Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, sur l'organisation des services publics en milieu rural et la concertation entre les collectivités locales et le secteur privé, Aurillac (Cantal) le 30 juin 2005.

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Texte intégral

Monsieur le Préfet,
Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux d'être parmi vous aujourd'hui dans ce beau département du Cantal. Ce déplacement est pour moi l'occasion de souligner le rôle essentiel joué par les espaces ruraux dans les grands équilibres géographiques, économiques et sociaux de notre pays. Le milieu rural, c'est 70 % de notre territoire national, deux communes sur trois et près de 14 millions d'habitants. En tant que ministre de l'aménagement du territoire, la situation et l'avenir de cette composante majeure de nos paysages, de notre démographie, de notre économie et de notre culture figurent évidemment au premier rang de mes préoccupations.
Tout comme la ville, la ruralité se conjugue au pluriel et recouvre en fait une réalité très diverse. Certains territoires ruraux ne cessent depuis quelques années de regagner en population et en activité. A l'inverse, d'autres continuent à perdre des habitants et des emplois, et vivent désormais dans l'angoisse de la désertification et de l'isolement.
Je souhaite vous dire d'emblée qu'il n'y a pas pour moi de fatalité à cette situation. Ma conception de l'aménagement du territoire, notion qui depuis l'origine a partie liée avec le volontarisme politique, c'est deux choses :
- donner à tous les territoires et à ceux qui y vivent les moyens de réussir à se développer ;
- garantir la justice entre les territoires : la République doit leur offrir l'égalité des chances.
Pour cela, il y a une exigence forte que nous devons entendre car elle conditionne le succès de toutes les initiatives visant au maintien et au développement des activités : je veux parler de la présence des services essentiels à la vie des populations, qu'il s'agisse des services postaux comme de l'accès aux soins, aux transports ou à l'éducation.
Ces derniers mois, la France rurale a exprimé par son vote, une inquiétude très vive à ce sujet. C'est d'abord pour mieux comprendre les attentes de la population rurale et de ses représentants que j'ai souhaité venir aujourd'hui à la rencontre des habitants des vallées du Cantal.
L'une des préoccupations majeures d'un département tel que le Cantal est l'enclavement. Tous les territoires ruraux ne sont pas dans cette situation, mais la géographie qui fait la beauté de ces montagnes complique la pénétration des voies de communication. L'achèvement en 2007 du tunnel du Lioran, un équipement hivernal renforcé au col de la Fageole, devraient néanmoins bientôt y faciliter la circulation. L'État vient aussi de conclure avec Air Linair et les collectivités une convention triennale et versera dès la première année plus d'1 million d'euros de subventions pour maintenir le lien aérien qui relie Aurillac à Paris. Enfin, plus largement, je compte mobiliser toutes les possibilités nouvelles offertes par les partenariats public-privé pour développer les grandes infrastructures de transport en France, sans pour autant dégrader davantage les finances déjà très déséquilibrées de notre pays. Les investissements assumés par le secteur privé libèreront autant de marges de manuvre que le secteur public pourra consacrer à des équipements et à des liaisons moins rentables financièrement mais économiquement utiles, et surtout indissociables de ce souci de justice sous le signe duquel je place la politique d'aménagement du territoire.
Plus largement, les services au public en zone rurale, c'est un enjeu en termes de qualité de vie et de développement économique, en même temps qu'un symbole de l'appartenance à la communauté nationale. C'est le devoir de l'Etat. J'ajouterai que c'est plus généralement le devoir de l'ensemble des collectivités publiques. Car les textes qui ont organisé la décentralisation ont donné un rôle désormais central aux conseils régionaux et généraux dans l'offre de services publics, en particulier en matière de transports et dans le domaine médico - social. Disons que c'est un devoir collectif.
Certaines mesures ont déjà été prises pour tenter d'apporter des réponses aux attentes. La loi du 23 février 2005 sur le développement des territoires ruraux a réaffirmé l'exigence fondamentale de la transparence, chaque territoire devant être informé des projets de réorganisation qui le concerne. Elle a ensuite instauré une obligation de concertation et la suspension des projets pendant la durée de celle-ci. Elle a enfin ouvert de nouvelles possibilités qui n'ont peut-être pas été suffisamment exploitées jusqu'alors : le cumul d'activités privées et publiques, pour faire jouer la polyvalence à travers des groupements d'employeurs associant entreprises et collectivités locales ; l'aide à l'installation de professionnels de santé, bientôt mise en uvre à Massiac ; ou encore la capacité reconnue aux collectivités de se substituer aux initiatives privées défaillantes dans certains secteurs d'activité comme le transport des personnes.
Je rappelle aussi l'effort financier que l'État consacre cette année aux régions rurales. Afin de mieux prendre en compte les charges spécifiques induites par la superficie et la topographie de certaines communes, la dotation forfaitaire de fonctionnement versée en fonction du nombre d'hectares est de 5 par hectare en zone de montagne contre 3 ailleurs. Surtout, la dotation de solidarité rurale a progressé de 20 % en 2005. Quand le reste du budget n'augmente qu'au rythme de l'inflation, soit 1,5 %, une dotation qui augmente de 20%, ce n'est pas si courant.
Ces efforts sont substantiels, mais je ne les tiens pas, vous vous en doutez, pour suffisants.
Nous devons faire plus mais nous devons aussi faire mieux, ce qui veut dire en matière de services publics procéder autrement et renouveler l'approche qui a prévalu jusqu'ici.
Nous devons en premier lieu cesser de considérer que les services publics doivent systématiquement et immuablement être confiés à des organismes publics, faisant appel à des emplois statutaires, excluant de surcroît toute polyvalence. Ce qui compte, c'est le service rendu et la réponse aux besoins des usagers. Et dans les territoires ruraux comme dans les autres, l'objectif du meilleur service au meilleur coût s'impose. Grâce à des solutions innovantes, axées sur la polyvalence des emplois et la mutualisation des moyens, des services de qualité peuvent être maintenus, voire renforcés, comme j'ai d'ailleurs pu le constater à Maurs et à Condat. Cela suppose de la bonne volonté, de l'imagination et de la solidarité. Tout le monde peut ainsi être gagnant : les usagers, les contribuables, le territoire et les collectivités qui ont la charge de l'administrer. L'immobilisme, dans cette affaire comme dans bien d'autres, ne saurait être une option puisqu'il conduit à faire perdre tout le monde à tous les coups.
Qu'on me comprenne bien. Cela ne signifie pas, bien au contraire, la disparition des emplois publics car bien des services justifient pleinement de tels emplois dans les territoires ruraux. Mais ces emplois doivent évoluer. Car rien n'est pire que de finir par perdre des emplois qui correspondent à des services qui sont devenus moins utiles, alors que dans le même temps, parce que l'on ne veut rien changer on se trouve dans l'impossibilité de créer des emplois devenus indispensables. Il est donc crucial de réorienter ces moyens vers des services qui rencontrent une demande en forte croissance comme les services de transports, de soins, ou les services à la personne. Je pense en particulier aux personnes âgées et à la petite enfance. Le sujet n'est alors plus la réorganisation de réseaux nationaux, mais les difficultés de recrutement et parfois de solvabilisation des emplois dans des métiers difficiles mais essentiels.
Au-delà des services de proximité, les technologies de l'information offrent une chance exceptionnelle aux communes rurales. Elles permettent désormais, au prix d'un investissement initial raisonnable, d'être en liaison directe et instantanée avec les centres de décision, de production, de recherche. Elles permettent de s'affranchir de tout problème logistique pour proposer en ligne un produit à haute valeur ajoutée. L'Internet abolit les distances et les lourdeurs logistiques. C'est la chance des territoires peu denses ou enclavés. C'est aussi pour eux, je le souligne une nouvelle fois, une question de justice. Car tout Français doit avoir accès à l'ensemble des services modernes de communication. Cela sous deux conditions :
La première, c'est que la collectivité publique s'engage pour faciliter l'équipement des zones où l'initiative privée est défaillante. Je sais, monsieur le président du Conseil Général, que c'est la démarche que vous avez lancée avec détermination dans le Cantal en matière de téléphonie mobile, j'ai eu l'occasion d'en mesurer les premières réalisations à Condat ce matin.
Pour l'Internet à haut débit, j'attends d'abord de l'audace de la part des opérateurs de télécommunications. En un an, la part des internautes utilisant le haut débit est passée de 32% à 53%. Des perspectives de croissance aussi dynamiques rentabiliseront, c'est une certitude, un investissement accru dans les territoires ruraux. Mais dans les territoires isolés où il apparaît certain que l'initiative privée demeurera absente, l'État prendra ses responsabilités au côté des collectivités. Je souhaite avec Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire, utiliser toutes les possibilités de l'ingénierie financière publique et engager les moyens nécessaires pour achever la couverture intégrale des communes françaises en Internet à haut débit.
La deuxième condition, c'est de retenir dans les communes rurales ceux qui veulent y rester et d'y faire venir des salariés et des entrepreneurs qui n'y ont pas grandi. La force de vos territoires, je ne l'apprends à personne, c'est la qualité de vie. Elle n'est pas le vestige nostalgique d'une époque révolue. C'est un atout économique majeur et la garantie de votre avenir. L'exode rural est terminé depuis bientôt quinze ans : entre 1990 et 1999, 410 000 personnes se sont installées dans des communes rurales non périurbaines dont 110 000 personnes dans des communes isolées. Cela prouve que vos territoires ont une attractivité certaine : votre mission et la mienne sera de la consolider.
Et c'est tout le sens de la démarche que j'entends mener sur l'offre de services dans les territoires ruraux. Dans un pays aussi avancé que la France, chacun doit avoir un accès à la santé, à l'éducation, à l'information, aux commerces, dans de bonnes conditions d'accessibilité et de qualité, j'y suis profondément attaché. Mais pour répondre aux besoins, il faut commencer par les recenser précisément.
C'est pourquoi je souhaite que les six mois qui nous séparent de la fin de l'année 2005 soient consacrés dans chaque commune, communauté de communes, canton, arrondissement et département, à une écoute attentive de la demande des habitants et à une analyse de l'offre existante dans chaque territoire.
Ce que je propose est une révolution de l'approche des services publics en milieu rural. Ce que je propose, c'est que nous partions des besoins et des attentes, en privilégiant une approche globale et territoriale. Il faut arrêter d'agir en ordre dispersé, au coup par coup, avec des décisions prises au niveau national après -quand ce n'est pas pendant- une concertation "alibi" qui revient bien souvent à mettre les élus et les habitants devant le fait accompli. Agir de la sorte, je le dis clairement, c'est non seulement manquer au respect que l'on vous doit, c'est aussi la plupart du temps totalement contre-productif. La première des règles du jeu, dont je serai le garant, c'est la loyauté des discussions avec la population et ses représentants. Je ne veux plus des réorganisations décidées d'en haut où chacun continue à imperturbablement à faire sa petite cuisine dans son petit coin alors que la phase de concertation n'est pas terminée. De même, je ne veux pas de services déconcentrés, de collectivités et d'établissements qui attendent tout de l'Etat et de l'échelon national. On ne peut pas d'un côté demander une meilleure prise en compte des besoins de proximité, et de l'autre renvoyer à Paris la responsabilité de tout décider en exigeant bien sûr que rien ne change. Dans une République décentralisée, chacun doit assumer sa part de responsabilité. L'aménagement et le développement des territoires, c'est aussi, et de plus en plus, l'affaire des collectivités locales, à commencer par les régions et les départements. Nous devons, ensemble, bouger et innover pour faire de tous les territoires ruraux des territoires de projets, des territoires en mouvement qui s'impliquent pour proposer des réponses concrètes aux besoins évolutifs des populations. Les cabinets médicaux et paramédicaux, les artisans et les commerçants, les transports de personnes, cela compte autant dans la vie des territoires que les gendarmeries, les perceptions et les grandes entreprises de service public.
J'engage dès aujourd'hui les préfets et sous-préfets à animer cette démarche, en lien étroit avec les présidents de conseil général et leurs services. Les élus locaux, les chambres consulaires, les caisses d'assurance maladie, les caisses d'allocations familiales, les associations, les partenaires sociaux, prendront évidemment une part active à cette concertation. Mais je souhaite aussi que, dans toute la mesure du possible, les usagers, c'est à dire les habitants, puissent dans chaque bassin de vie être directement associés à l'expression et à la hiérarchisation des besoins ainsi qu'à la définition des solutions envisagées. Des crédits d'études seront mobilisés pour mesurer les attentes par des enquêtes précises. Les collectivités locales, les départements en particulier, pourront si elles le souhaitent contribuer au financement des prestations d'études et d'animation qui seraient diligentées, notamment pour établir un diagnostic étayé des besoins à couvrir.
Dans cette démarche de réflexion sur l'organisation des services publics en milieu rural, je souhaite que l'on retienne simplement trois principes :
§ Le premier, c'est que durant le moratoire sur les réorganisations des services publics, les élus, les administrations et l'ensemble des acteurs locaux formulent des propositions raisonnables et constructives dans le cadre de la concertation engagée. L'objectif n'est pas de jouer les uns contre les autres ou de pousser à la dépense des uns ou des autres. Il est de fournir des services de qualité, correspondant aux besoins d'aujourd'hui, et au meilleur coût ;
§ Le deuxième c'est qu'aucun service public ne puisse être supprimé si on ne peut pas améliorer la qualité du service rendu
§ Le troisième c'est, pour les territoires comme ailleurs, que la discrimination positive doit s'appliquer. La discrimination positive, ça signifie qu'il faut faire plus pour ceux qui partent de plus loin et, vous le savez, il y a des zones rurales qui cumulent vraiment les handicaps. L'ignorer serait une injustice terrible. Et ce sera justement possible parce qu'on aura su rendre les services publics plus performants, ce qui aidera à dégager des moyens supplémentaires.
Je recueillerai début novembre les attentes exprimées dans chaque bassin de vie et les premiers résultats de la réflexion locale. Je m'appuierai aussi, sur les travaux de la conférence nationale des services publics en milieu rural. Elle rassemble les élus, les administrations et les opérateurs de service public et son rapport sera au cur des propositions que je présenterai à l'automne. Plus nous serons nombreux à nous saisir de la réflexion sur les services publics en milieu rural et plus cette réflexion sera riche.
Les pistes de travail, vous les connaissez et les mettez déjà en uvre dans le Cantal : c'est la mutualisation des moyens de tous, la polyvalence, la mise en réseau et la responsabilisation des acteurs locaux. La maison de services de Maurs, la maison médicale en projet à Massiac, la coopération exemplaire des médecins libéraux à Maurs, l'hôpital de Condat ou la gestion intercommunale de la carte scolaire, montrent que le Cantal ne manque pas d'idées et de volonté d'agir. Je compte aussi sur la délégation à l'aménagement du territoire pour favoriser la diffusion des bonnes pratiques entre les territoires. Lorsque les problèmes se posent dans des termes analogues, pourquoi s'interdire de s'inspirer de solutions mises en uvre ailleurs, dès lors qu'une évaluation rigoureuse en aura démontré l'efficacité.
Je demande également aux préfets et à la DATAR d'identifier les réglementations excessivement tatillonnes qui pénalisent le développement des services en milieu rural et font parfois obstacle à des solutions locales pertinentes. Si nous vous donnons l'initiative, nous devons aussi vous donner la souplesse nécessaire à la formulation et à la mise en uvre des solutions adaptées à chacun de vos territoires. Peut-être faudra-t-il un jour revoir les règles anciennes qui encadrent les transports de personnes et les taxis, car il semble bien qu'elles brident l'offre de ces services à nos concitoyens, notamment dans les territoires les plus fragiles ? Les transports de personnes ne se présentent pas dans les mêmes conditions dans le Cantal et à Clermont-Ferrand.
Je veillerai enfin à ce que des crédits soient mis en place pour accompagner la réalisation des dispositifs qui auront été imaginés ou privilégiés au niveau local pour mieux répondre aux besoins des usagers. Le projet de loi de finances pour 2006 comportera à cet égard des innovations. Je souhaite que l'on soulève toutes les questions, sans tabou et avec le souci constant de trouver des solutions véritablement constructives, c'est-à-dire des solutions qui ne se complaisent pas dans les facilités du conservatisme, du tout public ou du chacun pour soi.
Trop souvent, trop longtemps, on a traité la question des services publics en milieu rural, avec le simple souci de préserver l'existant, tel qu'il avait été pendant des décennies. Trop souvent, trop longtemps, et de ce fait même, on a perdu l'existant. Ce que je propose, c'est à qu'à cette évolution on substitue une volonté, une volonté de mettre en place les services dont les ruraux ont besoin aujourd'hui pour eux-mêmes, demain pour leurs enfants, une volonté de donner à vos territoires de vraies forces de développement. Ce que je propose, c'est que l'on passe d'une démarche défensive à une démarche de projet. C'est la perspective à laquelle j'invite. Vous pouvez compter sur toute mon énergie pour y parvenir.

(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 1er juillet 2005)