Le 29 mars 2022, le Sénat a publié un rapport sur la judiciarisation de la vie publique. Le document dresse un état des lieux nuancé sur la place grandissante du pouvoir juridictionnel. Si l'État de droit en sort renforcé, le document souligne également un certain affaiblissement du système démocratique.
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Une chance pour l’État de droit ? Une mise en question de la démocratie représentative ? Quelles conséquences sur la manière de produire des normes et leur hiérarchie ? Une mission d’information du Sénat a rendu ses conclusions sur la judiciarisation de la vie publique le 29 mars 2022. Créée en décembre 2021, cette mission entend élaborer "de nouvelles modalités de dialogue et de régulation, dans le respect de nos principes démocratiques et de l’indépendance de la justice".
Pour les citoyens, souligne le rapport, le pouvoir politique serait "dépossédé de son pouvoir de décision, et entravé dans sa capacité d’action, par la place prise par les juges nationaux et européens". Le débat autour du "gouvernement des juges" provient notamment des règles contraignantes issues des juridictions suprêmes (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation, cours européennes).
Un État de droit renforcé
Le développement du pouvoir juridictionnel a permis une meilleure protection des droits fondamentaux et un "affermissement de l'État de droit". Le pouvoir des juges a augmenté pour plusieurs raisons :
- l'essor du contrôle de constitutionnalité avec la mise en place de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en 2008 ;
- l’extension et l’approfondissement du contrôle du juge administratif ;
- la création de procédures de référé, qui placent le juge administratif au contact direct de l’action publique ;
- le développement du contrôle de conventionalité (conformité de la loi à un traité) dans un contexte de développement du droit européen.
Par ailleurs, l'accentuation du pouvoir des juridictions s'est accompagnée de la transformation du droit. Pluriel et complexe, il n'est plus l'apanage de la seule loi. Les juges ont ainsi plus de "marges de manœuvre", souligne la mission d'information.
Le rapport note aussi que les citoyens saisissent la justice pour faire valoir leurs droits ou pour faire avancer des causes quand l'action publique ne suffit plus. Mais, mieux protéger les droits "peut compromettre la capacité de mener des politiques publiques efficaces au service de l’intérêt général".
Des propositions de régulation
Les juges ont un pouvoir politique, estime le rapport. C'est pourquoi les sénateurs préconisent de "revivifier notre démocratie" et de retrouver un meilleur équilibre institutionnel. Pour surmonter les tensions, la mission propose trois pistes :
- améliorer la qualité de la production normative (ne pas créer une nouvelle infraction à chaque événement médiatique, par exemple) ;
- ouvrir de nouveaux espaces de dialogue avec les juridictions, dans le respect de leur indépendance (créer en particulier des conseils de juridiction, aux niveaux local et national pour des échanges avec les élus) ;
- inciter les juridictions à l'autorégulation pour exercer leur pouvoir avec retenue (reconnaître la responsabilité pénale de l’État, notamment).