moment de ma présentation : je souhaite, avant le débat du 26 octobre, vous donner quelques éléments d'analyse concernant la préparation de la Conférence de Seattle.
A l'issue du Conseil affaires générales qui s'est tenu à Luxembourg le 11 octobre dernier, auquel je représentais, avec François Huwart, notre pays, je dois d'abord dire que nous sommes en présence d'un bon texte de position du Conseil, d'un très bon texte même, pour au moins trois raisons.
Première raison : ce projet de "mandat" du Conseil à la Commission consacre notre vision du prochain cycle de négociations, qui doit être :
- un cycle global, ce qui veut dire que rien ne pourra être décidé tant qu'il n'y aura pas d'accord sur l'ensemble des thèmes de négociation. C'est l'idée, fondamentale pour nous, d'un engagement unique ;
- un cycle large, qui aille au-delà de "l'agenda intégré" de Marrakech, qui prévoyait la réouverture obligatoire à partir de 2000 des discussions sur l'agriculture et les services. L'Union souhaite y ajouter des négociations sur l'investissement, la protection internationale de la propriété industrielle, le droit de la concurrence, les marchés publics, les normes environnementales et les normes sociales.
Deuxième raison de notre appui à ce texte : il fait référence intégralement aux conclusions du Conseil Agriculture du 27 septembre dernier, qui valent donc désormais position de l'Union. Celles-ci comportent de multiples références au "modèle européen d'agriculture" fondé sur la multifonctionnalité, ainsi qu'une référence au principe de précaution, et elles précisent enfin la stratégie de négociation en matière agricole, qui s'appuiera sur quelques principes simples :
- les décisions adoptées dans le cadre de l'Agenda 2000 doivent constituer le mandat de négociation de la Commission, conformément aux conclusions du Conseil européen de Berlin de mars dernier ;
- s'agissant des soutiens internes, l'Union souhaite le maintien de l'équilibre de Marrakech. En particulier, nous souhaitons le maintien durable d'une "boîte bleue" (aides directes de la PAC, garantes de la multifonctionnalité de notre agriculture) ;
- par ailleurs, nous sommes prêts à examiner un processus de réduction des soutiens à l'exportation à la condition impérative que les concessions soient équilibrées avec celles consenties par les autres grandes puissances agricoles (Etats-Unis notamment).
Troisième raison, enfin, de notre soutien au texte du Conseil : celui-ci appelle à une ouverture croissante des échanges dans le domaine des services. Nous souhaitons naturellement promouvoir les avantages comparatifs de l'Europe dans le domaine des télécommunications, des services financiers, des services environnementaux (traitement des eaux et des déchets, par exemple).
Cependant, malgré ces éléments positifs, ce texte restait nettement insuffisant sur deux points importants, ce qui a justifié, à Luxembourg, notre refus et, j'y insiste, celui de l'Allemagne, de l'approuver définitivement comme mandat du Conseil pour la Conférence de Seattle.
- Notre premier souci portait sur la question des normes sociales fondamentales. Notre souhait était que l'Union marque plus nettement son attachement à ce que ces normes - notamment les droits fondamentaux du travail - soient mieux prises en compte dans le commerce international. Le projet de la présidence allait dans la bonne direction, mais nous souhaitions qu'il soit à la fois plus précis et plus contraignant.
- Le deuxième point absolument fondamental pour nous, c'est la question de la préservation des identités culturelles.
Or, je crois, j'espère, que nous sommes en passe d'aboutir. Les Représentants permanents des Quinze, réunis hier à Bruxelles, sont en effet parvenus, grâce à nos efforts et à l'appui de la présidence et de la Commission, à un texte de compromis sur les deux difficultés que je viens de signaler. En ce qui concerne notamment la question culturelle, nous avons pu convaincre nos partenaires d'adopter une formulation qui reprend l'ensemble des conditions que nous avions exigées.
Cette rédaction devrait préciser que l'Union veillera, au cours des prochaines négociations OMC, à garantir, comme dans le cycle d'Uruguay, la possibilité pour la Communauté et ses Etats membres de préserver et de développer leur capacité à définir et mettre en oeuvre librement leurs politiques culturelles et audiovisuelles, afin de préserver leur diversité culturelle.
Au total, s'agissant de la préparation des positions de l'Union pour la Conférence de Seattle, je crois que nous respectons parfaitement l'esprit et la lettre de la résolution adoptée très récemment par votre Délégation, sur le rapport - de très grande qualité - de Béatrice Marre, résolution qui sera débattue en séance publique mardi prochain.
Je voudrais dire, en particulier, que nous avons eu comme préoccupation majeure que le Conseil donne un mandat politique clair à la Commission, conformément au point 17 de votre résolution.
Et je crois donc que, si les ultimes réserves d'examen qui portent sur le texte sont levées, nous aurons une bonne base pour faire valoir, à Seattle, les positions de l'Union.
IV. Pour conclure cette présentation, je souhaite vous apporter quelques rapides éclairages concernant le rapport de la Commission européenne, daté du 13 octobre et relatif aux perspectives d'élargissement de l'Union européenne.
Comme vous le savez, nous sommes un peu à la croisée des chemins. Six négociations ont été engagées au mois de mars 1998 ; elles se poursuivent à leur rythme, sans difficultés insurmontables à ce stade, mais il est vrai aussi que les secteurs les plus difficiles - je pense, bien sûr, à l'agriculture, mais aussi à la politique sociale, à la fiscalité ou à l'adoption de la monnaie unique - n'ont pas encore été ouverts à la négociation.
A cet égard, j'y insiste, il me paraît évident que les vraies difficultés sont devant nous.
Or, en même temps, la Commission a publié, le 13 octobre, il y a quelques jours seulement, un rapport concernant les progrès effectués par les pays candidats, notamment par ceux qui ne sont pas encore entrés en négociation mais qui - chacun peut le comprendre - aspirent à le faire le plus rapidement possible.
Ainsi, elle recommande au Conseil européen qui se tiendra dans quelques semaines à Helsinki, d'ouvrir, en l'an 2000, les négociations avec tous ces pays, je veux parler de Malte, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Slovaquie, mais aussi de la Roumanie et de la Bulgarie. J'observe enfin qu'elle recommande pour la Turquie le statut plein et entier de candidat, même si, naturellement, les négociations ne pourront être ouvertes qu'en fonction des efforts que ce pays doit encore accomplir, en ce qui concerne notamment le respect des Droits de l'Homme. C'est là une approche positive, qui rejoint totalement nos propres préoccupations.
Alors, au fond, que voyons-nous ? D'abord, c'est heureux, et contrairement aux propos tenus par Romano Prodi, il y a quelques semaines, la Commission ne recommande pas une accélération du calendrier, et ne suggère pas de fixer dès à présent une date pour l'adhésion des six premiers candidats. C'est une bonne chose.
Nous pensons, en ce qui nous concerne, que fixer in abstracto une telle date, alors que les négociations les plus difficiles n'ont pas commencé, aurait abouti à dénaturer le processus d'adhésion, et à faire aux pays candidats une promesse dont nous ne savons pas aujourd'hui, ni eux-mêmes d'ailleurs, si elle pourra être tenue.
En revanche, nous pensons qu'il serait naturel, et, d'ailleurs beaucoup plus utile, que le Conseil européen indique que l'Union sera prête, d'ici une certaine date à déterminer, mais qui pourrait être 2002 ou 2003, à accueillir de nouveaux membres. Il confirmerait ainsi le lien, que nous souhaitons et que vous-mêmes avez clairement soutenu, avec l'achèvement de la réforme institutionnelle destinée précisément à préparer l'Union aux prochaines adhésions.
Que voyons-nous ensuite ? C'est que la Commission a parfaitement tenu compte du souci exprimé par certains Etats membres, au premier rang desquels la France, qui est que le prochain Conseil européen d'Helsinki ne doit pas marginaliser les six candidats du second groupe, étant entendu, naturellement, que l'ouverture des négociations devra être accompagnée par des calendriers différenciés et adaptés, en fonction de la situation actuelle de chacun d'entre eux.
Sur l'ensemble de cette problématique, il reviendra naturellement au Conseil européen d'Helsinki de prendre les décisions politiques nécessaires, mais, comme vous le voyez, j'ai le sentiment que le débat s'engage bien par rapport aux positions du gouvernement que j'ai déjà eues l'occasion de présenter devant vous.
J'en ai à présent terminé avec cette présentation, certes sélective, de l'actualité européenne. C'est donc volontairement que j'ai laissé de côté certains sujets en renvoyant leur examen à une prochaine audition. Je souhaite cependant dire quelques mots encore sur deux sujets qui, je le sais, vous tiennent à coeur.
Le premier concerne le projet de Charte européenne des droits fondamentaux, dont le principe a été arrêté par le Conseil européen de Cologne, et sur lequel certains parmi vous m'avaient interrogé lors de ma dernière audition.
Ce que je veux vous dire, c'est qu'il y a un accord sur la structure du groupe de rédaction de cette Charte, qui sera composé de 62 membres : 15 représentants personnels des chefs d'Etat ou de gouvernement - je vous confirme, à cet égard, que le président de la République et le Premier ministre ont désigné M. Guy Braibant, conseiller d'Etat -, un représentant du président de la Commission, 16 membres du Parlement européen et 30 membres des Parlements nationaux.
Cette instance doit à présent se mettre au travail avec l'idée, comme je vous l'ai déjà indiqué, d'essayer de parvenir à un texte agréé lors de la présidence française de l'Union, au second semestre 2000. Il restera ensuite à décider du statut futur de ce texte, qui devrait être, dans un premier temps, une déclaration des trois institutions de l'Union, mais qui, le moment venu, pourrait être intégré, en préambule, aux traités.
Un tout dernier mot pour vous répondre, comme je m'y suis engagé auprès de votre président, sur un aspect de procédure.
Alain Barrau m'a, en effet, écrit récemment pour me signaler des difficultés issues d'un nombre excessif de demandes d'examen en urgence sur des propositions de règlement du Conseil.
Ce que j'observe d'abord, c'est que, depuis le début de l'année jusqu'à ce jour, 15 textes, sur 120 transmis, ont fait l'objet d'une telle procédure. C'est au cours de la période estivale que le recours à cette procédure a été le plus fréquent (9 entre le 30 juin et le 30 septembre). Cette situation s'explique par plusieurs éléments, que je souhaite rappeler ici :
- d'abord, la Commission et le Parlement européen ont vu, comme vous le savez, leur activité fortement ralentie, voire suspendue, durant plusieurs mois au cours du premier semestre de cette année.
Depuis la reprise du fonctionnement normal de ces institutions, vers la mi-septembre, le rythme des procédures décisionnelles est devenu plus intense, précisément pour compenser la période de relative inactivité législative des mois précédents.
- ensuite, en matière budgétaire, l'année est particulière par le nombre élevé de budgets rectificatifs au budget 1999 (quatre jusqu'à présent), ainsi que de lettres rectificatives au projet de budget 2000 (trois jusqu'à ce jour) : ils traduisent la mise en place rapide de nouvelles institutions dont le principe a été accepté par tous, je pense notamment au poste de "M. PESC", ainsi qu'à l'Organisme de Lutte contre la Fraude.
- enfin, comme vous le savez, le Parlement français a dû être saisi en urgence de textes relatifs à des situations de crise humanitaire, qui ont malheureusement été nombreuses : je pense au Kosovo et au Timor-Oriental naturellement.
Je conclus en vous indiquant que, sur les neuf textes qui ont fait l'objet d'une procédure d'examen accéléré durant l'été, sept ont été adoptés. La proposition de règlement relative à l'Agence de reconstruction du Kosovo est actuellement bloquée par le Parlement européen ; quant à la proposition de décision relative à la prorogation de l'accord international sur le café, elle est suspendue faute de décision au niveau des Nations unies.
J'espère, Monsieur le Président, avoir pu contribuer à éclaircir cette situation dont je conviens, avec vous, du caractère relativement anormal. Je pense que, désormais, la tendance devrait s'orienter à la baisse, ce qui, j'en suis convaincu, devrait nous satisfaire, vous autant que moi.
J'en ai à présent terminé avec cette présentation, sans doute, comme toujours, un peu longue, mais, vous l'avez vu, l'actualité européenne était d'une grande densité. Je suis, naturellement, disposé à répondre à toutes vos questions.
J'imagine que, parmi elles, quelques-unes porteront sur la préparation de la présidence française de l'Union européenne, au second semestre de l'an 2000 : je n'ai pas voulu, à ce stade, parce que le premier document de synthèse est en cours de finalisation entre le gouvernement et le président de la République, déflorer le sujet. Mais je suis, bien entendu, tout disposé à satisfaire, dès ce matin, votre curiosité ; nous aurons, bien sûr, de nombreuses autres occasions d'en reparler dans les mois qui viennent.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 octobre 1999 et le 10 novembre 1999)