Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, en réponse à des questions de M. André Lajoinie lors du congrès des maires, sur les compétences des élus locaux, la sécurité, l'intercommunalité, la taxe professionnelle unique, la citoyenneté et le vote des immigrés, parue dans "L'Elu d'aujourd'hui" de novembre 1999.

Prononcé le 1er novembre 1999

Intervenant(s) : 

Circonstance : 82ème congrès de l'Association des Maires de France à Paris du 23 au 25 novembre 1999

Média : L'Elu d'aujourd'hui

Texte intégral

Nous publions ci-dessous une synthèse résumant l’intervention de Jean-Pierre Chevènement, qui répondait aux questions que lui a posées André Lajoinie, au nom des congressistes.
 

Vous connaissez mon souhait d’entretenir un dialogue sérieux et exigeant avec les élus dans leur ensemble, et plus particulièrement avec les élus communistes et républicains, dont j’ai partagé nombre de combats et, je crois pouvoir le dire, certaines valeurs qui fondent l’action.

J’attache notamment une grande importance à la démocratie. La commune est le lieu où associer les gens à l’élaboration de leur destin, elle permet de mettre la citoyenneté au premier plan. Ne nous cachons pas que la mondialisation porte de rudes défis à cet idéal de la démocratie.

André Lajoinie évoquait le problème de l’emploi. Il y a des concentrations et des transferts hors de nos frontières, hors de portée de l’intervention des élus et, même hors de portée de notre Gouvernement. Le principe qui régit l’Union européenne, rappelé par l’article 3 du traité de Maastricht, est celui d’une économie ouverte, où la concurrence est libre. C’est dans ce cadre que nous sommes obligés de nous mouvoir. Ce n’est pas sans poser beaucoup de problèmes, car nous assistons à un phénomène qui est, à bien des égards, l’envers des nationalisations que nous avions réalisées au début des année 1980.

Une délégation sera reçue sur la sécurité.

J’aurai l’occasion de recevoir ou de faire recevoir votre délégation sur ce point. Aborder le problème de la sécurité, c’est traiter de la prévention, qui ne va jamais sans la sanction. Cette sanction n’est que le rappel à la règle, je veux dire qu’elle a aussi une vertu éducative.

Mais nous ne devons jamais oublier le troisième aspect : la réinsertion. Les contrats locaux de sécurité peuvent quelque chose dans tous ces domaines. La police de proximité va être développée. Elle est déjà expérimentée sur un certain nombre de sites, y compris dans des villes à direction communiste.

Vous avez abordé d’autres sujets tels que l’habitat et l’urbanisme. Jean-Claude de Gayssot prépare une loi sur ces questions. Nous voulons favoriser la mixité sociale. Nous avons tous à l’esprit des quartiers où s’exprime une grande détresse, quartiers que certains de leurs habitants cherchent à fuir, et où les autres sont retenus, comme piégés par l’insuffisance de leurs ressources. Ceux-là sont confrontés à une insécurité insupportable. Nous sommes là au cœur d’une tendance qui nous conduira, si rien n’est fait, vers une ville à l’américaine : quartiers préservés avec leur vigiles privés, et, d’autre part, quartiers de relégation. Une grande loi sur l’urbanisme, l’habitat, les déplacements est donc nécessaire pour maintenir une ville citoyenne, conforme à l’idéal républicain d’égalité.

Dissiper les « malentendus »

Il y a matière à débat car un certain nombre de malentendus se sont peut-être créés. Je pense pourtant que la loi nouvelle devrait répondre à l’exigence des communistes. Je partage leur attachement à la commune, échelon de base de la démocratie. Mais nous avons 36 600 communes en France, c’est-à-dire presque autant que dans tout le reste de l’Europe. Pour porter un certain nombre d’investissements et assurer les services qui correspondent aux exigences de la vie moderne, il faut savoir regrouper ses efforts, mettre en commun ses ressources, définir ensemble un certain nombre d’objectifs. La démocratie communale est une chose à laquelle nous sommes tous attachés, mais elle n’est quand même pas à mettre sur le même plan que la souveraineté nationale. Il y a un bon équilibre à trouver ensemble. La loi du 12 juillet 1999 offre une boîte à outils aux élus pour leur permettre de développer des projets en commun. Elle donne certes aux préfets un certain pouvoir d’initiative ou de décision conformes à l’intérêt général, mais les élus conservent un rôle prépondérant. La décentralisation laissée à elle-même peut encourager les inégalités, parce qu’il y a les riches et puis il y a les pauvres et, sans régulation interne, les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. La décentralisation, que nous concevons d’un point de vue républicain, doit donc comporter des mécanismes de péréquation qui corrigent les inégalités. La décentralisation n’est pas un bien en soi, comme la langue d’Esope, elle peut être la pire et la meilleure des choses… sauf à raisonner de manière religieuse ! Non, il faut avoir un esprit cartésien et voir en quoi elle est bonne pour libérer des initiatives et favoriser la responsabilité, sans oublier qu’elle peut être mauvaise si elle accroît les inégalités, conduit à cette ghettoïsation des villes ou à la désertification des espaces ruraux. Nous devons absolument empêcher que des communes entières s’enfoncent dans leurs difficultés sociales tandis que leurs voisines riches et bien portantes disposeraient des ressources suffisantes pour maintenir des services publics de qualité. C’est ce que nous essayons de faire, avec la réforme de l’intercommunalité pour la France et pour la région parisienne.

La taxe professionnelle unique

Par exemple, en région parisienne, nous instituons un deuxième mécanisme de prélèvement au niveau du schéma directeur régional d’Île-de-France, qui va ponctionner les villes riches au profit des villes pauvres. Au niveau du territoire national - mais ça peut concerner aussi la région parisienne même si son agglomération autour de Paris rend la formule moins facile - nous allons encourager les communautés urbaines et d’agglomérations.

Tout cela vise à donner à la décentralisation une nouvelle force. Le projet d’agglomération peut être extrêmement bénéfique aux communes communistes si vous mettez l’accent sur des valeurs comme la mixité sociale, une nouvelle répartition de l’habitat, un nouveau partage des ressources, une meilleure qualité des services rendus à toute la population etc. C’est l’avantage des communes, je dirai en général les moins bien dotées, dont vous avez bien souvent la responsabilité, que de voir se développer des projets d’agglomérations véritablement affinés au feu de l’exigence démocratique et sociale.

Les communautés d’agglomérations, de communes ou urbaines sont des structures à taxe professionnelle unique. Qu’est-ce que c’est que la taxe professionnelle unique ? C’est une mutualisation des ressources entre les riches et les pauvres. Moi, je suis un peu partageux, et je pense qu’il est bon de réaliser ces mises en commun entre des communes qui ont des taxes professionnelles très élevées et d’autres qui en ont très peu (je pense à certaines communes périphériques, y compris et surtout communistes). Cette mutualisation est une bonne chose si, naturellement, il en découle des projets d’agglomérations qui permettent d’aller vers une ville citoyenne, vers une ville où l’exigence républicaine d’égalité n’est pas perdue de vue.

C’est pourquoi le gouvernement propose une incitation de 250 francs pour les communautés d’agglomération et de 175 francs pour les communautés de communes qui auront réalisé un certain niveau d’intégration et qui auront choisi la voie de la taxe professionnelle unique. L’harmonisation des taux a été prévue comme pouvant aller jusqu’à 12 ans.

La suppression de la part salariale de la taxe professionnel va d’ailleurs faciliter les choses. D’après les simulations, on s’aperçoit que l’harmonisation des taux, grâce à la suppression de la part salariale, ne se fera pas au détriment des petites entreprises et commerces. On pourrait craindre qu’une petite boîte, dans une commune où le taux de la taxe professionnelle est relativement bas, paye beaucoup plus avec la taxe professionnelle unique, mais, en réalité tout ça compense.

L’intercommunalité avance

Je me réjouis d’ailleurs de voir que le mouvement est bien lancé. Nous aurons vraisemblablement, dans les six mois, une vingtaine de communautés d’agglomérations et beaucoup plus de communautés de communes à TPU. Je constate sur le terrain qu’il y a un véritablement mouvement, y compris avec des élus communistes.

Naturellement les préfets ont reçu des consignes pour aller dans le sens de l’intérêt général, de la justice sociale. Ils prennent appui sur la concertation, au sein des commissions départementales de coopération intercommunale. Je rappelle qu’il y aura des consultations, mais qu’il y a aussi des règles de majorité qualifiée - ce n’est pas moi qui les ai inventées, elles existent depuis 1992 et vous les connaissez : c’est deux tiers/moitié ou moitié/deux tiers. Donc, le but restera toujours l’intérêt général, et j’ai demandé aux représentants de l’État de préserver une vision d’ensemble de la coopération intercommunale, en tenant compte autant que possible de l’avis des élus. Vous ne pouvez pas quand même éviter qu’il y ait quelque fois des kystes, c’est-à-dire des communes riches comme des poules assises sur leurs œufs d’or, qui ne veulent pas partager, et quand cela fait obstacle à la réalisation d’un projet d’agglomération. Il faut quelquefois que le Préfet intervienne fermement.

Vous le voyez, la démarche engagée se veut une combinaison intelligente de l’autonomie communale et de l’efficacité économique est sociale.

Encore une fois, cette combinaison s’accompagne de la volonté de donner aux conseils municipaux un véritable pouvoir de contrôle sur les organismes de coopération, puisque désormais seuls les élus locaux pourront être présents dans les conseils communautaires.

En outre, les EPCI auront obligation de transmettre des rapports d’informations aux communes membres, ce qui améliorera la transparence et la démocratie, et des comités consultatifs pourront être constitués.

Je vous rappelle que du point de vue des compétences, vous restez maîtres de ce qui est de compétence communautaire. Par exemple, pour le développement économique et pour l’aménagement de l’espace mais à mon avis, vous avez intérêt, en principe, vous, élus communistes à tailler assez large et à rentrer dans la mécanique pour l’orienter conformément aux intérêts des populations que vous représentez. Je sais que vous êtes déjà nombreux dans des projets communs de développement et je crois que c’est véritablement le bon sens.

Les ressources financières locales

Je vais aborder la deuxième grande question que m’a posée André Lajoinie le problème des ressources financières. Le gouvernement a défini un contrat de croissance et de solidarité qui va beaucoup plus loin que le pacte de stabilité de Juppé, puisque celui-ci garantissait l’enveloppe qu’on appelle « normée » uniquement en fonction de l’inflation alors que le contrat de croissance et de solidarité prévoit une indexation sur la croissance : 20 % en 1999, 25 % en 2000, 33 % en 2001. Ainsi, ce qu’on appelle « d’enveloppe normée » enveloppe garantie qui va bien au-delà de la dotation globale de fonctionnement va augmenter de 2,4 milliards de francs.

Néanmoins, le gouvernement compte tenu de la régularisation négative liée à l’application de la loi 1992 a décidé d’aller plus loin, notamment pour faciliter la prise en compte des résultats du recensement général de la population. Vous savez que notre population augmente d’un peu plus de deux millions. Comme c’est la base de calcul de la DGF, si aucune mesure correctrice n’avait été prise, il aurait manqué un milliard et demi pour les deux dotations de solidarité (urbaine et rurale). Le gouvernement, estimant que ces mouvements sont insupportables et ruineraient tous les efforts consentis en faveur de la péréquation, a décidé de saisir le Parlement d’un projet de loi étalant les effets du recensement sur trois ans. Il rend ainsi moins couteux cet impact du recensement et protège les collectivités qui perdent les habitants d’une contraction trop rapide de leurs ressources.

D’autre part, le gouvernement était sensible à la nécessité de maintenir le niveau de péréquation. C’est la raison pour laquelle il a prévu d’abonder de 200 millions de francs la dotation d’aménagement et de 500 millions de francs la DSU, qui bénéficie aussi à certaines petites villes en difficulté. Déjà, l’an dernier, la DSU avait bénéficié d’un montant de 500 millions de francs supplémentaires. Ce n’est pas le seul effort que l’État va consentir en 2000 au bénéfice des collectivités locales, puisqu’il a prévu d’accepter un certain nombre d’amendements qui feront que la dotation de solidarité rurale destinée aux bourgs centres devrait progresser de plus de 100 millions de francs.

Par ailleurs, la compensation de la part salariale de la taxe professionnelle sera indexée sur le taux de progression avant régularisation, c’est-à-dire sur 2,05 % et non sur 0,82 %. Donc, au total, c’est un effort de plus de 4 milliards de francs supplémentaires.

J’ajoute que plutôt que de laisser se dégrader les comptes de la CNRACL jusqu’à un déficit prévisionnel de 6,7 milliards de francs à la fin de 2001 le gouvernement a choisi d’infléchir de manière décisive la politique qui avait été suivie depuis 1994. Il a décidé de réduire de quatre points, dès le 1er janvier 2000, la surcompensation effectuée au profit des caisses structurellement déficitaires : cheminots, mineurs, etc. Donc, le taux de la surcompensation va passer de 38 à 34 % et il passera encore de 34 à 30 en 2001. Ce qui signifie que, dès le 1er janvier de l’an 2000, c’est une diminution qui peut être évaluée à un milliard de francs dont bénéficiera la CNRACL.

Naturellement, dans le même temps, la cotisation employeur des collectivités locales et des établissements hospitaliers devra être majorée mais seulement de 0,5 point au 1er janvier 2000. Il me semble que vous serez sensibles à l’effort qui est fait, qui sera naturellement abondé par ailleurs au niveau des contrats de plan État région. La seconde enveloppe sera certainement définie aux alentours du 1er décembre pour que les budgets puissent être votés à temps, et je pense qu’une part importante devrait être réservée aux contrats d’agglomérations.

André Lajoinie m’a interrogé sur les 35 heures. Il est évident que si les collectivités locales doivent s’engager sur cette voie, il faut qu’elles sachent que l’État ne pourra pas compenser. Par conséquent, elles doivent réfléchir les 35 heures dans un cadre plus général d’amélioration de la qualité des prestations servies au public.

La citoyenneté et le vote des immigrés

André Lajoinie m’a aussi interrogé sur la citoyenneté, et votre désir de permettre le vote des immigrés aux élections locales.
Être citoyen ça donne des droits, ça donne aussi des devoirs : payer l’impôt, respecter les lois, respecter les libertés des autres etc. Ces devoirs doivent être rappelés. Longtemps, cette intégration des droits et des devoirs s’est faite sous l’égide du suffrage universel, dans le cade de la Nation : la citoyenneté était liée à la nationalité. Peut-on en sortir ? C’est ce qui a été pensé par le traité de Maastricht, qui a inscrit les étrangers communautaires sur les listes électorales pour les municipales et les européennes. Faut-il aller dans le même sens pour les étrangers non communautaires je pense aux communautés qui sont les plus nombreuses sur le sol français, c’est-à-dire algériennes, marocaines, maliennes, sénégalaise, zaïroises, etc. ? C’est une question qu’il faut poser. Mais la nationalité, dans notre pays, dépend du droit du sol, c’est-à-dire qu’en réalité l’accès à la nationalité française est favorisé. En outre, cet accès est également favorisé par une politique de naturalisation.

Quant au statut de l’élu que vous réclamez, je ne pense pas que ce soit un très bon mot, parce que ça donne un peu l’idée de fonctionnarisation des élus. Or, il y a une tradition de bénévolat et de dévouement des élus auxquels non concitoyens sont attachés. Mais je suis sensible à la difficulté de l’exercice des mandats d’élus. Je considère qu’il y a beaucoup d’efforts à faire pour offrir aux élus de notre pays des ressources suffisantes pour qu’ils puissent renoncer à une partie de leur activité professionnelle. En second lieu, il faut mieux organiser la conciliation entre l’exercice d’un mandat et une activité professionnelle : c’est le problème des heures libérées, des dispenses.

Enfin, nous avons à offrir à ceux d’entre vous qui ont consacré une partie de leur existence au service de la collectivité une retraite décente.

Et puis, je crois que si nous voulons aussi vraiment respecter l’égalité républicaine nous devons engager une action vigoureuse pour diversifier l’origine socio-professionnelle des élus. On ne peut pas accepter que les élus soient pour la plupart des retraités, des fonctionnaires ou des professions libérales. La partie homme-femme est une bonne chose mais nous devons penser également à la partie sociale.

Je terminerai en disant que le ministre de l’Intérieur est très attentif aux propositions de votre Association, il est naturellement l’avocat des préoccupations légitimes des élus au sein du gouvernement et vous pouvez formuler beaucoup de préoccupations légitimes.