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Délais de jugement, nombre d'affaires... Cinq questions sur la surcharge de la justice criminelle

Temps de lecture  6 minutes

Par : La Rédaction

Lors de l'audience solennelle de début 2025, le premier président et le procureur général de la Cour de cassation ont fait un état des lieux de la justice pénale. Engorgement des juridictions, crimes en attente de jugement, surpopulation carcérale... Le point, en cinq questions, sur les enjeux en matière de justice criminelle.

Les juridictions pénales chargées de la répression des crimes (cours d'assises et cours criminelles départementales) font face à des difficultés d'audiencement croissantes.

Quelles sont les compétences des juridictions criminelles ?

Les cours criminelles départementales, généralisées depuis le 1er janvier 2023 par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, jugent des crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion criminelle, en dehors des cas de récidive. Les cours d'assises sont compétentes pour les crimes punis de plus de 20 ans de réclusion ou commis en récidive. Elles statuent également sur les appels formés contre les décisions des cours criminelles départementales. 

Au 31 décembre 2023, plus de 3 300 affaires étaient en cours devant les juridictions criminelles de première instance (Source : Références statistiques justice de 2024). En seulement cinq ans, le nombre de crimes en attente de jugement a doublé.

Les délais de jugement devant les juridictions criminelles s'allongent en conséquence. La France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour non-respect du droit à un délai raisonnable de jugement. 

L'augmentation des affaires criminelles en attente de jugement peut être expliquée par plusieurs facteurs. 

Le nombre de plaintes déposées pour violences sexuelles a connu une forte croissance au cours des dernières années. Cette évolution est attribuée au phénomène de libération de la parole des victimes (#MeToo). En 7 ans, on a assisté à une hausse de 152,6% des viols enregistrés par les forces de sécurité intérieure. La création des cours criminelles départementales a permis le traitement d'un plus grand nombre de crimes sexuels. Néanmoins, les capacités globales de jugement des juridictions criminelles demeurent insuffisantes face à l'augmentation du nombre d'affaires de viols

Au-delà des crimes sexuels, la justice française manque de moyens, d'effectifs et d'immobilier. La somme que la France consacre à la justice est très inférieure à celle d'autres pays européens (deux fois moins que l'Allemagne), et elle ne représente que 2% des dépenses de l’État, comme l'ont rappelé le premier président et le procureur général de la Cour de cassation (audience solennelle de début d'année judiciaire 2025). Ces défaillances ont une influence directe sur les délais de jugement des infractions pénales.

Par ailleurs, les juridictions d'appel font face à une augmentation du stock de recours à traiter. Au 31 décembre 2023, plus de 620 affaires étaient en attente de jugement devant les cours d'assises d'appel, soit une augmentation de 16% par rapport à l'année précédente (Source : Références statistiques justice de 2024). 

La situation des personnes accusées dans l'attente de leur jugement varie. Elles peuvent demeurer libres jusqu'à leur éventuelle condamnation, ou être assignées à résidence, placées sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire (incarcération). Les mesures de restriction de liberté, censées être exceptionnelles, sont de plus en plus courantes.

La surpopulation carcérale est en grande partie liée à l'augmentation croissante des placements en détention provisoire. Au 31 décembre 2023, 26% des personnes incarcérées étaient en détention provisoire (que ce soit pour un crime ou un délit). Une part importante des personnes emprisonnées le sont ainsi alors qu'elles n'ont pas encore été jugées - ni, donc, condamnées. La densité carcérale est particulièrement élevée au sein des maisons d'arrêt, établissements pénitentiaires qui accueillent - entre autres - les personnes placées en détention provisoire. Fin 2023, le taux d'occupation des maisons d'arrêt était de 146 personnes pour 100 places, contre 139 pour 100 places au 31 décembre 2022 (Source : Références statistiques justice de 2024). La durée moyenne de la détention provisoire était de 5,2 mois

La surcharge de travail des juridictions criminelles conduit à des priorisations d'audiencement, notamment pour les accusés détenus. Les délais maximaux de détention sont en effet différents selon que l'accusé est jugé par une cour criminelle départementale (jusqu'à un an) ou une cour d'assises (jusqu'à deux ans). 

Les accusés relevant d'une cour criminelle départementale sont donc jugés en priorité, afin de respecter au mieux les délais légaux de détention provisoire. Les requêtes en prolongation exceptionnelle de la détention provisoire sont de plus en plus nombreuses. Quant aux accusés non détenus (souvent placés sous contrôle judiciaire), l'examen par la juridiction compétente peut être reporté sans date fixée. 

Les délais d'audiencement conduisent à des décisions de remise en liberté des accusés pour lesquels le délai maximum de détention a été atteint ou est considéré déraisonnable. La décision de remise en liberté est prise par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention (JLD)

Certains procureurs généraux s'inquiètent de la remise en liberté de personnes considérées par la justice comme dangereuses, avec un risque de réitération d'infractions. 

L'instauration des cours criminelles départementales a été présentée comme une solution à l'engorgement des cours d'assises. La correctionnalisation (requalification de faits constitutifs d'un crime afin d'en faire un délit) était courante, surtout en matière sexuelle. Cette pratique, régulièrement critiquée, permet que les faits soient jugés par le tribunal correctionnel, chargé de la répression des délits. 

Les viols constituent la majorité des affaires jugées par les cours criminelles départementales. Leur mise en place par la loi du 22 décembre 2021 a contribué à la diminution des correctionnalisations en la matière. Néanmoins, la pratique n'a pas disparu. Par ailleurs, l'absence de jurés au sein de ces cours fait l'objet de critiques.

En outre, les cours criminelles départementales doivent faire face à l'augmentation du flux de dossiers criminels. Afin d'alléger la durée des audiences, il est parfois suggéré d'atténuer le principe d'oralité. Cette réforme pourrait néanmoins être censurée par le Conseil constitutionnel au regard de la différence de traitement injustifiée qui en résulterait entre les accusés, selon la juridiction compétente (voir la décision du 23 novembre 2023).