Déclaration de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur le projet de loi sur le droit d'asile, Assemblée nationale, Paris le 18 novembre 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Propos liminaires de Pierre-André Wiltzer lors de la deuxième lecture du projet de loi sur le droit d'asile, à l'Assemblée nationale à Paris le 18 novembre 2003

Texte intégral

Chacun peut s'accorder sur deux exigences : la France est déterminée à perpétuer dignement sa tradition d'accueil ; notre droit d'asile et le dispositif d'accueil sont en crise.
Depuis le printemps dernier, beaucoup a été fait. Sans doute votre rapporteur exposera-t-il les améliorations que vous avez apportées au texte. Quant aux novations apportées par le Sénat le 23 octobre dernier, elles apportent des précisions conformes à l'esprit qui a été le vôtre le 5 juin.
La référence aux traités internationaux relatifs aux réfugiés a été complétée par l'ajout du protocole de New York du 31 janvier 1967, qui étend les effets de la Convention de Genève aux personnes devenues réfugiées à la suite d'événements survenus après le 1er janvier 1951 et sans aucune limitation géographique.
Le Sénat a également posé le principe de la convocation à un entretien des demandeurs d'asile. L'OFPRA pourra toutefois s'en dispenser lorsqu'il s'apprête à rendre une décision favorable sur la seule base des éléments en sa possession. L'entretien sera également facultatif lorsque le demandeur a la nationalité d'un Etat pour lequel la clause de cessation de la Convention de Genève s'applique - c'est-à-dire lorsqu'il est patent que des persécutions n'y sont plus pratiquées ni tolérées. La convocation sera de même inutile lorsque des raisons médicales interdisent au demandeur de se présenter ou lorsque les éléments fournis à l'appui de la demande sont manifestement infondés.
L'office restera soumis au contrôle du juge dans l'application de ces dispositions.
Par ailleurs, le principe de la protection assurée par des agents non étatiques constitue un élément important de la réforme. Cette protection est le corollaire de l'abandon du critère jurisprudentiel de l'origine étatique des persécutions. Le Sénat a souhaité en limiter la portée aux seules organisations internationales et régionales et exclure les partis ou autres organisations.
Le Sénat a également précisé les conditions dans lesquelles sera apprécié l'asile interne. L'auteur des persécutions devra être pris en compte par l'office qui aura à apprécier les conditions générales prévalant dans la partie du territoire où le demandeur pourrait trouver un asile interne ainsi que la situation personnelle de l'intéressé.
Les sénateurs ont par ailleurs atténué les limites posées à l'octroi de la protection subsidiaire. Elle pourra être refusée lorsqu'il y aura des raisons de penser que l'activité de l'intéressé - et non plus sa présence - constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.
Le Sénat a aussi posé le principe que l'OFPRA pourra "mettre fin" au bénéfice de la protection subsidiaire alors qu'il était prévu qu'il "retire" celle-ci. Cet amendement privilégie le principe de sécurité juridique : dans l'hypothèse où le bénéfice de cette protection résulterait d'une décision de la commission des recours des réfugiés (CRR), le Sénat a en effet estimé que l'autorité de la chose jugée interdirait un retrait de cette protection par l'office, qui présenterait un caractère rétroactif.
Le Sénat a également abordé la question du transfert des archives de l'OFPRA au ministère des Affaires étrangères, qu'il a autorisé dans le respect des règles de confidentialité. La direction des Archives de ce ministère pourra désormais prendre en dépôt les archives les plus anciennes actuellement stockées à Aubervilliers. L'accès à ces archives sera limité aux personnes autorisées par le directeur de l'OFPRA.
S'agissant de l'organisation de la CRR, la formulation retenue par le Sénat, qui écarte la nomination de membres du Parquet en activité, est de nature à apaiser certaines craintes quant à l'indépendance de la juridiction. Le Sénat a également souhaité maintenir la compétence consultative de la CRR en matière d'éloignement des réfugiés statutaires. Par ailleurs, un amendement précise que les requérants peuvent se faire assister d'un conseil et d'un interprète.
Enfin, le Sénat a accepté la proposition du gouvernement selon laquelle les préfets de département ou le préfet de police de Paris pourront être chargés de l'admission au séjour des demandeurs d'asile dans plusieurs départements. Cette extension de compétence est nécessaire pour la mise en place de plates-formes régionales de traitement des demandes d'asile. Un tel dispositif permettra le traitement intégré et décentralisé des demandes, tous les services compétents étant regroupés en un même lieu.
Les dispositions transitoires du projet ont, elles aussi, été amendées. Il est prévu que les demandes de reconnaissance de la qualité de réfugié en cours d'instructions auprès de l'OFPRA à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi sont traitées comme des demandes d'asile au sens de cette même loi. Ces dispositions, qui valent pour l'OFPRA, s'appliqueront également, mutatis mutandis, à la CRR.
J'en viens aux directives communautaires.
Le projet de directive sur le statut de réfugié et la protection subsidiaire a pour objectif d'harmoniser l'interprétation par les Etats membres de la Convention de Genève, notamment pour la notion de "réfugié" et la protection dite "subsidiaire".
Un accord de principe avait été dégagé en novembre 2002 en ce qui concerne les conditions d'octroi, de cessation ou d'exclusion du statut de réfugié d'une part et de la protection subsidiaire d'autre part.
En revanche, aucun accord n'est encore intervenu sur le contenu de la protection internationale et la coopération entre Etats. Le blocage est dû aux réticences de certains Etats quant à l'égalité de traitement entre réfugiés statutaires et bénéficiaires de la protection subsidiaire, notamment au regard du droit au travail. Dans sa logique d'intégration, la France soutient une position d'égalité de traitement et d'accès au marché du travail. On peut espérer que l'adoption de cette directive interviendra d'ici la fin de l'année.
Par ailleurs, le projet de directive sur les procédures d'octroi et de retrait du statut de réfugié constitue une première étape vers une procédure d'asile commune. Ce texte prévoit des garanties de procédures pour l'examen des demandes d'asile telles que la convocation du demandeur à un entretien, l'assistance juridique ou l'interprétariat : il permet également le recours à des procédures accélérées, notamment lorsque le demandeur est ressortissant d'un pays d'origine sûr. L'objectif est également d'achever l'élaboration de la directive d'ici la fin de cette année.
De 1998 - 22 990 demandes - à 2002 - 52 877 - l'OFPRA a été confronté à une hausse croissante des demandes d'asile. Il n'est cependant pas exclu que nous constations une stabilisation relative en 2003.
Mais, dans le même temps, la réforme du droit d'asile portera en 2004 le nombre de dossiers à traiter par l'OFPRA à 85 000 et entraînera une forte augmentation du nombre de recours devant la CRR.
Les moyens budgétaires de l'office ont accompagné cette évolution, passant de 17 millions en 2001 à 28,5 millions en 2003. Dans le PLF pour 2004, les crédits alloués à l'OFPRA et à la CRR augmentent de près de 10 millions, passant de 28,5 millions en loi de finances initiale pour 2003, à 38,28 millions, soit une augmentation de 34 %. Au total, les moyens budgétaires de l'OFPRA et de la CRR ont plus que doublé entre 2001 et 2004.
Dans le même temps, les effectifs de l'OFPRA et de la CRR ont presque triplé. Ils se montent à 677 agents pour 2004, plus 67 qui sont mis à disposition par diverses administrations. Trente-huit emplois de contractuels sont créés et 105 ouverts précédemment sont consolidés. Par ailleurs, 25 emplois du ministère de la Justice et 25 du ministère de l'Intérieur seront transférés à l'OFPRA et à la CRR.
Ces moyens sont globalisés. Les moyens de la juridiction administrative ne sont donc pas identifiés, alors que c'est la première de France par le nombre de décisions rendues, et elle dépend de fait de l'établissement public dont elle est chargée de juger les décisions. Cela ne pouvait continuer ainsi. Il est notamment envisagé que le président de la CRR devienne ordonnateur secondaire de ses dépenses.
Tous ces efforts n'ont pas été déployés en vain. La capacité de traitement de l'OFPRA est passée de 4 000 à 6 600 dossiers par mois. Cet excellent résultat est dû à la mobilisation de ses agents, dont je salue le professionnalisme et l'engagement. A ce rythme, l'encours des demandes devrait être ramené en dessous de 20 000 dossiers à la fin de l'année. Les délais de traitement auront été ramenés en un an de douze à quatre mois. Au printemps, l'objectif d'un délai de deux mois, assigné par le président de la République, devrait être atteint.
C'est la commission qui nous préoccupe dorénavant, même si ses effectifs augmentent de façon significative. Le rendement accru de l'OFPRA, l'arrivée en janvier du contentieux de la protection subsidiaire et le taux de recours élevé vont rapidement conduire à l'engorgement de la juridiction. Un audit des procédures est donc en cours, qui devrait se traduire par des gains de productivité, mais c'est incontestablement dans des moyens supplémentaires que se trouvera une grande partie de la solution.
Ainsi, un important travail a donc été accompli, tant en ce qui concerne les améliorations du texte initial que la mobilisation des moyens. Les débats ont été nourris et passionnés. C'est justifié, car la matière est grave ; elle est chargée d'émotion et lourde de milliers de destins broyés, pour lesquels la France apparaît comme un ultime recours. Mais l'émotion ne doit pas nous égarer. Toute législation sérieuse doit tenir compte des réalités diverses et parfois contradictoires qui s'imposent. Le gouvernement a soutenu toutes les propositions qui amélioraient la clarté et l'efficacité de la loi, et qui favorisaient la justice, la générosité et la clairvoyance. Le projet de loi apparaît désormais clair, complet et équilibré. Le gouvernement souhaite donc que vous l'adoptiez en l'état. Compte tenu des déficiences du système actuel, il paraît en effet impératif de pouvoir l'appliquer dès le 1er janvier. Je remercie une fois de plus tous ceux qui ont contribué à ce renouveau. Nous pouvons être fiers d'avoir participé à cette juste réforme
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2003)