Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et président de l'UMP, sur la sanction des violences conjugales, la prévention de la récidive par l'obligation de soins et l'aide juridictionnelle aux victimes, Paris le 7 mars 2006.

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Intervenant(s) : 
  • Nicolas Sarkozy - Ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et président de l'UMP

Circonstance : Ouverture de la table-ronde sur les violences conjugales, à Paris le 7 mars 2006

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

merci à vous toutes et à vous tous d'avoir participé à ce débat sur les
violences conjugales ; j'ai tenu à ce que cette discussion soit
organisée ici, au ministère de l'intérieur, sur ce sujet. Pourquoi ?
Parce que c'est trop facile de célébrer partout en France la journée de
la femme, en oubliant des choses qui concernent les femmes et dont on
ne veut pas parler. Et les violences conjugales, elles sont le
quotidien de centaines de milliers de femmes. Ce n'est pas un phénomène
nouveau, mais on a certainement tardé à en prendre conscience. Nous
devons à la vérité de dire que la France est en retard sur les autres
pays voisins, qui ont accepté de regarder les choses en face depuis
cinq ans, et même dix ans pour certains. En Autriche, depuis 1996, le
juge civil peut ordonner à un homme agresseur de quitter le domicile
conjugal, même s'il en est propriétaire. En Allemagne, depuis 1997, on
sanctionne le viol à l'intérieur du couple, une notion jusque là
moralement impensable.
Ce que nos voisins ont fait, nous devons le faire aussi. Le tout récent
rapport d'Amnesty international nous interpelle sur ce sujet. Je ne
suis peut être pas d'accord avec tout le contenu de ce rapport, mais je
partage le constat de l'urgence à agir.
Peut-on dire que nous ne sommes pas au courant du phénomène ? On l'a
certainement longtemps sous estimé, mais aujourd'hui, nous avons des
chiffres. L'observatoire national de la délinquance nous donne cette
année une idée précise de ce qui se passe. En 2004, il a été constaté
35 000 violences non mortelles et 154 violences mortelles . Toutes les
formes de violence ont augmenté depuis deux ans : les viols, les
homicides et tentatives d'homicides, les coups et blessures.
Il n'est donc pas question de se retrancher derrière l'ignorance d'un
phénomène qui serait difficile à appréhender. Et encore ces chiffres ne
reflètent-ils évidemment que les faits constatés. Les violences
conjugales ont bien sûr leur " chiffre noir".
Alors pourquoi est-il si difficile d'en parler ? Tout simplement, parce
qu'on a peur, et parce qu'on a honte.
On a peur, parce que l'on touche à la sphère privée, et qu'on trouve de
la violence, parfois très grave, là où on devrait trouver de la
confiance. On a peur aussi parce qu'on s'aperçoit que ce n'est pas un
phénomène ponctuel, marginal, qui serait lié à la pauvreté, à la
maladie, où à un environnement lui-même violent. Les chiffres provenant
d'enquêtes nous montrent que c'est une femme sur dix qui subit des
violences chez elle. Il semble même que les milieux favorisés soient
plus touchés que les autres. Et si la violence conjugale fait peur,
c'est aussi parce que n'est pas une violence "banale " : chaque mois ce
sont entre dix et quinze femmes qui meurent sous les coups de leur
conjoint ; c'est une réalité difficile à concevoir parce qu'on la voit
rarement, et parce que la vie sociale la cache. Mais c'est la réalité,
et vous tous qui êtes ici vous le savez bien.
C'est pour cela aussi que les violences conjugales font honte.
D'ailleurs seulement 13% des femmes concernées dénoncent cette
agression, et seulement 8% portent plainte. Reconnaître que son
conjoint est violent, le dénoncer, est une démarche qui jusqu'à présent
paraît trop douloureuse. Même si une aide extérieure est indispensable,
elle est encore vécue comme une ingérence dans la vie privée. Et puis
elle pose cette question redoutable : comment vivre autrement, comment
vivre ailleurs, comment emmener ses enfants à l'abri, avec quels
moyens, avec quel soutien ?
Je le redis, je considère que cette situation est inacceptable dans
notre pays. Mais je dois aussi à la vérité de dire que dans les autres
pays d'Europe, et ? j'insiste ? au Nord comme au Sud, la même chose
existe. Le phénomène existe autant en Grande Bretagne qu'aux Pays Bas
ou en Espagne. Je ne dis pas cela pour minorer le phénomène, mais pour
mieux le cerner. En effet, tout cela nous prive des clichés habituels
sur le machisme de l'homme latin, ou sur l'émancipation réussie des
femmes du Nord.
Il nous faut reconnaître que la cause des violences réside dans la
difficulté de la vie à deux, qui peut prendre des formes très
différentes. Nous sommes face à des situations familiales,
personnelles, affectives dans tous les cas, qui sont loin d'être toutes
les mêmes ; la preuve en est d'ailleurs qu' une femme sur deux, après
avoir traversé une période aïgue de violence et de séparation, souhaite
reprendre la vie commune. Tout le monde n'a donc pas la même histoire
ni les mêmes réactions. Et les hommes violents ? car dans 90% des cas,
c'est l'homme qui est l'auteur des violences ? ne le sont pas tous de
la même manière et pour les mêmes raisons.
Mon rôle en tant que ministre de l'Intérieur n'est pas d'expliquer les
violences conjugales. Mon rôle est d'en prendre la mesure, et d'agir,
dans l'objectif très simple de protéger les victimes, et aussi de faire
qu'il y en ait de moins en moins.
J'ai d'ailleurs déjà commencé à le faire, en inscrivant dans le projet
de loi de prévention de la délinquance plusieurs mesures spécifiques
aux violences conjugales qui me paraissent indispensables.
Particulièrement quatre d'entre elles.
D'abord, la dissuasion. Même si elles ont évidemment une explication
psychologique, comme tous les comportements humains, les violences
conjugales ne doivent en aucun cas être tolérées ou minimisées. Elles
sont une forme de barbarie, d'autant plus difficile à combattre qu'elle
reste cachée aux yeux du monde. Je souhaite donc que le lien affectif
qui existe entre les conjoints ou compagnons de vie soit, non pas une
circonstance atténuante, ni même indifférente mais au contraire une
circonstance aggravante des faits de violence. La confiance qui doit
exister dans un foyer, la dépendance matérielle entre les conjoints, la
présence d'enfants, sont autant de raisons de considérer les faits de
violence comme plus graves encore qu'ailleurs.
Je veux lutter contre la banalisation des violences conjugales par
l'aggravation des sanctions. Dans les faits, les auteurs de violences
conjugales condamnés encourent principalement des peines
d'emprisonnement avec sursis. Même en cas d'homicide involontaire, dans
la majorité des cas, les conjoints reconnus coupables ont été
sanctionnés d'une peine correctionnelle, donc à moins de dix ans
d'emprisonnement.
Je souhaite que désormais les conjoints ou compagnons, anciens ou
actuels, voient leur peine aggravée quel que soit le délit ou le crime
qu'ils ont commis. Ce sera le cas notamment pour les agressions
sexuelles, qui elles aussi peuvent se dérouler au sein du foyer. Ce
sera le cas naturellement pour les mutilations, les actes de torture et
de barbarie, allant jusqu'à l'homicide.

Je veux aussi protéger les victimes. Pour qu'elles dénoncent les faits
de violence, les femmes doivent avoir une solution de vie alternative.
Et la première solution est l'éloignement immédiat du conjoint.
Ce qui est très important, et qui n'est pas prévu aujourd'hui, c'est
qu'on intervienne, non pas après les poursuites, mais avant. On doit
donner au procureur de la République la faculté de prononcer
directement l'éloignement du conjoint violent; cette mesure devrait
pouvoir être prononcée dès qu'il est informé par l'officier de police
judiciaire.
Je veux également prévenir la récidive .Il faut pouvoir imposer à
l'homme violent de se soigner, sinon rien n'empêche évidemment que les
choses ne recommencent comme avant.
C'est pourquoi, dans le cadre d?un placement sous contrôle
judiciaire, c'est à dire dans la phase pré-sentencielle, le juge d'
instruction ou le juge des libertés et de la détention provisoire doit
être en mesure d?ordonner au mis en examen de suivre une thérapie. Une
évaluation au moment du procès lui-même permettra d?apprécier les
efforts accomplis par le prévenu et les risques de le voir réitérer ses
actes violents. Evidemment les mêmes mesures pourront être prescrites
après la condamnation Tant qu'on n'a pas garanti à la victime qu'elle
ne serait pas persécutée à nouveau, encore une fois c'est comme si on
n'avait rien fait.

Je veux enfin aider véritablement les victimes, qui sont dans des
situations matérielles et psychologiques souvent insupportables, et qui
souvent n'ont pas ou peu de soutien. Je souhaite que soit instituée une
assistance performante pour les victimes en ce qui concerne le recours
à l'avocat.

Il faudrait pour cela modifier la loi relative à l'aide
juridictionnelle, sur deux points.
Il s'agit de garantir à la victime le concours d'un avocat formé à l'
assistance aux justiciables victimes de violences sexuelles. De même,
il n'est pas acceptable que les victimes d'agressions sexuelles,
surtout lorsqu'elles sont mineures, se voient privées de l?assistance
d'un avocat au motif que leurs parents justifient de ressources
suffisantes pour ne pas ouvrir droit à l'aide juridictionnelle. Il ne
faut pas qu'au traumatisme de l'infraction vienne s'ajouter un
sentiment d'abandon de la part de la société. Cette mise à l?écart des
conditions de revenus est d'autant plus justifiée que l?auteur peut
être le parent de la victime.
Et puis je veux que soit mis en place, en relation avec le Ministère de
l'intérieur, un véritable réseau de prise en charge des victimes de
violences conjugales. J'ai créé au Ministère de l'intérieur, en octobre
dernier, une délégation aux victimes, pour changer les mentalités, et
mettre les victimes au coeur de nos préoccupations. J'ai demandé la mise
en place de psychologues dans les commissariats de police. C'est
difficile, c'est même parfois insurmontable pour une femme de venir
raconter qu'elle a été battue ou violée, devant un guichet, devant un
bureau, parfois en public, sans assistance.
Je veux aussi que les forces de sécurité soient en relation constante
avec les associations spécialisées dans les violences conjugales. Il
nous faut être présents partout en France, au plus près des femmes,
pour intervenir efficacement. Et c'est pour cela que je vais signer
dans un instant une convention avec les deux grands réseaux
d'associations spécialisées dans la lutte contre les violences au sein
du couple. Ce n'est pas une déclaration d'intentions, c'est un
engagement réciproque très important.
Quel est notre objectif commun ? C'est que toute personne se présentant
dans un service de police ou de gendarmerie, se déclarant victime de
violence conjugale, ou de violence faite aux femmes, puisse être
accueillie, prise en charge, et s'il le faut orienter vers une des
associations signataires. Ces associations vont créer un vrai
partenariat avec les forces de sécurité, qui ira de la formation des
policiers et des gendarmes, jusqu'à la présence dans les locaux des
forces de sécurité dans certains cas. Ce dispositif fera l'objet d'une
évaluation chaque année par les deux partenaires. C'est comme cela, et
comme cela seulement, que nous allons pouvoir changer le sort des
victimes, et c'est cela notre priorité.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire sur ce
problème des violences conjugales. Je veux à la fois que nous soyons
beaucoup plus fermes dans notre réponse face aux agresseurs, et
beaucoup plus imaginatifs dans notre réponse face aux victimes. Plutôt
que de donner des leçons à tous ceux qui ne respectent pas les droits
de l'homme dans le monde, même s'ils sont nombreux, je propose de faire
en sorte qu'en France ces droits de l'homme, et donc de la femme,
soient pris en compte et soient respectés. Faisons en sorte que d'ici à
la prochaine journée de la femme, en 2007, de vrais progrès soient
réalisés, cela nous fera honneur à tous.

Source http://www.interieur.gouv.fr, le 10 mars 2006