Le rapport sur l'application de la loi fiscale (RALF) permet chaque année au rapporteur de la commission des finances de l'Assemblée nationale d'examiner la mise en œuvre de la loi de finances (LF) précédente, sur la base des réponses du gouvernement.
Le rapporteur général, Charles de Courson, attire notamment l'attention dans le RALF 2025 en date du 30 septembre 2025 sur "une dérive particulièrement préoccupante, consistant, pour le gouvernement, à ne pas appliquer des dispositions régulièrement adoptées par le législateur et promulguées. Cette pratique semble être devenue courante depuis 2024. Elle est d'autant plus inquiétante qu'elle concerne des sujets à forte portée politique".
Annulation, non-application ou report de réformes
Le RALF mentionne trois cas d'annulation, de non-application ou de report de réformes :
- l'annulation du tarif d'accise sur le gazole non routier (GNR) agricole (LF pour 2024) ;
- la non-application de l'abaissement des plafonds de chiffre d'affaires qui permet l'utilisation de la franchise en base de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) (LF pour 2025) ;
- le report de l'entrée en vigueur des plafonds d'exonération pour les transmissions agricoles (LF pour 2025).
Pour les deux premières mesures reportées ou annulées, le coût pour l'État est estimé à 810 millions d'euros (160 millions d'euros pour l'annulation du tarif d'accise sur le GNR et 650 millions d'euros pour la non-application de l'abaissement des plafonds de chiffre d'affaires permettant l'utilisation de la franchise en base de TVA). Dans le cas de la troisième mesure, une erreur matérielle de coordination dans la loi implique une traduction législative dans le prochain projet de loi de finances.
Un renversement de la hiérarchie des normes ?
Ces réformes ont été annulées ou reportées par diverses voies réglementaires, notamment des décrets, ce qui constitue, selon le RALF, "un authentique renversement de la hiérarchie des normes, donc une négation de l’État de droit". D'après le rapport, "il ne semble exister aucun recours effectif contre des actes réglementaires manifestement illégaux".
La jurisprudence ne reconnaît en matière fiscale l'intérêt à agir que des contribuables directement concernés. Or, il est peu probable que des contribuables puissent contester un acte réglementaire qui leur est favorable. L'illégalité de l'acte est cependant "patente" souligne le rapport.
Inversement, des contribuables non directement concernés par ces mesures, demandant l'annulation de décisions provoquant des dépenses budgétaires et donc l'augmentation des impôts, ne justifient pas d'un intérêt à attaquer ces décisions, comme le rappelle le Conseil d'État.
Députés comme sénateurs ont tenté d'agir en déposant des propositions de loi sur l'intérêt à agir des parlementaires, dont aucune n'a abouti. Des parlementaires ont toutefois obtenu des succès en posant des recours devant la juridiction administrative, notamment afin de contester des décrets d'avance. Cela n'a toutefois pas abouti à reconnaître l'intérêt à agir des parlementaires.
Le rapporteur général souligne qu'"il n'est pas exclu que la pratique consistant, pour un ministre, à ordonner par un acte réglementaire que ne soit pas perçue, ou que soit perçue incomplètement, une recette prévue par le législateur, soit passible des sanctions prévues par l'article 432-10 du code pénal, qui punit de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 euros, le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, d'accorder sous une forme quelconque et pour quelque motif que ce soit une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires".