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© Amaury Cornu / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Parlement : la motion de censure, pour quoi faire ?

Temps de lecture  12 minutes

La motion de censure permet à l'Assemblée nationale de renverser le Gouvernement. Elle repose sur le lien de confiance qui unit Gouvernement et Parlement. Quels sont les effets d’une motion de censure ? En existe-t-il plusieurs formes ? Une réforme de la motion de censure de la Constitution de 1958 pourrait-elle renforcer la stabilité politique ?

Alors que le Gouvernement n'est plus soutenu par une majorité, même relative, au Parlement, la motion de censure est sur toutes les lèvres. Va-t-on revenir à l'instabilité ministérielle des républiques précédentes ? Il importe de comprendre ce que la motion de censure représente et comment elle peut être adoptée sous la Ve République. 
 

Qu'est-ce que la motion de censure ?

La motion de censure est un mécanisme permettant au Parlement de renverser le Gouvernement en mettant fin aux fonctions de l'ensemble des ministres qui le composent (y compris le premier d'entre eux) : c'est donc la mise en jeu politique d'une responsabilité collective. 

L'existence de ce mécanisme de responsabilité solidaire du Gouvernement repose sur le lien de confiance qui unit le Gouvernement au Parlement, lequel doit pouvoir être mis à l'épreuve. Il constitue le critère déterminant d'un régime dit "parlementaire" qui traduit une certaine manière d'organiser la séparation des pouvoirs, cette dernière visant à éviter la tyrannie de l'un des deux pouvoirs, exécutif et législatif. La séparation des pouvoirs fonctionne différemment dans un régime dit "présidentiel" dans lequel les ministres ne peuvent pas être renversés par le pouvoir législatif, mais seulement révoqués par le chef de l'État. Ce type de responsabilité politique ne doit pas non plus être confondu avec la responsabilité pénale et individuelle des ministres devant la Cour de justice de la République, en cas de crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions (articles 68-1 à 68-3 de la Constitution).

Dans un régime parlementaire, la motion de censure fait partie de ce que l'on appelle les "moyens d'action réciproques" entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. En d'autres termes, le pouvoir législatif (une ou plusieurs assemblées) peut mettre fin aux fonctions du pouvoir exécutif (le Gouvernement). La réciproque consiste dans le droit de dissolution : le pouvoir exécutif peut mettre fin, de façon anticipée, au mandat des parlementaires. Ces moyens d'action doivent notamment permettre de régler les conflits potentiels entre ces deux pouvoirs, soit en redonnant la parole au corps électoral (dissolution), soit en cherchant à obtenir un nouveau Gouvernement (motion de censure).

En France, c'est le président de la République qui peut décider, après avis non contraignant des présidents des deux assemblées et du Premier ministre, de dissoudre l'Assemblée nationale (article 12 de la Constitution). Seule cette assemblée peut être dissoute. En contrepartie, seule l'Assemblée nationale a la compétence d'adopter une motion de censure, c'est-à-dire de renverser le Gouvernement en exercice.

L'objectif de ces moyens politiques d'action réciproques est de parvenir à régler par le droit les conflits et ainsi éviter, autant que possible, le recours à la force, à l'image des nombreux coups d'État et révolutions que la France a connus depuis 1789.

Comment est organisée la motion de censure dans la Constitution française ?

La responsabilité du Gouvernement devant le Parlement est énoncée à l'article 20 de la Constitution. La motion de censure, en particulier, est définie aux articles 49 et 50.

L'article 49 prévoit deux types d'utilisation de la motion de censure : la motion de censure dite "spontanée" (article 49, alinéa 2) et la motion de censure faisant suite à l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d'un texte (article 49, alinéa 3). Il importe de préciser, au préalable, qu'il ne faut pas confondre ces motions avec l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale. En effet, selon l'article 49, alinéa 1, "Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale." Ici, c'est le Gouvernement qui prend l'initiative d'engager sa responsabilité devant les députés. 

La "motion de censure spontanée"

Selon l'article 49, alinéa 2, "L'Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d'une motion de censure." Ainsi, l'initiative appartient en totalité aux parlementaires, à n'importe quel moment d'une session ordinaire, ou extraordinaire. 

Il existe toutefois une limite, dans la mesure où "un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d'une même session ordinaire et de plus d'une au cours d'une même session extraordinaire".

Il est possible de retrouver l'ensemble des motions déposées sur ce fondement sur le site de l'Assemblée nationale

En France, depuis 1958 et jusqu'alors, une seule motion de censure spontanée a été adoptée en 1962 contre le gouvernement Pompidou, afin de contester le recours du président de la République au référendum de l'article 11 de la Constitution pour modifier la Constitution, en vue d'instaurer l'élection présidentielle au suffrage universel direct.

La motion de censure dans le cadre de l'article 49 alinéa 3

Selon l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, "Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée (…)".

Ici, la motion de censure ne peut être déposée que si le Gouvernement engage sa responsabilité sur le vote d'un texte. Les parlementaires n'ont donc pas la totale maîtrise du processus. 

Cet engagement de la responsabilité du Gouvernement sur un texte a été davantage encadré par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. Auparavant, le Gouvernement n'était pas limité dans l'utilisation de cet alinéa 3 de l'article 49. Désormais, si le Gouvernement n'est pas limité pour les textes financiers (lois de finances et loi de financement de la sécurité sociale, y compris les lois rectificatives), il ne peut l'utiliser pour les autres textes, qu'une seule fois par session. 

Il est possible de retrouver l'ensemble des motions déposées sur ce fondement sur le site de l'Assemblée nationale

En France, depuis 1958, une seule motion de censure a été adoptée à la suite de la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement sur un texte : la motion de censure du 4 décembre 2024 contre le gouvernement de Michel Barnier.

Les conditions d'adoption d'une motion de censure

Une telle motion de censure, quelle que soit la raison de son utilisation (spontanée, ou en raison de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d'un texte) doit respecter un certain nombre de conditions : 

  • elle doit être signée, c'est-à-dire proposée, par un dixième au moins des membres de l'Assemblée nationale ;
  • son vote ne peut avoir lieu que 48 heures après son dépôt ;
  • seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu'à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée.

Les conséquences d'une motion de censure

L'article 50 de la Constitution prévoit que "Lorsque l'Assemblée nationale adopte une motion de censure (…) le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement". 

Le Gouvernement devient donc "démissionnaire" et traite les affaires courantes jusqu'à la nomination, par le président de la République, d'un nouveau Premier ministre puis, sur proposition de ce dernier, des membres du nouveau Gouvernement (article 8 de la Constitution).

Quelles sont les raisons du choix de ce type de motion lors de l'élaboration de la Constitution de 1958 ?

La motion de censure de la Constitution de 1958 est une motion simple, sans condition pour l'avenir. Elle s'oppose à la motion de censure constructive, qui ne peut être adoptée que si ceux qui la déposent proposent une solution pour régler le conflit à l'avenir.

Sous les IIIe et IVe Républiques, la France a connu de longues périodes d'instabilité gouvernementale. Ainsi, entre 1946 et 1958, soit en 12 ans sous la IVe République, 24 gouvernements se sont succédé (ce qui représente une durée moyenne de 6 mois). Malgré le mécanisme prévu pour encadrer la motion de censure, les gouvernements prennent l'habitude de démissionner en raison de désaccords avec l'Assemblée nationale. Ainsi, ce sont les difficultés politiques (particulièrement trouver une majorité durable au sein d'une assemblée très divisée) qui rendent toute combinaison ministérielle instable, les gouvernements démissionnant d'eux-mêmes lorsqu'ils estiment qu'ils ne sont plus assez soutenus pour mener leur mission à bien. On le voit, l'encadrement constitutionnel ne peut suffire à garantir la stabilité gouvernementale.

Toutefois, plusieurs propositions de mise en place d'une motion de censure constructive ont pu être faites, sans toutefois aboutir. Censurer le Gouvernement n'est alors plus "simplement" renverser un Gouvernement, mais trouver, au préalable, un accord sur celui qui le remplacera. Sous la IVe République, on compte notamment la proposition de Paul Coste-Floret, en 1957, d'une motion de censure constructive par énumération des principes que le futur Gouvernement mettrait en œuvre. Félix Gaillard proposa ensuite, en 1958, une motion de censure constructive par désignation du successeur du président du Conseil en exercice. Pour autant, en raison des difficultés politiques connues sous la IVe République, ces encadrements constitutionnels n'auraient pas forcément permis de stabiliser les gouvernements.  

En 1958, le souhait des rédacteurs du texte constitutionnel fut de mettre un terme définitif à l'instabilité gouvernementale des deux régimes précédents en encadrant les prérogatives du Parlement (ce que l'on nomme la rationalisation du régime parlementaire, c'est-à-dire, des moyens d'action du Parlement sur le Gouvernement). Elle a consisté en l'inscription, dans la Constitution, de la façon la plus précise possible, des mécanismes et règles du régime parlementaire pour en éviter tout dysfonctionnement. La motion de censure a fait l'objet de cet encadrement drastique en fixant des conditions relatives :

  • au dépôt d'une telle motion (nombre minimum de députés signataires et limitation du nombre de signatures par député dans le temps) ;
  • à l'organisation du scrutin (vote 48 heures après son dépôt pour permettre un vote réfléchi et éviter les votes impulsifs) ;
  • à son adoption (à la majorité absolue des membres de l'Assemblée nationale et non des suffrages exprimés). 

Si un encadrement similaire existait déjà dans la Constitution de 1946, la Ve République a ajouté d'autres éléments favorisant le soutien des gouvernements par une majorité stable à l'Assemblée nationale. Parmi eux, on compte notamment l'élection des députés au suffrage uninominal majoritaire à deux tours. Aujourd'hui, ce mode de scrutin ne garantit toutefois plus une telle majorité. 

Y a-t-il des expériences étrangères de motion de censure constructive ?

La motion de censure constructive existe dans différents États, notamment dans quelques pays européens comme l'Allemagne (article 67 de la Loi fondamentale), la Belgique (article 46 de la Constitution), l'Espagne (article 113 de la Constitution), la Hongrie (article 20 de la Constitution), la Pologne (article 158 de la Constitution) et la Slovénie (article 116 de la Constitution). Parmi elles, on peut s'appuyer notamment sur les exemples allemand et espagnol. 

D'une part, l'article 67 de la Loi fondamentale allemande prévoit la "motion de défiance constructive". Ainsi le Parlement ne peut renverser le Gouvernement que s'il parvient à élire un successeur au Chancelier en fonction à la majorité de ses membres. 

D'autre part, selon l'article 113.2 de la Constitution espagnole, la motion de censure proposée par le Congrès des députés doit inclure le nom d'un candidat à la présidence du gouvernement. Dans les deux cas, cela signifie que le Gouvernement ne peut pas être renversé si la chambre n'est pas capable de se mettre d'accord sur la personne qui prendra la tête du futur Gouvernement. 

Toutefois, il ne faut pas oublier que la motion de censure ne fonctionne qu'en cas de crise, sans aucun automatisme, et qu'un gouvernement soutenu par une majorité au Parlement n'a pas de raison d'être censuré. La réalité d'une telle motion de censure constructive reste donc exceptionnelle. Elle n'a été utilisée que deux fois depuis 1949 en Allemagne. En Espagne, elle a été déposée six fois depuis 1978, mais n'a été adoptée qu'une seule fois, en 2018.

En France, quels pourraient être les effets d'une motion de censure constructive sur les pouvoirs du Parlement et la stabilité du Gouvernement ?

Le régime de la Ve république n'est, pour le moment, pas connu pour être particulièrement instable. Les conditions pour renverser le Gouvernement sont difficiles à mettre en œuvre et n'ont permis qu'une seule fois, à l'heure actuelle, de renverser un Gouvernement, en 1962. Même récemment, alors que le Gouvernement n'était pas soutenu par une majorité absolue de députés, il n'a pas été renversé. Par exemple, le 20 mars 2023, la motion déposée n'a recueilli que 278 voix contre 287 nécessaires. Ce fut le maximum de voix réunies par une motion depuis les élections de juin 2022, et il manqua malgré tout 9 voix. Ainsi, jusqu'alors, il ne semblait pas utile de chercher à renforcer la stabilité du Gouvernement, au contraire. Étaient plutôt envisagées les conditions du renforcement des moyens d'action du Parlement contre le Gouvernement (comme la révocation ministérielle individuelle par exemple). 

La composition de l'Assemblée nationale depuis juin 2024 pourrait entraîner une évolution, si les oppositions parvenaient à se mettre d'accord et à s'allier pour renverser un Gouvernement. Dans le cas d'une réforme de la motion de censure consistant à prévoir l'adoption d'une motion de censure constructive par l'Assemblée nationale, cette dernière pourrait être vue comme renforcée si elle parvenait à en adopter une. En effet, elle montrerait sa capacité à fédérer ses forces. En l'état actuel des forces politiques représentées au Parlement, une telle motion semble toutefois difficile à envisager. En outre, les mécanismes constitutionnels ne permettent pas systématiquement de régler des difficultés politiques : l'expérience de la IVe République en est un exemple topique. Si la motion de censure était encadrée par la Constitution, les gouvernements successifs ont démissionné sans être censurés par le Parlement.