Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la réforme de la fiscalité et des finances locales et sur l'intercommunalité, Esvres le 6 novembre 2003

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Circonstance : Rencontre avec les maires d'Indre-et-Loire à Esvres le 6 novembre 2003

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Association des Maires, cher ami Jean DELANEAU,
Monsieur le président du conseil général, cher Marc POMMEREAU,
Monsieur le préfet, cher Michel GUILLOT,
Mesdames, messieurs les Maires,
Chers amis,
D'emblée, je voudrais vous dire le plaisir qui est le mien de me retrouver aujourd'hui à Esvres-sur-Indre, avec vous, les maires de ce beau département d'Indre-et-Loire.
Sans plus attendre, je veux remercier très sincèrement mon ami Jean DELANEAU, de m'avoir convié à cette rencontre. Pour tout vous dire, lorsqu'il m'a invité, je n'ai pas hésité longtemps. C'est, en effet, pour moi l'occasion de lui témoigner mon amitié et ma reconnaissance, mais aussi l'occasion de me retrouver en famille, parmi vous.
Merci à vous de me permettre de saluer à sa juste valeur votre engagement de chaque instant pour la vie de nos communes, pour la vie de nos concitoyens. Car, on ne le dit jamais assez, où en serait notre pays, où en serait notre tissu social, où en serait notre pacte républicain, où en seraient nos villes et nos campagnes sans votre passion, sans votre dévouement, sans votre abnégation ?
Ceux qui me connaissent savent qu'il n'est pas dans mes habitudes d'oublier d'où je viens. Longtemps des vôtres en tant que maire de Remiremont, je n'ai rien oublié de cette expérience " fondatrice " et humainement exaltante.
Ceux qui me connaissent savent aussi mon profond attachement aux " territoires " de France dont la diversité fonde la richesse de notre pays.
C'est tout le sens de mon engagement en faveur d'une relance ambitieuse de la décentralisation. Et cet engagement, ce combat, je le sais, c'est aussi le votre.
Alors, unissons-nous pour gagner le " pari de la proximité " et réussir l'acte deux de la décentralisation, véritable " projet de société " seul à même d'insuffler de " l'oxygène " à notre République et de nous redonner l'ambition d'une France moderne, d'une France dynamique, d'une France solidaire.
Je voudrais partager avec vous les motifs d'optimisme qui, aujourd'hui, doivent habiter les décentralisateurs convaincus que nous sommes et vous livrer quelques unes de mes réflexions sur deux sujets qui vous tiennent à cur : d'une part, la réforme de la fiscalité et des finances locales et, d'autre part, l'intercommunalité.
D'abord, et c'est le premier motif de réjouissance, l'ancrage constitutionnel de la décentralisation.
Véritable révolution culturelle, la révision constitutionnelle de mars 2003 consacre enfin l'autonomie locale dans toutes ses dimensions.
Il était temps ! Car en vingt ans de gestion de proximité, vous avez démontré, si besoin était, que les collectivités locales faisaient plus, plus vite et surtout mieux qu'un l'Etat boulimique, qu'un Etat dispersé et donc bien souvent inefficace.
Ainsi, l'inscription dans notre loi fondamentale de principes comme l'autonomie fiscale, le remplacement d'une ressource fiscale par une autre ressource fiscale, ou la compensation à due concurrence des transferts de compétences, doivent nous permettre d'envisager l'avenir avec sérénité.
Ces avancées sont déterminantes car la réussite de la décentralisation passe par l'établissement de relations financières saines, sûres et sereines entre l'Etat et les collectivités locales.
D'ailleurs, le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, adopté en Conseil des ministres le 22 octobre dernier, nous offre les " clés " d'un avenir " pacifié ".
Car au delà du débat " sémantique " entre "prépondérance " et " déterminance ", le niveau d'autonomie fiscale constaté en 2003, constituera désormais un seuil " infranchissable ".
Cette " ligne jaune " va permettre au juge constitutionnel de faire respecter ces principes protecteurs par le législateur. Il s'agit là d'une garantie fondamentale qui doit pleinement vous rassurer.
Fini le temps des suppressions de pans entiers de fiscalité locale compensées par des dotations de l'Etat au " rendement incertain ", et tellement " déresponsabilisantes ". Mais ce plancher n'est qu'un début, et il faudra nécessairement aller plus loin.
En tout état de cause, je puis vous assurer qu'en tant que président du Sénat, assemblée législative à part entière mais aussi, -c'est un plus-, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, je veillerai personnellement au respect des principes désormais inscrits dans le " marbre " de notre Constitution.
Mais quel chemin parcouru! Encore une fois, le Sénat n'a pas ménagé sa peine pour faire aboutir cette réforme, qui était loin de faire l'unanimité, il y a seulement quelques années.
C'était tout le sens des deux propositions de loi constitutionnelles que j'ai déposées en 2000 et en 2002, qui ont permis d'influencer, en amont, l'action du gouvernement.
Ensuite, et c'est mon second motif de réjouissance, l'examen au Sénat, depuis le 28 octobre dernier, du projet de loi relatif " aux responsabilités locales ", démontre, au delà des querelles partisanes, que chacun a pris la mesure de l'enjeu.
Certes, d'aucuns feignent de penser que les communes seraient les grandes oubliées de cette relance de la décentralisation. Il n'en est rien. D'abord, parce que les communes sont bénéficiaires de nouvelles compétences comme par exemple en matière de sectorisation des écoles, de logement des étudiants (au moins pour les grandes villes), de ports de plaisance et d'aérodrome, et de lutte contre l'insalubrité.
Ensuite, parce que la réforme consacre le rôle premier de la commune comme acteur du développement économique, culturel et social de son territoire.
Enfin, parce que la décentralisation renforce la légitimité de la commune comme cellule de base de la démocratie locale.
Certes, quelques difficultés subsistent encore sur un certain nombre de " frontières " entre les niveaux de collectivités locales.
Là encore, je crois qu'il ne faut pas se tromper de débat. Car c'est aussi cela la décentralisation " version 2003 " : clarifier les compétences en renforçant la spécificité de chaque échelon territorial, sans remettre en cause la légitimité de chaque collectivité à se préoccuper du développement de son propre territoire.
Le " jardin à la française " de 1982, avec ses blocs de compétences clairement définis, a vécu. C'est tout le sens de l'engagement du Sénat qui a obtenu, en contrepartie de la notion de " chef de file ", l'inscription dans la Constitution de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre.
Il s'agit, à mon sens, d'un " garde fou " essentiel pour envisager les modalités communes d'action des collectivités locales.
Alors cessons d'être frileux et tournons-nous vers l'avenir !
Ensemble, démontrons que la décentralisation n'est pas la " régression sociale " évoquée par certains, le temps d'un printemps. Vous le savez bien vous qui chaque jour mettez votre cur, votre énergie et votre intelligence au service du développement des territoires et de la solidarité.
Mais je n'occulterai pas de mon propos l'inquiétude légitime des élus locaux qui attendent une " juste " compensation des transferts de compétences.
Nous sommes tous d'accord sur ce point : les modalités de compensation financière ne doivent pas s'apparenter à un " marché de dupes " ou à une opération de " délestage " de la part de l'Etat.
L'entrée en vigueur des transferts de compétences au 1er janvier 2005 doit nous permettre d'engager un débat contradictoire, fondé sur la transparence, l'évaluation précise du coût des transferts et le respect des principes constitutionnels.
C'est l'engagement du gouvernement, c'est aussi celui du Sénat, " veilleur vigilant " de la décentralisation qui, je puis vous l'assurer, y prendra toute sa part.
Après " l'étape " des transferts de compétences, il nous restera à engager une réflexion d'ensemble sur la refonte de la fiscalité locale et des concours financiers de l'Etat, à bout de souffle !
L'objectif est de " taille " ! Car, nous devons parvenir à concilier autonomie locale et péréquation, deux principes apparemment contradictoires mais désormais tous deux de même valeur constitutionnelle.
Les disparités de richesse fiscale n'ont jamais été aussi criantes : 10% des communes concentrent aujourd'hui 90% des bases de taxe professionnelle. Ces chiffres se passent de commentaires.
Pourtant, chaque collectivité doit pouvoir pleinement exercer son " libre arbitre " fiscal et recouvrer des marges de manuvre.
Il s'agit, à mon sens, d'une " nécessité impérieuse " s'il on veut offrir aux élus les moyens d'exercer leur nouvelles responsabilités.
Dans cette perspective, pourquoi ne pas définir un mécanisme de convergence de la richesse fiscale ?
Ce " lissage ", par collectivité et pour chaque taxe, passerait par la " réattribution " de bases fictives aux collectivités les moins " favorisées ".
La répartition de ces bases pourrait être déterminée au niveau local en fonction de critères de richesse fiscale rénovés.
Pour pleinement réussir la relance de la décentralisation, il est aussi temps de prendre la pleine mesure de la " révolution intercommunale ", au succès de laquelle le Sénat a largement contribuée.
En 1999, le Sénat a voté la loi dite " Chevènement ", en rééquilibrant un texte, à l'origine davantage centré sur les zones urbaines que sur le monde rural. Cette loi a assurément simplifié et " décuplé " le paysage intercommunal " français ".
Alors que 80% de notre territoire est désormais couvert par l'intercommunalité, l'intercommunalité constituerait le " parent pauvre " de l'acte deux de la décentralisation.
Pour ma part, je crois que le projet de loi relatif " aux responsabilités locales " comporte suffisamment de dispositions visant à simplifier le fonctionnement des établissements publics de coopération intercommunale pour que l'on cesse de prêter de mauvaises intentions au gouvernement en cette matière.
Progressivement, notre pays est passé, et sur la base du volontariat, d'une " myriade municipale ", à un paysage intercommunal plus cohérent et plus efficace, tout en restant respectueux des identités communales.
A l'évidence, l'intercommunalité, pour peu qu'elle soit " de projet " et non de " papier ", est loin de sonner le glas des communes. Au contraire, elle garantit leur avenir !
Cette nouvelle intercommunalité, il nous appartient désormais de l'accompagner, car son succès est en train de faire imploser la DGF.
En ce sens, je me réjouis de la refonte de la DGF engagée par le projet de loi de finances pour 2004 avec la création, pour les " trois niveaux " de collectivité d'une part forfaitaire et d'une part péréquation basées sur une architecture identique.
Mais il faut aller plus loin ! Il est temps de remettre à plat les nombreux mécanismes de péréquation existants, dont la complexité est inversement proportionnelle à l'efficacité.
La concurrence entre péréquation et intercommunalité doit cesser !
Car vous le savez bien, la coopération intercommunale constitue en soi une forme de péréquation par la " mutualisation " des charges et des ressources. L'enveloppe de l'intercommunalité doit donc être clairement " sanctuarisée ".
Ouvrons les yeux, le " fait intercommunal " est aujourd'hui plus qu'une réalité, c'est une lueur d'espérance dans la mise en mouvement des " territoires ".
Mesdames et Messieurs, en guise de conclusion, je veux seulement vous exprimer ma foi dans cette France décentralisée, dans cette République des territoires, que vous incarnez, au plus près de nos concitoyens.
Ensemble, nous devons gagner le " pari du local " et jouer harmonieusement l'acte deux de la décentralisation, car proximité rime avec efficacité.
Les espérances sont nombreuses. A nous de ne pas les décevoir !
Je compte aussi sur vous pour nous aider à réussir l'acte deux de la décentralisation et concrétiser cette nouvelle ambition territoriale, seule à même d'offrir aux jeunes générations l'espoir d'une France moderne, d'une France dynamique, d'une France solidaire, d'une France humaine.
(Source http://www.senat.fr, le 20 novembre 2003)