Texte intégral
Je suis très heureux de vous retrouver et je suis très heureux d'être ici devant les représentants de 10% des Français, en présence de ce qu'on pourrait appeler 10% du Gouvernement puisque sont présents Jean-François Mattéi, Hubert Falco, Renaud Muselier. Je suis aussi accompagné d'un parlementaire qui travaille sur la décentralisation et qui va mener cette réflexion avec nous, Marc Philippe Daubresse. C'est pour moi un moment important de l'action que j'ai voulue mener à la tête du Gouvernement : plus de décentralisation dans notre pays. Je suis très sensible aux propositions qui ont été formulées. Vous le savez, je mesure tout à fait l'importance du fait "ville" d'une part, du fait "communauté urbaine" d'autre part pour, dans notre société aujourd'hui. Nous devons organiser cette proximité sociale, économique, nécessaire entre les citoyens, au travers de la ville, espace premier du lien social.
Je voudrais vous dire combien je suis heureux d'être avec l'ensemble des personnalités qui sont ici présentes parce que je crois que nous avons la République en partage. Nous avons mesuré, au printemps dernier, la situation difficile de la perception, par les citoyens, de la République. L'exaspération, le mécontentement sur l'impuissance publique, sur le sentiment que la République est lointaine et distante. On a vu la distance qu'ont pris les citoyens vis-à-vis de la politique, les uns dans l'intolérance, les autres dans l'abstention, le retrait. Et puis, en même temps, deux semaines après le message républicain, l'attachement aux valeurs, à la liberté, l'égalité, la fraternité. Le sentiment de blessure quand La Marseillaise a été sifflée, cette volonté d'appartenir à la République et d'affirmer ce "vivre ensemble", ce Pacte républicain. Je pense que c'est cela, le projet politique qui doit être le nôtre. Et faire vivre la République, de manière à ce que chaque citoyen la sente à sa portée. Au fond, les communautés urbaines et les structures décentralisées ont cette mission première : être le visage de la République au plus près des citoyens. C'est cela que nous recherchons, c'est cela que nous voulons affirmer par le projet qui est le nôtre, à la fois de décentralisation mais aussi de réforme de l'Etat. Dans le projet qui nous rassemble, je crois que nous devons, les uns et les autres, avec nos convictions mais au-delà des clivages traditionnels, rechercher justement cette capacité à faire en sorte que les citoyens sentent que notre organisation républicaine répond à leur attente, au plus près de leurs problèmes et de leurs espoirs. C'est cette dynamique-là qui est au cur du projet que nous proposons aux Français.
La réalité aujourd'hui est la suivante : la République n'a pas réussi à organiser, à ce jour, une vraie équité et un vrai équilibre des territoires. Entre telle région et telle autre, entre tel territoire à l'intérieur d'une région ou tel autre territoire, entre tel quartier et tel autre quartier dans la ville, on voit des disparités, nombreuses et très anciennes (économiques, culturelles, sociales). Il existe aujourd'hui des disparités nouvelles : technologiques et scientifiques : le téléphone mobile, là accessible, là peu accessible. On voit bien que nous avons besoin, pour l'équité territoriale, de faire encore beaucoup d'efforts, Sans parler des problèmes pour le citoyen d'illisibilité de toutes nos structures, de tout notre empilement, de toutes nos procédures : à la périphérie d'une grande ville, faire conjuguer le périmètre d'un pays qui sera passé par une CRAT et tout ça compatible avec le SCOT pour veiller à ce que l'ensemble des uns et des autres puissent se faire entendre. On voit bien que nos procédures, dont les uns et les autres nous devenons des experts, nous éloignent du citoyen tellement la complexité est forte.
Il faut mesurer que la complexité est dans notre société, à partir du moment où chaque citoyen veut être entendu pour ce qu'il est, avec son identité personnelle. Donc, au fond, il ne faut pas rêver à une mécanisation complète de la démocratie. Nous ne le souhaitons pas. On veut que chacun, avec son identité puisse avoir sa place, son origine. On veut pouvoir identifier les uns et les autres en fonction de ce qu'ils sont, avec leurs différences. Cela veut dire que la complexité sera dans la société. D'ailleurs, il y a longtemps que nous le savons, l'histoire nous l'a montré : il n'y a que les dictatures qui sont vraiment très simples. Il faut gérer par la proximité la complexité d'une société qui veut laisser de la place à la personne. Car là, les sujets sont plus facilement accessibles et les solutions plus pertinentes.
Donc, il faut faire en sorte que, au plus près du terrain, chacun fasse cet effort de décentralisation. C'est vrai de l'Etat, c'est aussi vrai de la région et c'est probablement vrai de la ville : aller en permanence chercher le terrain, car nous sommes tous menacés de centralisation et de capacité à éloigner la décision du citoyen. On voit bien, dans le diagnostic aujourd'hui, que c'est par plus de responsabilité, plus de lisibilité et plus de proximité, qu'on trouvera à concilier cette nécessaire complexité de la société. En même temps la capacité des uns et des autres de comprendre ce qui se passe et de participer activement à la démocratie républicaine. Je ne crois pas que cette perspective, aujourd'hui, soit étrangère à notre Pacte républicain. Nous devons tous faire les efforts nécessaires pour que l'on puisse prendre conscience, en France, que si on veut sauver notre République, c'est-à-dire garder un taux d'adhésion fort à notre pratique républicaine, il faut que les citoyens aient le sentiment de participer davantage à une organisation décentralisée de la République. Dans ce contexte-là, je suis complètement d'accord pour affirmer, ici mais aussi ailleurs, la reconnaissance des communautés urbaines. Et je trouve qu'un amendement rédigé conjointement par Pierre Mauroy et Jean-Claude Gaudin au Sénat sur ces sujets, pour que les communautés urbaines puissent avoir accès à l'expérimentation dans le texte que nous proposerons prochainement, serait une bonne chose. Je suis donc prêt à m'engager dans cette voie parce que je crois qu'il est très important que les lieux d'action publique puissent avoir leur part dans cet effort de décentralisation. Les communautés urbaines, avec ce qu'elles ont aujourd'hui d'avancé, ont une légitimité pour trouver leur place et ainsi reconnaître à l'intercommunalité une capacité de place et d'initiative dans cette démarche. Notre projet est de lancer un appel aux initiatives. Je suis très heureux que vous y répondiez positivement en formulant des propositions pour qu'on puisse sortir ensemble, au printemps prochain, une perspective dynamique de décentralisation avec une loi organique dont le Parlement pourra débattre et qui tiendra compte de l'ensemble de nos propositions. C'est le travail que mène Patrick Devedjian qui est chargé, au sein du Gouvernement, d'écouter l'ensemble des territoires. Il fera une synthèse et proposera un projet de loi au printemps prochain, qui tiendra compte de l'ensemble des échos venus des différentes régions de France.
Notre démarche a été celle d'enclencher un appel à initiatives, un appel à projets. Ce projet de loi constitutionnelle va donner cinq leviers de changement très importants. Nous sommes tous des praticiens de la décentralisation, de l'action locale. Encore faut-il avoir un certain nombre d'ouvertures pour modifier les rapports de forces, pour modifier les capacités d'initiative.
Première étape importante, premier levier de changement majeur : le principe de subsidiarité, que nous pouvons appeler, en français courant, le principe de proximité. Quand une mission est bien accomplie au plus près du citoyen, il n'est pas nécessaire de la faire remonter dans l'appareil administratif ou politique. C'est au nom de ce principe de proximité et de subsidiarité que nous pouvons faire des transferts aux communautés urbaines, à l'ensemble des collectivités territoriales. La reconnaissance, dans la Constitution de la France, du principe de proximité, cela va nous permettre de pouvoir engager des transferts de compétences. Parmi les transferts de compétences, je n'exclus pas du tout que le niveau des communautés urbaines puisse avoir accès à des transferts de compétences. A partir du moment où vous êtes représentants de 10% de la population et que vous avez cette capacité à avoir, au plus près des Français, une légitimité de représentation, je suis tout à fait ouvert à cette discussion. Au fond, le transfert de compétences est pour nous la démarche qui doit être la plus généralisée dans le pays.
Quand les sujets sont complexes, quand les territoires sont spécifiques, le deuxième levier de changement, c'est l'expérimentation. Il y a un certain nombre de sujets dans lesquels les choses sont complexes. Il doit y avoir alors des dispositifs d'expérimentation, soit pour rassurer des personnels inquiets, soit parce que le sujet est localement très compliqué, soit parce qu'il y a une ingénierie locale à imaginer. Les départements sont candidats par exemple aux routes nationales. Je sais, par exemple, que dans la communauté urbaine de Lille, les routes nationales étaient un problème. Entre Lille et Roubaix, il y avait une route nationale qui pouvait être un objectif de la ville. Il y a peut-être là une méthode d'expérimentation pour voir comment, avec le département, on peut réaliser un transfert, une délégation de responsabilités à la communauté urbaine. Il y a un certain nombre de sujets pour lesquels les choses sont assez simples : on va directement au transfert. Quand, en revanche, les choses sont plus complexes, on fait une expérimentation. L'expérimentation peut être légitime, soit par la complexité, soit, quelquefois, par la spécificité d'un territoire qui a une originalité particulière (par exemple les zones frontalières peuvent souhaiter avoir une capacité d'initiative avec leurs voisins de l'autre côté de la frontière). Il doit donc y avoir une capacité de transfert grâce au principe de proximité, et une capacité d'expérimentation avec ce nouveau droit.
L'autonomie financière est une des revendications importantes du Sénat. Nous souhaitons la protéger. Afin qu'il n'y ait pas de tutelle de l'argent qui viennent compléter les tutelles administrative et bureaucratique. Les collectivités territoriales doivent avoir suffisamment d'autonomie financière pour pouvoir conduire les politiques qu'elles entendent conduire.
Quatrième principe important, la péréquation.
La péréquation, est un élément fort : c'est la mission régalienne, l'équité territoriale. Je crois que cette idée de péréquation doit aussi avoir sa place, pour la première fois, dans la Constitution. L'Etat doit s'impliquer et aider les territoires fragiles et les plus en difficulté. C'est un des éléments importants. D'ailleurs quand O. Guichard à l'époque du général de Gaulle a créé la Datar, c'était "action régionale et aménagement du territoire", c'est-à-dire, la liberté locale d'un côté, l'aménagement du territoire de l'autre. L'aménagement du territoire, c'est l'équité territoriale ; la liberté locale, c'est la capacité d'initiative. Il faut la capacité d'initiative mais il faut aussi une équité territoriale. Donc, on a besoin de ces deux fonctions et c'est pour cela que nous voulons qu'elles puissent exister toutes les deux.
Cinquième initiative importante, c'est l'initiative du référendum territorial, la capacité à faire appel aux citoyens pour trancher un certain nombre de questions.
Dans une ville, dans un département, on peut appeler la séance plénière pour délibérer, on peut aussi appeler la population et l'ensemble des électeurs d'un territoire à décider. C'est un sujet important. Il faut veiller à ce que la décentralisation, et toute cette démarche de proximité, n'apparaisse pas comme une démarche élue pour les élus. Et se dire qu'on va transférer les pouvoir de Paris à la capitale régionale, de Paris à la grande ville et que tout cela reste très concentré. Non, tout ceci n'a qu'un sens. Il s'agit d'inverser le mouvement : au lieu de toujours procéder du haut vers le bas, on procède du bas vers le haut et donc qu'on mette toujours le citoyen au coeur de la démarche. C'est ça, le nouveau sens que nous voulons insuffler à cette dynamique des territoires.
Transferts grâce au principe de subsidiarité, expérimentation, autonomie financière, péréquation, appel aux citoyens : voilà cinq leviers de changement que nous voulons promouvoir les uns et les autres.
En résumé, pour ce qui concerne les communautés urbaines, il peut y avoir - nous en discuterons - ce qui relève des transferts et ce qui relève des expérimentations. J'ai bien entendu ce que disait monsieur le maire de Bordeaux, qui sait présenter ses dossiers de manière convaincante. J'ai bien entendu le message sur l'habitat, mon cher Alain, j'ai bien entendu cette ambition quant au logement. Je suis d'accord pour que l'on fasse des avancées sur ce sujet, parce que sur des sujets aussi complexes je crois que l'on pourra, au niveau d'une ville, avoir les mêmes leviers que ceux donnés à un acteur territorial de cohérence. Je crois que nous pourrons, à la fois dans le domaine du logement mais aussi dans ceux qui en dépendent (comme la rénovation urbaine) avoir la possibilité d'une capacité d'intervention au niveau d'une agglomération, d'une communauté urbaine. On sait bien que ce qui est lié au logement et à l'urbanisme sont des sujets particulièrement importants.
J'ai rencontré monsieur le maire de Lyon et je suis tout à fait intéressé par l'idée de territoires associés. Je pense qu'il est très important que nous puissions avoir une réflexion sur les territoires qui bénéficient de l'influence d'une grande ville, des territoires qui, sans être constituants de la communauté urbaine, sont des territoires associés. On peut y développer un partenariat de projets avec des règles spécifiques (si on construit un aéroport ici ou si on construit un pôle de développement-là), afin d'avoir des partenariats équilibrés entre ces différentes structures. Ce sont des sujets sur lesquels nous devons pouvoir travailler.
Il est évident aussi que dans la compétence départementale et dans la compétence régionale nous allons renforcer des délégations. Je vois que sur la compétence de la formation professionnelle, tout le monde est d'accord aujourd'hui pour renforcer le rôle de la région. Je vois que les missions locales, l'ensemble de ces activités sont souvent intégrées à une dynamique régionale mais elles sont aussi des acteurs majeurs de la proximité. On peut tout à fait imaginer des délégations d'initiatives pour que les choses soient gérées au niveau local, même si elles appartiennent à un schémas ou une organisation régional (qui veillent à la cohérence d'une politique régionale) mais qui délègue la maîtrise d'ouvrage au niveau de la communauté urbaine. C'est vrai pour la région et, par exemple, les missions locales. Cela peut être vrai pour le département et les routes. Je crois qu'il y a là un certain nombre de sujets sur lesquels nous pouvons avancer. Je rappelle bien que notre souhait est qu'il n'y ait pas de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Et si nous parlons de concept de chef de file (concept venu d'un débat sénatorial) c'est au niveau d'un projet. Au niveau d'un projet, il peut y avoir des financements croisés, si on le souhaite : une collectivité territoriale, au nom de toutes les autres, peut assumer la responsabilité de bonne fin, c'est en général la maîtrise d'ouvrage, d'ailleurs. Ceci est tout à fait ouvert.
Le concept de chef de file est une des discussions que nous avions eu dans un certain nombre de rapports au Sénat, Mais il ne s'agit pas d'un concept hiérarchique de compétences : il s'agit d'une logique de projet pour que, quand il y a des financements particulièrement croisés, on puisse organiser, mais dans l'intérêt et selon la volonté des différents partenaires de ce financement.
J'ai bien entendu également ce qui était proposé pour la dimension européenne et notamment, pour les relations au-delà de nos frontières. Je crois que c'est un sujet très important. Nous avons vraiment un défi majeur, nous allons entrer dans l'espace européen agrandi, élargi dans les prochaines années. Nous allons avoir de nouvelles institutions européennes. Il est clair que l'espace européen va avoir une géométrie, une géographie qui va s'élargir et changer profondément. La France a besoin de ses villes, la France a besoin de Lille, de Strasbourg, de Lyon, de Marseille, de Bordeaux, de Nantes, d'Alençon et de toutes les autres. Mais il est clair que nous avons un devoir national de leur donner la capacité d'être attractive au-delà même de notre espace national. C'est vraiment une stratégie d'intérêt national afin qu'il y ait un rayonnement au-delà de nos propres frontières. Je pense que nous devons être très ambitieux pour nos villes, de manière à ce qu'elles fassent entendre leur talent sur l'ensemble de l'espace européen. Il y a là, je crois, une perspective très importante qui est une perspective politique. Nous ne devrons négliger aucune des forces de la France si on veut faire entendre ses voix dans le grand espace européen. Donc, là, je crois qu'il y a vraiment quelque chose de nouveaux à lancer dans ce pays : tout ce qui peut porter haut et fort les talents de la France ait les moyens de s'exprimer. C'est notamment le cas de nos grandes villes, et notamment de nos villes frontalières. Pas d'elles seules, mais des villes qui peuvent avoir une influence sur l'espace qui les entoure : c'est vrai de Nantes et de Bordeaux sur l'espace atlantique, c'est vrai de Marseille sur l'espace méditerranéen. Sur ces espaces-là, il faut que nos villes, avec leur région, puissent avoir leur existence et leur rayonnement au-delà de leurs intérêts. C'est aussi l'intérêt du pays.
Voilà quelques réflexions. Je voudrais terminer sur les conditions financières de tout cela. Mais que puis-je vous apporter de plus puisque vous avez déjà fait l'essentiel en kidnappant mon ministre du Budget ? Donc, je ne peux vous lire que les notes qu'il me donne, puisqu'au fond, vous savez, je passe ma vie à lui proposer un certain nombre de dépenses et d'initiatives et il passe sa vie à me dire non... Aujourd'hui, il a décidé de dire oui ! Et donc, les modalités de répartitions de la DGF ne seront pas touchées en 2003, notamment parce que nous allons travailler ensemble sur le dispositif de péréquation et qu'il nous faut la concertation sur ces dispositifs de péréquation. Et ce n'est pas quand on réfléchit qu'on anticipe sur les réflexions par des décisions qui seraient, je l'ai bien compris, précipitées. Donc, il n'y a, sur ce sujet, en ce qui vous concerne, que des apaisements à attendre du Gouvernement.
En résumé, je voudrais simplement vous dire que la France est en train d'être profondément modifiée dans sa consistance sociale. On voit bien la part importante du fait urbain, qui est un fait essentiel aujourd'hui de notre vivre-ensemble. Il faut qu'au sein de notre Pacte républicain, la grande ville puisse trouver toute sa place. Mais qu'elle trouve sa place avec humanité. Donc, dans notre Pacte républicain, que l'on fasse en sorte que la ville ne soit pas un espace froid, distant et lointain mais au contraire un espace de lien social, de cohésion sociale. On voit bien que c'est ce dont le pays a besoin. C'est pour ça que je crois vraiment que la ville peut être cet espace premier de l'humaine condition. L'humaine condition étant le combat de tous les humanistes depuis Montaigne, excellent maire, comme d'autres, de Bordeaux."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 8 novembre 2002)
Je voudrais vous dire combien je suis heureux d'être avec l'ensemble des personnalités qui sont ici présentes parce que je crois que nous avons la République en partage. Nous avons mesuré, au printemps dernier, la situation difficile de la perception, par les citoyens, de la République. L'exaspération, le mécontentement sur l'impuissance publique, sur le sentiment que la République est lointaine et distante. On a vu la distance qu'ont pris les citoyens vis-à-vis de la politique, les uns dans l'intolérance, les autres dans l'abstention, le retrait. Et puis, en même temps, deux semaines après le message républicain, l'attachement aux valeurs, à la liberté, l'égalité, la fraternité. Le sentiment de blessure quand La Marseillaise a été sifflée, cette volonté d'appartenir à la République et d'affirmer ce "vivre ensemble", ce Pacte républicain. Je pense que c'est cela, le projet politique qui doit être le nôtre. Et faire vivre la République, de manière à ce que chaque citoyen la sente à sa portée. Au fond, les communautés urbaines et les structures décentralisées ont cette mission première : être le visage de la République au plus près des citoyens. C'est cela que nous recherchons, c'est cela que nous voulons affirmer par le projet qui est le nôtre, à la fois de décentralisation mais aussi de réforme de l'Etat. Dans le projet qui nous rassemble, je crois que nous devons, les uns et les autres, avec nos convictions mais au-delà des clivages traditionnels, rechercher justement cette capacité à faire en sorte que les citoyens sentent que notre organisation républicaine répond à leur attente, au plus près de leurs problèmes et de leurs espoirs. C'est cette dynamique-là qui est au cur du projet que nous proposons aux Français.
La réalité aujourd'hui est la suivante : la République n'a pas réussi à organiser, à ce jour, une vraie équité et un vrai équilibre des territoires. Entre telle région et telle autre, entre tel territoire à l'intérieur d'une région ou tel autre territoire, entre tel quartier et tel autre quartier dans la ville, on voit des disparités, nombreuses et très anciennes (économiques, culturelles, sociales). Il existe aujourd'hui des disparités nouvelles : technologiques et scientifiques : le téléphone mobile, là accessible, là peu accessible. On voit bien que nous avons besoin, pour l'équité territoriale, de faire encore beaucoup d'efforts, Sans parler des problèmes pour le citoyen d'illisibilité de toutes nos structures, de tout notre empilement, de toutes nos procédures : à la périphérie d'une grande ville, faire conjuguer le périmètre d'un pays qui sera passé par une CRAT et tout ça compatible avec le SCOT pour veiller à ce que l'ensemble des uns et des autres puissent se faire entendre. On voit bien que nos procédures, dont les uns et les autres nous devenons des experts, nous éloignent du citoyen tellement la complexité est forte.
Il faut mesurer que la complexité est dans notre société, à partir du moment où chaque citoyen veut être entendu pour ce qu'il est, avec son identité personnelle. Donc, au fond, il ne faut pas rêver à une mécanisation complète de la démocratie. Nous ne le souhaitons pas. On veut que chacun, avec son identité puisse avoir sa place, son origine. On veut pouvoir identifier les uns et les autres en fonction de ce qu'ils sont, avec leurs différences. Cela veut dire que la complexité sera dans la société. D'ailleurs, il y a longtemps que nous le savons, l'histoire nous l'a montré : il n'y a que les dictatures qui sont vraiment très simples. Il faut gérer par la proximité la complexité d'une société qui veut laisser de la place à la personne. Car là, les sujets sont plus facilement accessibles et les solutions plus pertinentes.
Donc, il faut faire en sorte que, au plus près du terrain, chacun fasse cet effort de décentralisation. C'est vrai de l'Etat, c'est aussi vrai de la région et c'est probablement vrai de la ville : aller en permanence chercher le terrain, car nous sommes tous menacés de centralisation et de capacité à éloigner la décision du citoyen. On voit bien, dans le diagnostic aujourd'hui, que c'est par plus de responsabilité, plus de lisibilité et plus de proximité, qu'on trouvera à concilier cette nécessaire complexité de la société. En même temps la capacité des uns et des autres de comprendre ce qui se passe et de participer activement à la démocratie républicaine. Je ne crois pas que cette perspective, aujourd'hui, soit étrangère à notre Pacte républicain. Nous devons tous faire les efforts nécessaires pour que l'on puisse prendre conscience, en France, que si on veut sauver notre République, c'est-à-dire garder un taux d'adhésion fort à notre pratique républicaine, il faut que les citoyens aient le sentiment de participer davantage à une organisation décentralisée de la République. Dans ce contexte-là, je suis complètement d'accord pour affirmer, ici mais aussi ailleurs, la reconnaissance des communautés urbaines. Et je trouve qu'un amendement rédigé conjointement par Pierre Mauroy et Jean-Claude Gaudin au Sénat sur ces sujets, pour que les communautés urbaines puissent avoir accès à l'expérimentation dans le texte que nous proposerons prochainement, serait une bonne chose. Je suis donc prêt à m'engager dans cette voie parce que je crois qu'il est très important que les lieux d'action publique puissent avoir leur part dans cet effort de décentralisation. Les communautés urbaines, avec ce qu'elles ont aujourd'hui d'avancé, ont une légitimité pour trouver leur place et ainsi reconnaître à l'intercommunalité une capacité de place et d'initiative dans cette démarche. Notre projet est de lancer un appel aux initiatives. Je suis très heureux que vous y répondiez positivement en formulant des propositions pour qu'on puisse sortir ensemble, au printemps prochain, une perspective dynamique de décentralisation avec une loi organique dont le Parlement pourra débattre et qui tiendra compte de l'ensemble de nos propositions. C'est le travail que mène Patrick Devedjian qui est chargé, au sein du Gouvernement, d'écouter l'ensemble des territoires. Il fera une synthèse et proposera un projet de loi au printemps prochain, qui tiendra compte de l'ensemble des échos venus des différentes régions de France.
Notre démarche a été celle d'enclencher un appel à initiatives, un appel à projets. Ce projet de loi constitutionnelle va donner cinq leviers de changement très importants. Nous sommes tous des praticiens de la décentralisation, de l'action locale. Encore faut-il avoir un certain nombre d'ouvertures pour modifier les rapports de forces, pour modifier les capacités d'initiative.
Première étape importante, premier levier de changement majeur : le principe de subsidiarité, que nous pouvons appeler, en français courant, le principe de proximité. Quand une mission est bien accomplie au plus près du citoyen, il n'est pas nécessaire de la faire remonter dans l'appareil administratif ou politique. C'est au nom de ce principe de proximité et de subsidiarité que nous pouvons faire des transferts aux communautés urbaines, à l'ensemble des collectivités territoriales. La reconnaissance, dans la Constitution de la France, du principe de proximité, cela va nous permettre de pouvoir engager des transferts de compétences. Parmi les transferts de compétences, je n'exclus pas du tout que le niveau des communautés urbaines puisse avoir accès à des transferts de compétences. A partir du moment où vous êtes représentants de 10% de la population et que vous avez cette capacité à avoir, au plus près des Français, une légitimité de représentation, je suis tout à fait ouvert à cette discussion. Au fond, le transfert de compétences est pour nous la démarche qui doit être la plus généralisée dans le pays.
Quand les sujets sont complexes, quand les territoires sont spécifiques, le deuxième levier de changement, c'est l'expérimentation. Il y a un certain nombre de sujets dans lesquels les choses sont complexes. Il doit y avoir alors des dispositifs d'expérimentation, soit pour rassurer des personnels inquiets, soit parce que le sujet est localement très compliqué, soit parce qu'il y a une ingénierie locale à imaginer. Les départements sont candidats par exemple aux routes nationales. Je sais, par exemple, que dans la communauté urbaine de Lille, les routes nationales étaient un problème. Entre Lille et Roubaix, il y avait une route nationale qui pouvait être un objectif de la ville. Il y a peut-être là une méthode d'expérimentation pour voir comment, avec le département, on peut réaliser un transfert, une délégation de responsabilités à la communauté urbaine. Il y a un certain nombre de sujets pour lesquels les choses sont assez simples : on va directement au transfert. Quand, en revanche, les choses sont plus complexes, on fait une expérimentation. L'expérimentation peut être légitime, soit par la complexité, soit, quelquefois, par la spécificité d'un territoire qui a une originalité particulière (par exemple les zones frontalières peuvent souhaiter avoir une capacité d'initiative avec leurs voisins de l'autre côté de la frontière). Il doit donc y avoir une capacité de transfert grâce au principe de proximité, et une capacité d'expérimentation avec ce nouveau droit.
L'autonomie financière est une des revendications importantes du Sénat. Nous souhaitons la protéger. Afin qu'il n'y ait pas de tutelle de l'argent qui viennent compléter les tutelles administrative et bureaucratique. Les collectivités territoriales doivent avoir suffisamment d'autonomie financière pour pouvoir conduire les politiques qu'elles entendent conduire.
Quatrième principe important, la péréquation.
La péréquation, est un élément fort : c'est la mission régalienne, l'équité territoriale. Je crois que cette idée de péréquation doit aussi avoir sa place, pour la première fois, dans la Constitution. L'Etat doit s'impliquer et aider les territoires fragiles et les plus en difficulté. C'est un des éléments importants. D'ailleurs quand O. Guichard à l'époque du général de Gaulle a créé la Datar, c'était "action régionale et aménagement du territoire", c'est-à-dire, la liberté locale d'un côté, l'aménagement du territoire de l'autre. L'aménagement du territoire, c'est l'équité territoriale ; la liberté locale, c'est la capacité d'initiative. Il faut la capacité d'initiative mais il faut aussi une équité territoriale. Donc, on a besoin de ces deux fonctions et c'est pour cela que nous voulons qu'elles puissent exister toutes les deux.
Cinquième initiative importante, c'est l'initiative du référendum territorial, la capacité à faire appel aux citoyens pour trancher un certain nombre de questions.
Dans une ville, dans un département, on peut appeler la séance plénière pour délibérer, on peut aussi appeler la population et l'ensemble des électeurs d'un territoire à décider. C'est un sujet important. Il faut veiller à ce que la décentralisation, et toute cette démarche de proximité, n'apparaisse pas comme une démarche élue pour les élus. Et se dire qu'on va transférer les pouvoir de Paris à la capitale régionale, de Paris à la grande ville et que tout cela reste très concentré. Non, tout ceci n'a qu'un sens. Il s'agit d'inverser le mouvement : au lieu de toujours procéder du haut vers le bas, on procède du bas vers le haut et donc qu'on mette toujours le citoyen au coeur de la démarche. C'est ça, le nouveau sens que nous voulons insuffler à cette dynamique des territoires.
Transferts grâce au principe de subsidiarité, expérimentation, autonomie financière, péréquation, appel aux citoyens : voilà cinq leviers de changement que nous voulons promouvoir les uns et les autres.
En résumé, pour ce qui concerne les communautés urbaines, il peut y avoir - nous en discuterons - ce qui relève des transferts et ce qui relève des expérimentations. J'ai bien entendu ce que disait monsieur le maire de Bordeaux, qui sait présenter ses dossiers de manière convaincante. J'ai bien entendu le message sur l'habitat, mon cher Alain, j'ai bien entendu cette ambition quant au logement. Je suis d'accord pour que l'on fasse des avancées sur ce sujet, parce que sur des sujets aussi complexes je crois que l'on pourra, au niveau d'une ville, avoir les mêmes leviers que ceux donnés à un acteur territorial de cohérence. Je crois que nous pourrons, à la fois dans le domaine du logement mais aussi dans ceux qui en dépendent (comme la rénovation urbaine) avoir la possibilité d'une capacité d'intervention au niveau d'une agglomération, d'une communauté urbaine. On sait bien que ce qui est lié au logement et à l'urbanisme sont des sujets particulièrement importants.
J'ai rencontré monsieur le maire de Lyon et je suis tout à fait intéressé par l'idée de territoires associés. Je pense qu'il est très important que nous puissions avoir une réflexion sur les territoires qui bénéficient de l'influence d'une grande ville, des territoires qui, sans être constituants de la communauté urbaine, sont des territoires associés. On peut y développer un partenariat de projets avec des règles spécifiques (si on construit un aéroport ici ou si on construit un pôle de développement-là), afin d'avoir des partenariats équilibrés entre ces différentes structures. Ce sont des sujets sur lesquels nous devons pouvoir travailler.
Il est évident aussi que dans la compétence départementale et dans la compétence régionale nous allons renforcer des délégations. Je vois que sur la compétence de la formation professionnelle, tout le monde est d'accord aujourd'hui pour renforcer le rôle de la région. Je vois que les missions locales, l'ensemble de ces activités sont souvent intégrées à une dynamique régionale mais elles sont aussi des acteurs majeurs de la proximité. On peut tout à fait imaginer des délégations d'initiatives pour que les choses soient gérées au niveau local, même si elles appartiennent à un schémas ou une organisation régional (qui veillent à la cohérence d'une politique régionale) mais qui délègue la maîtrise d'ouvrage au niveau de la communauté urbaine. C'est vrai pour la région et, par exemple, les missions locales. Cela peut être vrai pour le département et les routes. Je crois qu'il y a là un certain nombre de sujets sur lesquels nous pouvons avancer. Je rappelle bien que notre souhait est qu'il n'y ait pas de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Et si nous parlons de concept de chef de file (concept venu d'un débat sénatorial) c'est au niveau d'un projet. Au niveau d'un projet, il peut y avoir des financements croisés, si on le souhaite : une collectivité territoriale, au nom de toutes les autres, peut assumer la responsabilité de bonne fin, c'est en général la maîtrise d'ouvrage, d'ailleurs. Ceci est tout à fait ouvert.
Le concept de chef de file est une des discussions que nous avions eu dans un certain nombre de rapports au Sénat, Mais il ne s'agit pas d'un concept hiérarchique de compétences : il s'agit d'une logique de projet pour que, quand il y a des financements particulièrement croisés, on puisse organiser, mais dans l'intérêt et selon la volonté des différents partenaires de ce financement.
J'ai bien entendu également ce qui était proposé pour la dimension européenne et notamment, pour les relations au-delà de nos frontières. Je crois que c'est un sujet très important. Nous avons vraiment un défi majeur, nous allons entrer dans l'espace européen agrandi, élargi dans les prochaines années. Nous allons avoir de nouvelles institutions européennes. Il est clair que l'espace européen va avoir une géométrie, une géographie qui va s'élargir et changer profondément. La France a besoin de ses villes, la France a besoin de Lille, de Strasbourg, de Lyon, de Marseille, de Bordeaux, de Nantes, d'Alençon et de toutes les autres. Mais il est clair que nous avons un devoir national de leur donner la capacité d'être attractive au-delà même de notre espace national. C'est vraiment une stratégie d'intérêt national afin qu'il y ait un rayonnement au-delà de nos propres frontières. Je pense que nous devons être très ambitieux pour nos villes, de manière à ce qu'elles fassent entendre leur talent sur l'ensemble de l'espace européen. Il y a là, je crois, une perspective très importante qui est une perspective politique. Nous ne devrons négliger aucune des forces de la France si on veut faire entendre ses voix dans le grand espace européen. Donc, là, je crois qu'il y a vraiment quelque chose de nouveaux à lancer dans ce pays : tout ce qui peut porter haut et fort les talents de la France ait les moyens de s'exprimer. C'est notamment le cas de nos grandes villes, et notamment de nos villes frontalières. Pas d'elles seules, mais des villes qui peuvent avoir une influence sur l'espace qui les entoure : c'est vrai de Nantes et de Bordeaux sur l'espace atlantique, c'est vrai de Marseille sur l'espace méditerranéen. Sur ces espaces-là, il faut que nos villes, avec leur région, puissent avoir leur existence et leur rayonnement au-delà de leurs intérêts. C'est aussi l'intérêt du pays.
Voilà quelques réflexions. Je voudrais terminer sur les conditions financières de tout cela. Mais que puis-je vous apporter de plus puisque vous avez déjà fait l'essentiel en kidnappant mon ministre du Budget ? Donc, je ne peux vous lire que les notes qu'il me donne, puisqu'au fond, vous savez, je passe ma vie à lui proposer un certain nombre de dépenses et d'initiatives et il passe sa vie à me dire non... Aujourd'hui, il a décidé de dire oui ! Et donc, les modalités de répartitions de la DGF ne seront pas touchées en 2003, notamment parce que nous allons travailler ensemble sur le dispositif de péréquation et qu'il nous faut la concertation sur ces dispositifs de péréquation. Et ce n'est pas quand on réfléchit qu'on anticipe sur les réflexions par des décisions qui seraient, je l'ai bien compris, précipitées. Donc, il n'y a, sur ce sujet, en ce qui vous concerne, que des apaisements à attendre du Gouvernement.
En résumé, je voudrais simplement vous dire que la France est en train d'être profondément modifiée dans sa consistance sociale. On voit bien la part importante du fait urbain, qui est un fait essentiel aujourd'hui de notre vivre-ensemble. Il faut qu'au sein de notre Pacte républicain, la grande ville puisse trouver toute sa place. Mais qu'elle trouve sa place avec humanité. Donc, dans notre Pacte républicain, que l'on fasse en sorte que la ville ne soit pas un espace froid, distant et lointain mais au contraire un espace de lien social, de cohésion sociale. On voit bien que c'est ce dont le pays a besoin. C'est pour ça que je crois vraiment que la ville peut être cet espace premier de l'humaine condition. L'humaine condition étant le combat de tous les humanistes depuis Montaigne, excellent maire, comme d'autres, de Bordeaux."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 8 novembre 2002)