Déclaration de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur la poursuite de la décentralisation, notamment par l'aménagement durable du territoire, la coopération intercommunale et la réforme de l'action économique des collectivités locales, Lille le 16 avril 1999.

Prononcé le

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Circonstance : Réunion de l'Association des maires du Nord à Lille le 16 avril 1999

Texte intégral

Seul le discours prononcé fait foi
Monsieur le Président,
Messieurs les députés,
Mesdames, Messieurs les maires,
Permettez-moi tout dabord de remercier votre président, Monsieur Jean-Pierre DECOOL, de mavoir invité à mexprimer sur lactualité de la décentralisation ici, à Lille, devant vous, élus du département le plus peuplé de France.
En ce début dannée, lordre du jour parlementaire est en effet marqué par la discussion de deux projets de loi portant lun sur laménagement durable du territoire, lautre sur lintercommunalité : ils seront suivis dans quelques temps par le projet de réforme de laction économique des collectivités locales que je prépare.
Trois textes, donc, qui attestent bien de la volonté de ce gouvernement de poursuivre la décentralisation engagée en 1982 et de préserver léquilibre du territoire.
Trois textes, qui se complètent et relèvent dune philosophie cohérente dans laquelle je me reconnais, tout comme lensemble des membres de ce gouvernement : moderniser lorganisation et la gestion du territoire pour la rendre plus efficace au service de nos concitoyens.
Cette politique pourra dailleurs sappuyer dans la durée sur les travaux du conseil national de lévaluation des politiques publiques que jai installé le 16 février dernier. Présidé par Monsieur COUSQUER, il mettra à la disposition de tous les informations nécessaires pour apprécier lefficacité des politiques publiques. Louverture de ce dispositif aux collectivités locales prend acte quil nest plus de politique de lEtat auxquelles celles-ci ne se trouvent associées et que nombre dentre elles recourent déjà couramment à lévaluation. Ce dispositif contribuera à une plus grande lisibilité de la vie publique.
Les trois projets de loi que jai évoqués sappuient sur un même constat : aujourdhui, un nombre croissant de politiques publiques ne peuvent être conduites quà un niveau supracommunal, dans des champs territoriaux qui ne recouvrent pas nécessairement les découpages administratifs ou électifs traditionnels : lavenir est à la coopération intercommunale, à la mise en commun volontaire des moyens.
Les élus locaux doivent savoir passer dune situation de concurrence, ce qui conduit parfois à la neutralisation des initiatives, à la définition de nouveaux périmètres, pays et agglomérations, qui nont dautre vocation que de favoriser lémergence de projets collectifs. Tel est lun des points essentiels de la LOADDT préparée par ma collègue Dominique VOYNET. Il ne sagit nullement de créer de nouveaux espaces qui viendraient se substituer aux collectivités existantes et, en particulier, aux départements. Les départements conservent toute leur place dans larchitecture territoriale de la France.
Cette actualité législative suffit à marquer, alors même que la décentralisation approche de lâge de sa majorité, combien le grand mouvement lancé par Gaston Defferre en 1982 reste une dynamique qui est loin davoir épuisé tous ses effets.
La décentralisation nest pas un état mais un processus toujours inachevé, la recherche permanente dun compromis entre les trois termes de léquation territoriale : les libertés locales, lunité nationale et lefficacité administrative.
Nul ne discute plus le principe de la décentralisation en raison de son succès. Il est tout-à-fait erroné de parler de lamorce dune recentralisation rampante. Ce gouvernement se situe dans le droit fil des lois de 1982. Lheure est donc bien à lapprofondissement de la décentralisation à la française. Mais il faut aussi corriger certains dysfonctionnements, prendre en compte les évolutions de notre société pour moderniser la vie publique.
Des réformes sont indispensables pour recréer des solidarités mises à mal par la crise économique, pour renforcer le pacte républicain.
1. Réformer lEtat pour renforcer le pacte républicain
La décentralisation constitue bien une grande réforme de lEtat, tant il va de soi que lEtat nest pas à opposer aux collectivités territoriales : lEtat est tout à la fois national et territorial.
Les pouvoirs publics, globalement entendus, ont en charge à la fois lintérêt national et les intérêts locaux.
Lun des fondements du pacte républicain est bien légalité daccès aux services publics.
Et jentends par services publics non seulement les services de lEtat, mais, bien sûr, aussi ceux des collectivités territoriales et ceux qui sont gérés par des personnes morales diverses, de droit public ou de droit privé, et qui, pour nos concitoyens, font partie de la même offre dun service public. Force est de constater que lévolution spontanée joue au détriment des territoires les plus fragiles.
Seul lEtat peut mettre en oeuvre les nécessaires régulations pour réduire des déséquilibres de plus en plus mal supportés par nos concitoyens en milieu rural comme en milieu urbain.
Déséquilibre dans les recettes, qui appelle un renforcement de la péréquation entre collectivités ; déséquilibre dans la capacité des services territoriaux de lEtat à traiter des questions de société comme le chômage, la lutte contre lexclusion, la sécurité...
Ces grands problèmes nécessitent une approche nouvelle de lintervention publique. Il importe de favoriser un traitement interministériel de ces dossiers y compris et dabord au plan départemental et régional sous limpulsion des préfets.
Tel est, par exemple, le cas de lévolution territoriale des services publics, cest-à-dire du problème posé par le cumul de décisions de redéploiement frappant une même commune : à ce sujet une importante mesure a été prise lors du CIADT du 15 décembre dernier. Dorénavant, une concertation préalable sera organisée sous la responsabilité du préfet qui disposera dun pouvoir suspensif.
Considérée dès 1982 comme une simple conséquence logique de la décentralisation, la déconcentration constitue aujourdhui un outil de modernisation de ladministration et lun des axes essentiels de la réforme de lEtat à laquelle je travaille avec détermination.
Cest en effet aux services déconcentrés que sadressent directement nos concitoyens et les élus locaux. Cest donc au niveau local que simpose concrètement à lEtat la nécessité de passer dune logique de moyens à une logique de résultats.
La plupart de mes collègues ont déjà procédé à la réorganisation de leur ministère. La déconcentration constitue donc bien un progrès collectif. Des expérimentations sur des projets territoriaux sont déjà en cours dans cinq départements.
Les conditions, au nombre desquelles je compte laccord des élus locaux, me paraissent donc réunies pour réussir rapidement.
Les « maisons de services publics » constituent un autre bon exemple de lévolution des rapports entre services publics au bénéfice de nos concitoyens.
Leur encadrement juridique va être précisé dans le projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations qui a été examiné en première lecture au Sénat.
La mise en place des maisons de service public seffectuera sur la base de conventions qui en détermineront, notamment, les modalités de financement.
Ces maisons de services publics seront des services publics à part entière.
Jai même pour objectif darriver à ce que, grâce à lutilisation des nouvelles technologies de linformation et de la communication, elles constituent un modèle de services publics en pointe.
Toutes ces orientations sinspirent dun même principe : améliorer la coopération entre lensemble des décideurs publics locaux pour plus defficacité, pour favoriser les dynamiques créatrices demplois.
2 Approfondir la décentralisation : une démarche nécessairement pragmatique
Evitons, en effet, de nous laisser enfermer dans quelques débats stériles, convenus et, admettons-le, dépassés, dont notre pays a le secret, opposant les salariés du privé aux fonctionnaires, le rural à lurbain, Paris à la province, etc...
Pour cela, il nous faut prendre en compte la situation, certes imparfaite, que lhistoire nous a léguée : je songe, en particulier, à la répartition des compétences, au nombre des niveaux de collectivités locales et à la diversité communale.
a) Si vous me le permettez, jillustrerai mon propos de quelques exemples tirés du projet de loi sur la réforme de laction économique des collectivités locales.
Ce sera loccasion de clarifier quelques points, de lever quelques malentendus à propos dun texte préparé en étroite concertation avec les associations délus et avec un groupe de parlementaires de toutes sensibilités.
En matière de répartition des compétences, certains ont plaidé, dans un souci de simplification, en faveur de la constitution de blocs de compétences par niveau de collectivité. Cette proposition est séduisante en théorie. Seulement voilà, dans le domaine de laction économique des collectivités locales, par exemple, cette approche na pas résisté au choc de la réalité sociale et économique du pays tout comme à la volonté légitime des élus.
Ainsi, alors que, dans les textes, lintervention économique locale constitue une prérogative évidente de la région, on constate dans les faits que tous les niveaux de collectivités, bien souvent en sappuyant sur des bases juridiques fragiles, ont été appelés à sengager dans laction économique.
En effet, la crise économique a conduit les acteurs sociaux à soumettre les élus à une double contrainte :
dabord la pression des habitants qui, confrontés à la montée du chômage, se sont spontanément tournés vers les maires et les conseillers généraux pour obtenir une réponse en terme de création demplois ;
ensuite la pression des entreprises : les communes ont institutionnellement la maîtrise du foncier, ce qui les a nécessairement placées en première ligne face aux entreprises.
Il en résulte que pour la période 1995-1996 sur un total de 14 milliards daides, les communes occupent le premier rang (5,7 milliards), les régions le second (4,7 milliards) devant les départements (3,3 milliards). Cette réalité me paraît incontournable.
Faut-il pour autant, dans le souci louable de simplifier et rationnaliser notre système institutionnel, rouvrir le débat sur le nombre de niveaux de collectivités locales ? Personnellement, je ne le crois pas.
En effet, en France, la question du nombre des collectivités territoriales se pose depuis plus de deux cents ans, à la recherche dun compromis entre le nombre, la taille et les compétences.
Lissue dun tel débat serait dautant plus incertaine que, contrairement à quelques-uns de nos voisins, notre pays na pas fait le choix dune réduction drastique du nombre des communes. Cest notre principale spécificité en ce domaine.
Le maintien de plus de 36 000 communes crée un réseau dense de citoyens activement engagés dans la vie collective : on ne peut que sen réjouir pour la vitalité de la démocratie de proximité. Plus que jamais, les communes restent le pivot de lintégration sociale.
Pour autant, on ne peut nier que beaucoup de très petites communes ne disposent plus aujourdhui des moyens dassumer pleinement leurs responsabilités.
Il est donc sain que ces débats aient lieu, mais il ny a pas urgence à les trancher et surtout, ils ne doivent pas servir dalibi à linaction.
En matière de répartition des compétences, de nouveaux équilibres sont asurément à définir dans le sens dune plus grande lisibilité mais la démarche doit rester empreinte de pragmatisme si lon veut réussir : il ny a rien à gagner à opposer les niveaux de collectivités les uns aux autres.
Ainsi, en matière de transport, le succès de lexpérience de gestion décentralisée des dessertes locales conduite avec la SNCF dans six régions pilotes a incité mon collègue Jean-Claude GAYSSOT à proposer détendre ce dispositif à lensemble des régions.
Sagissant de laction sociale, la compétence des départements est incontestable mais doit être renforcée par une simplification des procédures : ainsi en va-t-il de la création dune couverture maladie universelle et des réflexions corrélatives à la question des contingents daide sociale.
Dans le domaine de lintervention économique des collectivités, il me paraît préférable dencadrer les pratiques pour les rendre compréhensibles par tous et plus transparentes plutôt que de vouloir contraindre la réalité à entrer dans un cadre faussement idéal.
Aussi, le projet de loi sur laction économique établit-il une série de ratios prudentiels protégeant les collectivités contre les pressions et les incitant à la mutualisation des risques : le montant total des subventions accordées aux entreprises ne pourrait excéder 5 % des recettes réelles de fonctionnement pour les communes ou les départements, 20 % pour les régions.
Par contre, lorsque la compétence en matière dintervention économique sera déléguée à un groupement, ce pourcentage pourra être plus élevé et représenter 50 % du budget du groupement.
Ce dernier point est particulièrement important puisque le projet de loi sur la coopération intercommunale préparé par mon collègue Jean-Pierre Chevènement prévoit que le développement économique sera lune des compétences exercées de plein droit par les différentes catégories de communautés, et, notamment, les communautés dagglomération.
Dans le même esprit, il est proposé détendre aux départements la faculté, actuellement ouverte aux seules régions, de participer au capital de sociétés de capital-investissement, mais dans la limite de 20 % du capital. Les régions, elles, conserveront leur capacité actuelle dintervenir à hauteur de 50 %.
Ainsi, tout en respectant la préeminence des régions en matière dintervention économique, ce système souple offre à lensemble des collectivités, tout en les incitant à se regrouper, la possibilité dintervenir en faveur des PME et des très petites entreprises suivant un système daides différenciées selon la taille des entreprises.
Encourager linitiative des élus, mieux répondre aux besoins des petites entreprises, tels sont les objectifs majeurs de mon projet de loi. Il sinscrit bien dans une perspective dapprofondissement de la décentralisation.
b) Pour mener à bien cet approfondissement de la décentralisation, les collectivités doivent pouvoir sappuyer sur une fonction publique territoriale de qualité, qui a déjà largement fait la preuve de sa compétence et de son dévouement.
Mais aujourdhui, lapprofondissement de la décentralisation appelle une intensification de la coopération entre administrations locales et services de lEtat.
Alors que certains suggèrent de découpler ces deux fonctions publiques et de soumettre les agents territoriaux à un régime de conventions collectives, je crois, au contraire, que ce nouveau contexte rend plus nécessaire que jamais létablissement dune réelle parité, qui ne signifie pas identité, entre fonction publique territoriale et fonction publique de lEtat.
Cest pourquoi jai retenu un certain nombre de propositions du rapport SCHWARTZ qui ont été soumises et approuvées au Conseil Supérieur de la Fonction Publique Territoriale lors de sa dernière réunion, le 31 mars.
Il sagit notamment de mesures améliorant la gestion des emplois supérieurs, de la possibilité pour les administrateurs territoriaux daccéder à des fonctions dadministrateurs civils par voie de détachement, de labaissement de plusieurs seuils démographiques (3500 pour les secrétaires généraux, 10.000 pour les secrétaires généraux adjoints), de lassouplissement des quotas de promotion interne, de la réforme et de la simplification des concours.
Laménagement et la réduction du temps de travail dans la fonction publique doivent répondre à des objectifs spécifiques qui sont avant tout lamélioration du service rendu aux usagers et la modernisation de la gestion des services publics.
Cest dans cet esprit que laccord salarial du 10 février 1998 prévoyait lélaboration dun état des lieux. Monsieur ROCHE ma remis son rapport le 10 février dernier. Jai aussitôt engagé une concertation avec lensemble des partenaires : organisations syndicales et, bien sûr, associations délus.
Le rapport a fait ou fera également lobjet dun débat au sein des conseils supérieurs des trois fonctions publiques.
Enfin, la décentralisation implique aussi un nouveau rapport au Droit pour concilier lexigence démocratique de transparence de la gestion publique et la demande de sécurité juridique émanant des élus et de leurs collaborateurs.
Le régime de la responsabilité civile et pénale est un sujet auquel vous êtes, à juste titre, particulièrement sensibles.
Je puis vous assurer que je suis personnellement, comme lensemble des membres du gouvernement, extrêmement attentif à ce problème. Ainsi, ma collègue, Madame Elisabeth GUIGOU, participera à un débat organisé sur ce thème au Sénat à la fin de ce mois.
Plus largement, depuis la disparition du contrôle a priori, les collectivités sont confrontées directement à lensemble dun édifice juridique que peu dentre elles ont la capacité dappréhender dans sa complexité. Il y a là une difficulté à laquelle il nous faudra trouver des réponses si lon ne veut pas que le sentiment dinsécurité juridique ne paralyse progressivement linitiative des élus. Lignorance ou la maladresse ne doivent pas relever du même traitement que la corruption, quil convient, bien évidemment, de sanctionner.
Dans cet esprit, lavant projet de réforme du code des marchés publics prévoit un dispositif visant à améliorer le conseil juridique et technique aux acheteurs publics.
Dautres pistes sont sans doute à explorer telles que la création par les collectivités de services juridiques à léchelon intercommunal...
Toutes les réformes que jai évoquées sélaborent en étroite concertation avec les élus et les grandes associations dans lesquelles ils se reconnaissent.
Toutes ont la même finalité : donner aux collectivités et à lEtat les moyens de mieux faire face à leurs responsabilités dans un pays en profond changement. Décentralisation et réforme de lEtat sont pour moi une même démarche républicaine.
(Source http ://www.fonction-publique.gouv.fr, le 26 avril 1999)