Interview de M. Noël Mamère, député des Verts et maire de Bègles (Gironde), à France 2 le 30 juin 2004, sur le premier mariage homosexuel célébré à Bègles, la proposition de loi déposée par Les Verts et le financement du plan Borloo de cohésion sociale.

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Circonstance : Célébration d'un mariage homosexuel par M. Noël Mamère, maire (Verts) de Bègles (Gironde), le 5 juin 2004

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard-. Hier, le tribunal de Bordeaux a examiné la validité du premier mariage homosexuel, que vous aviez célébré au début du mois à Bègles. Il n'a pas rendu sa décision, il la rendra seulement le 27 juillet. Etes-vous déçu ? Vous auriez préféré être fixé tout de suite ?
-"On n'a jamais vu un tribunal de grande instance prendre sa décision tout de suite. Puisqu'il s'agit d'un débat contradictoire, il faut bien donner le temps aux juges du siège de délibérer et de savoir ce qu'ils vont dire. Je ne m'avance pas trop en disant qu'il sera sans doute annulé en première instance, que nous irons en appel, puis éventuellement en cassation, et sans doute jusque devant la Cour européenne des droits de l'homme. Mais on peut toujours espérer que les juges français donnent une interprétation extensive du code civil."
Vous avez déposé, après le mariage homosexuel, une proposition de loi pour rendre les choses plus explicites, pour que le mariage soit vraiment autorisé par le code civil. Est-ce qu'il n'aurait pas mieux valu commencer par là, pour que les choses soient claires ?
-"On me dit, "il aurait fallu commencer par un débat parlementaire", mais je voudrais quand même vous rappeler que le Parlement français, aujourd'hui, est tenu dans une considération particulièrement détestable, dans la mesure où 98 % de l'agenda est fixé par le Gouvernement, et il ne reste que 3 % aux députés pour présenter des propositions. On leur donne un nom qui est tout à fait significatif du caractère très faible du Parlement français, puisqu'il s'agit de "niches parlementaires". Il faut savoir qu'une niche parlementaire ne peut pas être discutée pendant plus de 3 heures. Je crois quand même qu'avec le manifeste pour l'égalité des droits et avec les Verts, en prenant cette initiative, nous avons fait débattre la société pendant plus de 3 heures."
Il y a eu débat, mais il n'y a pas eu débat au Parlement.
-"Vous reconnaissez donc qu'il y a eu débat : il y a eu débat dans la société. Maintenant, c'est au Parlement de s'emparer de cette affaire et, effectivement, d'aller jusqu'au bout. C'est la raison pour laquelle, avec M. Billard et Y. Cochet, nous avons déposé une proposition de loi visant à clarifier le code civil. Comme nous sommes non-inscrits, nous ne pouvons pas prendre..."
Je repose ma question : pourquoi l'avoir fait avant ?
-"Pourquoi l'avoir fait avant ? Parce que nous savons qu'il y a 333 députés de droite à l'Assemblée nationale, et qu'une proposition de loi n'aurait eu aucune chance d'arriver jusque sur le bureau de l'Assemblée nationale. Et de toute façon, il n'y aurait pas eu de débat parce que la droite l'aurait empêché."
L'autre critique que l'on vous fait, c'est de ne pas respecter la loi en tant que député.
-"Mais qui vous dit que je n'ai pas respecté la loi ? Ce n'est pas à vous de le dire, pas plus qu'à M. Raffarin ou à M. Chirac. C'est au juge de dire le droit ; il fait cela depuis le XIXème siècle dans notre pays."
Le Gouvernement devait déposer un projet de loi contre l'homophobie. Il a été discuté en Conseil des ministres et puis, finalement, ce projet ne sera pas discuté tout de suite, mais à l'automne. Etes-vous déçu ?
-"Oui. Je crois même savoir que J.-L. Roméro a démissionné de ses fonctions à l'UMP. Il a eu raison parce que c'est encore un effet d'annonce qui a été lancé sous la pression de la société, après l'initiative que nous avons prise à Bègles, le 5 juin. Je trouve que c'est assez scandaleux et très significatif du double langage de ce Gouvernement. Je pense que la lutte contre les discriminations doit s'opérer dans tous les secteurs de la société, que les discriminations n'ont pas de hiérarchie et que les droits de l'homme sont universels. Il était temps d'apporter un certain nombre de solutions aux questions de l'homophobie. Vous avez vu comment elle a pu se réveiller à l'occasion du 5 juin. On a vu aussi comment la société était capable de régler ou, en tout cas, de discuter de ce problème. Il me semble qu'il y a toujours urgence et que c'est toujours le moment pour lutter contre les discriminations, parce que les libertés, on ne les donne pas, elles se conquièrent."
Vous avez été suspendu de votre poste de maire. Quand vous redeviendrez maire, allez-vous célébrer d'autres mariages homosexuels ?
-"Il faut que vous sachiez que je suis toujours conseiller municipal et que, dès demain matin, je serai revenu dans ma ville. Il y a un certain nombre de choses que je ne peux pas faire, notamment les mariages traditionnels comme homosexuels, mais je continue à gérer ma ville et à bien m'en occuper. Je ne procéderai pas à de nouveaux mariages de personnes de même sexe tant que le juge n'aura pas dit le droit."
Sur le projet de loi de J.-L. Borloo sur la cohésion sociale - c'est un projet de loi très ambitieux -, il y a notamment le contrat d'activité qui devrait permettre à certains chômeurs de très longue durée de retrouver un emploi, dans les collectivités locales ou dans les associations. On parle d'un retour au traitement social du chômage ; pour vous, c'est une bonne chose ?
-"C'est un bon signe. La réalité, c'est que le plan Borloo, qui est pétri de bonnes intentions, n'est pas doté de tous les moyens auxquels on aurait pu s'attendre."
13 milliards d'euros quand même !
-"13 milliards sur combien ? Sur cinq ans ! Vous savez combien on a donné de milliards d'euros aux restaurateurs en un an ? Deux milliards ! Le ministre de la Cohésion sociale attendait 3 milliards pour lancer son plan, il n'a droit qu'à un milliard. Il attendait un fond de cohésion, ce sera une loi de programmation. Parallèlement à cela, un certain nombre d'associations, qui font un énorme travail dans l'intégration et dans l'insertion, notamment sur les questions d'alphabétisation et de formation, ont vu leurs subventions se réduire."
Il y a quand même un tournant social dans ce Gouvernement...
-"Cela dit, le ministre s'est bien battu et il faut espérer qu'il pourra arriver à obtenir ce qu'il a demandé. Ce programme de logements est un programme ambitieux. Le problème, c'est qu'aujourd'hui, on ne construit pas assez de logements sociaux."
Il veut 100 000 logements par an, ça, c'est important.
-"Il veut 100 000 logements par an, sauf qu'on n'en construit, depuis 2002, à peu près 40 000 par an. Donc, pour passer de 40 000 à 100 000, il va falloir faire beaucoup d'efforts. Vous avez vu qu'on demande des efforts à l'Etat, mais on demande beaucoup aux collectivités locales et territoriales. Je suis prêt à en faire, je vais d'ailleurs présenter le 22 juillet à M. Borloo notre projet d'opération de renouvellement urbain, qui concerne tout un quartier de ma ville de Bègles. Nous sommes d'ailleurs très aidés par le ministère de la Ville et je ne peux que m'en féliciter. Mais la réalité, c'est qu'il faut que tous les maires, de tout le pays, des villes riches, comme des villes pauvres, fassent des efforts pour que l'on multiplie le logement social et pour que l'on facilite la mixité sociale pour éviter les ghettos. La réalité, c'est que ce plan est un plan de rafistolage, tout simplement, mais ce n'est pas un tournant social."
Voterez-vous ce plan ?
-"Oui, je le voterai, même s'il ne correspond pas aux ambitions qu'a affichées le ministre, même si les moyens qui sont donnés à ce plan ne sont pas suffisants, mais c'est un effort. C'est simplement un effort et dix ans après le diagnostic de fracture sociale par le Président de la République, il a donc fallu attendre 10 ans pour que l'on se lance dans une politique qui va permettre d'éviter le pire pour les familles les plus démunies. Je vous rappelle qu'il y a à un peu près 6 millions de gens, aujourd'hui, en France, qui sont mal logés."
Vous suivez de très près le dossier des intermittents du spectacle...
-"Oui, j'ai même crée le Comité de suivi des intermittents, au mois de novembre dernier, avec mon collègue E. Pinte et quelques autres parlementaires."
Le Gouvernement annonce une nouvelle réforme pour l'automne. Cela veut dire que l'été des festivals sera tranquille ?
-"L'été des festivals devrait être tranquille, mais il ne faut pas se fier à cette volonté d'endormissement. Le Medef résiste toujours très fortement à la renégociation, en tout cas à la mise à plat de ce protocole de juin, qui a été une catastrophe. Donc, il faut que les intermittents restent très vigilants ; nous le faisons avec eux, par l'intermédiaire du Comité de suivi. Je crois que le Gouvernement ne peut pas jouer au apprenti-sorcier en faisant croire qu'il va tout régler à l'automne, et si à l'automne le Medef ne bouge pas, les intermittents vont de nouveau faire entendre leurs voix. Il s'agit tout simplement de sauver la culture de notre pays."
Que pensez-vous de l'extradition de C. Battisti ?
-"C. Battisti n'est pas le seul réfugié italien dans notre pays qui a été protégé par la parole de la France. C'est la raison pour laquelle, avec deux autres députés Verts, Y. Cochet et M. Billard, nous étions allés le voir dans la prison de la Santé. A partir du moment..."
Il ne faut pas l'extrader, selon vous ?
-"Non, il ne faut pas l'extrader parce que c'est une parole qui a été prise vis-à-vis de lui, vis-à-vis de l'ensemble des Italiens des années noires qui sont venus dans notre pays. Et manquer à sa parole donnée, c'est porter atteinte à l'Etat de droit et c'est bien pire que de marier deux personnes de même sexe à Bègles."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er juillet 2004)