Texte intégral
La Tribune : À quinze mois de l’ouverture totale du marché des télécommunications, quel bilan faites-vous de votre action ?
François Fillon : Alors que pour les entreprises le plus dur est à venir, pour le gouvernement le plus difficile est derrière nous. Nous avons mené pratiquement à terme la réforme, et cela dans des délais très courts. Ce qui n’était pas acquis il y a un an : il fallait convaincre le Parlement et le personnel de France Télécom du bien-fondé de ces changements. De plus, les analyses publiées depuis sont extrêmement positives : elles nous reconnaissent une vraie ouverture du marché et la transparence du dispositif.
La Tribune : À quel stade en est la préparation des décrets ?
François Fillon : Tous les décrets portant sur les nouvelles structures (l’autorité de régulation des télécommunications, l’agence des fréquences, les écoles de télécommunications) sont prêts et ils seront publiés rapidement. En outre, le projet de budget pour 1997 prévoit les moyens de fonctionnement. À noter que le budget de mon ministère augmente de 6,5 % en raison de la création de ces instances.
La Tribune : Quels sont les moyens accordés à l’autorité de régulation ?
François Fillon : Cette instance aura les moyens de fonctionner. Ses effectifs compteront 140 salariés. Le gouvernement ne cherchera pas à maintenir une administration puissante face à l’autorité de régulation (ART), puisque la nouvelle Direction des postes et télécommunications du ministère sera réduite à 70 personnes au lieu de 200 aujourd’hui.
La Tribune : La composition de l’ART est-elle arrêtée ? Quels profil recherchez-vous pour la présider ?
François Fillon : Le choix n’est pas arrêté. Il devra s’agir de personnes qui connaissent le secteur des télécommunications et qui soient indépendantes, sans problème de conflit d’intérêts avec l’une ou l’autre partie.
La Tribune : Les opérateurs privés attendent aussi avec impatience la publication des décrets portant sur l’interconnexion et le service universel. Quant seront-ils prêts ?
François Fillon : Sur l’interconnexion, notre souci est que l’équilibre mis en place par le texte de loi soit respecté par les décrets d’application. La recherche de ce juste équilibre fait l’objet de plusieurs groupes de travail avec les opérateurs. Le projet de décret sera soumis à une consultation publique dès le début de novembre ; mais nous attendons que l’autorité de régulation soit mise en place pour qu’elle puisse donner son avis, ainsi que sur le catalogue d’interconnexion de France Télécom. La publication du décret n’interviendra donc pas avant février 1997. En revanche, le débat sur le service universel avance. Nous suivrons, tout comme sur l’interconnexion, les préconisations du rapport Champsaur. Le projet de décret est d’ailleurs rédigé et vient d’être adressé pour avis aux différents acteurs.
La Tribune : L’autre événement important attendu pour 1997 est la vente d’une partie du capital de France Télécom. Quel sens donnez-vous à cette opération ?
François Fillon : L’idée générale est de réaliser la plus grande opération d’actionnariat populaire jamais faite en France. France Télécom a 32 millions de clients, c’est une base de départ fantastique. Notre objectif est d’être au moins aussi ambitieux que Deutsche Telekom qui vise la barre des 2 millions d’actionnaires individuels.
La Tribune : Quel pourcentage du capital sera mis en vente en 1997 ?
François Fillon : La première tranche, prévue pour la deuxième quinzaine d’avril, devrait porter sur environ 20 % du capital.
La Tribune : Est-il exact qu’environ 20 % du capital sont réservés à Deutsche Telekom ? D’autres industriels pourraient-ils entrer au capital de France Télécom ?
François Fillon : Avant de décider de participations croisées avec Deutsche Telekom, il faut connaître la valeur de l’opérateur allemand et de l’opérateur français. Compte tenu des valeurs prévisibles des entreprises, une part de 20 % me paraît financièrement élevée. Enfin, je rappelle que les salariés peuvent détenir une participation de 10 % et que nous n’avons pas souhaité constituer un noyau dur.
La Tribune : Ne craignez-vous pas que la constitution d’un deuxième acteur autour de la Générale des eaux ne débouche sur la création d’un duopole ?
François Fillon : Tout d’abord, je me réjouis de la constitution d’un deuxième pôle avec l’arrivée de BT et de Mannesmann. Mais, il ne me paraît pas souhaitable que s’installe un duopole. Nous avons eu l’exemple de la téléphonie mobile, un secteur dans lequel il a fallu qu’un troisième compétiteur arrive pour que la concurrence joue à plein et que le marché se développe. Je souhaite donc que puisse se créer un troisième pôle.
La Tribune : Vos déclarations sur les tarifs de France Télécom ne vont-elles pas à l’encontre d’une plus grande indépendance de l’opérateur inscrite dans le changement de statut ?
François Fillon : Je n’ai pas besoin d’exercer des pressions sur France Télécom pour que l’opérateur baisse ses prix. C’est dans la logique des choses. De plus, la réduction du cahier des charges de France Télécom a supprimé tout ce qui permettait à l’État d’aller au-delà de son rôle d’actionnaire majoritaire. Tous les décrets et mesures réglementaires seront élaborés pour laisser à France Télécom la plus grande liberté.
La Tribune : Pourquoi avez-vous demandé à Didier Lombard un rapport sur la réorganisation de la recherche dans les télécommunications ?
François Fillon : Ce rapport est destiné à nous permettre de faire face à la réorganisation de la politique de recherche de France Télécom induite par son nouveau statut. Didier Lombard devrait rendre ses propositions bientôt. En ce qui concerne l’enseignement, l’État reprend à sa charge le financement des écoles. Ce qui représente une somme de 400 millions de francs, qui est inscrite dans le budget du ministère des Télécommunications.
La Tribune : Comment pouvez-vous rassurer les industriels qui s’inquiètent des répercussions entraînées par les changements de statut de France Télécom ?
François Fillon : Il faut faire confiance au jeu de la concurrence. Comme je l’ai dit aux industriels membres du Gitep, si la nature de leurs relations avec France Télécom va changer, l’avenir n’est pas pour autant sombre. L’arrivée de nouveaux opérateurs constitue aussi une opportunité. Mais l’expérience étrangère prouve que les opérateurs historiques maintiennent un niveau élevé d’investissement.
La Tribune : Selon vous, quel rôle doit jouer France Télécom dans la télévision numérique ?
François Fillon : J’ai faites miennes les conclusions du rapport Vanderschmit. Il faut que la stratégie audiovisuelle de France Télécom s’appuie sur la réalité du marché. Et le marché aujourd’hui, c’est Astra ou Eutelsat. D’ailleurs, l’opérateur travaille aujourd’hui sur des scénarios pour accroître sa participation dans un pôle existant, notamment dans Eutelsat. D’autre part, dans les décodeurs numériques, il est souhaitable que les normes européennes soient respectées. On peut se demander s’il y a de la place en France pour deux bouquets numériques concurrents ? C’est aux entreprises d’apporter la réponse, mais quand on voit ce qui se passe en Allemagne, on peut se demander si en France on va dans le bon sens.
La Tribune : Comment réagissez-vous à l’annulation par le Conseil constitutionnel de la création du comité supérieur de la télématique ?
François Fillon : Lors de la discussion au Sénat de la loi de réglementation, nous avons déposé, dans des délais très courts, un amendement pour répondre à la mise en examen de deux offreurs d’accès à Internet. Le Conseil constitutionnel a jugé que le pouvoir de recommandation du comité n’était pas assez encadré par la loi. Nous travaillons donc pour trouver d’autres dispositions. Nous avons déjà pris trois initiatives. Sur un plan international, la France veut susciter un débat au niveau de l’OCDE sur la coopération internationale. D’autre part, nous allons soutenir l’initiative de la Belgique à Bruxelles pour doter l’Union européenne d’outils de réflexion. Enfin, le Premier ministre va nommer un parlementaire pour une mission de réflexion sur le plan national. En fait, la vraie question est de savoir comment appliquer les législations nationales en matière de communication écrite à un système de média international. La seule piste viable est d’aboutir à une coopération politique et judiciaire internationale.
La Tribune : Comment réagissez-vous aux conclusions du rapport Miléo sur les autoroutes de l’information ?
François Fillon : Je suis tout à fait d’accord avec son constat sur le sous-équipement en France en matière informatique et sur les mesures préconisées, notamment fiscales. Ce retard est vraiment très grave : les technologies de l’information constituent un des éléments clés de la compétitivité des économies et ont aussi des répercussions importantes sur le plan culturel. Le Premier ministre en est d’ailleurs conscient et il m’a demandé de nouvelles propositions. Je ferais une critique sur le rapport, qui a un manque sur le volet éducatif. Il me semble que le problème est largement culturel et qu’il doit être pris à la base, à l’école.
La Tribune : Seriez-vous favorable à la mise en cause d’un nouveau plan informatique pour tous, malgré l’échec retentissant du premier ?
François Fillon : L’erreur de ce plan était d’être extrêmement centralisé. L’approche doit être décentralisée. Le sujet est en discussion avec François Bayrou. Mais il faut que l’Éducation nationale accepte l’hétérogénéité du dispositif final. Un tel plan doit se faire aussi en coopération avec plusieurs constructeurs informatiques qui se disent prêts à s’engager. Des expérimentations sont déjà en cours dans plusieurs académies pour dégager des concepts en matière pédagogique. L’ordinateur doit devenir un instrument quotidien, au même titre que la calculette.
La Tribune : Thierry Miléo plaide aussi en faveur d’une autorité unique en matière de communications. Y êtes-vous favorable ? Pensez-vous aussi souhaitable de créer une autorité de régulation au niveau européen ?
François Fillon : Il n’est pas dans nos intentions de fusionner l’autorité de régulation des télécommunications avec le CSA. Et nous nous battrons en Europe contre le projet d’une instance supranationale de régulation.