Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la mise en oeuvre de la loi de décentralisation relative aux libertés et responsabilités locales, le projet de création d'un Observatoire de la décentralisation et la réforme de la fonction publique territoriale, Foix (Ariège) le 22 octobre 2004.

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Circonstance : Assemblée générale de l'Association des maires d'Ariège, à Foix le 22 octobre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Association des maires d'Ariège,
cher Jean-Pierre BEL,
Monsieur le Préfet, cher Yves GUILLOT,
Monsieur le Maire de Foix, cher Jean-Noël FONDÈRE,
Mesdames, Messieurs les maires de l'Ariège,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Permettez-moi de vous dire tout le plaisir que j'éprouve à vous retrouver, ici, à Foix, pour une rencontre républicaine, un dialogue démocratique, un débat convivial placés sous le signe de la décentralisation.
Je voudrais, avant toute chose, remercier chaleureusement et saluer amicalement votre Président, mon collègue et néanmoins ami, Jean-Pierre BEL.
Rival d'un jour, - le 1er octobre -, il est aussi et avant tout, un ami. Jean-Pierre est un parlementaire respecté, apprécié de ses collègues, un sénateur expérimenté, en dépit de son jeune âge, qui porte haut les couleurs de votre beau département de l'Ariège, cette " terre courage ".
Chers amis, je n'oublie pas la qualité de l'accueil que vous m'aviez réservé, lors des États généraux des élus locaux de la région Midi-Pyrénées, que j'avais organisés à Toulouse, en juillet 2003.
Loin d'être des grand'messes républicaines sans lendemain, ces États généraux ont constitué, grâce à votre participation active et constructive, des laboratoires d'idées, des catalyseurs et des aiguillons de l'indispensable relance de la décentralisation.
Sur la base de vos observations, de vos craintes et de vos attentes, nous avons ainsi pu contribuer à la définition d'un véritable " mode d'emploi " de " l'organisation décentralisée de la République ".
Ce " mode d'emploi ", cette " feuille de route " a d'ailleurs largement influencé, en amont, le processus constitutionnel et législatif engagé par le gouvernement.
Après la réforme constitutionnelle de mars 2003, dont le Sénat fut le promoteur avisé, ce furent, en effet, les lois organiques relatives aux référendums locaux, à l'expérimentation et à l'autonomie financière des collectivités locales, puis la loi relative " aux libertés et responsabilités locales " qui portent l'empreinte du Sénat.
* * *
Pour autant, l'achèvement de cet édifice n'a pas dissipé tous les malentendus. Il faut le reconnaître, certaines interrogations, souvent légitimes, ont pu subsister. C'est un euphémisme...
En ma qualité de Président du Sénat, assemblée parlementaire à part entière, et en plus, -c'est un bonus-, représentant constitutionnel des collectivités locales, je voudrais vous apporter, c'est aussi le sens de ma présence ce soir, des éléments de réponse à votre légitime interrogation : " quels moyens pour quelle décentralisation ? ". Cette interrogation sera, je le crois, au coeur des débats du prochain Congrès des maires de France, au mois de novembre prochain.
- D'abord, quelle décentralisation ?
Pour ma part, je plaide pour une décentralisation ambitieuse, une décentralisation généreuse, une décentralisation comme facteur de cohésion, de solidarité et d'efficacité.
Ne nous trompons pas de débat ! La décentralisation n'est pas une " réformette administrative " pour sacrifier à l'air du temps. C'est une réforme structurelle, une véritable révolution culturelle, un " projet de société ", seul capable de revivifier notre République, de revigorer notre société, de réconcilier l'Etat, les élus et nos concitoyens et de mieux répondre à leurs besoins et à leurs attentes.
Pierre MAUROY et Gaston DEFERRE ne s'étaient pas trompés lorsqu'en 1982, ils avaient mis la décentralisation sur les rails.
La décentralisation fait désormais partie intégrante et vivante de notre patrimoine républicain.
La décentralisation c'est au pire, un meilleur service pour le même coût. Au mieux, c'est un meilleur service pour un moindre coût.
La décentralisation, c'est aussi, à mon sens, le nécessaire " prélude " à la réforme de l'État.
La décentralisation ce n'est pas moins d'État, c'est mieux d'État.
Mieux d'État, c'est un État allégé, un État performant, un État recentré sur ses fonctions régaliennes, un État concentré sur son indispensable et irremplaçable rôle de garant de la cohésion sociale et de gardien de l'égalité des chances entre les hommes et entre les territoires. C'est un rôle essentiel.
Décentraliser ce n'est pas " brader " la solidarité nationale, c'est simplement redonner du muscle à l'Etat, en lui retirant les compétences dont les collectivités territoriales s'acquittent avec davantage d'efficacité en raison de leur proximité.
Mais il n'est point d'efficacité sans ressources suffisantes, sans véritables moyens.
- Dès lors, une question ne peut manquer de se poser : quels moyens pour cet acte deux de la décentralisation ?
Ceux qui me connaissent savent qu'il n'est pas dans mes habitudes de pratiquer la " langue de bois ". Je n'ai pas peur de le dire : les moyens mis à votre disposition - qu'ils soient financiers ou humains -, ne semblent pas à la hauteur des enjeux de la décentralisation.
? Sur le plan financier, d'une part, deux conditions doivent, à mon sens, être réunies pour que la décentralisation produise pleinement tous ses effets bénéfiques.
- Première condition : il faut que l'État compense intégralement les nouvelles compétences transférées.
C'est indispensable car la réussite de la décentralisation repose sur l'établissement de relations financières saines, sûres et sereines entre l'Etat et les collectivités locales.
C'est pourquoi, je me suis battu pour que soient gravés dans le marbre de notre Constitution des principes forts, protecteurs de l'autonomie locale et garants de relations apaisées entre l'État et les collectivités locales.
Ces ainsi que sont désormais inscrits dans notre Constitution, le principe de l'autonomie financière des collectivités locales, celui de la compensation financière des transferts de compétences ou encore l'objectif de la péréquation. Ces principes constituent autant de garanties, de verrous et de garde-fous qui doivent nous permettre d'envisager l'avenir avec davantage de sérénité.
Afin de veiller au respect de ces garanties, j'ai, en outre, souhaité créer, au Sénat, un " Observatoire de la décentralisation ".
Son objectif est simple : procéder à une évaluation précise, transparente et contradictoire des transferts de charges. Il s'agit d'éviter les dérives financières qui avaient pu pénaliser les collectivités locales lors du premier acte de la décentralisation.
- Seconde condition : il faut engager, sans délai, la réforme des finances et de la fiscalité locales, pour redonner du sens, de la consistance et de la performance à un système de dotations " à bout de souffle ", à une fiscalité locale archaïque, injuste et obsolète.
De même, la péréquation, qui a désormais rang constitutionnel, demeure insuffisante, insignifiante pour ne pas dire inexistante.
En ce sens, la refonte annoncée des concours financiers de l'État, en définissant de nouveaux indicateurs de richesse fiscale, en rénovant les critères d'attribution et en renforçant leur effet péréquateur, va dans le bon sens.
Cette réforme prolonge la globalisation et la simplification de l'architecture de la dotation globale de fonctionnement initiée en 2004.
Il nous faut persévérer dans cette voie pour une meilleure compréhension, et pour davantage de lisibilité, d'efficacité et de solidarité.
Mais le chemin qu'il nous reste à parcourir est encore long !
J'en veux pour preuve la difficile genèse de la réforme de la fiscalité locale, dont on peine toujours à distinguer les contours.
En matière fiscale, nous avons besoin de courage, de détermination et d'imagination.
Plusieurs mois après l'annonce de la suppression de la taxe professionnelle, les interrogations, les inquiétudes et les attentes demeurent nombreuses de la part des élus locaux.
Pourtant, nous sommes tous d'accord sur un point : le maintien d'un impôt local économique, mais d'un impôt qui soit, à l'évidence, mieux accepté que la taxe professionnelle.
Ce nouvel impôt devra, à mon sens, satisfaire un triple objectif :
- préserver un lien entre les collectivités territoriales et leur environnement économique,
- inciter au développement de l'intercommunalité,
- renforcer la péréquation.
Je ne doute pas que la " commission Fouquet ", chargée de réfléchir au remplacement de la taxe professionnelle, saura donner une consistance à ces objectifs.
Je ne doute pas, non plus, que le gouvernement saura traduire votre attente d'une réforme d'ensemble de la fiscalité locale afin de doter nos collectivités locales d'impôts modernes, dynamiques et équitables.
? Sur le plan humain, d'autre part, d'aucuns appellent à la modernisation du statut de la fonction publique territoriale, conscients qu'il n'est point d'efficacité sans ces femmes et ces hommes compétents, motivés et formés au service des politiques publiques locales.
La relance de la décentralisation, le vieillissement démographique, qui devrait provoquer le départ en retraite, d'ici à 20 ans, de 65 % de l'ensemble des fonctionnaires, l'allongement de la durée de la vie professionnelle induit par la réforme de notre système de retraite sont autant de défis à relever dans les mois et les années à venir, autant de raisons qui militent en faveur d'une ambitieuse réforme de la fonction publique territoriale.
La modernisation de la fonction publique territoriale passe, à mon sens, par davantage de souplesse, par davantage de responsabilité, par davantage de compétence, et par davantage de reconnaissance :
- davantage de souplesse, en simplifiant les procédures de recrutement ;
- davantage de responsabilité, en supprimant les seuils et les quotas qui sont parfois vécus comme un frein à la promotion dans la " territoriale " ;
- davantage de compétence, en renforçant l'offre et la qualité de la formation des agents tout au long de leur parcours professionnel, avec la création d'un " contrat individuel de formation " ;
- davantage de reconnaissance, en favorisant le recours à la rémunération individualisée en fonction du mérite de chacun.
Telle est, je le crois, la voie à suivre si nous voulons conférer à la fonction publique territoriale l'attractivité qui lui fait encore trop souvent défaut.
* * *
Mesdames et Messieurs les élus, vous l'avez compris, les chantiers sont encore nombreux et les enjeux complexes.
Ne ménageons pas notre peine pour gagner le pari exaltant du local afin d'inscrire résolument notre pays dans " l'ère territoriale ".
Je compte sur vous pour faire vivre cette France décentralisée.
Je compte sur vous pour continuer à faire battre le coeur de nos communes.
Pour ma part, je resterai à l'écoute de vos préoccupations, de vos doléances et de vos propositions. Je continuerai de défendre avec force, vigueur et détermination vos légitimes revendications.
Comptez sur moi pour que le Sénat, fort de sa diversité, contribue pleinement à la réussite de ce " projet de société ", au service de nos concitoyens, pour bâtir une France moderne, une France dynamique, une France solidaire.
(Source http://www.senat.gouv.fr, le 28 octobre 2004)