Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la fonction de maire, la proposition du Sénat de leur donner un statut propre, la décision gouvernementale de baisser le poids de la fiscalité locale et la difficulté de gérer les finances communales, Josselin, le 21 octobre 2000.

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Circonstance : Assemblée générale des maires du Morbihan à Josselin, le 21 octobre 2000

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Association des maires du Morbihan, cher Henri Le Breton,
Monsieur le Président du Conseil régional, cher Josselin de Rohan,
Monsieur le Ministre, cher Christian Bonnet,
Monsieur le Président du Conseil général, cher Jean-Charles Cavaillé,
Messieurs les députés,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les maires,
C'est avec grand plaisir que j'ai répondu à l'invitation du Président de votre Association, Henri Le Breton, et à celle de Josselin de Rohan, qui nous accueille, aujourd'hui, en sa belle ville de Josselin.
C'est avec émotion, Mesdames et Messieurs les maires, que j'ai accepté la présidence d'honneur de votre Assemblée générale car je sais que celle-ci revêt, cette année, un caractère particulier.
C'est en effet " l'assemblée du millénaire " et, en même temps, votre ultime réunion avant les élections municipales de mars prochain.
Vous êtes donc bientôt au terme du mandat qui vous a été confié en 1995 et j'espère que vous serez nombreux à le reconquérir en mars 2001.
En disant cela, je mesure néanmoins que, pour tous ceux qui exercent cette noble et lourde fonction de maire, nous sommes, vous êtes, parmi les 236 maires du Morbihan, un certain nombre à vous poser la question de savoir si vous allez solliciter, à nouveau, la confiance de vos administrés.
A tous ceux-là, j'aimerais dire à quel point l'expérience qu'ils ont acquise dans l'exercice de leur mandat constitue, pour notre démocratie locale, et donc pour notre démocratie tout court, un capital d'une valeur inestimable.
C'est donc pour préserver et valoriser ce capital démocratique que j'ai eu la volonté, depuis mon élection à la Présidence du Sénat, de militer activement pour que soit consolidé ce que j'ai appelé le socle humain de la décentralisation, c'est-à-dire vous, Mesdames et Messieurs les maires, qui faites vivre au quotidien la démocratie locale.
Car, soyons lucide, votre engagement, pour ne pas dire votre abnégation et votre dévouement, ne sont pas toujours, ou si peu, payés de retour.
C'est pourquoi, j'ai souhaité vous rendre un hommage tout particulier en organisant, pour les Maires de France, à Paris, le 14 juillet dernier, la Fête de la Fédération.
Cet hommage, bien entendu, a été le couronnement symbolique d'une action concrète menée avec détermination au Sénat pour lutter contre ce que les médias ont souvent appelé, et à juste titre, " le malaise des maires ".
Car, force est de constater que ce malaise est bien réel.
Quelle preuve plus flagrante de ce malaise que les 1.700 de nos collègues, élus en 1995, qui ont choisi de " jeter l'éponge " !
Ce chiffre est d'autant plus inquiétant, que plusieurs sondages ont révélé que près de la moitié des maires envisagerait de " raccrocher les gants " en 2001.
Comment ne pas s'inquiéter de la menace que ces chiffres font planer sur l'avenir de notre démocratie locale ?
A l'évidence, cette situation résulte en partie de la multiplication des risques juridiques auxquels les maires sont exposés quotidiennement dans l'exercice de leurs fonctions.
C'est pour cette raison que le Sénat a pris l'initiative d'une loi, la loi du 10 juillet 2000, pour enrayer, dans le respect des droits des victimes, le processus de pénalisation, tous azimuts, des actes des décideurs publics et privés qui avait notamment pour conséquences de paralyser l'action locale et de décourager les exécutifs locaux.
Les premières applications de cette loi récente à des contentieux mettant en cause des maires sont satisfaisantes : désormais, le juge semble se prononcer, dans chaque espèce et in concreto, sur l'existence ou non d'une " faute caractérisée ". C'est ce qui ressort des jugements du tribunal de grande instance de la Rochelle et de la Cour d'Appel de Rennes.
Au-delà de cette réforme destinée à conférer davantage de sécurité et de sérénité à l'action publique locale, le Sénat milite en faveur de l'avènement d'un statut de l'élu, enfin digne de ce nom, avec une revalorisation des indemnités des maires et adjoints des petites et moyennes communes, la concrétisation d'un véritable droit à la formation, l'octroi d'une protection sociale et l'édiction de garanties de retour à l'emploi afin de pas écarter les salariés du secteur privé de l'exercice des mandats locaux.
Cette action de consolidation du socle humain de la décentralisation doit être complétée, et c'est le second point que je voulais aborder devant vous, par une action déterminée pour lutter contre le processus actuel de démantèlement de la fiscalité locale.
Je ne vous cacherai pas que j'éprouve dans ce domaine une très grande inquiétude.
La suppression de la vignette automobile, décidée sans aucune concertation, constitue en effet un nouveau " coup de semonce " pour la fiscalité locale, après la mise en extinction de la part salariale de la taxe professionnelle, la diminution des droits de mutation et la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation.
Ne nous leurrons pas : il ne s'agit hélas pas d'un acte isolé dû à un gouvernement en particulier, mais bien d'une volonté récurrente de l'Etat qui, sous tous les Gouvernements, quelle que soit leur couleur, rogne, coupe et supprime avec une aisance déconcertante nos ressources fiscales.
J'y vois la concrétisation de la " philosophie de Bercy " selon laquelle la seule liberté reconnue aux collectivités locales serait celle de la dépense.
Vous vous en doutez, je ne saurais accepter une " réforme de la fiscalité locale " qui consiste en réalité à la supprimer, alors même que cette fiscalité locale est loin d'être la forme d'imposition la plus impopulaire.
Le sondage de la SOFRES sur " Les Français et les impôts " réalisé à l'occasion de la journée du Livre d'Economie, est, à cet égard, très clair puisque dans le classement de neuf impôts que les Français trouvent désagréables de payer, les impôts locaux n'arrivent qu'en sixième position, après les taxes sur l'essence, la TVA, la CSG, l'impôt sur le revenu et la redevance télévision !
N'y avait-il donc pas d'autres priorités que de s'attaquer aux impôts locaux ?
En outre, il ne s'agit pas de véritables baisses d'impôts, puisque l'Etat doit compenser les pertes de recettes fiscales qu'entraînent, pour les collectivités locales ces suppressions d'impôts.
Et par quoi ces dotations en provenance du budget de l'Etat sont-elles financées : par... nos impôts nationaux.
Cette tendance est d'autant plus contestable que la suppression des impôts locaux :
- distend le lien entre les collectivités et leurs administrés ;
- et déresponsabilise les élus locaux qui ne sont plus incités à améliorer l'efficience de leur gestion, puisqu'ils deviennent de simples distributeurs de dotations octroyées par l'Etat.
A cet égard, je pose une question : l'Etat a-t-il bien réfléchi aux conséquences, à terme, de toutes les décisions de suppression d'impôts locaux décidées depuis trois ans (1) ?
Pour ma part, je n'ai pas ce sentiment.
L'Etat est devenu le premier contribuable local puisqu'il prend à sa charge, maintenant, près du tiers de la fiscalité locale. Alors pour l'instant, tout semble aller bien puisqu'il peut, profitant de la " cagnotte ", financer toutes les compensations dues aux collectivités locales.
Mais demain, si d'aventure la croissance venait à s'essouffler, qu'en sera-t-il ?
Comment l'Etat supportera-t-il le poids budgétaire de ces compensations ?
Vous connaissez, comme moi, la réponse : " l'ajustement " pèsera sur ce que le ministère des finances appelle " l'enveloppe des concours financiers de l'Etat versés aux collectivités locales ", qui est considérée comme une variable d'ajustement.
Il est donc aujourd'hui indispensable de tracer, dans la Constitution, une ligne jaune que les gouvernements ne doivent pas franchir en matière de finances et de fiscalité locale.
C'est pourquoi, j'ai décidé, avec mes collègues Jean-Paul Delevoye, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin et Jean-Pierre Fourcade, de déposer une proposition de loi constitutionnelle " relative à la libre administration des collectivités locales et à ses implications fiscales et financières. ".
Cette proposition de loi vise en particulier à :
- définir un principe d'autonomie fiscale des collectivités locales fondé sur la prépondérance des recettes fiscales au sein des ressources de chacune des catégories de collectivités locales.
- et à garantir la compensation intégrale et concomitante du coût des compétences ou des charges transférées aux collectivités locales.
Je souhaite que cette proposition de loi fasse l'objet d'une large discussion au Parlement, au-delà des clivages partisans, pour que les principes fondamentaux de la décentralisation soient définitivement consacrés.
Sur tous ces sujets et bien d'autres, je voudrais encore une fois vous rappeler que le Sénat poursuivra son combat, jour après jour, pour que les principes de notre démocratie locale ne soient pas remis en cause progressivement.
J'en prend le pari devant vous, cette action " au long cours " permettra de conforter le réseau de solidarité irremplaçable des élus locaux, au service d'une France humaine, moderne et dynamique.
(1) 80 milliards de recettes fiscales supprimées depuis 1998, soit 20 % du produit total des ressources fiscales propres des collectivités locales (400 millions de francs).
(Source http://www.senat.fr, le 22 novembre 2000)