Déclaration de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur la réforme de l'Etat notamment la modernisation de l'administration par le développement des NTIC, la décentralisation, et sur les retraites et le temps de travail dans la fonction publique, Paris le 13 janvier 2000.

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Circonstance : Cérémonie des voeux à la presse à Paris le 13 janvier 2000

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Nous voila réunis pour la troisième année consécutive dans ce ministère pour la cérémonie des voeux. Trois ans qui n'ont en rien altéré le plaisir que j'éprouve dans ce moment de retrouvailles qui facilite l'échange de vues sur les bilans, les perspectives et les bonnes résolutions.
Comme pour vous, comme pour tous mes collègues, ce passage à l'an 2000, a été l'occasion d'une réflexion particulière, sur la fin du siècle, sur la fin du millénaire, et plus prosaïquement sur la mi-parcours de la législature...
En relisant Georges DUBY, je constatais qu'en l'an mille, les français avaient peur de la misère, des épidémies, de la violence, de l'autre, de l'au-delà. Aujourd'hui ces peurs sont vivaces , si ce n'est que la peur de l'au-delà s'est traduite par la peur de l'inconnu et la crainte d'être dépassé par ce que l'on invente.
Il appartient aux hommes politiques, de construire une société qui saura trouver des réponses à ces peurs.
Pour ma part, j'ai toujours pensé que la solution résidait dans la république et la démocratie.
Ce sont ces convictions qui m'ont conduit en 1975, après les événements d'Aléria, à rentrer dans la vie politique afin de combattre des idées dont j'étais persuadé qu'elles étaient d'inspiration fasciste et qu'elles nous amèneraient la mafia.
Ce sont enfin ces mêmes convictions qui m'ont fait accepter un poste ministériel d'abord en 1992 puis en 1997.
Je retrouve aujourd'hui, au ministère de la fonction publique de la réforme de l'État et de la décentralisation l'occasion d'appliquer ce à quoi je crois fermement depuis tant d'années.
Le service public est l'un des garants du pacte républicain et de la continuité de l'État.
Il appartient à mon ministère de faire en sorte qu'il puisse toujours mieux remplir sa mission d'intérêt général. C'est l'objet de la réforme de l'Etat et de la modernisation de son administration qui verront leur action particulièrement développée cette année.
A ce propos, permettez-moi de m'arrêter un instant sur la réforme de l'Etat.
Il y a quelques mois, au moment où se tenaient les traditionnels congrès des associations d'élus, on a vu se multiplier les interventions d'élus de tous bords, de droite comme de gauche, sur le thème : la réforme de l'Etat est en panne, l'Etat recentralise, il freine les initiatives locales... Sans que la moindre critique constructive ne vienne étayer une démarche réformatrice.
Cela m'a rappelé les propos d'André TARDIEU, président du Conseil dans les années trente qui disait : " Lorsqu'un président du Conseil veut se faire applaudir sur tous les bancs, il lui suffit d'annoncer la réforme administrative, car personne ne sais ce que cela veut dire ".
En fait, pour certains, la réforme de l'Etat se définit par sa réduction.
" C'est un peu court jeune homme ! "
Le périmètre de l'Etat s'est beaucoup modifié au cours des vingt dernières années. Il continue à bouger. Le nombre des ministères diminue. Celui des directions ministérielles aussi. Certaines se sont transformées en entreprises publiques qui elles, ont parfois rejoint le secteur concurrentiel. La décentralisation qui était indispensable et qui a permis de mieux répondre aux attentes des citoyens en matière de proximité a également modifié ce paysage. Il est encore susceptible d'évoluer, notamment au vu des conclusions de la commission présidée par Pierre Mauroy.
Mais, pour ma part, le débat ne se résume pas à cette version réductrice. L'Etat a des fonctions propres, destinées à garantir la solidarité territoriale, la qualité et la disponibilité des services publics. Faut-il le rappeler dans les circonstances exceptionnelles que la France vient de traverser ?
Nous devons donc nous attacher à moderniser notre administration. C'est ce qui a été engagé avec détermination depuis deux ans et demi. Certes, cette matière se prête mal aux effets d'annonces, les décisions ne concernant pas toujours directement l'usager. Elle ne sont pas toujours lisibles. Pour autant, le travail réalisé est déjà considérable ainsi que le comité interministériel pour la réforme de l'Etat du 13 juillet dernier l'a montré, en fixant de nouveaux objectifs pour cette année. Je me limiterai à rappeler quelques exemples, parmi les plus significatifs, de ce qui a été accompli l'année écoulée.
D'abord, placer l'usager au cur de la réforme : le projet de loi DCRA (droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations) sera définitivement adopté dans les prochains jours. Je n'y reviens pas. La loi habilitant le Gouvernement à codifier par ordonnances a été publiée en fin d'année. On a trop peu souligné l'intérêt pour le citoyen d'un accès clair et simple au droit que l'accélération de la codification va permettre.
Le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) a constitué un élément essentiel et un succès de la politique de réforme de l'Etat. L'administration est à présent l'un des moteurs essentiels de la généralisation d'internet dans la société française.
A ce jour, les services et établissements publics de l'Etat ont ouvert environ 500 sites internet. De nouveaux services aux usagers sont ainsi mis en ligne, comme le calcul de l'impôt sur le revenu, la visualisation de l'état de la circulation en Ile de France ou le suivi de l'avancement de l'instruction d'un permis de construire.
La création d'un nouveau portail internet de l'administration française est en cours, et son ouverture prévue pour le milieu de l'année : il est conçu à partir des réponses de 2000 internautes.
Sur nombre de ces sites, on trouve en particulier les formulaires administratifs : c'est le cas pour la moitié environ des démarches courantes des usagers ; parfois, des systèmes de téléprocédures permettent de remplir le formulaire et de le réexpédier par la voie d'internet. Le vote, actuellement en cours, de la loi sur la signature électronique, complétera le dispositif permettant de multiplier les téléprocédures.
Dans les départements, la généralisation des systèmes d'information territoriaux (SIT) prévue pour la fin de l'année est en bonne voie. Cette mise en commun de messageries et de données entre les différents services déconcentrés de l'Etat et avec les collectivités locales constitue un levier considérable d'évolution des habitudes de travail et d'efficacité.
Ainsi, une étude menée en juillet 99 par des chercheurs européens à l'université d'été de Maastricht a classé première l'administration française parmi 15 administrations européennes testées, en matière d'utilisation de l'internet en direction des usagers.
Autre priorité : l'efficience des politiques publiques. En 1999, j'ai installé le conseil national de l'évaluation des politiques publiques qui a permis le lancement de cinq premières évaluations interministérielles. Par ailleurs, la nouvelle commission de modernisation des services publics, incluant des représentants des usagers, a été mise en place le 15 novembre 1999. Plusieurs groupes de travail interministériels ont également été constitués en matière d'indicateurs de résultats et de chartes de qualité.
C'est pour moi une priorité forte. C'est la raison pour laquelle j'ai lancé une vaste consultation auprès de l'ensemble des acteurs sociaux, avec le concours des instituts d'études politiques, consultation qui se conclura par un forum national en mai prochain.
J'aurais pu évoquer la poursuite de la déconcentration des administrations, la réalisation des programmes pluriannuels de modernisation ou encore les nouveaux pouvoirs d'organisation des services confiés aux préfets pour adapter l'offre de services publics aux besoins locaux, forcément différents entre la Lozère et la Seine-Saint-Denis.
J'arrêterai ici une énumération qui montre que l'administration bouge au quotidien. Ce qui ne se fait d'ailleurs pas, parfois, sans secousse.
Deuxième volet de mon travail ministériel : la décentralisation.
Dans ce domaine, chacun sait l'importance que j'attache à mettre sur les rails la réforme de l'intervention économique des collectivités locales. Ce projet, je le rappelle, doit permettre de favoriser la création et le développement des petites et moyennes entreprises, de faciliter l'accès des entreprises au crédit, et de mieux protéger les finances des collectivités locales.
Ce texte de loi, dont certains doutaient, est aujourd'hui en cours d'examen au Conseil d'État, après avoir été enfin validé par la Commission européenne le 22 décembre dernier. Il sera examiné en conseil des ministres au cours du mois de mars et viendra en discussion devant le Parlement au cours de la présente session.
Il s'agit d'un texte très attendu par les élus locaux, particulièrement les maires qui souhaitent se battre pour l'emploi dans leur commune. Je ne méconnais pas les craintes des présidents de régions et je m'emploie à les rassurer car ce projet de loi n'a pas pour objet de les dessaisir. Il s'agit de mettre en conformité le droit et la réalité têtue des interventions des collectivités locales - 40 % des aides proviennent des communes. Je préfère à une logique d'interdiction génératrice de transgression et donc de risques juridiques pour les décideurs locaux, une logique d'encadrement quantitatif qui préserve le rôle de chacun tout en sécurisant les finances locales.
Troisième volet : la Fonction publique.
Mieux faire fonctionner l'Etat, c'est aussi, et peut-être surtout, se donner les moyens de rénover les modes de gestion des ressources humaines dans l'administration. Cette rénovation passe par une volonté politique forte appuyée sur une transparence réelle -l'actualité la plus récente le prouve - et un dialogue social constructif.
Le rapport de la Cour des comptes sur la fonction publique de l'Etat dresse un constat critique des carences en matière de comptabilisation et de suivi des emplois et des effectifs et souligne des défauts de transparence dans la gestion des personnels de certains ministères. Ce constat conforte la politique que je mène depuis mon arrivée à ce ministère et qui consiste à clarifier les règles du jeu en matière de rémunérations accessoires et en matière d'emploi public. Je m'en était entretenu avec Pierre JOXE dès 1997. Sans transparence, les parlementaires votent le budget sans connaître la situation réelle. Sans transparence, les pouvoirs publics ne disposent pas des éléments indispensables à une gestion prospective des ressources humaines. C'est pourquoi, le Gouvernement a engagé dès 1997 d'importantes réformes :
- rebudgétisation des rémunérations qui échappaient au contrôle parlementaire,
- élaboration, à mon initiative d'une circulaire précisant les règles de publicité des textes relatifs aux rémunérations des fonctionnaires, de toutes les rémunérations,
- généralisation progressive du contrôle de gestion,
- création, là encore à mon initiative lors du CIRE du 13 juillet 1999, d'un observatoire de l'emploi public.
Ces mesures contribueront à pallier les insuffisances relevées par la Cour qui trouvent leur origine dans plusieurs décennies de pratiques de gestion de la fonction publique.
Mais, là aussi, ne tombons pas dans les clichés qui voudraient que dans le secteur privé, la gestion des ressources humaines soit exemplaire alors qu'elle serait catastrophique dans l'administration. Quelle grande entreprise pourrait indiquer précisément au jour le jour, le niveau de ses effectifs alors qu'elle connaît quotidiennement des centaines, voire des milliers d'entrées et de sorties parmi lesquelles des intérimaires.
Alors, au delà de ces jugements définitifs, nous devons continuer à faire évoluer les pratiques ministérielles vers plus d'efficacité et de transparence.
C'est dans cette logique notamment que s'inscrivent les orientations arrêtées en matière d'encadrement supérieur au printemps dernier et dont je m'attacherai à assurer la mise en uvre effective d'ici fin 2000. Je crois en effet que sans une implication très forte des cadres dirigeants dans une démarche managériale, la gestion des ressources humaines ne connaîtra pas d'évolution sensible.
C'est dans la même optique que j'ai engagé une réforme visant à diversifier le recrutement de l'ENA et à moderniser la formation qui y est dispensée de manière à mieux répondre aux besoins nouveaux des administrations.
Mieux gérer les ressources humaines dans l'administration, c'est aussi faire évoluer, de manière volontariste, la représentation des femmes dans l'encadrement. Cette démarche, qui se fonde notamment sur l'élaboration, dans chaque ministère de plans d'objectifs pluriannuels, devra être suivie en 2000 avec vigilance.
Autre sujet majeur : les retraites.
Dès le mois prochain, le Premier ministre fera part des orientations arrêtées par le Gouvernement.
Il conviendra ensuite, de préciser dans la concertation les mesures à mettre en uvre afin de préserver le système de répartition (c'est la préoccupation première) et assurer à la fois l'équité entre les retraités des différents régimes et la solidarité entre les générations.
Enfin, le temps de travail dans la fonction publique !
Vous le savez, après un travail d'expertise, la concertation est engagée depuis plusieurs semaines. Il s'agit là d'un enjeu important pour la fonction publique.
La définition de règles communes est souhaitable. Les partenaires sociaux sont très sensibles à cette question mais rien n'est joué.
La fonction publique doit être exemplaire en matière de temps de travail sous peine de procès en privilégiature. Nous verrons dans les jours à venir s'il est possible ou non d'aller vers un accord ou si la mise en place de l'ARTT doit résulter de discussions locales.
Je reste pour ma part persuadé de la nécessité d'un tel accord pour conforter l'unité de la fonction publique. Il est évident qu'il ne pourra se faire à n'importe quel prix.
Comme vous avez pu le constater, Mesdames et Messieurs, les chantiers sont nombreux mais ils progressent régulièrement. J'ai même envie de dire que la trêve hivernale n'existe pas puisque la loi portant habilitation du Gouvernement à procéder par ordonnance, à l'adoption de la partie législative de certains codes, a été promulguée le 22 décembre.
Je disais tout à l'heure que nous étions à la moitié de la législature. C'est toujours un moment un peu crucial pour un gouvernement. La tentation est toujours forte de moins expliquer la finalité de notre politique, et de mettre l'accent sur le détail des mesures adoptées. Mais là aussi je vous rassure. La méthode de travail du Gouvernement fondée sur l'évaluation et le rajustement régulier de nos objectifs nous oblige à tenir compte de ce pourquoi nous avons été élus.
En tout état de cause, vous serez toujours là pour nous rappeler nos promesses, nos manquements s'il y en avaient, et solliciter des réponses, même lorsque qu'elles ne sont pas encore mûres. Je constate ainsi votre opiniâtreté à me questionner sur la Corse, alors que je serais volontairement bavard sur la réforme de l'État. Il est vrai que l'île de beauté a cette capacité à déchaîner passions et paradoxes non seulement chez ceux qui l'habitent, mais aussi chez ceux qui l'observent. Ainsi j'ai été étonné de voir que certaine organisation de défense des droits de l'homme, défend les sans papiers à Paris, et soutient à Ajaccio ceux-là mêmes qui rejettent les " allogènes ".
L'initiative du Premier Ministre a eu cet immense avantage de mettre au pied du mur ceux qui exercent des responsabilités électives en Corse. Leurs propositions seront appréciées aujourd'hui non seulement par le Premier Ministre et les ministres concernés, mais aussi par l'ensemble de la population qui a souvent du mal à comprendre la poursuite de la violence.
Pour ma part, j'oeuvrerai en tant que ministre de la décentralisation et en tant qu'élu, pour que le calme et la prospérité reviennent en Corse, et ce dans le respect du cadre républicain.
Mesdames et Messieurs, en évoquant la Corse on pense toujours à la violence. Celle-ci, s'est aussi exercée contre vous. En 1999, 36 de vos confrères de par le monde ont été assassinés. Quatre vingt-cinq sont actuellement emprisonnés pour avoir voulu exercer leur métier librement. Il m'arrive souvent d'être en désaccord avec vous sur votre appréciation des faits ou votre analyse. Il vous arrive souvent de me reprocher ma grande réserve si ce n'est ma langue de bois. Cette critique réciproque est saine : elle est signe de liberté.
Alors, en ce début d'année 2000, permettez-moi de vous souhaiter tout d'abord une bonne et forte liberté de la presse, une très bonne santé pour vous et vos proches, et les organes où vous exercez votre belle profession.
Bonne année à toutes et à tous.
(Source : http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 17 janvier 2000)