Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir, en ce début d’année, dans la salle des fêtes du ministère de l’intérieur. J’adresse à chacune et chacun d’entre vous des vœux de bonheur personnel et de réussite professionnelle.
Je saisi l’occasion qui m’est ainsi donnée de m’adresser à vous pour vous donner un aperçu de notre programme de travail dans les prochains mois, comme c’est la tradition de le faire en ces circonstances.
Quand j’ai pris mes fonctions au ministère de l’intérieur, j’ai dit que ce ministère devrait être celui de l’intégration républicaine. C’est l’orientation qui continuera à me guider. Quand je considère les difficultés auxquelles nous sommes confrontées, j’aperçois toujours, à leur source, un défaut de citoyenneté, une dégradation des valeurs de la République, une insuffisance du sentiment d’appartenance à la nation. Et malheureusement, ce n’est pas seulement le sentiment qui est en cause, mais souvent aussi, la réalité de l’intégration républicaine.
Je vous dirai seulement, ce soir, les priorités de mon action à venir.
1. La sécurité de proximité, c’est-à-dire, d’abord, la lutte contre le phénomène qu’on appelle les violences urbaines.
A. – Les causes de ce phénomène sont bien connues ; elles sont profondes ; le chômage, la précarité, les inégalités sociales, la pauvreté. Le malaise ainsi généré, le désarroi devant un horizon bouché, le désespoir et la détresse quelques débouchent inévitablement sur les révoltes irrationnelles. Les violences, qui ne visent pas seulement la police, mais aussi toute institution – pompiers, postiers, véhicules de transport en commune, établissements scolaires, etc. – ne sont évidemment pas orientées contre un adversaire politique ou social. Elle se retournent contre leurs auteurs, leurs familles, leurs voisins. Les illusions révolutionnaires ont vécu. Aucun mythe n’est plus à même de canaliser les explosions de la colère sociale. Il y a, dans ce réalisme, un progrès de la vérité dont on ne saurait se plaindre. Mais il faut en comprendre et admettre les conséquences.
Les difficultés que nous éprouvons à intégrer les jeunes issus de l’immigration s’ajoutent aux précédentes.
CE qui est ici en cause, ce n’est pas, comme on le dit trop souvent, la religion musulmane, ce qui n’est pas si éloignée du judaïsme, ni du christianisme : ces trois religions, qui ont des racines communes, sont de la même famille. Ce qui nous fait plutôt défaut, c’est la volonté d’intégrer de nouvelles générations nées de parents étrangers. Pour cela, il est en effet indispensable d’avoir une haute idée de la nation, comme ce fut longtemps le cas lorsque notre capacité d’intégration fut mise à l’épreuve par l’arrivée sur notre sol d’immigrants venus du sud ou de l’est de l’Europe ; ce qui est le cas aujourd’hui dans un pays comme les États-Unis. Il faut être fier d’être français, convaincu que, pour un jeune africain ou un jeune maghrébin, c’est un progrès, un avantage de devenir français, si l’on veut réussir cette intégration.
Enfin, s’agissant de l’immigration d’origine algérienne, on doit faire la part de l’impensé des relations franco-algériennes. La France a eu la prétention de créer trois départements en Algérie. Elle n’y a pas mieux réussi qu’à créer celui des Bouches-de-l ’Elbe ou celui de la Meuse-Inférieure, avec Maastricht pour chef-lieu. Comme l’aventure impériale a suscité le nationalisme algérien et une guerre d’indépendance dont on n’a pas fini de solder les comptes, faute sans doute d’avoir exercé là avec assez d’esprit critique et de lucidité de « devoir de mémoire » auquel on fait si volontiers appel à propos de l’occupation allemande. Il y a un universalisme français qui ne manque pas de noblesse, mais qui s’est parfois mépris sur le réalisme de ses ambitions. L’universalisme véritable pour la France consiste à bâtir une démocratie exemplaire et à favoriser partout, par exemple, l’avènement d’États de droit. C’est le « modèle républicain français » qui doit être préservé et perfectionné.
B. – Quelles que soient leurs causes lointaines, les violences urbaines requièrent une action immédiate. Car si le nombre des crimes et délits est en légère diminution depuis deux ans, la délinquance des mineurs augmente sensiblement. Et surtout, le nombre des incidents liés aux violences urbaines est passé de 3 466 recensés en 1993 à 15 791 en 1997.
La sécurité de proximité a fait l’objet du colloque de Villepinte en octobre dernier. L’équation a été clairement et fermement posée. Le cas a été fixé. Il doit être tenu. Le résultat couronnera l’effort. À cette occasion, le Gouvernement a pu, en liaison avec les élus et le monde associatif, enrichir sa réflexion sur une action qui se déploie désormais sous l’impulsion du conseil de sécurité intérieure, que le Premier ministre réunira, pour la deuxième fois, lundi prochain.
L’instrument privilégié de cette politique vous le savez, ce sont les contrats locaux de sécurité. J’étais à Givors et Saint-Priest, dans le Rhône, vendredi dernier, pour signer deux de ces contrats. Je compte me rendre régulièrement, dans les mois à venir, sur le terrain, pour prendre connaissance de la façon dont ces contrats sont préparés et négociés. Le 19 janvier, en compagnie de Martine Aubry, d’Élisabeth Guigou et d’Alain Richard, je réunirai quelque 300 maires de communes des 26 départements les plus sensibles – ceux-là mêmes où nous avons concentré le plus grand nombre des emplois d’adjoints de sécurité #, avec les préfets et les procureurs de la République intéressés. Ce sera l’occasion de rappeler le sens de la sécurité de proximité, dont je vous rappelle les trois orientations majeures : citoyenneté – car il n’est pas de sécurité qui ne repose sur l’adhésion collective de tous aux principes de la République –, proximité – ce qui est une façon de rappeler que les forces de police et de gendarmerie doivent donner la priorité à une présence rapprochée auprès de la population – ; efficacité de la coopération entre la police et la justice car la sécurité ne va pas sans la sanction proportionnée aux délits, qui appartient au magistrat.
Quand j’appelle tous les acteurs locaux à contribuer à la sécurité de proximité, je n’oublie pas les polices municipales, qui ont un rôle qui doit être mieux défini qu’il ne l’est aujourd’hui par la loi. Je vous redis ici ma position constante : je n’ai jamais voulu désarmer les polices municipales. Je propose seulement que leur rôle et leur armement soient proportionnées à leurs missions. Ainsi un règlement de coordination avec la police nationale peut parfaitement permettre les patrouilles nocturnes. Je suis même partisan d’étendre leur mission dans le domaine de la circulation. Le Gouvernement en débattra à la prochaine réunion du conseil de sécurité intérieure et le Parlement en sera saisi.
J’ai demandé à Philippe Melchior, qui dirige l’institut des hautes études de sécurité intérieure, d’apporter aux acteurs locaux qui élaborent des contrats locaux de sécurité l’appui de l’expertise de ses équipes. Car le contrat local de sécurité n’est pas seulement le moyen de demander à l’État quelques emplois d’adjoints de sécurité ; c’est surtout l’occasion d’établir un véritable diagnostic de la sécurité dans une ville ou une agglomération et, sur cette base, d’inventer, en mobilisant toutes les énergies disponibles des solutions appropriées à réduire l’insécurité.
Les moyens nouveaux que le Gouvernement a alloués à la sécurité de proximité ont commencé d’être mis en place : plus de 1 000 adjoints de sécurité sont déjà affectés aujourd’hui en sécurité publique. Au total, ce seront, comme annoncé, 8 250 qui seront recrutés d’ici à la fin de l’année. Je compte sur les résultats de la mission parlementaire confiée à Messieurs Carraz et Hyest sur la répartition géographique des forces de police et de 7 gendarmeries, ainsi que sur la mission confiée aux inspections générales du ministère de l’intérieur et du ministère de la défense à propos de la répartition des tâches de ces deux forces de sécurité, ainsi que sur l’anticipation des recrutements dans la police nationale, pour procéder à des redéploiements de personnels, de façon à ce que la sécurité de proximité soit réellement, pour chacune d’elles, une priorité.
J’attends de même avec intérêt les conclusions du rapport de Madame Lazerges et de Monsieur Balduyck sur la délinquance des mineurs. L’enquête des inspections générales sur les unités à encadrement éducatif renforcé a été remise aux trois ministres concernés. Contrairement à ce qu’on a dit ou écrit, je n’ai jamais pensé, ni déclaré que l’heure serait venue de rouvrir les maisons de correction. Il est cependant clair qu’il faut trouver, pour des jeunes délinquants multirécidivistes, des solutions intermédiaires entre la prison et l’éducation en milieu ouvert. Sans doute faut-il plus d’éducatif dans la répression et plus de répression dans l’éducatif. Tout le monde convient qu’il est nécessaire d’éloigner provisoirement la poignée de mineurs multirécidivistes, non seulement de l’établissement scolaire qu’ils fréquentent ordinairement, mais aussi de leur quartier ou de leur cité.
2. La deuxième priorité de mon action s’applique aux collectivités locales. Et, dans ce vaste domaine, outre le dossier de ce qu’on appelle, dans le langage des spécialistes des finances locales, Ix « sortie du pacte de stabilité », je m’attacherai à promouvoir de nouvelles formes d’intercommunalité.
L’État n’est pas une collectivité publique comme les autres. Sa responsabilité est unique. Les administrations centrales, les préfets, les services déconcentrés ne défendent pas je ne sais quelles prérogatives. Ils sont avant tout des outils d’exécution des politiques de la nation, déterminées démocratiquement et conduites par le Gouvernement, responsable devant le Parlement. Seul l’État est garant de l’égalité d’accès au service public, à ses prestations ; seul, il assure que la loi s’applique partout et pour tous. Il n’a évidemment pas vocation à s’occuper de tout, mais il reste la colonne vertébrale de la République. Il n’y a pas de sens à séparer l’État républicain de la nation comme s’il était au-dessus d’elle. L’État républicain, c’est l’État des citoyens, à leur service.
Je suis néanmoins persuadé que l’action de l’État ne peut être efficace sans une articulation étroite avec celle des collectivités décentralisées. Leurs interventions touchent aujourd’hui à tous les aspects de notre société. Elles concernent la vie quotidienne des citoyens. Elles sont devenues en tous domaine des foyers incomparables d’initiative et de responsabilité.
C’est d’ailleurs ainsi que le Gouvernement a conçu les deux priorités nationales que sont l’emploi des jeunes et la sécurité de proximité. Dans les deux cas, c’est une démarche décentralisée qui a été arrêtée.
Pour ma part, en tant qu’élu local et ministre de l’intérieur, je ne suis ni girondin, ni jacobin ; je m’efforce d’être simplement républicain. C’est pourquoi je suis opposé aux visions prospectives d’un régionalisme ou d’un fédéralisme qui serait l’alibi de nouvelles féodalités. Ils ne correspondent ni à l’histoire de la République, ni à son avenir.
Il est en revanche indispensable de donner un nouveau dynamisme aux collectivités locales. Pour cela, il faut qu’elles s’adaptent mieux aux réalités économiques et sociales du développement urbain. C’est à cela que peut contribuer l’intercommunalité.
Une réorganisation territoriale radicale est plutôt pour après-demain que pour demain, et je n’imagine pas, dans le moment présent, la disparition de tel ou tel type de collectivité locale. Je fais davantage confiance en la matière aux évolutions progressives qu’à un découpage planifié sur le papier. Sachons prendre la mesure de l’histoire : les communes ont dix siècles d’existence, les départements, deux, et les régions n’ont que vingt ans d’âge.
Si j’écarte toute rupture brutale, je ne renonce pas pour autant à favoriser un nouvel équilibre des territoires. Je compte déposer au printemps un projet de loi sur l’intercommunalité. Ce projet suivra trois orientations.
La première consistera à assurer le financement de l’intercommunalité dans le cadre d’une redéfinition des relations financières de l’État et des collectivités. Les dotations de l’État ne peuvent pas être fixées sans que le financement de l’intercommunalité ne soit pris en compte dans sa globalité. Je suis donc favorable à une enveloppe autonome de la dotation globale de fonctionnement pour les groupements de commune, indépendante des dotations réservées aux communes. Il faut une puissante incitation pour favoriser les regroupements.
Deuxièmement : il faut favoriser, à travers la taxe professionnelle d’agglomération et une dotation globale de fonctionnement des groupements réellement incitative, le développement local et l’intercommunalité bâtie sur un projet.
Troisièmement : il faut encourager la constitution de communauté d’agglomération afin que nos structures institutionnelles s’organisent au plus près des réalités urbaines, alors que beaucoup de difficultés tendent à se concentrer dans les agglomérations.
Jusqu’à présent, le mouvement intercommunal a fortement progressé en milieu rural et autour des petites villes, ce qui est en soi une bonne nouvelle. Mais la loi de 1992 n’a pas rencontré un succès suffisant dans les zones urbaines denses où l’intercommunalité fait encore trop défaut. C’est pourquoi, j’envisage la création de communautés d’agglomération, avec des compétences larges, permettant de concevoir des politiques à l’échelle de l’agglomération et d’en partager efficacement les charges.
3. La politique de l’immigration
On aurait tort de réduire la politique de l’immigration au projet de loi sur l’entrée et le séjour des étrangers et sur le droit d’asile. Il y a certes un volet législatif de cette politique ; mais il y a aussi un volet réglementaire, qui comporte des dispositions plus nombreuses que le précédent, et qui intéresse beaucoup d’autres ministères que le ministère de l’intérieur ; il y a enfin une politique de co-développement, plus importante encore, parce qu’elle touche à l’essentiel, c’est-à-dire aux rapports entre les pays du nord et les pays du sud.
A. – Le projet de loi RESEDA
Nous sommes parvenus, au terme du débat à l’Assemblée nationale, à un projet que je crois équilibré et raisonnable. Il tend à la stabilisation et à l’intégration des étrangers établis régulièrement en France. Il reconnaît pleinement le droit de vivre en famille. Il consacre le droit d’asile, héritage précieux de la tradition république. Il vise à préserver le rôle et le rayonnement international de la France qui doit savoir accueillir les étudiants, les chercheurs, les artistes, dont la venue est un atout pour notre pays. Mais il permet aussi la maîtrise des flux migratoires, en proportionnant l’admission au séjour, aux besoins et à la capacité d’intégration du pays.
Dans le débat parlementaire, qui reprendra au Sénat le 21 janvier prochain, on s’est beaucoup ému des dispositions relatives au regroupement familial, comme si elles ouvraient grandes les portes au déferlement des étrangers. En réalité, c’est en 1978, déjà, que par une décision de l’assemblée du contentieux, le Conseil d’État a érigé en principe général du droit français, le droit à une vie familiale normale, s’appuyant sur le préambule de la Constitution de 1946. On en a tiré comme conséquence, qu’en vertu de ce principe, le Gouvernement ne pouvait interdire, par voie de mesure générale, l’occupation d’un emploi par les membres de la famille d’un étranger en situation régulière. C’est dire que depuis 1978, l’administration était soumise à cette jurisprudence.
Sans doute la loi pourrait-elle remettre celle-ci en cause. Or, elle ne l’a pas fait. Pourquoi ? Tout simplement parce que la loi ne peut faire échec à l’application de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, article relatif au respect de la vie familiale dont la cour de Strasbourg a continuellement, depuis 1985, étendu la portée aux immigrants entrés dans les pays du Conseil de l’Europe.
Ceux qui s’effraient, ou feignent de s’effrayer, de ces dispositions ignorent le droit auquel ils sont soumis depuis dix ou vingt ans. Depuis lors en effet, le juge français apprécie plusieurs milliers de fois chaque année, les mesures d’expulsion ou de reconduite à la frontière, ou l’octroi de titres de séjour, à l’aune du critère de la vie familiale. De ce point de vue, le projet de loi RESEDA est largement une loi de clarification.
On a aussi voulu contester le principe même de cette réforme législative en invoquant le traité d’Amsterdam. Dès lors qu’un traité européen envisage de transférer à l’Union européenne la responsabilité de définir les règles d’entrée et de séjour des étrangers sur le territoire de ses États membres, il serait devenu superfétatoire de légiférer en cette matière à l’Assemblée nationale et au Sénat.
On oublie que la communautarisation de ces matières est soumise à des modifications de notre Constitution et à la ratification du traité et, qu’en tout état de cause, cette communautarisation n’interviendrait que cinq ans après l’entrée en vigueur du traité. D’ici là, il faudra bien vivre. Pour l’heure, et en attendant l’application effective du traité d’Amsterdam, je ne connais, sur l’admission des ressortissants des pays tiers, 14 dans les États membres de l’Union européenne, qu’une proportion de convention très générale émanant de la commission, proposition qui n’a pas encore été inscrite à l’ordre du jour du Conseil européen.
Au reste, le traité d’Amsterdam aborde la question des flux migratoires de façon quelque peu abstraite. Et je doute que ceux qui, en France reprochent au projet de loi du gouvernement un supposé laxisme, trouvent dans la future et hypothétique réglementation européenne, la rigueur qu’ils appellent de leurs vœux. À qui fera-t-on croire qu’une décision prise à la majorité du Conseil et du Parlement européen nous protégerait mieux des entrées d’étrangers que nous ne souhaiterions pas favoriser ? Et surtout, la communautarisation de l’entrée et du séjour des étrangers contredit cette réalité : les flux migratoires restent, quoiqu’on veuille, liés à l’histoire des nations et à la carte des communautés immigrées dans les différents pays européens. Tous les traités du monde n’empêcheront pas les Turcs ou les Kurdes de vouloir se rendre en Allemagne, les Maghrébins, de choisir la France et les Pakistanais, les Indiens, les Sri-lankais et les Jamaïcains, la Grande-Bretagne. Dessaisir la responsabilité nationale, en l’occurrence, me paraît une démarche peu réaliste : la libre circulation de l’espace communautaire favorisera les tropismes historiques.
B. – Le volet réglementaire de la politique de l’immigration n’est pas moins important que sa partie législative. Sur les 120 propositions du rapport de Patrick Weil, une trentaine seulement relève de la loi. Sur le reste, le travail interministériel est en cours.
Je vous rappelle qu’il vise à améliorer la politique des visas, en facilitant la libre circulation des ressortissants de certains États, en encourageant la venue en France des personnes qui contribuent à la vitalité de nos relations bilatérales et au développement de nos échanges, en offrant aux étrangers demandeurs d’un visa, de meilleures conditions d’accueil ; il vise aussi à faciliter les démarches incombant à l’étranger qui sollicite la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour, à alléger les contraintes administratives pesant sur les ressortissants communautaires, à établir un véritable service public à l’accueil des étrangers ; des mesures rendront aussi plus efficace la lutte contre l’immigration irrégulière, tout en humanisant les conditions de la reconduite à la frontière ; d’autres ont trait à l’autorisation de travail pour les étudiants et, au-delà, aux conditions d’accueil des étudiants étrangers en France : d’autres enfin, à la réduction des délais d’instruction des demandes de naturalisation.
C. – Le co-développement : la gestion maîtrisée des flux migratoires ne procède pas seulement de l’action administrative à court terme. Elle doit s’inscrire dans la durée. Pour cette raison d’évidence : la cause de l’immigration n’est pas en France ni ailleurs en Europe ; elle est tout entière dans les pays d’origine, dans les pays du sud, dans le déséquilibre qui affecte les relations entre le nord et le sud. Si l’on veut traiter sérieusement la question de l’immigration, il faut le faire là, dans le pays du sud, comme on peut le constater dans l’afflux des Kurdes de Turquie et d’Irak à nos frontières. Si nous sommes aujourd’hui confrontés à cette immigration, c’est que la communauté internationale et d’abord les États-Unis, n’ont pas voulu créer des conditions simplement vivables pour les Kurdes. Il est hypocrite de voir un problème simplement humanitaire là où il y a une question qui touche à l’ordre international lui-même.
La condition principale de la maîtrise des flux migratoires réside dans la stabilisation des populations chez elles. Dans son rapport d’étape sur les migrations et le co-développement, remis au Premier ministre, Sami Na ouvre plusieurs pistes de travail :
- des accords avec les États du Maghreb et d’Afrique francophone pour une gestion commune des flux ; cette gestion doit favoriser l’aide aux projets d’investissements dans le pays d’origine en utilisant l’épargne des immigrés ; elle doit aussi organiser la circulation dans la perspective du retour pour ceux qui viennent chez nous ;
- l’intéressement des entreprises privées qui veulent investir dans ces pays à la formation des cadres et des travailleurs qualifiés ;
- le développement de pôles universitaires qui formeraient les étudiants dans la perspective du co-développement ;
- la coopération décentralisée entre nos collectivités et celles des pays concernés afin d’impliquer les élus dans la gestion des flux migratoires et dans l’aide au développement ;
- l’aide au mouvement associatif-organisations non gouvernementales, associations issues de l’immigration, agissant dans la perspective du co-développement.
L’objectif est clair : aider les pays sources de l’immigration à stabiliser leurs populations sur leur sol par le développement économique et le renforcement des États de droit.
D. – Enfin, je ne vous dirai qu’un mot de l’application de la circulaire du 24 juin 1997 sur la situation de certains étrangers en situation irrégulière. Les préfectures travaillent au rythme prévu à l’horizon du 30 avril 1998, selon les critères retenus. Je vous livre les derniers chiffres qui me sont parvenus et qui traduisent la situation au 31 décembre dernier : 13 991 cartes de séjour temporaire ont été accordées, auxquelles il faut ajouter 1 709 mesures de regroupement familial sur place, accordées à des mineurs sans titre de séjour, soit 15 700 régularisations qu’il convient de rapprocher de 15 391 décisions de rejet. Par ailleurs, 20 247 récépissés de 18 demandes de régularisation ont été délivrés, correspondant à des dossiers incomplets.
Je conclurai, avant de répondre à vos questions, en évoquant deux modifications dans l’administration du ministère, auxquelles j’attache une certaine importance.
J’ai institué, auprès de moi, une délégation aux affaires internationales, qui coordonnera l’action des directions dans ce domaine ; elle est confiée à Thierry Le Roy, conseiller d’État. D’autre part, j’ai créé, sous la responsabilité du préfet Jacques Reiller, un centre d’études et de prospective, à qui il reviendra d’éclairer dans la durée les perspectives de l’État républicain en prenant, par rapport aux urgences, la distance intellectuelle nécessaire. Ce centre sera doté d’un conseil d’orientation qui sera présidé par le professeur Claude Nicolet. Je le réunirai avant la fin du mois.