Interview de M. Christian Poncelet, président du Sénat, à France-Info le 28 octobre 1998 et RTL le 29, sur son approbation d'une limitation raisonnable du cumul des mandats et de la décision du gouvernement de renoncer à soumettre ce projet à référendum, sur les relations du gouvernement avec le Sénat et la modernisation du Palais du Luxembourg.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France Info - RTL

Texte intégral

Q - Nous sommes en direct du Palais du Luxembourg où les sénateurs examinent le projet de loi sur le non-cumul des mandats. C'est une réforme voulue par le Président de la République et plébiscitée par les Français. Et voilà que le Sénat vient, il y a à peine une heure, de voter contre le dispositif principal de ce projet. Pourquoi ?

- « Vous me paraissez bien audacieux lorsque vous dites que « cette réforme a été voulue – dans les termes où elle a été présentée – par le Président de la République ».

Q - Je n'ai pas dit « dans les termes » effectivement...

- "Qu'elle soit voulue par le Gouvernement, j'y souscris à votre explication. Je crois qu'il n'y pas de surprise. Le Gouvernement a déposé un projet, et nous avons fait connaître, depuis quelque temps déjà, notre appréciation de ce projet. Nous ne sommes pas, nous sénateurs, hostiles à la limitation des cumuls de mandats. Ceci est très clair. Alors qu'on présente bien souvent, une version différente, pour animer le débat certainement. Que disons-nous ? Nous disons que, bien sûr, il faut limiter les cumuls, puisqu'aujourd'hui, il se trouve que, par la décentralisation, les fonctions de président du conseil général, de président du conseil régional, de maire, se trouvent augmentées. Mais nous voulons une limitation qui soit raisonnée et raisonnable. Nous voulons que le législateur puisse conserver ses relations directes avec populations qu'il représente. Et c'est d'autant plus valable pour les sénateurs, dont je rappelle qu'ils ont – par la Constitution – l'obligation de veiller aux légitimes intérêts des collectivités territoriales. Ne dit-on pas, dans la Constitution que "Le Sénat est la Haute Assemblée des communes de France". Comment voulez-vous légiférer sérieusement – c'est un problème de bon sens – au bénéfice d'une collectivité territoriale, si vous n'en connaissez pas le fonctionnement ? Mais il n'y a qu'en France qu'une partie de la classe politique s'acharne à vouloir maintenir cette bizarrerie, tout de même dans l'ombre, qu'est le député-maire et le sénateur-maire ! Je ne suis pas certain – il faudrait faire un inventaire de tous les pays –, je ne suis pas certain qu'il n'y ait qu'en France où cette possibilité existe. Mais, écoutez, la France a ses traditions ; la France est attachée, bien sûr, à certains principes. Nous considérons qu'il pas souhaitable que le législateur – autorisez-moi cette expression – légifère en chambre, déconnecté des réalités de la vie quotidienne des Français ; qu'il soit totalement dépendant des formations politiques, qui pourraient orienter l'action du législateur dans telle ou telle direction qui ne serait pas conforme – et on l'a vu dans le passé – avec, bien sûr, des formations politiques puissantes, une loi proportionnelle qui ne permet pas de gouverner, et qui laisse bien sûr, toute autorité aux grandes formations politiques. Non ! Non ! Tout en étant dans une formation politique, surtout veillons à ce que, celui qui légifère – député ou sénateur – conserve, bien sûr, des relations directes avec les populations qu'il représente."

Q - Est-ce qu'on peut tout faire en même temps ? Regardez, au début du mois, à l'Assemblée, le Pacs a été victime, un vendredi, de l'absence des députés-maires qui s'occupaient en province de leurs administrés.

- "Je ne suis pas sûr que ce soit le cumul des mandats qui ait conduit certains parlementaires a être absents ce jour-là. Si vous m'autorisez une expression tirée, bien sûr, du paysage épique, je vous dirais qu'arrivant sur l'obstacle, certains parlementaires se sont défaussés. Car je constate une chose ; c'est que cette loi, concernant le Pacs, ne bénéficie pas de la meilleure appréciation, contrairement à ce qui est dit ici et là. Les députés, qui sont au contact des réalités, le député-maire qui rencontre journellement sa population, a dû entendre que, dans l'opinion il n'y avait certainement pas un avis positif. Donc il se dit qu'il est souhaitable que je ne sois pas là. J'ai connu cela dans le passé sur certains autres sujets. Ce n'est pas simplement valable pour telle ou telle formation politique, c'est valable pour l'ensemble des formations."

Q - Revenons au non-cumul des mandats. Vous êtes soulagé qu'il n'y ait plus de référendum envisagé sur le sujet par le Gouvernement ?

- "Dès l'instant où j'ai entendu certains représentants du Gouvernement et certains représentants de formations politiques parler de référendum, je me suis élevé, bien sûr, contre cette intention et la décision qui a été prise récemment, de renoncer au référendum, me satisfait. Pourquoi ? Parce qu'elle légitime la démarche que j'ai faite auprès de M. Jospin pour condamner la déclaration faite par M. Hollande qui, entre parenthèses, considérait le Sénat "comme une formation" alors qu'il s'agit d'une institution. Et Je lui ai dit : "A quoi servirait le débat parlementaire si, dans le même temps, on voulait, bien sûr, imposer un référendum ?"

Q - En son temps, le général de Gaulle n'a pas hésité à se passer de l'avis des parlementaires pour consulter les français directement ?

- "Oui, c'était son choix. Et il les a consultés non pas sur une question électorale, il les a consultés sur la nouvelle vocation que pouvait avoir le Sénat. Et j'en profite pour vous dire..."

Q - Et vous avez voté d'ailleurs, "oui" au général, en 69, j'imagine M. Poncelet ?

– "Oui."

Q - Donc vous avez voté pour la suppression de l'institution que vous présidez ?

- "Non, ce n'est pas la suppression de l'institution à laquelle j'appartiens – je ne suis d'ailleurs pas le seul – qui ait voté "oui" et qui soit dans cette instance. Non, j'ai voté, bien sûr, pour une modification de l'institution, pour une réforme de l'institution, qui ne touchait pas au mode d'élection des sénateurs, qui ne touchait pas, bien sûr, à leurs différentes responsabilités. Mais qui élargissait le champ d'intervention..."

Q - Ça devenait une Assemblée consultative...

- "Pas totalement, pas totalement. Mais..."

Q - Un vrai marchandage, on le sent, va se mettre en route...

- "...Mais, mais, je vous fais observer qu'à l'époque à laquelle vous faites référence, une autre personnalité importante déclarait : "Le Sénat est une institution indispensable à l'équilibre des pouvoirs publics". Qui déclarait cela ? C'était M. Mitterrand. Je pense que MM. Jospin et ses collègues doivent s'en rappeler."

Q – M. Mitterrand qui avait été brièvement sénateur à une époque de sa vie...

- "Exact et par conséquent, ils ne doivent pas toucher à l'institution sénatoriale. Puisque vous faisiez référence à la période 69, cette période, ce référendum n'a pas porté chance à de Gaulle. C'est vrai, reconnaissons-le. Et M. Mitterrand, que je viens de citer, avait envisagé, lui aussi, un référendum à une certaine époque, sur l'Éducation nationale, Il voulait faire, je crois, un établissement public de l'Éducation nationale, qui portait atteinte à la liberté d'enseignement Le Sénat s'est élevé contre cela. Et il y a eu la menace du référendum et le Sénat a mobilisé la population qui a répondu positivement. Et M. Mitterrand, homme politique avisé, a retiré ce référendum. Permettez-moi de vous dire que, le Sénat, contrairement à ce que certains pensent, est en quelque sorte pour la population, surtout dans les périodes difficiles, surtout dans les périodes tourmentées, une sorte de garde-fou. Et j'entends bien souvent en cette période, la population dire : que pense le Sénat, que dit le Sénat ? Attention, ne touchez pas au Sénat !"

Q - Et quand L. Jospin, parle "d'une anomalie" que peut faire le président Poncelet pour que l'image du Sénat soit relancée, modernisée et rénovée ?

- "D'une part, je pense que ces propos de M. le Premier ministre, étaient pour le moins hasardeux. Et que certainement, mais ce n'est pas propre à M. Jospin, qu'il a eu en l'instant une défaillance de la mémoire, et qu'il ne se souvenait plus de ce que j'ai rappelé il y a un instant : la déclaration de M. F. Mitterrand. Mais qu'est-ce que je dis ? Je dis qu'il y a un effort à faire de communication de la part du Sénat, pour que nous portions à la connaissance des populations ce que nous faisons. J'observe, pour m'en réjouir, que dans les universités françaises, dans les universités étrangères, il est souvent pris en référence les travaux du Sénat, tellement leur qualité est excellente."

Q - En disant "non" à la réforme sur le cumul des mandats, réforme à laquelle tient tout particulièrement L. Jospin, le Sénat se lance dans une guerre de tranchées avec le Gouvernement ?

- "Non, pas de grands mots. Pas de grands mots. Nous n'avons pas dit "non", contrairement à ce qui est écrit et à ce qui est dit là. Quelle est la position du Sénat ? La position – l'expression va vous heurter – mais nous sommes pour une limitation des cumuls de mandats. Nous sommes pour. Mais nous ne souhaitons pas des dispositions qui soient excessives, nous ne voulons pas une démarche jusqu'au-boutiste…"

Q - Mais enfin, tout de même ?

- "Qu'est-ce que nous disons ? C'est très simple : nous disons, nous, sénateurs par exemple, par la Constitution, nous recevons l'obligation de veiller aux légitimes intérêts des collectivités territoriales, c'est écrit dans la Constitution : "le Sénat est la haute assemblée des collectivités territoriales". Voulez-vous me dire – c'est une question de bon sens – comment un élu qui n'aurait pas été confronté aux difficultés quotidiennes d'une collectivité territoriale, qui n'en connaîtrait pas tout le fonctionnement, peut légiférer sérieusement ? Comment peut-on défendre une institution à laquelle on n'appartient pas, au sein de laquelle on n'a aucune responsabilité ?

Q - Mais la réforme Jospin maintenait cela, puisque les sénateurs ou les députés auraient pu rester maire-adjoint ou vice-président d'un Conseil général ou régional ?

- "Allons ! Alors là, vous êtes en train d'encourager une démarche hypocrite. Pourquoi ? M. Jospin a recommandé à ses ministres de démissionner de maire pour pouvoir assumer très sérieusement leur mission ministérielle. Bien. A part une exception, si je regarde bien, tous les ministres qui ont démissionné se sont empressés de se faire élire par leur conseil municipal maire-adjoint, et de se faire donner par le nouveau maire une délégation totale de pouvoirs et pour certains maires – vous m'éviterez de donner le nom, par élégance – ils ont même conservé le bureau de maire qu'ils avaient auparavant."

Q - Alors, qui est la bonne exception, en revanche, dans l'autre sens ?

- "Nous disons ceci, nous : nous souhaitons qu'il y ait un mandat national et une fonction exécutive locale, point à la ligne."

Q - Mais en revanche, un ministre ne pourrait plus rester du tout membre d'un conseil municipal ?

- "Alors, c'est la raison pour laquelle nous avons voulu élargir les dispositions prévues par le projet de loi du Gouvernement, sur deux points : d'une part, nous disons : pourquoi ne pas prendre en considération les présidents de districts, les présidents de communautés urbaines, les présidents de communautés d'agglomérations, les présidents d'établissements publics ? Ceux-ci ne seraient pas concernés ! Autrement dit, j'ai interdit à un maire d'une commune de 5 000 habitants bien sûr d'être sénateur, mais j'ai autorisé un sénateur d'être président d'un district qui, lui, va compter 30 000 habitants. C'est quand même là une contradiction ! Ce n'est quand même pas le bon sens. Par ailleurs, pour les ministres, soyons clairs : nous avons fait une proposition de loi constitutionnelle pour dire : oui, un ministre sera ministre et il ne pourra plus se livrer à cette démarche hypocrite que je dénonçais il y a un instant."

Q - Très bien. Alors, pourquoi A. Peyrefitte, qui est sénateur RPR et puis c'est un expert du mal français - il avait écrit un livre fameux il y a plus de vingt ans là-dessus - nous a dit hier : moi, je suis pour la réforme Jospin, parce que ce que vous voulez maintenir, c'est une fâcheuse exception française ?

- "Votre observation me réjouit, elle confirme que le Rassemblement pour la République, auquel j'appartiens, est bien sûr composé d'hommes d'opinions diverses, n'est-ce pas, qui ont des appréciations variées sur certains sujets, et le Rassemblement a pour but de faire la synthèse de tout cela."

Q - Vous savez bien que cette réforme, elle est voulue aussi par les Français et largement ? Elle est très populaire.

- "Permettez-moi de faire référence..."

Q - Ils disent : les hommes politiques, ils veulent garder leur fromage, leur part de gâteau ?

- "Permettez-moi de faire référence à un passé qui, pour moi est un peu douloureux – j'étais jeune à l'époque – et je me souviens qu'au moment des accords de Munich, toute la France approuvait ces accords, à l'exception de quelques-uns, dont une forte personnalité, M. Cassin, qui s'y opposait violemment. Et, à l'époque, un homme politique avait dit : "qu'est-ce que c'est cette attitude, ce lâche soulagement !" La France applaudissait, la presse titrait : "Voilà ! nous sommes garantis pour cent ans de paix". Cent ans de paix, vous connaissez la suite. Donc, attention !"

Q - La réforme Jospin, ce n'est quand même pas Munich ?

- "Non, non, ce n'est pas Munich, mais attention aux opinions ! Il ne s'agit pas de gouverner au gré des opinions qui s'expriment. Et puis, par ailleurs, en ce qui concerne l'opinion, nous avons eu une élection, tout récemment, sénatoriale. Mais vous avez vu des maires se présenter à l'élection sénatoriale et être élus. C'est l'électeur qui décide. Nous sommes porteurs les uns et les autres de contradictions. Et par conséquent, allez dire : est-ce que vous souhaitez que votre maire soit sénateur ? Est-ce que vous souhaitez que votre maire ait des responsabilités ? Mais oui, mais bien sûr. Et ils éprouvent une très grande fierté. Regardez la fête que l'on fait à un Premier ministre lorsqu'il rentre chez lui ! Et la fierté est pour les populations."

Q - Comme il s'agissait d'une réforme constitutionnelle, pour que celle-ci puisse avoir lieu, il faut un avis favorable du Sénat. Alors, cela veut dire que la réforme n 'aura pas lieu ?

- "Pourquoi ? C'est une loi organique. Par conséquent, il faut qu'elle soit délibérée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Cela progresse..."

Q - Député-maire et sénateur-maire, ce sont des fonctions qui resteront possibles ?

- "Cela progresse tout doucement."

Q - Vous avez dit non, donc, cela n'aura pas lieu, sauf s'il y avait un référendum ?

- "Ce référendum, l'idée en a été lancée. J'ai vu que le ministre..."

Q - M Vaillant a dit qu'il n'était pas question.

- "Bon, par conséquent, vous voyez déjà : cette menace est retirée. S'il y a une bonne volonté..."

Q - Où va-t-on comme cela ? Parce que vous, là, vous avez parlé tout à l'heure de "démarche hypocrite" concernant les ministres, et à gauche, on dit : "Sénat ringard'. Les mots d'oiseau vont voler comme cela pendant des mois et des mois ?

- "Ah non, mais non. Moi, je suis un homme de dialogue, un homme de bonne volonté. Moi, j'ai dit que je n'appréciais pas le fait qu'on veuille bien menacer d'un référendum alors qu'il y a débat parlementaire. Et je crois que le bon sens..."

Q - Attendez, M Jospin avait dit : "le Sénat est une anomalie". "Démarche hypocrite", "anomalie"...

- "Vous donnez raison à M. Jospin d'avoir commencé à dire : le Sénat est une anomalie ? Moi, je ne lui ai pas demandé de me dire que le Sénat était une anomalie. Parce que s'il n'avait rien dit, je n'aurais pas réagi. Par conséquent, si je ne dis rien... Qui ne dit mot, consent. Donc, par conséquent, il était bien normal que je considère que l'expression était un peu hasardeuse."

Q - Il peut y avoir une mesure de rétorsion : c'est qu'avec le groupe socialiste qui est majoritaire à l'Assemblée nationale, il peut y avoir une réforme du mode d'élection des sénateurs ?

- "Oui, la loi organique, n'est-ce pas, nécessite que celle-ci soit votée dans les mêmes termes. La loi électorale, c'est une loi ordinaire."

Q - Voilà.

- "Mais on sait très bien que rien n'est définitif dans ce pays."

Q - Mais quand même !

- "Vous pourrez garantir la pérennité de la majorité d'aujourd'hui ?"

Q - C'est quand même une menace qui pèse sur le Sénat, non ?

- "Oui, mais il est beaucoup plus facile de changer une loi ordinaire que de changer une loi organique."

Q - Mais oui. C'est bien pour cela que la menace pèse sur le Sénat.

- "Oui, je vous le dis : elle peut être modifiée pour un temps, mais elle peut être modifiée ensuite."

Q - Alors, les autres réformes constitutionnelles : parité homme-femme, réforme de la justice, la même chose ? Vous allez vous heurter avec le Gouvernement de la même manière ?

- "En ce qui me concerne, je souhaiterais que très rapidement soit ratifié le Traité d'Amsterdam. Très rapidement. Il ne faut pas – autorisez-moi cette expression – charger la barque, parce que je ne voudrais pas que ce Traité, s'il n'était pas ratifié, vienne polluer les élections. Non, je crois qu'il faut aller très vite. Il y a un projet constitutionnel sur le Conseil supérieur de la magistrature. Je pense qu'on va être d'accord, puisque l'Assemblée nationale a repris le même texte que qui celui a été voté par le Sénat. Donc, le Sénat est bien utile."

Q - Et la parité homme-femme ?

- "Parité homme-femme, moi je suis d'accord. Je pense que le Sénat sera d'accord aussi, car il s'agit bien sûr d'exprimer un principe."