Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur le bilan de la marée noire due au naufrage du pétrolier "Erika" et des tempêtes ayant affecté la France les 26 et 27 décembre 1999, Paris le 29 décembre 1999.

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Circonstance : Conférence de presse le 29 décembre 1999 sur les ouragans du 26 décembre dans le nord de la France et du 27 dans le sud, et sur le bilan de la pollution sur les côtes atlantiques après le naufrage du pétrolier "Erika" le 12 décembre 1999

Texte intégral

La France subit en cette fin d'année deux catastrophes d'une particulière gravité. Une grande partie du pays a été ravagée par une tempête exceptionnelle. Les départements de la façade atlantique subissent une pollution par hydrocarbures causée par le naufrage du navire Erika.
Ces deux catastrophes mobilisent l'ensemble des services de l'Etat, des collectivités territoriales, des entreprises nationales et des secteurs professionnels concernés.

I - LES TEMPETES DES 26 ET 27 DECEMBRE 1999
A - Une réaction immédiate
La tempête a frappé plus particulièrement les départements de Bretagne, Normandie, Ile de France et de l'Est du pays dans la journée du 26 décembre, ceux du Grand Sud-Ouest dans la nuit du 27 au 28. On déplore la mort d'au moins 70 personnes.
L'action des services publics a été immédiate. 7 plans ORSEC ont été mis en uvre (Marne, Haute-Marne, Meurthe et Moselle, Meuse, Vosges, Charente et Charente-Maritime). Les services de secours ont rapidement été mobilisés :
100 000 sapeurs pompiers, civils professionnels ou volontaires, et militaires.
les services de police et de gendarmerie.
12 000 techniciens d'EDF travaillent au rétablissement de l'électricité dont près de 4 millions de foyers ont été privés les 26, 27 et 28 décembre.
30 000 agents des directions départementales de l'équipement libèrent les voies de communication routière.
les agents de la SNCF uvrent au déblaiement des voies entravées par les chutes d'arbres ou de pylônes, les affaissements de terrain.
les agents de France-Telecom s'emploient au rétablissement des lignes.

B - Les actions à court terme
Le premier objectif est le rétablissement du réseau électrique.
Des groupes électrogènes de l'armée et de la sécurité civile sont mis à disposition des préfets qui décident, en fonction des impératifs locaux, de leur emploi prioritaire. Ces moyens sont complétés le cas échéant par des moyens privés réquisitionnés. Ils circuleront entre les départements dès que le rétablissement de la fourniture électrique sera assuré. De même, Electricité de France a obtenu à l'étranger l'apport de 300 groupes électrogènes qui vont être livrés à partir d'aujourd'hui. Ce travail prioritaire permettra le rétablissement du service de l'eau là où il est interrompu, et l'alimentation des centraux téléphoniques. Dans la journée, un million de foyers seront à nouveau raccordés au réseau, mais ce soir environ un million de foyers sur les 30 millions d'abonnés resteront encore privés d'électricité.
Des moyens humains supplémentaires sont affectés aux départements les plus touchés tout en maintenant les effectifs affectés au plan POLMAR TERRE : des militaires, des sapeurs pompiers venant d'autres régions sont ainsi déployés pour dégager les voies de communication et aider au rétablissement de l'alimentation électrique.
Le réseau autoroutier est à présent dégagé sur l'ensemble du territoire, et les efforts se portent désormais sur les autres voies de communication. J'invite toutefois les automobilistes, au vu des prévisions météorologiques, à limiter dans toute la mesure du possible leurs déplacements cette fin de semaine ou à les différer. Le ministre de l'Education nationale donnera des consignes d'indulgence pour les éventuels retardataires.
Un trafic normal doit pouvoir être retrouvé dès la fin de semaine sur le réseau ferré. Les aéroports de Roissy Charles de Gaulle et Orly, où des installations techniques ont été gravement endommagées, connaissent encore des perturbations, tandis que les aéroports de Clermont-Ferrand et de Nancy-Metz doivent demeurer encore fermés.

C - L'indemnisation des dommages
Les dégâts causés par l'effet des vents et de la pluie liés à la tempête sont couverts par l'application des contrats d'assurance et en particulier des clauses relatives aux dégâts des tempêtes, qui doivent figurer depuis 1990. Les particuliers comme les entreprises doivent adresser à leur assureur une déclaration de sinistre dans le délai de cinq jours. Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a demandé aux assureurs de faire preuve d'une grande mobilisation pour répondre aux attentes de nos concitoyens et faciliter leurs démarches.
S'agissant des inondations, des coulées de boues, des affaissements de terrain, l'état de catastrophe naturelle doit être déclaré pour ouvrir droit à indemnisation. Le gouvernement a décidé de déclarer les départements concernés en état de catastrophe naturelle ; le décret sera publié au Journal officiel du 30 décembre 1999.
Les dommages aux domaines agricoles qui ne sont pas assurables pourront être examinés dans le cadre de la procédure d'indemnisation des calamités agricoles. L'ampleur sans précédent des dégâts dans notre patrimoine forestier conduit le ministre de l'agriculture et de la pêche à réunir dès demain une cellule de crise où seront conviés les représentants de la profession.
Dans chaque département particulièrement touché par les tempêtes, une commission présidée par le préfet et le trésorier payeur général, réunissant les parties concernées par les dégâts et les représentants des assureurs, examinera tous les obstacles qui ne seraient pas surmontés dans le cadre normal de l'assurance. Un groupe interministériel, présidé par le préfet Joël Lebeschu, fera la synthèse de ces difficultés et permettra au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires.
Les collectivités locales bénéficieront des garanties normales des assurances pour leur patrimoine (mairies, écoles, équipements collectifs). La solidarité nationale sera toutefois mise en uvre pour leurs biens non-assurables, et pour seconder les collectivités qui ont engagé des secours d'urgence dans les heures qui ont suivi la tempête. 100 millions de francs de crédits sont dégagés à cette fin.
Par ailleurs les frais de réquisition des groupes électrogènes, le coût des renforts apportés par les services départementaux d'incendie et de secours hors de leur zone, seront financés par l'Etat.
Enfin l'Etat supportera la charge des réparations importantes que nécessite la dégradation de nombre de monuments historiques ; il contribuera également à la réparation des monuments inscrits ou classés ne lui appartenant pas.

II - LA POLUTION SUR LES CÔTES ATLANTIQUES
A - L'état de la pollution
Quatre départements de la Bretagne et des Pays de Loire sont touchés par la marée noire liée au naufrage du navire pétrolier Erika : Morbihan, Loire-Atlantique, Vendée, Finistère, sur sa côte sud.
Sur tout ou partie des 400 kilomètres de littoral de ces départements, une pellicule visqueuse souille la côte, et a déjà causé la mort de nombreux oiseaux, poissons, crustacés. Elle risque de porter atteinte aux ressources halieutiques.
B - La réaction des autorités
Les prévisions de dérive des plaques d'hydrocarbures ont conduit dans un premier temps à concentrer les moyens de prévention sur le département de la Vendée et de la Charente-Maritime. Ces moyens, utiles là où ils ont été installés, sont progressivement étendus aux autres départements.
Les plans POLMAR - TERRE, aussitôt mis en uvre dans les quatre départements, ainsi qu'en Charente-Maritime à titre préventif, permettent de réunir les moyens humains et matériels permettant un premier dispositif de nettoyage des côtes.
680 agents des unités d'intervention de la sécurité civile, 560 militaires des armées, 470 sapeurs-pompiers et 250 agents des services maritimes de l'équipement sont affectés en renfort des personnels déjà mobilisés.
La coordination des moyens est confiée au préfet de la région Bretagne, préfet de la zone de défense Ouest.
C - L'action à court terme
C 1 - Dès que la situation météorologique le permettra, une exploration de l'épave de l'Erika, par des robots sous-marins permettra d'évaluer les possibilités de pompage des hydrocarbures encore contenus dans les cuves du navire.
C 2 - Un plan systématique de nettoyage des côtes à échéance de deux mois sera mis en oeuvre. Ce plan, rendu public dès le 10 janvier, déterminera les moyens à mettre en uvre pour ôter les résidus pétroliers des côtes bretonne et vendéenne avant le printemps. Il bénéficiera du concours des moyens de l'Etat, des collectivités locales et éventuellement des entreprises privées. Des moyens importants seront maintenus à cette fin par l'Etat. Le déclenchement du plan POLMAR permet la prise en charge par l'Etat des dépenses engagées par les collectivités locales pour le nettoyage des côtes, dans l'attente de l'indemnisation des assureurs. Un premier crédit de 40 millions de francs a été provisionné. J'indique que les collectivités locales peuvent directement acquérir le petit matériel nécessaire au nettoiement ; les dépenses seront remboursées sur simple facture, par l'Etat.
C 3 - Un fonds d'avance de la Banque de développement des PME pour les professionnels de la mer sera mis en place afin de leur apporter une aide immédiate dans l'attente des procédures d'indemnisation FIPOL. L'indemnisation des préjudices sera effectuée par l'assureur du navire et le FIPOL (Fonds international d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures) ; son montant - 1,2 milliards de francs - est financé par les compagnies pétrolières. Dans les prochains jours une antenne locale commune à l'assureur et au FIPOL sera mise à disposition des populations et des responsables, sur place.
C 4 - Enfin, le Gouvernement met en place un système de régulation de la navigation maritime des produits dangereux, à l'image de celui prévalant pour la navigation aérienne. Le nombre des contrôles de navire sera doublé en deux ans, et les effectifs affectés à ce contrôle seront également doublés. Le Gouvernement adressera des propositions, après discussion avec les professionnels concernés, à l'Organisation maritime internationale. La France fera de la sécurité en mer un sujet majeur de la présidence française de l'Union européenne, au deuxième semestre de l'an 2000.
Les deux catastrophes qui frappent notre pays ont amené l'Etat, les collectivités locales et les services publics à s'organiser sans délai. Les citoyens apportent un concours généreux et spontané à ces actions, multipliant les initiatives d'entraide et manifestant l'énergie du pays tout entier pour faire face à ces épreuves.
Je veux enfin souligner le dévouement exemplaire des pompiers, dont deux sapeurs volontaires ont trouvé la mort en Charente-Maritime et dans le Calvados, des forces de police et de gendarmerie, des agents des services publics, des professionnels et des bénévoles, ainsi que la très bonne coopération qui s'est instaurée sur place entre tous les services de l'Etat et les collectivités locales.

(Source : http://www.interieur.gouv.fr, le 31 décembre 1999)