Déclaration de M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire, sur les conclusions de la mission parlementaire sur la définition pénale de l'inceste, Paris le 27 juillet 2005.

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Circonstance : Remise du rapport de la mission parlementaire "Faut-il ériger l'inceste en infraction spécifique ?", présidée par Christian Estrosi, au ministre de la justice, le 27 juillet 2005

Texte intégral

Monsieur le Ministre de la Justice,
Mesdames et Messieurs les membres de la mission parlementaire,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec une très grande joie que j'ai l'honneur de vous présenter le résultat d'un travail de longue haleine. J'ai en effet été chargé par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, le 3 janvier 2005, d'une mission parlementaire sur le thème " Faut-il ériger l'inceste en infraction spécifique ? ".
Je tiens ici à remercier tout particulièrement Pascal CLEMENT d'avoir organisé cette remise de rapport.
Cela témoigne de l'intérêt que porte le Garde des Sceaux aux victimes.
Cette mission est le fruit d'une rencontre avec les associations de victimes de l'inceste. Elles m'ont alerté sur les imperfections de la pénalisation de l'inceste et j'ai répondu présent à leur appel. Pourquoi ? Tout simplement parce que leur douleur a rencontré ma révolte. Nous avons alors eu envie d'agir ensemble. D'abord par l'intermédiaire d'une proposition de loi que j'ai porté, à laquelle plus de 190 parlementaires se sont associés. Ensuite par cette mission parlementaire que m'a confiée le Garde des Sceaux.
Les associations se sont très fortement investies à mes côtés, et je tiens à les remercier tout particulièrement pour leur courage, leur force et leur ténacité.
J'espère que ce rapport est digne de leur confiance. Il est un peu un hommage rendu à leur combat.
Si l'inceste a été érigé au rang de tabou, il n'est malheureusement pas une pratique si rare. En France, environ 20 % des procès d'assises concerneraient des infractions de type incestueux commises sur des victimes de tous âges, principalement mineures. D'autres pays, à l'image du Canada, de la Grande-Bretagne ou de l'Espagne se sont emparés de ce problème bien avant nous, il était temps que la France suive leur exemple.
Ces actes ignobles mettent non seulement en péril la structure familiale, mais constituent en plus l'une des violations les plus absolues des droits de l'enfant.
En s'acharnant sur leur corps, en niant leur statut, en les reléguant au rang de simple poupée, les parents incestueux brisent ce qu'il y a de plus précieux : l'innocence d'un être fragile qui mettra une vie à se reconstruire.
Il est de notre devoir, de notre responsabilité de tout faire pour empêcher cela, dans l'intérêt de nos enfants et de la société.
C'est pourquoi je me suis fixé trois objectifs lors de ce rapport :
Tout d'abord, évaluer les catégories juridiques d'auteurs et de victimes d'actes incestueux.
Ensuite évaluer la prise en compte par le droit pénal du particularisme des actes incestueux.
Enfin évaluer l'état de la répression des actes incestueux.
Cette triple évaluation m'a permis de me rendre compte que la protection des victimes dans ces cas spécifiques était plutôt bien assurée, malgré quelques défaillances ici ou là.
Mais là n'était pas l'objet de la mission. L'objet véritable était de mieux préciser ce phénomène juridique et de mieux éviter la récidive.
1. Je crois tout d'abord que la définition juridique des auteurs et victimes des actes incestueux méritait d'être précisée.
Nous savons tous que le code civil interdit le mariage entre certains membres d'une même famille. Je ne développerai pas ces règles, qui n'ont qu'une valeur d'éclairage pour le sujet qui nous préoccupe.
Ceci étant dit, comment appréhender les auteurs des actes incestueux ? Le code pénal les définit en renvoyant en fait à deux catégories de personnes.
La première concerne les ascendants de la victime, c'est-à-dire ses parents et autres aïeuls, qu'ils soient légitimes, naturels ou adoptifs.
La seconde vise les personnes ayant autorité sur elle. Lorsque cette autorité est de droit, la simple constatation de la qualité de l'agresseur suffit pour aggraver la peine. En revanche, lorsque l'autorité est de fait, il est nécessaire de la justifier par des éléments de faits précis.
J'ai jugé qu'il était opportun de maintenir ces dispositions, en raison de la souplesse du concept d'autorité, qui permet de prendre en compte l'évolution de la cellule familiale.
Néanmoins, par souci de coordination avec les dispositions civiles sur le mariage et le pacte civil de solidarité, je propose d'introduire dans le code pénal la notion d'" atteintes sexuelles incestueuses ", qui entraînerait l'application de certaines peines complémentaires.
En ce qui concerne les victimes, le degré de protection actuellement proposé varie en fonction de son âge.
Pour les personnes majeures, les règles de droit commun demeurent applicables aux actes d'inceste.
Tel n'est pas le cas pour les mineurs, qui bénéficient d'une protection renforcée. En deçà du seuil de la majorité dite " sexuelle ", actuellement fixée à quinze ans, l'atteinte sexuelle permet de réprimer tous les actes commis sur un mineur par un adulte sans violence, menace, contrainte ou surprise.
A la différence des jeunes enfants, la protection des mineurs de plus de quinze ans est restrictivement circonscrite au périmètre incestueux.
2. J'ai ensuite pu constater que l'appréhension juridique du particularisme des actes incestueux reste incomplète.
Les textes actuellement en vigueur répriment les faits incestueux au travers de trois catégories d'infractions : le viol, les agressions sexuelles autres et les atteintes de cette nature. Hormis pour ces dernières, le juge est tenu d'examiner si le consentement de la victime n'a pas été vicié par la violence, la menace, la contrainte ou la surprise.
Or, cette recherche fait fi du contexte particulier dans lequel l'inceste s'inscrit. En effet, la qualité des protagonistes (agresseur-adulte, victime-enfant) et le lien familial les unissant rendent inhérents la contrainte morale ou la surprise du consentement de la victime, tout particulièrement lorsque cette dernière est âgée de moins de quinze ans. C'est ce que l'on appelle le phénomène d'emprise.
Afin de pallier cette difficulté, je propose donc de préciser la définition de la notion de contrainte dans le cadre des agressions sexuelles de nature incestueuse. Celles-ci pourraient notamment se déduire du fait que la victime n'a pas encore atteint l'âge de la majorité sexuelle et que son agresseur est son ascendant ou une personne ayant autorité sur elle.
Par ailleurs, je suis également parvenu à la conclusion que l'idée de créer une incrimination unique, regroupant l'ensemble des faits d'inceste, ne peut être acceptée. En effet, la sanction, par exemple, d'une simple caresse serait disproportionnée par rapport aux autres infractions.
3. C'est pourquoi un ajustement, et non une révolution, de la répression des actes incestueux est nécessaire.
La répression des actes incestueux a été abordée sous trois angles principaux : la prescription de l'action publique, les peines principales et les peines complémentaires.
Il serait inopportun de modifier le régime de la prescription de l'action publique applicable à ce type d'infractions. En effet, une loi récente à porté de dix à vingt ans, à compter de la majorité de la victime, le délai durant lequel cette dernière peut déposer plainte.
Les peines encourues et prononcées en France pour les crimes et délits de nature sexuelle sont déjà parmi les plus élevées d'Europe. Il n'est donc pas nécessaire d'aggraver la répression en ce domaine.
Cette question se posait principalement pour le crime de viol commis sur un mineur de quinze ans par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime. En effet, cette infraction est la seule actuellement à ne pas prendre en compte le cumul des deux circonstances tenant à la minorité de la victime et à la qualité de l'auteur, à la différence des autres agressions sexuelles.
Toutefois, il aurait fallu relever de vingt à trente ans le quantum de la réclusion criminelle encourue, ce qui serait revenu à placer le viol incestueux au même niveau de répression, par exemple, que le meurtre. Ce risque de disproportion justifie donc le maintien du niveau de la peine actuellement prévue.
En revanche, il me paraît indispensable de procéder à l'ajustement de la répression du délit d'atteintes sexuelles commises sur un mineur de plus de quinze ans par un ascendant ou une personne ayant autorité sur la victime, d'où la proposition du rapport de relever de deux à cinq ans le quantum de l'emprisonnement encourue.
Afin de prévenir la récidive non seulement à l'égard de la victime initiale, mais également d'autres enfants, je propose de rendre automatique, à l'encontre de la personne reconnue coupable d'un viol, d'une agression sexuelle autre ou d'une atteinte sexuelle incestueuses, le prononcé des deux peines complémentaires suivantes :
- En premier lieu, l'interdiction de plein droit d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec les mineurs ;
- En second lieu, l'obligation, le cas échéant, pour la juridiction de jugement de se prononcer sur le retrait total ou partiel de l'autorité parentale.
Enfin, il me semble que ce dispositif pourrait utilement se compléter par l'instauration d'une nouvelle interdiction : celle d'entrer en contact avec la victime, par quel que moyen que ce soit. La violation de cette nouvelle infraction constituerait un délit autonome.
Conclusion
Mesdames et Messieurs, voilà l'état de mes réflexions sur ce sujet grave. Tout au long de cet exposé, je me suis efforcé d'être précis et concret. C'est à ce prix que nous pourrons améliorer la situation des victimes et mieux prévenir la récidive.
Les infractions incestueuses sont par nature des infractions de récidive. C'est l'aboutissement d'un long processus psychologique qui transforme une relation filiale ou quasi filiale en une relation sexuelle, par une graduation lente et perverse.
Soyez convaincus que je reste, malgré mes nouvelles fonctions, mobilisé sur cette question. Je refuse que la douleur soit synonyme d'oubli et je me battrai pour faire respecter les droits des victimes.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 3 août 2005)