Interview de M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement, dans "Le Figaro" du 11 mars 1999, sur le nouveau statut du bailleur privé, le projet de loi sur l'habitat, la perspective d'une nouvelle baisse des droits de mutation, le financement du prêt à taux zéro, la sécurisation des accédants à la propriété, la réforme du droit du bail et le projet sur la gestion des copropriétés.

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LE FIGARO. — Vous êtes le secrétaire d'État au logement du gouvernement Jospin depuis bientôt deux ans. Quel est votre principal motif de satisfaction ? Quel est votre plus grand regret ?

LOUIS BESSON. — Je ne pratique pas le triomphalisme, mais je suis heureux d'avoir pu régler positivement des problèmes que beaucoup tenaient pour redoutables. Je fais allusion au changement de logique qu'imposait l'amortissement Périssol pour l'investissement locatif neuf, mesure puissante mais qui était limitée à deux ans. Je fais allusion aussi au financement des prêts à taux zéro pour l'accession à la propriété, pour lequel le financement par le 1 % logement prenait fin en 1998.

J'avoue que je redoutais ces deux dossiers et des discussions budgétaires délicates. Or les dispositifs de remplacement de ces mesures transitoires sont maintenant inscrits dans la durée : les bailleurs privés disposent désormais d'un statut stable : le 1 % logement se retrouve conforté dans son rôle, ce qui est très apprécié des partenaires sociaux, tout en dégageant le financement de la sécurisation de l'accession sociale à la propriété. Quant au financement des prêts à taux zéro, il est encore en partie assuré par le 1 % logement, avant un relais budgétaire qui va être pris comme prévu.

Mon regret est de n'avoir pas encore trouvé de solution pour la construction HLM. Celle-ci n'a jamais été aussi basse. Ce qui est lourd de conséquences pour le niveau de la construction et pour les candidats locataires, notamment les jeunes ménages, inscrits en grand nombre sur les listes d'attente dans un certain nombre de nos villes ou bourgs.

LE FIGARO. — Après bien d'autres chantiers, vous travaillez de pied ferme à l'élaboration d'un projet de loi sur l'habitat. Qu'y aura-t-il dans ce texte ?

— Il faut, dans l'habitat, retrouver plus d'urbanité, portée notamment par un véritable projet urbain. Or les outils de la construction ne sont plus adaptés à notre temps. Les principales dispositions du code de l'urbanisme datent des Trente Glorieuses et les procédures ou réglementations se sont empilées sans trop de cohérence et dans la plus grande complexité. Ainsi, nous assistons à la fois à un éclatement de la ville et à un étalement urbain. À titre d'illustration, on constate, par exemple, que la distance moyenne domicile-travail aura doublé sur vingt-cinq ans. Ce n'est pas acceptable. Pour des raisons d'économie d'espace et de développement durable, il faut, comme disent les spécialistes, reconstruire la ville sur la ville.

LE FIGARO. — Qu'allez-vous modifier concernant le droit de l'urbanisme ?

— Nous voulons simplifier et harmoniser les règles juridiques. Le droit de l'urbanisme devrait être davantage au service du droit de l'habitat, pour une ville que nous souhaitons « à la française », ou à « l'européenne », pas du tout sur le modèle américain. Nous allons tester nos idées de réformes lors de débats sur le terrain, qui vont se dérouler d'ici à l'été dans les régions. Un texte se voulant la synthèse de toutes ces réflexions sera alors mis au point et au début de l'automne, le Conseil d'État et le conseil des ministres seront saisis du projet, pour un débat devant l'Assemblée nationale, pour l'an 2000.

LE FIGARO. – Quelles sont vos prévisions pour cette année en matière de mise en chantier, d'autorisations et de ventes dans le neuf comme dans l'ancien ?

– Après une progression de 9 % en 1998, il est raisonnable de penser que les mises en chantier avoisineront, en 1999, la barre des 300 000. Le bâtiment redeviendra moteur de la construction avec au moins 10 000 emplois créés. Pour les ventes en investissement locatif, nous n'avons pas encore de pronostic, compte tenu de l'à-coup que représente toujours un changement de dispositif, une nouvelle formule – aussi attractive soit-elle – nécessitant un délai d'appropriation par les acteurs.

Dans l'ancien, selon les indications des professionnels, il y a eu 2,5 % de transactions de plus en 1998, à 529 000, et nous devrions approcher les 550 000, en 1999. Ce qui nous permettrait quasiment d'atteindre le niveau record de 1989.

LE FIGARO. — Ne craignez-vous pas, comme les promoteurs le redoutent, un moindre engouement pour le nouveau dispositif, et donc une baisse de la construction ? Quels sont vos pronostics, en matière de ventes, pour les mois qui viennent ?

— Si le nouveau dispositif est expliqué dans toutes ses dimensions, son intérêt est évident. Nous allons inspirer une démarche nouvelle d'investisseur, en invitant à la prise en compte d'une dimension plus sociale, certes, mais en y associant un dispositif de sécurisation de la perception des loyers. Je souligne que, sur une durée de quinze ans, l'amortissement possible — à hauteur de 70 000 francs/an — est de 65 % (contre 62 % avec l'amortissement Périssol, sur la même durée). Quant à la sécurisation, elle repose sur la perception possible de l'allocation logement du locataire directement par le bailleur, ainsi que sur l'apport du 1 % logement qui permettra, en cas de difficultés d'un locataire, de se substituer à lui, à hauteur de neuf mois de loyer par période de trois ans.

LE FIGARO. — La date limite pour bénéficier de l'amortissement Périssol, au 31 août 1999, est-elle ferme et définitive, ou les investisseurs peuvent-ils espérer quelques jours ou semaines supplémentaires de grâce ?

— Jusqu'à cette date, et depuis le 1er janvier, le dispositif ancien coexiste avec le nouveau, ce qui laisse déjà beaucoup de latitude aux investisseurs. Le « tuilage » des deux systèmes sur huit mois apporte beaucoup de souplesse.

LE FIGARO. — De même, le Gouvernement va-t-il revenir sur sa décision d'écarter les ascendants et descendants du bénéfice de l'amortissement Besson ?

— Je ne suis pas opposé à ce que l'on reconsidère cet état de fait, mais à condition de trouver une solution au problème suivant, que les services fiscaux ont soulevé. Vous avez un enfant étudiant et vous achetez dans une ville universitaire un logement bénéficiant de l'amortissement Périssol. Personne ne vous demande s'il paye réellement son loyer. Cet étudiant peut par ailleurs bénéficier d'une pension alimentaire fiscalement déductible et percevoir l'allocation de logement social. En additionnant tous ces avantages, on aboutit à un cumul d'aides publiques qui est choquant et ne sera plus admis.

LE FIGARO. — Pour en terminer sur cette question, allez-vous relever les plafonds de loyer — pourquoi pas à 90 francs/m2 — pour permettre aux investisseurs de profiter de votre amortissement dans certains arrondissements de Paris et dans le centre de quelques grandes villes, tout en favorisant la construction locative ?

— A 90 francs le mètre carré, une aide fiscale deviendrait discutable.
Comme, avec le statut du bailleur, nous mettons en place un dispositif pérenne, il ne paraît pas injustifié de chercher à peser pour resserrer les écarts de loyers dans notre pays. Aujourd'hui, nous sommes dans un rapport de un à trois entre les petites villes et Paris. Il serait bon que le rapport soit au maximum de un à deux. Je constate aussi que ces disparités de loyer s'accompagnent de ségrégations spatiales renforcées. Les corriger serait, là aussi, aller dans le bon sens.

LE FIGARO. — Donnez-nous quelques exemples de revenus plafonds des locataires qui entrent dans le champ de l'amortissement ?

— Pour un couple avec deux enfants en Ile-de-France, le plafond est un salaire net maximum de 31 300 francs et en province, de 24 600 francs. Selon, nos indications, cela représente près de 85 % des Français.

LE FIGARO. — Comment évaluez-vous l'impact de l'avantage fiscal pour l'amortissement locatif dans le parc ancien ? Quel est votre objectif en termes de nouveaux investisseurs ? Et combien de propriétaires vont-ils, selon vous, profiter du nouveau système ?

— Pour que l'on puisse parler d'un statut du bailleur privé, il faillait effectivement que l'on puisse élargir le dispositif au logement ancien. Pour l'ancien, le bailleur ou l'investisseur peut bénéficier d'une déduction forfaitaire portée à 25 %, sans parler, comme pour le neuf, de la possibilité de percevoir directement l'allocation logement de son locataire et de bénéficier d'une garantie de loyer, grâce au 1 % logement. Avec un parc privé locatif qui compte 4 millions de logements et qui connaît une rotation annuelle de 20 %, on estime que de 50 000 à 100 000 logements par an sont susceptibles d'entrer dans le nouveau dispositif de conventionnement chaque année.

LE FIGARO. — Dans quelles conditions conseillez-vous à un propriétaire de logement ancien, vide ou occupé, de se conventionner ?

— Le conventionnement devrait aller de soi, pour tout bailleur convaincu de la double fonction économique et sociale de l'acte de louer un logement. Sur le long terme, les bailleurs conventionnés ne peuvent que disposer d'une rentabilité convenable et d'une sécurité plus grande. Notre projet est vraiment d'aider à faire naître de nouvelles générations de bailleurs privés, et cela à partir d'une logique nouvelle reposant sur une reconnaissance dans la durée, de la part de la collectivité et dans l'intérêt des deux parties.

LE FIGARO. — À quelle échéance les droits de mutation des logements anciens devraient-ils encore baisser ? Le ministre de l'économie, Dominique Strauss-Kahn, a promis que cette réduction interviendrait avant 2002, dans un souci d'harmonisation européenne. À quel niveau de réduction peut-on s'attendre ?

— Comme l'a indiqué Dominique Strauss-Kahn, le Gouvernement est acquis à la nécessité de réduire les droits de mutations, dans un objectif d'harmonisation européenne. On peut observer que la moyenne européenne est comprise entre 4 % et 5 %. Et, comme le taux est déjà à 4,8 % en France pour les bureaux, j'apprécierais un alignement du taux à ce niveau pour les logements. Mais le prix à payer est élevé. La baisse de 1,6 point représente cette année 3,7 milliards de francs. Pour passer d'un peu plus de 6 %, situation que nous connaissons aujourd'hui, à 4,8 %, il en coûterait entre 2,5 et 3 milliards de francs.

LE FIGARO. — Pensez-vous maintenir tels qu'ils sont les prêts à taux zéro ? Comment comptez-vous les financer, à partir de l'an 2000 ?

— Après les quelques correctifs apportés au dispositif à la fin de 1997, pour tenir compte de la baisse des taux, aucune nouvelle modification n'est envisagée, ni dans un sens ni dans un autre. Dans la convention conclue avec le 1 % logement en 1998, l'État s'est engagé à rebudgétiser sur quatre ans les prêts à taux zéro. C'est ce qui sera fait, conformément à l'arbitrage qui a été rendu par le Premier ministre.

LE FIGARO. — Vous avez annoncé des mesures de sécurisation de certaines catégories d'accédants à la propriété. Qu'en attendez-vous ? Allez-vous les élargir à l'ensemble des accédants ?

— Les nouveaux souscripteurs d'un prêt d'accession social (PAS) — complétés ou non par un prêt à taux zéro — peuvent bénéficier d'une sécurisation de base pour des motifs de chômage. Et pour d'autres motifs, tels que la rupture familiale, s'ils sont salariés d'entreprises cotisantes au 1 % logement. Ce dispositif peut concerner de 100 000 à 110 000 familles chaque année. Ceux qui ont des prêts soumis à condition de ressources sont forcément les plus fragiles et ce sont eux que l'État souhaite le plus aider.

LE FIGARO. — Combien devrait rapporter la nouvelle taxe sur les logements vacants, en vigueur depuis le 1er janvier dernier ?

— Nous allons tout faire pour qu'elle rapporte peu. Je vais donc aller sur le terrain, dans les huit agglomérations concernées (610 000 vacants, dont 118 000 à Paris), pour expliquer, informer et inciter les propriétaires à relouer. Outre les nécessités sociales et d'intérêt général, je rappellerai que l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat peut aider à la remise en état des logements vacants et accorder une prime supplémentaire de 20 000 francs pour les bailleurs choisissant le conventionnement.

Avec des centaines de milliers de logements vacants, nous sommes confrontés à un problème de grande ampleur et l'État se doit de mettre en avant l'intérêt général, tant sous l'angle social (les personnes en quête de toit) qu'économique (menace de fermeture de commerces ou d'écoles, moins de taxe d'habitation perçue par les communes).

LE FIGARO. — La réforme du droit de bail entraîne une double imposition pour les bailleurs, avec un mécanisme de remboursement aléatoire. Qu'en pensez-vous ?

— La recherche de simplification souhaitée par tous présente une difficulté qu'il ne faut pas exagérer. En 1999, la taxe sera payée à l'occasion de l'imposition sur le revenu 1998. Or les bailleurs se sont déjà acquittés du règlement pour les neuf premiers mois de 1998. Ce qui donne l'impression de payer deux fois, sauf qu'ils régleront en l'an 2000 seulement le droit de bail de 1999. Je souligne qu'avec le système ancien les bailleurs auraient de toute façon dû payer la taxe en octobre 1999, pour les loyers de l'année en cours.
Le problème se pose essentiellement pour l'année qui suit une interruption de location. Prenons le cas d'un bailleur qui cesse de louer au 31 décembre 2002. Il aura payé en 2002 son droit sur l'année 2001. Pour qu'il n'y ait pas de paiement indu, il ne faut pas qu'en 2003 on lui réclame l'impôt sur 2002. La direction générale des impôts en convient tout à fait et met au point un système de remboursement qui devrait également tenir compte des cas de transmission du bien.

LE FIGARO. — Où en est le projet de loi tant attendu, qui doit donner plus de transparence à la gestion des copropriétés et que vous préparez en concertation avec la Chancellerie ?

— La loi de 1965, que l'on souhaite modifier, est du ressort du ministère de la justice. Nous réfléchissons avec la Chancellerie pour intégrer cette réforme souhaitée de la copropriété dans le projet de loi habitat. C'est un énorme travail, déjà pour partie engagé, mais qui nécessite encore une réflexion approfondie. Devrait notamment figurer dans la loi le principe d'un « plan comptable » susceptible d'homogénéiser la gestion des biens immobiliers. Nous aurons aussi à traiter le grave problème de la prévention des dégradations et dévalorisations des copropriétés.

LE FIGARO. — Comment, très concrètement, et études sociologiques provenant de vos services à l'appui, voyez-vous évoluer le logement des Français à l'avenir ?

— J'essaie de prendre au mieux en considération — dans une certaine mesure en les anticipant — les attentes des Français. On observe, année après année, que le pourcentage des ménages appréciant leur logement est en augmentation. Près de trois Français sur quatre (73 %) sont aujourd'hui satisfaits de leur habitat. Parmi les motifs d'insatisfaction, sont mis en avant des problèmes de normes, en particulier d'isolation phonique, ou de surface des pièces. Dans ce dernier cas, c'est souvent parce que leurs besoins en surface ont évolué, en fonction des événements de leur vie, et qu'ils ont le désir de déménager.

Une de mes priorités est de fournir davantage de logements adaptés aux aspirations des personnes âgées ou handicapées, dans un souci — réclamé par beaucoup — du maintien durable à domicile. Il faut aussi mieux prendre en compte les problèmes de santé dans le bâtiment et faire naître une offre architecturale plus diversifiée.

LE FIGARO. — Quels conseils donneriez-vous aux Français en matière de logement ?

— Avant de prendre une décision, je leur conseille de bien s'interroger, de bien se renseigner, afin d'évaluer au plus juste leurs attentes, leurs capacités financières. Le rêve de leur vie pour la maison ou l'appartement de leur choix ne doit pas les faire basculer dans le cauchemar. Dans cet esprit, nous renforçons le réseau des agences départementales pour l'information sur le logement (Adil), en vue d'un meilleur conseil, pour une réflexion plus qualitative en matière de logement.

LE FIGARO. — Quelle grande ambition avez-vous pour le logement du XXIe siècle ?

— L'ambition du Gouvernement est double : que les outils du droit au logement soient suffisamment efficaces pour que tous les Français puissent disposer d'un toit et qu'au-delà progresse aussi pour tous ce que l'on appelle le droit au logement « choisi ». Le logement est trop fondamental pour les personnes et les familles, pour qu'on puisse trouver normale une absence de choix et donc une sorte d'assignation à résidence... Cela implique que l'offre soit quantitativement et qualitativement améliorée, tout en étant plus accessible au plus grand nombre. Renouvellement du parc immobilier et constructions nouvelles doivent permettre la prise en compte d'aspirations nouvelles. Une évolution constante vers plus de confort, plus d'accessibilité, plus de qualité d'habitat et de cadre de vie, telles sont les contributions que peut apporter une ambitieuse politique du logement à l'objectif d'avoir des villes durablement habitables et des campagnes durablement habitées.