Articles de M. René Monory, président (UDF) du Sénat, et Philippe Séguin, président (RPR) de l'Assemblée nationale, parus dans Le Livre d'or "100 ans de démocratie" publié pour le centenaire de la "Revue politique et parlementaire" en mars 1997, intitulés "Une démocratie conquérante et moderne" et "Pour une révolution culturelle du Parlement".

Prononcé le 1er mars 1997

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Circonstance : Publication du Livre d'or "100 ans de démocratie" à l'occasion du centenaire de la Revue politique et parlementaire, en mars 1997

Média : Revue politique et parlementaire

Texte intégral

René Monory, président du Sénat

Une démocratie conquérante et moderne

S’il peut être utile d’en appeler au peuple pour dénouer une crise ou connaître son sentiment sur une affaire d’une particulière difficulté, il ne peut être question de le faire à tout propos. La démocratie deviendrait alors le champ clos de la démagogie et de l’émotion, le triomphe de l’éphémère et la victoire des apparences.

Les retours sur l’histoire sont utiles : ils permettent de mieux affronter les défis de l’avenir. Les 100 ans de démocratie que nous venons de vivre s’ajoutaient déjà à 100 premières années d’exercice démocratique, parfois entrecoupées de parenthèses qui furent autant d’accidents désormais impossibles.

Au cours de ces 100 dernières années, la démocratie française a mûri. Elle a traversé les chocs de l’histoire, les conflits, la reconstruction, la décolonisation, la guerre froide, puis l’industrialisation.

Aujourd’hui, solidement établie comme le seul régime acceptable, elle affronte les temps de grandes mutations qui vont nous conduire vers le XXIe siècle, pour lequel déjà se profile une nouvelle société, technologique et globale.

Le combat pour la démocratie reste pourtant d’une très brûlante actualité, d’abord parce que le monde n’est pas encore totalement rallié au modèle de gouvernement démocratique. Notre régime lui-même peut être toujours amélioré.

Alors que la démocratie a gagné plus de terrain en dix ans qu’en un siècle, avec la chute du communisme et des régimes extrémistes qui en étaient la vaine réplique, nous pourrions croire que notre système de gouvernements a définitivement gagné la partie. Il n’en est rien. Nous devons toujours porter nos regards vers les quatre points cardinaux pour que la démocratie, telle que nous l’entendons c’est-à-dire le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple, l’expression de la volonté populaire à travers des représentants librement élus ne restent pas l’apanage d’un certain type de société de l’hémisphère Nord, issu de la vieille Europe.

L’Est a été gagné par nos convictions démocratiques. Le mirage marxiste et ses applications totalitaires ont sombré dans leurs horreurs liberticides. Les peuples de ces pays se sont brutalement libérés d’un joug pesant que les contraintes du conflit mondial avaient transformé en rideau de fer. La démocratie politique, la liberté économique retrouvée qui déjà a porté ses fruits, ont redonné l’espoir d’une amélioration des conditions de vie.

Mais le passé est si lourd à effacer, la pente si longue à remonter, les sacrifices sont si difficiles à accepter pour des populations si longtemps privées du minimum vital, que partout, sauf en Albanie et en République Tchèque, les urnes ont ramené aux affaires des partis liés aux anciens dirigeants. La démocratie est donc en devenir. L’Europe centrale et orientale devra confirmer son choix et l’inscrire, dans la pratique, par l’alternance et la continuité dans les réformes.

Au Sud aussi, la démocratie a progressé. En Afrique, en Amérique du Sud. Mais pensons à l’Algérie et aux interrogations que suscite une vraie situation de guerre civile. Les fondamentalistes ne remettent-ils pas en cause le principe même de démocratie ? Pensions-nous, il y a peu, avoir à répondre à ce défi qui vient parfois jusqu’à nos portes sous l’apparence du terrorisme ?

En Asie encore, la démocratie politique est à la remorque de l’économie dont les progrès seuls sauront déclencher les réformes indispensables à un meilleur respect des droits de l’homme. Ils sont nécessaires pour que s’instaurent de véritables régimes démocratiques.

Le tour du monde de la démocratie montre donc qu’il reste bien des progrès à accomplir. Malgré les succès récents, nous devons œuvrer, de toutes nos forces, pour que progresse la démocratie. C’est notre devoir et notre mission parce que nous pensons qu’il s’agit du meilleur régime pour l’homme, avec ses aspirations spirituelles, culturelles et matérielles.

Dans cette lutte, rien n’est jamais acquis. Le combat contre le totalitarisme ne cessera que lorsqu’il n’aura plus d’adeptes dans le monde.

Devons-nous pour autant considérer votre système politique comme achevé ? A l’évidence, non. Il est perfectible et le combat démocratique doit aussi se poursuivre à l’intérieur même des régimes démocratiques pour en améliorer le contenu.

Les nouvelles technologies de l’information qui bouleversent nos sociétés viennent rapidement remettre en cause les habitudes les plus anciennes.

L’impératif de transparence naît naturellement dans une société de communication ; celui de rigueur de prospective découle du caractère sophistiqué de notre système économique et de notre richesse. Enfin, de nouveaux procédés faussent le fonctionnement traditionnel du débat démocratique et il nous faut en permanence actualiser notre sentiment démocratique.

Déjà, certains estiment qu’un jour, on remplacera les élections par des référendums électroniques permettant à chacun de s’exprimer. D’autres accordent aux sondages d’opinion une valeur bien supérieure à leur réalité de photographie instantanée qui ne saurait figer le sentiment et la liberté individuels.

L’actualité elle-même, organisée autour des médias audiovisuels, donne souvent aux minorités plus de poids qu’à la majorité qui s’exprime dans les urnes.

Ce sont donc à des questions fondamentales que les démocrates doivent répondre pour moderniser la démocratie.

Nous ne devons pas oublier qu’une vraie démocratie doit être organisée. Le principe de représentation demeure, à cet égard, l’un de ses piliers les plus solides. C’est à travers les élus que le peuple souverain décide de son sort. Les adeptes du « tout-référendums » feraient bien d’y réfléchir. S’il peut être utile d’en appeler au peuple pour dénouer une crise ou connaître son sentiment sur une affaire d’une particulière difficulté, il ne peut être question de le faire à tout propos. La démocratie deviendrait alors le champ clos de la démagogie et de l’émotion, le triomphe de l’éphémère et la victoire des apparences. L’essentiel des décisions doit relever du Parlement démocratiquement élu qui représente la diversité des opinions, sait privilégier l’intérêt général, permet l’étude et le recul et peu favoriser des solidarités utiles au pays.

Rien ne remplace un Parlement démocratiquement élu, composé de deux chambres et disposant de réels pouvoirs de contrôle et de sanction de l’exécutif. Il nous appartient d’en renforcer les prérogatives pour répondre à l’attente de nos concitoyens qui réclament un pouvoir plus proche et plus transparent.

C’est raison pour laquelle nous améliorons sans cesse les procédures constitutionnelles et réglementaires d’examens de la loi et du contrôle parlementaire. Il y a encore beaucoup à faire.

La démocratie se mérite chaque jour.

 

Philippe Séguin, président de l’Assemblée nationale

Pour une révolution culturelle du Parlement

Jules Ferry avait tout dit, il y a déjà un siècle : « La véritable forme du gouvernement parlementaire n’est ni le conflit des pouvoirs, ni leur équilibre, qui ressemble trop à l’impuissance. C’est l’harmonie, l’harmonie qui laisse à chacun son rôle, mais tout son rôle. L’harmonie cesse où l’effacement commence ».

Je crois au Parlement. Et cette foi qui m’anime n’est en rien circonstancielle. Elle n’a rien d’intéressé. Elle n’est pas maligne. Elle n’est pas faite d’arrière-pensées. Je n’ai pas attendu d’être président de l’Assemblée nationale pour acquérir la conviction que le Parlement devait avoir une place centrale dans le concert institutionnel.

Pourquoi une telle conviction ? D’abord parce que tant l’histoire que l’actualité nous démontrent que l’existence d’un Parlement qui joue un rôle actif et réel est le seul vrai critère de la démocratie.

Des gouvernements, il en a toujours existé, il en existe partout, il en existera toujours. Ce n’est donc pas le bon critère. Des parlements, il peut en exister tout autant, qui aient les apparences les plus nobles et les plus flatteuses. On en trouvera dans les tyrannies les plus classiques, mais aussi dans ces nouvelles formes très perverses de régime autoritaire où le pouvoir du peuple est confisqué par la technostructure – une technostructure assez habile pour conserver, afin de mieux s’en jouer, tous les rites de la vie parlementaire. Car il ne suffit pas que le Parlement soit librement élu. Encore faut-il savoir quels sont ses moyens d’actions véritables, quelle est l’influence qu’il peut exercer.

Pour qu’il y ait démocratie, il faut aussi et avant tout, que le Parlement soit une enceinte respectée et souveraine, participant effectivement et directement, au nom du peuple, à l’exercice de la puissance publique.

Telles sont les évidences dont l’histoire et l’actualité nous portent témoignage, et je n’en veux pour preuve que les articles si denses et si riches qui ont marqué, au fil des années, les colonnes de la Revue Politique et Parlementaire. Il y a cent ans, lorsque la Revue fut créée, la République était enfin installée dans notre pays. Elle avait résisté victorieusement aux tentatives de restauration monarchique, évité le piège du boulangisme, conjuré les effets les plus dévastateurs, de l’antiparlementarisme. Certes, les divisions et les guerres devaient la mettre à nouveau à l’épreuve, mais l’essentiel était acquis et survivrait : l’esprit républicain dominait désormais nos institutions, il était devenu la marque de notre système politique. Et le Parlement en constituait le cœur. Le sujet qui devait le plus souvent inspirer les réflexions de la Revue pendant un siècle, sous la direction d’hommes aussi différents qu’Édouard Julia, avant-guerre, ou Édouard Bonnefous dans les années soixante, est précisément la recherche constante de la meilleure conciliation possible entre l’impératif d’autorité et d’efficacité, qui s’impose au gouvernement, et la nécessité du débat public et du contrôle de l’action gouvernementale, qui ne peut appartenir qu’à l’institution parlementaire.

Notre histoire politique et constitutionnelle aura ainsi été marquée par cette difficile recherche. La IIIe, puis la IVe République ont malheureusement dérivé du régime parlementaire vers le régime d’assemblée, condamnant fréquemment à l’impuissance le gouvernement de la France, avec les effets redoutables que cette impuissance a pu produire face aux tensions internationales, face aux guerres. En poussant à leur paroxysme certaines perversions du régime parlementaire, cette évolution hypothéquait gravement l’avenir…

Certes les constituants de la Ve République sont parvenus à instaurer un nouvel ordre institutionnel, qui mettait au premier plan le principe d’autorité et d’efficacité, tout en organisant, dans le cadre d’un parlementarisme rationalisé, de véritables moyens d’action pour le Parlement. Mais une dérive inverse à celle que l’on avait naguère observée s’est produite, entraînant, de l’avis général, un effacement du rôle du Parlement qui n’était pas – au moins pas dans ces proportions – dans les intentions du constituant.

Ce qui prouve à quel point le fonctionnement de la République est délicat : elle ne doit pas redevenir cette « femmes sans tête », à qui ses adversaires reprochaient d’être inapte à l’exercice de l’autorité. Mais la recherche de l’efficacité maximale ne doit pas non plus priver la représentation nationale de son rôle éminemment démocratique.

Il nous faut sortir de cette dialectique ancienne, de ce conflit incessant et auto-entretenu qui oppose depuis des décennies le « législatif » à « l’exécutif ». Un tel schéma me paraît, à dire vrai, dépassé. Il y a trop longtemps tenu prisonnier, tel un nœud insoluble de contractions, notre débat politique et constitutionnel. Le vrai problème est celui de l’harmonie entre les pouvoirs, non de cette vaine recherche d’un équilibre improbable où les pouvoirs s’épuisent mutuellement…

Tant il est vrai que la véritable crise du parlementarisme que nous observons aujourd’hui ne se limite pas à la France, ne tient pas à seule histoire politique et constitutionnelle.

Les trois causes de la crise parlementaire

Cette crise est générale alors même que la cause démographique a partout progressé. Alors même que, parallèlement et naturellement, des parlements nouveaux émergent, et se voient reconnaître des prérogatives qui leur étaient jusqu’ici interdites.

Il est pourtant clair que cette crise ne touche pas seulement les vieilles démocraties : elle est tout aussi réelle chez leurs cadettes. Certes la frénésie législative rendue nécessaire par la mise en place d’un droit radicalement nouveau peut donner l’illusion du pouvoir aux jeunes parlements. Pour autant, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la crise y est déjà clairement perceptible.

Cette crise, à quoi tient-elle ?

J’en vois trois causes principales. Elle tient d’abord et essentiellement au fait que la complexité croissante des décisions à prendre, l’internationalisation chaque jour plus grande des problèmes à résoudre, la nécessaire rapidité qui doit commander l’action, se sont traduits par une montée, apparemment inéluctable, des exécutifs. Exécutifs, dont il est piquant de constater qu’ils se retrouvent souvent eux-mêmes, pour les mêmes raisons, contournés, dominés, quand ils ne sont pas manipulés par un nouveau pouvoir, celui de la technocratie, c’est-à-dire un pouvoir technicien qui tend à s’imposer en s’appuyant à la fois sur des contraintes qu’il estime être seul à même d’apprécier, et sur la connaissance de réalités techniques dont il se juge l’unique détenteur.

Du coup, la chambre n’est plus qu’une antichambre, la plupart des élus de trouvant réduits au rôle de gardiens de la fidélité des suffrages. Tout au plus assure-t-elle la sélection de quelques-uns d’entre eux pour l’accomplissement de plus hautes destinées. Ainsi s’explique que la majeure partie des députés soit appelée à s’occuper, en priorité, de leurs circonscriptions tandis que l’Assemblée est, pour les autres – quelques autres –, un genre de purgatoire, de centre de perfectionnement, voire même de redressement préalable obligé avant d’atteindre au nirvana présumé de l’exécutif. C’est assez dire qu’on attend surtout des parlementaires, selon les cas, de la patience ou de la résignation et, presque toujours, de la complaisance…

Le deuxième facteur explicatif de la crise tient à l’erreur commise par le Parlement, qui s’obstine encore trop souvent à vouloir concurrencer le gouvernement sur des terrains qui relèvent inévitablement de ses prérogatives, au lieu de chercher à se délimiter un domaine propre, où son influence pourrait pleinement et effectivement s’exercer.

La comptabilité dérisoire des propositions de loi donne la mesure de cet entêtement. Comme si leur proportion par rapport aux projets émanant du gouvernement pouvait donner la réelle mesure de sa contribution.

À s’obstiner à courir après une maîtrise complète ou même partagée, de l’ordre du jour législatif, le Parlement, en vérité, s’égare. Et ignore où doit le conduire l’évolution récente, s’il entend réellement la maîtriser – en l’occurrence le contrôle et le débat.

Situation d’autant plus regrettable que le Parlement, les Parlements se sont surtout illustrés, ces dernières décennies, par leur incapacité à renouveler leurs méthodes. C’est le troisième facteur explicatif de la crise.

Si un député de la Monarchie de juillet revenait sur terre, il est un seul endroit, en France, où il ne se sentirait pas dépaysé : c’est l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Le décor est le même, les méthodes de travail, le mode d’expression, l’organisation des discussions y sont restés étonnamment figés.

Or, les rites parlementaires hérités de cette époque s’inscrivaient dans un contexte politique et social particulier, qui était celui du suffrage censitaire. L’opinion publique proprement dite se limitait alors à quelques milliers, au plus quelques dizaines de milliers de personnes, largement accessibles au langage parlementaire et à ses codes. Curieusement, le système s’est prolongé sous la troisième république en un temps, il est vrai, où les pères fondateurs étaient aussi ouverts et attentifs que méfiants vis-à-vis de ses comportements : ils n’étaient donc pas mécontents d’un ésotérisme dont ils étaient par la force des choses, les médiateurs incontournables…

Mais que vaut un tel langage, que vaut une telle organisation à l’heure où l’opinion épouse les dimensions du peuple – sans se confondre avec lui – et où les nouveaux média audio-visuels jouent le rôle que l’on sait ?

Pour aller au plus simple, comment un Parlement peut-il se faire entendre, quand, dans le meilleur des cas, un grand débat sera relaté en une minute trente seconde – commentaire du journaliste inclus – et lorsqu’un discours de deux heures ou deux heures trente se réduira, au mieux, à un extrait de 30 secondes, extrait, dont le choix sera, au demeurant, le plus souvent discutable ?

On en arrive au comble de l’incommunicabilité, au sens le plus antonionien du terme…

Et la situation ne cesse de se dégrader. Gardant l’illusion qu’une coupure du Journal officiel reproduisant leur intervention est susceptible d’impressionner leurs électeurs, les élus entrent dans les débats comme dans un « self-service’ », ignorant souvent ceux qui les y ont précédés, ignorant plus encore ceux qui les suivront. De là, cette impression fâcheuse que l’on ressent, et qui aggrave encore les dérives observées, d’entendre les mêmes arguments inlassablement repris…

Comment s’étonner, dès lors, que le débat politique transhume vers les médias audiovisuels, et que les ministres leur réservent la primeur de leurs décisions et de leurs idées ? Comment s’étonner que la confrontation des points de vue ne trouve plus d’autre lieu pour s’exprimer ?

Si l’on songe, de surcroît, à l’amplification donnée par les médias aux sondages, dont ils dénaturent d’ailleurs la portée, si l’on songe à l’écho assourdissant qu’ils réservent au moindre soubresaut de la rue, on en arrive, convenons-en, à un bien curieux processus de décision.

Un processus qui tue la confrontation des projets pour donner la primauté aux slogans, aux jugements à l’emporte-pièce. Un processus qui privilégie le superficiel, l’émotionnel, au détriment du rationnel.

C’est assez dire, je pense, que la restauration du Parlement n’est pas une revendication corporatiste. Elle ne se résume pas non plus à une exigence démocratique – ce qui suffirait à la justifier. Elle est bien plus que cela : elle est une nécessité vitale si l’on souhaite que les décisions nécessaires à l’évolution harmonieuse de notre société soient effectivement mises en œuvre, c’est-à-dire admises, c’est-à-dire préalablement expliquées et débattues dans la sérénité et la clarté, avec toutes les garanties d’objectivité et de sérieux désirables.

Deux remèdes : contrôle renforcé et débat modernisé

Les choses sont en effet ce qu’elles sont : le succès d’une politique, nous le savons désormais des gouvernants. Elle dépend, aussi, et pour une large part, du degré de compréhension, d’implication et d’adhésion des peuples.

Pour atteindre cet objectif, le Parlement est une pièce maîtresse. C’est probablement la seule. Mais il ne suffit pas au Parlement de revendiquer. Il faut encore donner la preuve qu’il se met en mesure d’assumer ses propres responsabilités.

Pour cela, il doit comprendre où sont ses nouvelles responsabilités. Elles ont nom contrôle renforcé et débat modernisé. Le contrôle est, à mes yeux, la nouvelle priorité de tout parlement.

Contrôle de l’action de l’exécutif dans le domaine international, dans le domaine d’application de la loi, mais aussi dans l’action législative du gouvernement. L’autonomie législative du Parlement est un leurre. A l’inverse, la législation est un moyen d’action privilégiés du gouvernement. Il revient en réalité au Parlement de contrôler l’action législative du gouvernement. Par l’amendement. Par l’acceptation ou le rejet. Par le contrôle du suivi.

Ne nous y trompons pas. Il s’agit d’une véritable révolution culturelle à accomplir. Il s’agit ni plus ni moins de persuader les gouvernements qu’un acte de contrôle n’est pas forcément, ni systématiquement, un acte d’hostilité. Et quand je parle de contrôle, je n’entends pas me limiter à la seule politique du gouvernement. Le contrôle parlementaire vise aussi les « bureaux ». Le contrôle parlementaire vise aussi l’élaboration des normes communautaires, qui ont pris une part déterminante dans notre vie nationale.

J’ai moi-même pris, tenté d’inspirer ou contribué à faire prendre un certain nombre de mesures allant dans ce sens depuis mon accession à la présidence de l’Assemblée nationale.

La session unique était évidemment le préalable absolu à toute action de renforcement du contrôle, la seule façon de permettre à l’Assemblée d’exercer en permanence des prérogatives qui étaient limitées, jusque-là, à l’autonome et au printemps. Cette hypothèque a été levée.

Mais il fallait encore affiner les méthodes. Désormais une séance de questions au gouvernement est organisée chaque jour de séance. Deux sont diffusées en direct sur France 3. J’ai par ailleurs imposé une limitation de durée pour les questions et les réponses, ce qui permet d’évoquer entre 12 et 14 sujets par heure à un rythme compatible avec une bonne compréhension de la plupart des téléspectateurs.

Dans le même esprit, des mesures ont été prises pour améliorer le rythme des réponses aux questions écrites des parlementaires. Le mode de fonctionnement des commissions d’enquête, leur rythme de travail surtout, ont été améliorés. Le rapport sur le Crédit Lyonnais a été ainsi établi en moins de deux mois. La présentation des documents parlementaires a été complètement revue afin d’être plus aisément accessible au public. Un accord a été passé avec une centaine de librairies disséminées sur le territoire pour en assurer une diffusion sérieuse.

Dans le domaine du contrôle de l’élaboration des normes communautaires, nous avons mis au point des procédures qui permettent à notre Assemblée d’examiner systématiquement tous les projets de nature législative sur lesquels notre gouvernement doit se prononcer à Bruxelles. Ainsi, je suis fier que la position française sur les services publics ait été directement inspirée par les travaux de l’Assemblée nationale. Du coup, nous avons mis en place une procédure similaire pour ce qui concerne les matières relevant des 2e et 3e piliers de Maastricht. L’Assemblée a également voté un projet de création d’un office d’évaluation des politiques publiques, qui devrait permettre au Parlement de définir ses propres grilles d’analyse et de recourir à des moyens d’expertise qui lui appartiennent, et qui soient distincts de l’exécutif dont il était jusqu’à présent étroitement dépendant.

Cette démarche d’analyse et d’expertise ne confond pas avec celle du contrôle : elle en est l’indispensable auxiliaire. La modernisation du débat était mon deuxième objectif. Vaste ambition. Pourtant, progressivement, les moyens s’en mettent en place.

La réforme constitutionnelle a permis une nouvelle organisation du temps parlementaire qui permet d’espérer, à terme, tant une résorption de l’absentéisme qu’une meilleure efficacité dans le travail.

Les jours de séance sont normalement limités, désormais, au mardi, au mercredi et au jeudi. Les séances de nuit ont été supprimées. Ainsi les députés sont-ils à même de mieux répartir leur emploi du temps entre Paris et leur circonscription, et de conduire de front leurs deux activités si indissociables : car il revient autant au député d’éclairer le débat national de ses constats sur le terrain, que d’expliquer à ses mandants les tenants et aboutissants des décisions qui sont prises.

De même, la plus grande cohérence du calendrier et la restriction de l’offre peuvent-elles mieux empêcher les débats fleuves et surtout conduire à un meilleur équilibre entre les travaux en commission et les travaux en séance publique.

Actuellement, pour une heure en commission, on en passe deux en séance publique alors que le rapport inverse devrait être observé, ce qui permettrait d’éviter d’inutiles discussions techniques dans l’hémicycle…

Il reste encore à améliorer la perception de l’Assemblée par les Français. C’est dans ce but, autant que pour contenir l’absentéisme, que j’ai rétabli le principe du vote personnel, principe battu en brèche par une mauvaise habitude séculaire.

C’est dans ce but, encore, que j’ai institué par Parlement des enfants, qui se tient chaque année dans l’hémicycle avec 577 jeunes « députés » issus des cours moyens deuxième année, représentant chacune des circonscriptions de la métropole et d’outre-mer. Cette manifestation couronne un programme d’instruction civique organisé avec notre concours.

La création d’une chaîne de télévision parlementaire, déjà présente sur le câble, n’a pas seulement cet objectif – même si elle y concourt largement… Dans la deuxième phase, que nous préparons avec le Sénat, il ne s’agit pas seulement de continuer à diffuser en direct ou en différé (et en intégralité) nos débats. Notre propos est bien plus ambitieux, il vise à nous appuyer sur la télévision pour inventer d’autres méthodes de travail. Je n’en prendrai qu’un exemple – parmi beaucoup d’autres – parce que nous l’avons déjà expérimenté avec succès : la diffusion des auditions d’experts ou de représentants de la société civile par nos commissions spécialisées ou par des institutions ad-hoc. Ainsi, les nouveaux moyens mis à notre disposition peuvent-ils être à l’origine d’un changement de méthodes, d’un changement d’image et d’un regain d’efficacité.

Car je n’oublie pas – bien sûr – le travail législatif. Les lois doivent être mieux faites et moins nombreuses. Nul n’est censé ignorer la loi, dit-on… mai qui pourrait sérieusement croire, en l’état actuel des choses, à la portée réelle de ce principe ? Il faudra donc veiller à l’avenir. Et simplifier ce qui existe. Un autre office parlementaire, chargé de codifier, devrait permettre de répondre à l’objectif.

Je refuse tout net l’idée d’un déclin de l’institution parlementaire, et je rejette avec énergie toute attitude de résignation. J’ai même voulu donner à l’action de l’Assemblée une dimension internationale plus marquée, l’illustration la plus spectaculaire en étant, à l’image d’autres parlements, l’ouverture de notre hémicycle à des chefs d’État étrangers – le roi d’Espagne et le Président des États-Unis étant les tous premiers hôtes de l’Assemblée nationale.

J’ai essayé de mettre en œuvre les réformes nécessaires, et je poursuivrai cette tâche avec détermination, sans jamais m’en dissimuler l’ampleur, ni la difficulté. Les réflexions des juristes, des intellectuels, de tous ceux qui, à travers des tribunes comme la Revue Politique et Parlementaire, pourront contribuer à faire progresser les idées d’innovation, sont à cet égard très précieuses. Trop souvent, on a identifié régime parlementaire et régime d’assemblée. Trop souvent, on a cru qu’un régime où le Parlement était fort ne pouvait être en lui-même qu’un régime faible.

Nous devons dépasser résolument ces schémas d’un autre âge, et réhabiliter le Parlement. Jules Ferry avait tout dit, il y a déjà un siècle : « La véritable forme du gouvernement parlementaire n’est ni le conflit des pouvoirs, ni leur équilibre, qui ressemble trop à l’impuissance. C’est l’harmonie, l’harmonie qui laisse chacun son rôle, mais tout son rôle. L’harmonie cesse où l’effacement commence ».

Il s’agit d’un enjeu majeur. Rarement la société a été aussi complexe, les problèmes, les contradictions ont été aussi pesants.

Alors que depuis des décennies, depuis des siècles même, l’évolution des sociétés se faisait peu ou prou sous le signe du progrès, aujourd’hui nos habitudes, nos certitudes volent en éclat. L’évolution impliquerait désormais une régression… Et pourtant, rarement il a été aussi évident que les progrès, les réformes passent par l’expression d’une volonté politique claire, résolue et pensée.

Où, mieux que dans un Parlement, une nation peut-elle s’interroger sur ces deux questions fondamentales :
    - une « régression » est-elle inéluctable, ou peut-on changer le cours des choses ;
    - quelles sont, en conséquence, les modalités et la portée des réformes à entreprendre.

Il nous faut donc réhabiliter, plus que jamais, le Parlement. Il faut qu’il affirme son rôle propre, loin de ces enjeux de pouvoir dépassés pour lesquels il n’a cessé, vainement, pendant un siècle, de se mesurer avec l’exécutif.

Encore faut-il qu’il s’en donne les moyens. Nous avons bel et bien progressé dans cette voie, au point que nos efforts suscitent l’intérêt de nombreux parlements étrangers, et nous rendent, d’ores et déjà, à bien des égards, exemplaires.

Il nous faut aller plus loin, cependant. Mais que d’obstacles, encore !

Cette idée, qui monte et s’insinue dans les esprits, selon laquelle, dans la lutte pour le pouvoir, les marchés devraient forcément l’emporter sur les peuples… Ce scepticisme désabusé de l’opinion… Cet antiparlementarisme, toujours virulent, ce qui n’est plus l’apanage des extrêmes…

Et surtout, surtout, la résignation des parlementaires, de ceux qui n’y croient plus, de ceux qui n’y croient pas. Car de tous les défis que j’ai à relever, réconcilier les parlementaires avec le Parlement est sans doute le plus difficile. Mais là est la condition du succès…