Texte intégral
Monsieur le Président,
Madame le Ministre,
Mesdames et messieurs les élus,
Après avoir différé la date de ma venue, me voici parmi vous, et je tiens à vous remercier pour votre accueil. J'ai estimé que nous avions suffisamment de choses à nous dire et à faire ensemble pour prendre le soin de réunir les conditions les plus favorables à notre rencontre.
En venant aux Antilles, je sais que je vais à la rencontre d'une énergie singulière et parfois frondeuse. C'est elle qui m'intéresse et non les bienséances de façade derrière laquelle se réfugient les passions et les tensions de notre société.
C'est la seconde fois que je me rends ici en qualité de ministre. Il y a sur cette terre de Guadeloupe un goût que j'aime et que la métropole n'a pas suffisamment en elle : le goût des horizons. C'est à dire cette capacité à observer avec soif et audace le monde environnant, ce monde qui bouge.
La France que j'appelle de mes voeux, c'est la France qui prend des risques, qui s'élance au-delà de l'hexagone, qui ose se frotter aux autres.
Dans cette perspective, comment ne pas voir en la Guadeloupe une formidable opportunité française ? A la bordure des continents nord-américain et sud-américain, les Antilles sont les frontières de notre avenir.
Le 20 mars 1964, le Général de Gaulle prononça au champ d'Arbaud, à Basse Terre, un discours dont l'une des phrases résume notre défi permanent : elle disait que "la grandeur n'est pas la politique la plus coûteuse? la plus coûteuse, la plus ruineuse - disait-il - c'est d'être petit ".
C'est un fait : chaque fois que la France se replie sur elle-même, chaque fois qu'elle baisse les bras et qu'elle renonce à suivre son étoile, elle le paie cher !
Notre pays poursuit-il encore son étoile ?
Oui, car la France reste fidèle à son héritage ! Mais en même temps, comment ne pas ressentir - au-delà des clivages partisans et des analyses conjoncturelles - que notre pays doute de lui-même.
Il s'interroge sur l'actualité de sa devise. Qu'en est-il de la liberté face à l'insécurité et face aux rigidités qui brident les initiatives ? Quel sens donner à l'égalité face à la panne de l'ascenseur social, face à la persistance des discriminations raciales et la résurgence des communautarismes ? Que penser de la fraternité face à l'expression des égoïsmes et des corporatismes?
Pour tout dire, la République se cherche, et en certains endroits de notre territoire elle s'est même carrément perdue faute d'avoir été suffisamment ferme et juste.
Dans plusieurs de nos quartiers, on vit encore avec la peur au ventre, la peur qui fait baisser les yeux et vous fait presser le pas. La Guadeloupe n'échappe pas à ce climat d'insécurité qui est insupportable à tous ceux qui aspirent à vivre paisiblement.
Depuis quatre ans, la baisse des crimes et des délits témoigne de notre volonté de briser cette culture de la violence. Notre politique aura permis d'épargner plus de 765.000 victimes, mais beaucoup de choses restent à faire pour juguler cette violence, mieux la prévenir, mieux la sanctionner et mettre ainsi un terme au sentiment d'impunité ! Mais au delà de cette fermeté nécessaire, chacun sent bien que le problème est plus large?
Si notre pacte est à ce point fragile et morcelé, si l'incivisme a gagné tant de terrain et si la question de l'intégration reste si pressante, c'est qu'il existe un malaise plus profond.
Je crois que notre nation est en quête de sens.
Elle cherche des repères communs et les voies d'une espérance mieux partagée. S'il en est ainsi, c'est parce l'on ne s'est pas suffisamment interrogé sur ce qu'était la France d'aujourd'hui. Nous n'avons pas eu la lucidité de moderniser et d'enrichir son identité en prenant acte du caractère pluriel et divers de notre pays.
De là, sont nés les crispations et les préjugés qui bloquent notre société. De cette incompréhension mutuelle ont également surgi, pour une part, les erreurs d'appréciation qui furent à l'origine de l'article 4 de la loi du 23 février 2005.
Chacun d'entre-nous a eu l'occasion de s'exprimer sur cette affaire que le Président de la république a tranchée avec hauteur de vue? Mais je profite de ma présence parmi vous pour dire avec clarté et conviction que l'esclavagisme fut une infamie et que le colonialisme en fut la matrice ! Sa mémoire douloureuse persiste, et c'est pour ne pas en avoir mesuré toute la dimension affective que la querelle est née.
Votre Histoire est aussi notre Histoire ! C'est cette synthèse que notre nation a trop tardé à sceller dans les faits et les c?urs.
A tort, la République a trop souvent refusé de saisir toutes les nuances qui la composaient. Et à tort, certains on pensé que le drapeau tricolore n'était pas assez large pour rassembler chacun dans ses différences. Eh bien moi, je dis que ce drapeau est suffisamment généreux pour entraîner et respecter toutes celles et tous ceux qui, de toutes origines, de toutes races et de toutes confessions, sont la France de demain !
Parce que la République doit offrir une chance à chacun, je défends, vous le savez, l'idée de la discrimination positive qui n'est rien d'autre que la justice en action.
Si j'affirme qu'il faut donner un "coup de main" à ceux qui doivent se battre deux fois plus pour faire prévaloir leur mérite, c'est parce que je sais qu'il n'y a pas d'autres moyens pour abattre les barrières sociales ou raciales qui subsistent. L'histoire de Camille Mortenol à 80 ans? Les préjugés d'hier, je ne veux plus les voir dans la France d'aujourd'hui !
Depuis des siècles, notre nation est une terre d'accueil et de mélange, mais elle appréhende difficilement la pluralité et le métissage de son identité. Il est temps que cela change. Et pour cela, je convie notre pays à mieux écouter le message de l'outremer. Il en sortira renforcé et plus fraternel.
Mesdames et messieurs,
Vous êtes des élus de terrain et vous mesurez mieux que n'importe qui les difficultés de notre pays. J'imagine que nous ne formulons pas tous dans cette enceinte les mêmes solutions, mais nous dressons globalement un diagnostic comparable.
Pour ma part, j'ai la certitude que l'état de notre nation exige de l'audace et du mouvement. Trop d'immobilismes, trop de conservatismes, trop de conformismes, entourent le mot "espoir".
Comme partout ailleurs en France, les Guadeloupéens rêvent de faire mieux que leurs parents. Ils rêvent d'avoir un emploi, de progresser professionnellement, de créer leur entreprise, de s'acheter un logement? Ces rêves ne sont pas inaccessibles. Mais ils exigent beaucoup de volonté et de créativité afin de provoquer une nouvelle donne. Il n'y a pas de fatalité.
La Guadeloupe doit et peut viser haut.
Ses défis sont immenses. Mais la puissance du territoire est telle que les rêves dont je parlais à l'instant ne me paraissent pas hors d'atteinte.
La Guadeloupe est déjà l'un des espaces d'Outre-mer qui présente le plus grand dynamisme économique et son taux de chômage a fortement décru durant la dernière décennie.
Cette dynamique doit s'amplifier.
Au-delà des secteurs traditionnels qu'il ne faut pas négliger, la Guadeloupe a les moyens de s'engager dans une démarche de qualité et d'excellence.
Dans cet esprit, vous avez, tous ensemble, travaillé à la mise place d'un pole de compétitivité qui est consacré aux Matériaux, aux Energies renouvelables et à la biodiversité. Ce pole a vocation à fédérer les acteurs économiques et scientifiques de l'île, et, le moment venu, il pourra bénéficier d'aides financières de l'Etat. Pour affiner et porter ce projet, j'ai décidé de mobiliser mes services ! Le document que nous signerons dans quelques instants scellera notre engagement commun.
Le créneau des technologies innovantes est un de ceux dont il faut également vous emparer. L'arrivée prochaine du câble "Guadeloupe Numérique", permettra de multiplier les capacités de liaisons, et, bien entendu, de réduire les coûts. Parce qu'il m'apparaît un outil formidable de développement et de désenclavement, j'investirai les moyens de mon ministère pour qu'à la Guadeloupe comme dans le reste des départements d'outre-mer, l'internet à haut débit soit proposé au même prix qu'en métropole, à qualité et débit égal.
Je serai également attentif à cet autre volet du développement qu'est la desserte aérienne. Le gouvernement a lancé, sous mon impulsion, une mission interministérielle chargée d'examiner les moyens d'améliorer la continuité territoriale entre la métropole et les collectivités d'outre-mer.
Il faut, en particulier, que la faisabilité, l'impact, et les conditions de mise en oeuvre d'un plafonnement éventuel des prix des billets soient examinées de près. Cette mission doit remettre ses conclusions au mois de mai. Vous pouvez compter sur moi pour que les propositions qui seront retenues soient appliquées rapidement.
Quant au secteur du tourisme, il apparaît toujours comme une voie d'avenir, malgré un repli que l'on ne peut sous-estimer. Ce secteur majeur appelle à un élan collectif et durable. La Guadeloupe est toujours la première destination d'Outre-mer, mais elle doit étendre son influence en élargissant la palette de son offre touristique et en progressant dans la qualité de ses établissements et de son accueil.
Dans tous les domaines d'activité, des exemples de réussites surgissent et s'imposent jour après jour. Ils témoignent de votre capacité à aller de l'avant.
Cette capacité, il faut lui offrir un tremplin ! La fiscalité des entreprises doit être adaptée au contexte régional, et pour cela, il faut imaginer la mise en place d'une zone franche novatrice permettant un développement des investissements ; un développement qui, dans mon esprit, doit être maîtrisé dans le temps, transparent et équitable.
Parallèlement à cette question fiscale, il faut aussi accentuer la mobilisation en faveur de l'aménagement de votre territoire afin de rééquilibrer les bassins de vie et d'améliorer les infrastructures de liaisons, notamment celles des transports en commun.
Ces sujets nous renvoient à l'acte II de la décentralisation. Je sais que vos collectivités sont à l'heure qu'il est en pleine phase d'appropriation des compétences qui leur ont été transférées. Le Gouvernement est décidé à les accompagner dans cet effort. La commission consultative pour l'évaluation des charges a donné acte au Gouvernement du complet respect de ses obligations en termes de compensation financières - obligations que nous avons d'ailleurs nous-mêmes inscrites dans la Constitution.
Je sais que le département de la Guadeloupe, ainsi qu'un certain nombre de communes, ont encore des insatisfactions liées à des modifications de compétences effectuées sous la précédente législature, je pense en particulier à la mise en place de la CMU. Je n'ai pas besoin de vous rappeler les dispositions qui ont été prises, en 2003, à mon initiative et à celle de Patrick Devedjian, pour apporter à cette difficulté des réponses à la fois pérennes et équilibrées entre les communes et le département.
Pour ce qui n'a pas été traité en 2003, un contentieux a, vous le savez, été porté devant le tribunal administratif de Basse-Terre : la sagesse commande de laisser le juge administratif dire le droit.
Mais je vous assure que, dès lors que cette procédure aura connu un terme définitif, l'Etat en tirera, sans attendre, toutes les conséquences.
Dans le cadre de l'ambition décentralisatrice, il y a le projet de statut de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy. Je sais ce qu'il représente aux yeux des populations concernées et je sais que les élus de la Guadeloupe commencent sérieusement à s'impatienter. Je voudrais vous dire qu'avec le Ministre de l'Outre-mer, je veille à ce que le calendrier soit accéléré afin que la loi organique soit adoptée à l'été. Le référendum ayant eu lieu il y après de deux ans et demi, cela me paraît la moindre des choses ?
Mesdames et messieurs,
Vous l'aurez compris, je crois en votre capacité à tracer les lignes de votre avenir économique et social.
Pour cela, l'Etat doit pleinement assumer ses missions régaliennes, au premier rang desquelles se trouve la sécurité publique. Si le nombre des délits constatés est globalement en baisse cette année, son niveau demeure trop élevé.
Cette délinquance est d'autant plus inacceptable que les faits commis le sont de façon croissante par des mineurs et sont parfois d'une gravité extrême. J'ajoute que le développement des trafics de drogue et l'extension de leur usage constituent une menace sur la jeunesse. Face à ce fléau, je n'ai qu'un mot d'ordre : aucune complaisance, aucun relâchement !
Je suis là pour renforcer nos moyens de lutte contre l'insécurité et étoffer les outils de la prévention. Mes instructions sont nettes : au service de tous les guadeloupéens, les forces de police et de gendarmerie doivent être sur le terrain, attentives, réactives et déterminées.
Ici, comme partout ailleurs en France, la sécurité est l'un des gages de la prospérité. Il en est exactement de même vis à vis de l'immigration.
Soyons-clairs : la Guadeloupe ne peut être ouverte à tous les vents, sous peine de voir son pacte économique et social se démanteler. N'en déplaise à ceux qui s'abritent derrière les grands principes pour mieux esquiver les réalités, j'affirme que la France n'a pas les moyens d'accueillir tous ceux qui voient en elle un eldorado.
Voilà pourquoi le nombre des reconduites à la frontière est passé de 10.000 en 2003 à plus de 20.000 en 2005, et il sera de 25.000 en 2006. Voilà aussi pourquoi j'ai décidé de modifier notre législation afin de passer d'une immigration subie à une immigration choisie.
Un regard particulier sera posé sur l'immigration clandestine en outremer : contrôle renforcé de certains véhicules, immobilisation et destruction des moyens de transport des clandestins, suppression du caractère suspensif de certains recours afin d'accélérer la mise en oeuvre des mesures d'éloignement ?
En Guadeloupe, il y avait, en 2001, 694 expulsions? Il y en a eu 1400 en 2005 et j'ai fixé l'objectif de 2000 reconduites en 2006, soit une augmentation de 40%.
Pour atteindre nos objectifs, j'ai décidé d'élargir et d'affûter nos moyens d'action : création d'une cellule opérationnelle inter services qui sera animée par le chef de la PAF ; ouverture d?une antenne permanente de l'OFPRA pour réduire la durée du traitement des demandes d'asile de 4 à 2 mois ; mise aux normes et extension du Centre de Rétention Administrative du Morne Vergain qui passera de 20 à 60 places ; renfort de 27 fonctionnaires de la PAF ; affectation de 8 fonctionnaires supplémentaires de la PAF à Saint-Martin et transformation de l'antenne locale DIPJ en antenne OCRTIS ? Voilà les mesures que je préciserai aux services de gendarmerie et de police que je rencontre à la fin de la matinée.
Cette impulsion sera complétée par un accord que je signerai avec les autorités de La Dominique. Il doit nous permettre de mieux lutter contre les filières organisées à partir d'Haïti.
C'est dans ce cadre sécurisé que la Guadeloupe pourra exprimer ses formidables potentialités.
Bien sûr, il existe sur l'île des problèmes qui demeurent, des freins qui persistent, des échecs sociaux dont certains nous renvoient amèrement vers nos responsabilités? Je ne les ignore pas. La solidarité nationale doit être à la hauteur de ces difficultés.
Mais, mesdames et messieurs, il y a aussi tant de force sur cette terre !
Connaissant certains des vôtres en métropole, je sais que vous avez du tempérament. Il m'arrive souvent de croiser de jeunes guadeloupéens portant l'uniforme de policier ou de gendarme. L'écusson tricolore qu'ils portent sur eux, c'est l'écusson de la fierté.
J'ai foi en cette île.
Je vois ses perspectives.
Je crois en elles et je crois en vous.
Vive la Guadeloupe, vive la République et vive la France !
Source http://www.interieur.gouv.fr, le 14 mars 2006