Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
Le débat qui s'ouvre est d'une particulière importance et mérite d'être abordé avec une certaine gravité,
- parce que la nature de la question dont le Gouvernement s'est saisi et dont vous vous saisissez aujourd'hui est complexe : elle touche en effet à la conception de l'unité de la République et à la vitalité de la démocratie,
- parce que la question corse appelle une réponse originale au regard de sa spécificité,
- parce qu'elle fait trop souvent l'objet d'une approche passionnelle qui n'en facilite pas la bonne compréhension,
- parce qu'il nous faut enfin conjuguer l'ambition d'y trouver réponse et l'humilité que dicte la mémoire, que nous devons avoir fidèle, des difficultés et des drames auxquelles ont été confrontés bien des Gouvernements, ceux d'hier comme celui d'aujourd'hui. Je veux ici saluer avec émotion la mémoire du Préfet Claude ERIGNAC.
Il est une certitude qui est notre point de départ et restera notre point d'arrivée :
La Corse est française, la Corse est dans la République et elle a envie d'y rester, mais elle veut aussi que notre République reconnaisse sa spécificité et sa personnalité dont l'épanouissement est aussi une richesse pour la France.
Cet attachement à la France, les Corses l'ont exprimé et l'ont prouvé à maintes reprises . On se souvient de leur engagement et du prix qu'ils ont payé lors des deux derniers conflits mondiaux . Ils ont aussi été nombreux à contribuer aux réussites de notre pays.
Ils l'expriment encore aujourd'hui, du moins l'immense majorité d'entre eux.
Ils ont envie de s'y trouver mieux encore, comme pour mettre fin à cette interrogation permanente jusqu'à devenir lancinante, non pas qu'ils se posent mais que leur renvoient quelques uns d'entre eux et plus nombreux encore, beaucoup de nos concitoyens du continent.
Pour eux, comme pour le Gouvernement, comme pour la représentation nationale, il n'est pas question de se tromper de débat, la question posée n'est pas celle de l'indépendance.
Alors quelle est-elle? C'est celle de notre capacité à prendre en compte une géographie, une histoire, une culture au sein de la communauté nationale que la Corse vient enrichir de ses différences tout en partageant ses valeurs communes.
Une réponse qui ne prendrait en compte que les problèmes en Corse et non les problèmes de la Corse, sous le seul angle de l'ordre public, serait vouée à l'échec. On sait bien qu'elle n'a jamais fait cesser, à elle seule, les actes qu'une démocratie ne peut tolérer et qu'elle combat sans faiblesse. De plus et surtout, elle stigmatiserait injustement une population toute entière en faisant porter sur elle une responsabilité collective injustifiée et en méconnaissant ses aspirations et ses espérances.
On ne pourrait non plus se satisfaire d'une solution imaginée à distance, loin de la Corse, considérant que ses élus ne sont pas en capacité d'y contribuer au prétexte qu'ils comptent parmi eux des représentants qui ne se reconnaissent pas dans les perspectives d'ancrage durable dans la République que j'ai tracées. Le risque serait double : se tromper sur le fond et dispenser les Corses du chemin qu'ils ont eux-mêmes à parcourir.
La démocratie ne se conforte pas de nos envies mais de nos principes : le Premier ministre n'a pas choisi ses interlocuteurs autrement qu'en leur qualité d'élus du suffrage universel. Les élus de Corse sont aussi les élus de la République.
S'il revient aux Corses et à eux seuls de choisir leurs élus, il nous incombe en revanche de faire en sorte que le débat porte en Corse sur les vraies options de fond.
Il ne doit pas se nourrir, au point de la transformer en prétexte, de notre incapacité à entendre des aspirations légitimes quand il s'agit de prendre en compte une spécificité et une identité dont la négation serait, pour une très large majorité des Corses, la négation de ce qu'ils sont : Français et Corses.
Dès lors la méthode adoptée par le Gouvernement prend tout son sens : ouvrir un dialogue et non des négociations, afin de dégager des solutions de fond aux problèmes rencontrés. Le dialogue n'est pas la faiblesse puisqu'il consacre la primauté absolue du débat politique et le respect des institutions de la République. Le situer dans ce cadre est un acte politique fort et le Gouvernement constate, pour s'en féliciter, que tous s'y sont inscrits.
Est-il aussi nécessaire de rappeler que l'article 26 du statut de 1991 donne compétence à l'Assemblée de Corse, à son initiative ou à celle du Premier ministre, pour, je cite, "présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse, ainsi que toutes dispositions législatives ou réglementaires concernant le développement économique, social et culturel de la Corse".
La méthode employée par le Premier ministre est donc respectueuse des principes républicains et pleinement conforme au droit.
Le relevé de conclusions du 20 juillet qui constitue bien un relevé des engagements politiques pris par ce Gouvernement, traite d'évolutions institutionnelles qui nécessitent une modification de la Constitution. Il est clairement apparu en effet, au terme de ces discussions, que seule une telle modification pouvait, s'agissant de l'organisation administrative de la Corse et de la pérennisation des dispositions relatives à l'adaptation des normes, apporter une réponse durable à la complexité de la question posée.
Mais le choix a été fait de procéder par étape et les élus de Corse eux-mêmes ont souhaité que cette modification soit renvoyée à la fin de leur mandat actuel, soit en 2004.
Il est clair pour nous, et c'est à ce stade un engagement nécessairement plus politique que juridique, que la voie du référendum paraît la plus appropriée pour procéder à cette réforme constitutionnelle. Il reviendra au Président de la République alors en fonction d'en décider.
Le projet de loi mis en débat ne comporte naturellement aucune de ces dispositions d'autant que cette seconde phase nécessitera, pour être abordée avec les meilleures chances de succès, que soient réunies un certain nombre de conditions :
- le bon usage que les élus de Corse auront fait de leur nouvelles responsabilités,
- la concrétisation, par l'Etat, de ses engagements,
- et la disparition durable de la violence.
Avant d'aborder le contenu même du projet de loi, du moins ses dispositions essentielles, je voudrais m'arrêter quelques instants sur l'Etat de droit et le bilan de l'action des services de l'Etat en Corse, plus spécialement pour l'année 2000, année même des discussions avec les élus, afin de faire apparaître clairement qu'il ne s'agit pas pour ce Gouvernement d'opposer l'application de la loi et la conduite du processus.
On se souvient, ici tout particulièrement, des rapports parlementaires sur la Corse , travaux conduits en leur temps par MM. GLAVANY et FORNI. Après avoir dressé un diagnostic complet et rigoureux de la situation, ils formulaient de nombreuses propositions qui ont constitué une véritable feuille de route pour les services de l'Etat.
Je peux livrer à la représentation nationale les éléments d'appréciation suivants :
- en matière de contrôle de légalité, la Corse se situe au 5ème rang national pour le nombre d'actes déférés. Le contrôle de légalité s'exerce sans faiblesse ni acharnement non plus.
- le taux de recouvrement des impôts directs est passé de 86 % en 1998 à 92 % en 2000 et les rentrées fiscales ont elles même augmenté de 10 %.
- le nombre de bénéficiaires du RMI a diminué de 25 % depuis 1998 et le taux de refus en COTOREP est passé à 40 %.
- s'agissant de la sécurité, la délinquance a baissé, en 2000, de 4,43 % et le taux d'élucidation est de 10 points supérieur à la moyenne nationale. Le nombre de mis en cause a augmenté de 15 % et celui des personnes écrouées de 60 %. S'agissant des attentats par explosifs, leur nombre a diminué des 2/3 depuis 1995 retrouvant le niveau, toujours trop élevé, constaté en 1974, année précédant celle du drame d'Aléria.
- enfin, chacun pourra observer que la justice passe sans que rien, maintenant, ne vienne altérer son indépendance .
Je m'en tiens à ces quelques indications pour vous assurer, s'il en était besoin que l'action de l'Etat pour faire respecter la loi et la conduite du dialogue n'ont en rien interféré.
Je veux saluer, pour les en remercier, l'action des services de l'Etat, sous l'autorité des préfets au premier rang desquels le préfet de Corse.
Je sais que les Corses, qui ont un sens aigu de la justice et de l'équité, ont dans leur grande majorité approuvé ces actions pour renforcer l'Etat de droit.
Les services de l'Etat, avec les élus et l'ensemble des acteurs économiques ont aussi beaucoup uvré pour que la situation des entreprises et de l'emploi s'améliore. Les résultats sont là, mais parfois encore inférieurs à ceux relevés sur le continent montrant bien que le volet fiscal du projet de loi et le programme exceptionnel d'investissement sont indispensables pour conforter cette reprise encore fragile.
Je tiens à le relever car le projet de loi est trop souvent réduit, dans les commentaires, à son seul volet institutionnel alors même que le développement économique est une dimension fondamentale de notre projet.
Le projet de loi qui vous est présenté s'adosse ainsi à une situation économique en voie d'amélioration et intervient alors même que les services de l'Etat peuvent afficher le bilan que je viens de rappeler. Le contraire ne l'aurait pas rendu possible.
Cette démarche est courageuse puisque, loin de tout enjeu partisan, elle est uniquement soucieuse des intérêts de la République et de la Corse. Sur cette question comme sur d'autres, le Gouvernement traite les problèmes auxquels le pays est confronté par le dialogue, dans la transparence et par la prise de responsabilités au service de l'intérêt général.
Pour ceux qui, avec sincérité, expriment encore des réticences sur notre projet pour la Corse, nos débats, j'en suis certain, nous permettront de mieux nous comprendre.
A ceux qui, et je les espère peu nombreux, seraient tentés par un rejet sans nuance, je leur dit : que proposez-vous ? Je n'ai en effet entendu aucune solution alternative. Que se serait-il passé sans cette initiative ? Cette démarche n'est-elle pas utile à tous ? L'intérêt général ne commande-t-il pas de savoir nous rassembler comme ont su le faire les élus de la Corse, au-delà de leurs clivages politiques ?
Cette adhésion la plus large au projet de loi, à Paris comme en Corse, est une condition de la réussite du processus en cours. Cette réussite ne sera pas celle de tel ou tel parti politique, mais bien de l'ensemble des institutions de la République.
A l'inverse, mesurons bien les effets d'un échec qui serait lourd de conséquences pour les gouvernants issus des élections de 2002.
J'en viens maintenant au projet lui-même.
Les débats des jours prochains nous permettront d'entrer plus complètement dans l'examen de chacun des articles ; aussi m'en tiendrai-je aux axes principaux suivants :
- le transfert de compétences
- l'adaptation des normes
- l'enseignement de la langue corse
- les mesures à caractère fiscal.
1 - Les transferts de compétences
La loi et le statut de 1991 ont déjà doté la collectivité territoriale de compétences qui la distingue des régions du continent.
Appliqué à un territoire comme la Corse, l'enchevêtrement des compétences, la sur-administration, sont ici, plus qu'ailleurs, un frein à son développement et ne facilitent pas une lecture claire des responsabilités de chacun.
Il est proposé d'amplifier, dans de nombreux domaines, les avancées de 1991 avec pour objectif moins d'en faire plus que de construire progressivement, instruits par l'expérience, un cadre juridique adapté.
De nouvelles compétences seront ainsi attribuées à la collectivité territoriale dans les domaines de l'éducation, sans porter atteinte aux prérogatives de l'Etat, la culture et la communication, le sport et l'éducation populaire, l'aménagement du territoire, les transports et la gestion des infrastructures, le développement économique, le tourisme, l'agriculture et la forêt, l'emploi, la formation professionnelle et l'environnement.
Je sais que la notion de bloc de compétences est souvent suggérée pour assurer une cohérence et une lisibilité des politiques publiques. Elle trouve cependant ses limites naturelles dans les compétences dont l'Etat ne saurait se défaire au risque de remettre en cause les fondements de l'unité nationale ou de le priver de toute capacité à agir, c'est-à-dire de mettre en uvre les politiques qu'il entend mener de même façon en tout point du territoire.
2 - L'adaptation des normes
L'article 26 du statut donne déjà compétence à l'Assemblée de Corse pour présenter des propositions en ce sens. L'expérience prouve cependant que ce mécanisme n'a pas bien fonctionné. La responsabilité en est partagée.
Les spécificités de la Corse, géographiques, culturelles et économiques, peuvent justifier que des normes réglementaires soient adaptées. Il convient certes d'écarter toute idée de réglementation locale lorsque la loi qu'il convient de mettre en uvre touche à l'exercice des libertés publiques. Le projet de loi satisfait cet impératif.
Pour le reste, l'extension du pouvoir réglementaire des collectivités ne méconnaît pas les exigences du principe d'égalité lorsque l'objectif poursuivi par le législateur est tel que la réglementation la mieux adaptée sera celle capable de prendre en compte la diversité des situations locales, parce qu'elle pourra se fonder sur une appréciation concrète de ces réalités.
Ainsi, le projet de loi qui vous est soumis retient, dans ses dispositions relatives aux compétences de la collectivité territoriale, de nombreux articles qui élargissent les compétences de la collectivité territoriale dans des domaines précisément déterminés.
Conformément au relevé de conclusions du
20 juillet, l'article 1er propose aussi que ce principe soit affirmé de façon générale en donnant compétence à la collectivité pour définir et appliquer, dans certaines matières, des règles particulières, sans porter atteinte au pouvoir réglementaire général que l'article 21 de la Constitution réserve au Premier Ministre.
Le respect du principe d'égalité impose d'en réserver la possibilité aux matières dans lesquelles la collectivité exerce des compétences, de satisfaire à un but d'intérêt général et de motiver de telles adaptations par une situation spécifique, appréciée au regard de l'objet de la réglementation considérée.
Je sais que votre commission des lois a souhaité amender ce texte pour mieux encore prendre en compte les exigences constitutionnelles. L'amendement présenté par le rapporteur concilie la fidélité aux engagements pris et la recherche d'une écriture juridiquement rigoureuse.
Toujours conformément au relevé du 20 juillet, le projet de loi vous propose, s'agissant de dispositions législatives dont l'Assemblée de Corse estimerait que les spécificités de l'île en rendent l'application difficile, que le Parlement puisse confier à la collectivité territoriale le soin d'expérimenter certaines dispositions spécifiques dans les cadre et conditions qu'il aura définis et dont il assurera un total contrôle.
Ces dispositions doivent être analysées comme des dispositions à caractère procédural réglant les conditions dans lesquelles l'Assemblée de Corse peut solliciter le Gouvernement, sans que cette démarche ne présente un quelconque caractère d'injonction dont on sait bien qu'il ne serait pas conforme aux exigences constitutionnelles.
Le débat sur la constitutionnalité de ces dispositions ne peut porter à ce stade que sur le principe même de l'expérience en matière législative.
Je sais que l'intérêt pour une telle démarche est partagé par bon nombre de parlementaires, sur l'ensemble des bancs des deux chambres.
Le Gouvernement a considéré que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel de 1993 admettait la possibilité d'expériences, dans le respect des conditions qu'il a précisées et que nous avons faîtes nôtres.
Le débat permettra d'approfondir la discussion sur cette question importante. Auditionné par votre commission des lois le 17 avril dernier, j'avais reconnu qu'il était toujours possible d'en améliorer encore la rédaction en reprenant plus précisément encore les termes mêmes de la décision du Conseil Constitutionnel.
Votre commission a travaillé en ce sens sans dénaturer aucunement le projet du Gouvernement. Alors que j'entends, ces derniers jours, des commentaires contraires, il suffit de comparer les textes pour s'en rendre compte.
3 - Venons en à l'enseignement de la langue corse.
Le Gouvernement n'est pas seul à soutenir que l'enseignement des langues régionales contribue à une valorisation du patrimoine culturel de la France et à une reconnaissance de l'identité culturelle et sociale de nos régions dont notre République n'a rien à craindre, bien au contraire, si elle veut conserver sa vitalité.
Je pourrais émailler mon propos de citations déjà anciennes, par exemple en faisant référence à l'exposé des motifs de nombreuses propositions de lois venant de tous les horizons politiques.
Les élus de la Corse, toutes sensibilités confondues, ont été unanimes pour interpeller le Gouvernement sur cette question en disant combien elle avait une importance pratique mais plus encore symbolique.
Depuis des années déjà, la collectivité territoriale de Corse et l'Etat ont engagé des actions de développement de l'initiation et de l'enseignement de la langue corse.
La loi de 1991 a, par ailleurs, donné compétence à l'Assemblée de Corse pour adopter un plan "prévoyant notamment les modalités d'insertion de cet enseignement dans le temps scolaire".
Cet enseignement n'a suscité aucune difficulté dans l'île. La réalité, qu'il suffit d'aller constater en Corse comme je l'ai fait et comme des parlementaires l'ont fait, est fort éloignée de certains commentaires.
Cette volonté déjà partagée par l'Etat et la Collectivité Territoriale doit trouver son affirmation et son aboutissement dans le projet de loi qui vous est soumis. Disposition inutile penseront certains. Je lui vois au contraire un double intérêt :
- porter clairement reconnaissance de la vitalité d'une culture et de sa place dans l'identité de la Corse.
- engager solennellement l'Etat dans une politique de généralisation de l'offre de cet enseignement.
Là encore, votre commission des lois a souhaité revoir l'écriture de ce texte tout en adhérant pleinement à l'objectif poursuivi.
J'ai dit, le 17 avril dernier, devant cette commission que les dispositions législatives concernant les langues polynésiennes, non censurées par le Conseil Constitutionnel alors même qu'elles s'appliquaient aussi aux établissements du second degré, pouvaient utilement inspirer cette recherche, étant d'ores et déjà précisé que les principes nous sont communs :
- la langue de la République est et reste naturellement le français. Il n'est aucunement question d'une quelconque co-officialité.
- si l'Etat s'oblige à généraliser l'enseignement de la langue corse dans l'ensemble des écoles maternelles et élémentaires, l'apprentissage ne saurait revêtir pour les élèves un caractère obligatoire.
Les deux décisions du Conseil Constitutionnel, en 1991 déjà sur la langue corse et en 1996 sur les langues polynésiennes, éclairent en des termes du reste comparables la lecture qu'il convient de faire de telles dispositions. Nous les faisons nôtres.
Au demeurant qui pourrait contester que la prise en compte de cet enseignement par l'école de la République n'offre pas des garanties à ceux qui pourraient exprimer encore certaines réserves.
Ces considérations sont pleinement conformes aux orientations récemment définies par le Ministre de l'Education Nationale dont on connaît l'engagement de longue date en faveur de l'ensemble des langues régionales.
4 - Les mesures à caractère fiscal
Le projet de loi porte réorientations des dispositions fiscales concernant les entreprises au bénéfice d'un soutien plus affirmé à l'investissement. Cette évolution significative et positive est accompagnée d'un dispositif particulier de sortie progressive de l'actuelle zone franche de Corse.
Il doit permettre d'éviter une rupture trop brutale, préjudiciable au redressement encore fragile des entreprises de Corse.
Avec la fiscalité des successions, j'aborde un sujet politiquement et techniquement délicat.
La population de Corse a massivement manifesté son attachement à ce qui est vécu comme une composante de son histoire. En effet, depuis maintenant deux siècles - les arrêtés MIOT datent de juin 1801 - le régime des droits de succession en Corse se caractérise par l'absence de sanction en cas de non dépôt des déclarations de succession et par une exonération de fait des immeubles situés en Corse.
Si le retour au droit commun ne peut cependant être sérieusement contesté, on comprendra que ce retour ne peut être que progressif et non brutal s'agissant de l'exonération qui accompagne la reconstitution des titres de propriété. Cette période transitoire n'est pas en soi juridiquement contestable. Le débat peut exister sur sa durée. Je sais que votre commission des lois s'en est saisi.
* * *
Certains conviennent de la pertinence de bon nombre des propositions de ce projet de loi au point d'en vouloir l'élargissement à l'ensemble des régions. Prenant en compte un problème spécifique, le Gouvernement a toujours dit que la Corse n'était pas le laboratoire de la décentralisation.
C'est aussi oublier que la Corse bénéficie déjà d'un statut spécifique, ses institutions et ses compétences la distinguant des autres régions où les situations et les aspirations sont différentes. Après y avoir fait souvent référence, je veux ici saluer la clairvoyance et la pertinence de la loi du 13 mai 1991, présentée et soutenue par Pierre JOXE qui a su porter une vision novatrice sur la problématique et les institutions de l'île.
Cela n'exclut cependant pas que certaines dispositions, que l'on retrouve par ailleurs dans le rapport MAUROY, puissent se retrouver dans les évolutions qui marqueront une nouvelle étape de la décentralisation. Mais quel que soit le contenu de cette nouvelle étape, la situation de la Corse justifiera toujours un statut particulier.
***
Je conclurai cette première intervention en saluant tout d'abord le travail de votre commission des lois, de son président Bernard ROMAN et du rapporteur Bruno LE ROUX.
J'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises que le Gouvernement ne se présentait pas devant le Parlement avec un texte verrouillé et soutiendrait tout amélioration qui, sans en dénaturer le sens, contribuerait là où vous l'estimerez indispensable, à sa sécurité juridique. Cette exigence rejoint en effet la nôtre.
Nous avons toujours clairement affirmé que le texte définitivement adopté, comme nous le souhaitons, devra respecter les principes constitutionnels.
Nos échanges, engagés de longue date, sont confiants et je me félicite de la constitution, par son Président, d'une mission d'information. Cette confiance s'alimente en effet d'un même souci de prendre en compte la réalité telle qu'elle est, avec ses difficultés certes, mais aussi bien éloignée de commentaires trop souvent faits de raccourcis trompeurs, de généralisations abusives et de références anciennes.
Si nous convenons tous que les enjeux sont importants, alors nous devrions tous aussi nous retrouver pour dispenser notre débat de tout excès. La sérénité n'empêche pas la fermeté des convictions.
A propos des dernières élections en Corse, certains observateurs avertis ont relevé que les insulaires savent que l'on peut voir maintenant la politique autrement.
Ne les décourageons pas.
Aidons-les à tourner la page d'une histoire trop douloureuse, à construire un avenir où l'identité, le développement, la responsabilité et la démocratie enfin réconciliées permettront d'écarter la tentation du repli.
Les Corses y sont prêts car ils savent que c'est l'intérêt de la Corse et de la République.
Ne manquons pas ce rendez-vous.
Il est fondateur d'un nouveau pacte de confiance qu'attend l'immense majorité des corses et que veulent espérer nos concitoyens du continent.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 21 mai 2001)
Mesdames et messieurs les députés,
Le débat qui s'ouvre est d'une particulière importance et mérite d'être abordé avec une certaine gravité,
- parce que la nature de la question dont le Gouvernement s'est saisi et dont vous vous saisissez aujourd'hui est complexe : elle touche en effet à la conception de l'unité de la République et à la vitalité de la démocratie,
- parce que la question corse appelle une réponse originale au regard de sa spécificité,
- parce qu'elle fait trop souvent l'objet d'une approche passionnelle qui n'en facilite pas la bonne compréhension,
- parce qu'il nous faut enfin conjuguer l'ambition d'y trouver réponse et l'humilité que dicte la mémoire, que nous devons avoir fidèle, des difficultés et des drames auxquelles ont été confrontés bien des Gouvernements, ceux d'hier comme celui d'aujourd'hui. Je veux ici saluer avec émotion la mémoire du Préfet Claude ERIGNAC.
Il est une certitude qui est notre point de départ et restera notre point d'arrivée :
La Corse est française, la Corse est dans la République et elle a envie d'y rester, mais elle veut aussi que notre République reconnaisse sa spécificité et sa personnalité dont l'épanouissement est aussi une richesse pour la France.
Cet attachement à la France, les Corses l'ont exprimé et l'ont prouvé à maintes reprises . On se souvient de leur engagement et du prix qu'ils ont payé lors des deux derniers conflits mondiaux . Ils ont aussi été nombreux à contribuer aux réussites de notre pays.
Ils l'expriment encore aujourd'hui, du moins l'immense majorité d'entre eux.
Ils ont envie de s'y trouver mieux encore, comme pour mettre fin à cette interrogation permanente jusqu'à devenir lancinante, non pas qu'ils se posent mais que leur renvoient quelques uns d'entre eux et plus nombreux encore, beaucoup de nos concitoyens du continent.
Pour eux, comme pour le Gouvernement, comme pour la représentation nationale, il n'est pas question de se tromper de débat, la question posée n'est pas celle de l'indépendance.
Alors quelle est-elle? C'est celle de notre capacité à prendre en compte une géographie, une histoire, une culture au sein de la communauté nationale que la Corse vient enrichir de ses différences tout en partageant ses valeurs communes.
Une réponse qui ne prendrait en compte que les problèmes en Corse et non les problèmes de la Corse, sous le seul angle de l'ordre public, serait vouée à l'échec. On sait bien qu'elle n'a jamais fait cesser, à elle seule, les actes qu'une démocratie ne peut tolérer et qu'elle combat sans faiblesse. De plus et surtout, elle stigmatiserait injustement une population toute entière en faisant porter sur elle une responsabilité collective injustifiée et en méconnaissant ses aspirations et ses espérances.
On ne pourrait non plus se satisfaire d'une solution imaginée à distance, loin de la Corse, considérant que ses élus ne sont pas en capacité d'y contribuer au prétexte qu'ils comptent parmi eux des représentants qui ne se reconnaissent pas dans les perspectives d'ancrage durable dans la République que j'ai tracées. Le risque serait double : se tromper sur le fond et dispenser les Corses du chemin qu'ils ont eux-mêmes à parcourir.
La démocratie ne se conforte pas de nos envies mais de nos principes : le Premier ministre n'a pas choisi ses interlocuteurs autrement qu'en leur qualité d'élus du suffrage universel. Les élus de Corse sont aussi les élus de la République.
S'il revient aux Corses et à eux seuls de choisir leurs élus, il nous incombe en revanche de faire en sorte que le débat porte en Corse sur les vraies options de fond.
Il ne doit pas se nourrir, au point de la transformer en prétexte, de notre incapacité à entendre des aspirations légitimes quand il s'agit de prendre en compte une spécificité et une identité dont la négation serait, pour une très large majorité des Corses, la négation de ce qu'ils sont : Français et Corses.
Dès lors la méthode adoptée par le Gouvernement prend tout son sens : ouvrir un dialogue et non des négociations, afin de dégager des solutions de fond aux problèmes rencontrés. Le dialogue n'est pas la faiblesse puisqu'il consacre la primauté absolue du débat politique et le respect des institutions de la République. Le situer dans ce cadre est un acte politique fort et le Gouvernement constate, pour s'en féliciter, que tous s'y sont inscrits.
Est-il aussi nécessaire de rappeler que l'article 26 du statut de 1991 donne compétence à l'Assemblée de Corse, à son initiative ou à celle du Premier ministre, pour, je cite, "présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse, ainsi que toutes dispositions législatives ou réglementaires concernant le développement économique, social et culturel de la Corse".
La méthode employée par le Premier ministre est donc respectueuse des principes républicains et pleinement conforme au droit.
Le relevé de conclusions du 20 juillet qui constitue bien un relevé des engagements politiques pris par ce Gouvernement, traite d'évolutions institutionnelles qui nécessitent une modification de la Constitution. Il est clairement apparu en effet, au terme de ces discussions, que seule une telle modification pouvait, s'agissant de l'organisation administrative de la Corse et de la pérennisation des dispositions relatives à l'adaptation des normes, apporter une réponse durable à la complexité de la question posée.
Mais le choix a été fait de procéder par étape et les élus de Corse eux-mêmes ont souhaité que cette modification soit renvoyée à la fin de leur mandat actuel, soit en 2004.
Il est clair pour nous, et c'est à ce stade un engagement nécessairement plus politique que juridique, que la voie du référendum paraît la plus appropriée pour procéder à cette réforme constitutionnelle. Il reviendra au Président de la République alors en fonction d'en décider.
Le projet de loi mis en débat ne comporte naturellement aucune de ces dispositions d'autant que cette seconde phase nécessitera, pour être abordée avec les meilleures chances de succès, que soient réunies un certain nombre de conditions :
- le bon usage que les élus de Corse auront fait de leur nouvelles responsabilités,
- la concrétisation, par l'Etat, de ses engagements,
- et la disparition durable de la violence.
Avant d'aborder le contenu même du projet de loi, du moins ses dispositions essentielles, je voudrais m'arrêter quelques instants sur l'Etat de droit et le bilan de l'action des services de l'Etat en Corse, plus spécialement pour l'année 2000, année même des discussions avec les élus, afin de faire apparaître clairement qu'il ne s'agit pas pour ce Gouvernement d'opposer l'application de la loi et la conduite du processus.
On se souvient, ici tout particulièrement, des rapports parlementaires sur la Corse , travaux conduits en leur temps par MM. GLAVANY et FORNI. Après avoir dressé un diagnostic complet et rigoureux de la situation, ils formulaient de nombreuses propositions qui ont constitué une véritable feuille de route pour les services de l'Etat.
Je peux livrer à la représentation nationale les éléments d'appréciation suivants :
- en matière de contrôle de légalité, la Corse se situe au 5ème rang national pour le nombre d'actes déférés. Le contrôle de légalité s'exerce sans faiblesse ni acharnement non plus.
- le taux de recouvrement des impôts directs est passé de 86 % en 1998 à 92 % en 2000 et les rentrées fiscales ont elles même augmenté de 10 %.
- le nombre de bénéficiaires du RMI a diminué de 25 % depuis 1998 et le taux de refus en COTOREP est passé à 40 %.
- s'agissant de la sécurité, la délinquance a baissé, en 2000, de 4,43 % et le taux d'élucidation est de 10 points supérieur à la moyenne nationale. Le nombre de mis en cause a augmenté de 15 % et celui des personnes écrouées de 60 %. S'agissant des attentats par explosifs, leur nombre a diminué des 2/3 depuis 1995 retrouvant le niveau, toujours trop élevé, constaté en 1974, année précédant celle du drame d'Aléria.
- enfin, chacun pourra observer que la justice passe sans que rien, maintenant, ne vienne altérer son indépendance .
Je m'en tiens à ces quelques indications pour vous assurer, s'il en était besoin que l'action de l'Etat pour faire respecter la loi et la conduite du dialogue n'ont en rien interféré.
Je veux saluer, pour les en remercier, l'action des services de l'Etat, sous l'autorité des préfets au premier rang desquels le préfet de Corse.
Je sais que les Corses, qui ont un sens aigu de la justice et de l'équité, ont dans leur grande majorité approuvé ces actions pour renforcer l'Etat de droit.
Les services de l'Etat, avec les élus et l'ensemble des acteurs économiques ont aussi beaucoup uvré pour que la situation des entreprises et de l'emploi s'améliore. Les résultats sont là, mais parfois encore inférieurs à ceux relevés sur le continent montrant bien que le volet fiscal du projet de loi et le programme exceptionnel d'investissement sont indispensables pour conforter cette reprise encore fragile.
Je tiens à le relever car le projet de loi est trop souvent réduit, dans les commentaires, à son seul volet institutionnel alors même que le développement économique est une dimension fondamentale de notre projet.
Le projet de loi qui vous est présenté s'adosse ainsi à une situation économique en voie d'amélioration et intervient alors même que les services de l'Etat peuvent afficher le bilan que je viens de rappeler. Le contraire ne l'aurait pas rendu possible.
Cette démarche est courageuse puisque, loin de tout enjeu partisan, elle est uniquement soucieuse des intérêts de la République et de la Corse. Sur cette question comme sur d'autres, le Gouvernement traite les problèmes auxquels le pays est confronté par le dialogue, dans la transparence et par la prise de responsabilités au service de l'intérêt général.
Pour ceux qui, avec sincérité, expriment encore des réticences sur notre projet pour la Corse, nos débats, j'en suis certain, nous permettront de mieux nous comprendre.
A ceux qui, et je les espère peu nombreux, seraient tentés par un rejet sans nuance, je leur dit : que proposez-vous ? Je n'ai en effet entendu aucune solution alternative. Que se serait-il passé sans cette initiative ? Cette démarche n'est-elle pas utile à tous ? L'intérêt général ne commande-t-il pas de savoir nous rassembler comme ont su le faire les élus de la Corse, au-delà de leurs clivages politiques ?
Cette adhésion la plus large au projet de loi, à Paris comme en Corse, est une condition de la réussite du processus en cours. Cette réussite ne sera pas celle de tel ou tel parti politique, mais bien de l'ensemble des institutions de la République.
A l'inverse, mesurons bien les effets d'un échec qui serait lourd de conséquences pour les gouvernants issus des élections de 2002.
J'en viens maintenant au projet lui-même.
Les débats des jours prochains nous permettront d'entrer plus complètement dans l'examen de chacun des articles ; aussi m'en tiendrai-je aux axes principaux suivants :
- le transfert de compétences
- l'adaptation des normes
- l'enseignement de la langue corse
- les mesures à caractère fiscal.
1 - Les transferts de compétences
La loi et le statut de 1991 ont déjà doté la collectivité territoriale de compétences qui la distingue des régions du continent.
Appliqué à un territoire comme la Corse, l'enchevêtrement des compétences, la sur-administration, sont ici, plus qu'ailleurs, un frein à son développement et ne facilitent pas une lecture claire des responsabilités de chacun.
Il est proposé d'amplifier, dans de nombreux domaines, les avancées de 1991 avec pour objectif moins d'en faire plus que de construire progressivement, instruits par l'expérience, un cadre juridique adapté.
De nouvelles compétences seront ainsi attribuées à la collectivité territoriale dans les domaines de l'éducation, sans porter atteinte aux prérogatives de l'Etat, la culture et la communication, le sport et l'éducation populaire, l'aménagement du territoire, les transports et la gestion des infrastructures, le développement économique, le tourisme, l'agriculture et la forêt, l'emploi, la formation professionnelle et l'environnement.
Je sais que la notion de bloc de compétences est souvent suggérée pour assurer une cohérence et une lisibilité des politiques publiques. Elle trouve cependant ses limites naturelles dans les compétences dont l'Etat ne saurait se défaire au risque de remettre en cause les fondements de l'unité nationale ou de le priver de toute capacité à agir, c'est-à-dire de mettre en uvre les politiques qu'il entend mener de même façon en tout point du territoire.
2 - L'adaptation des normes
L'article 26 du statut donne déjà compétence à l'Assemblée de Corse pour présenter des propositions en ce sens. L'expérience prouve cependant que ce mécanisme n'a pas bien fonctionné. La responsabilité en est partagée.
Les spécificités de la Corse, géographiques, culturelles et économiques, peuvent justifier que des normes réglementaires soient adaptées. Il convient certes d'écarter toute idée de réglementation locale lorsque la loi qu'il convient de mettre en uvre touche à l'exercice des libertés publiques. Le projet de loi satisfait cet impératif.
Pour le reste, l'extension du pouvoir réglementaire des collectivités ne méconnaît pas les exigences du principe d'égalité lorsque l'objectif poursuivi par le législateur est tel que la réglementation la mieux adaptée sera celle capable de prendre en compte la diversité des situations locales, parce qu'elle pourra se fonder sur une appréciation concrète de ces réalités.
Ainsi, le projet de loi qui vous est soumis retient, dans ses dispositions relatives aux compétences de la collectivité territoriale, de nombreux articles qui élargissent les compétences de la collectivité territoriale dans des domaines précisément déterminés.
Conformément au relevé de conclusions du
20 juillet, l'article 1er propose aussi que ce principe soit affirmé de façon générale en donnant compétence à la collectivité pour définir et appliquer, dans certaines matières, des règles particulières, sans porter atteinte au pouvoir réglementaire général que l'article 21 de la Constitution réserve au Premier Ministre.
Le respect du principe d'égalité impose d'en réserver la possibilité aux matières dans lesquelles la collectivité exerce des compétences, de satisfaire à un but d'intérêt général et de motiver de telles adaptations par une situation spécifique, appréciée au regard de l'objet de la réglementation considérée.
Je sais que votre commission des lois a souhaité amender ce texte pour mieux encore prendre en compte les exigences constitutionnelles. L'amendement présenté par le rapporteur concilie la fidélité aux engagements pris et la recherche d'une écriture juridiquement rigoureuse.
Toujours conformément au relevé du 20 juillet, le projet de loi vous propose, s'agissant de dispositions législatives dont l'Assemblée de Corse estimerait que les spécificités de l'île en rendent l'application difficile, que le Parlement puisse confier à la collectivité territoriale le soin d'expérimenter certaines dispositions spécifiques dans les cadre et conditions qu'il aura définis et dont il assurera un total contrôle.
Ces dispositions doivent être analysées comme des dispositions à caractère procédural réglant les conditions dans lesquelles l'Assemblée de Corse peut solliciter le Gouvernement, sans que cette démarche ne présente un quelconque caractère d'injonction dont on sait bien qu'il ne serait pas conforme aux exigences constitutionnelles.
Le débat sur la constitutionnalité de ces dispositions ne peut porter à ce stade que sur le principe même de l'expérience en matière législative.
Je sais que l'intérêt pour une telle démarche est partagé par bon nombre de parlementaires, sur l'ensemble des bancs des deux chambres.
Le Gouvernement a considéré que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel de 1993 admettait la possibilité d'expériences, dans le respect des conditions qu'il a précisées et que nous avons faîtes nôtres.
Le débat permettra d'approfondir la discussion sur cette question importante. Auditionné par votre commission des lois le 17 avril dernier, j'avais reconnu qu'il était toujours possible d'en améliorer encore la rédaction en reprenant plus précisément encore les termes mêmes de la décision du Conseil Constitutionnel.
Votre commission a travaillé en ce sens sans dénaturer aucunement le projet du Gouvernement. Alors que j'entends, ces derniers jours, des commentaires contraires, il suffit de comparer les textes pour s'en rendre compte.
3 - Venons en à l'enseignement de la langue corse.
Le Gouvernement n'est pas seul à soutenir que l'enseignement des langues régionales contribue à une valorisation du patrimoine culturel de la France et à une reconnaissance de l'identité culturelle et sociale de nos régions dont notre République n'a rien à craindre, bien au contraire, si elle veut conserver sa vitalité.
Je pourrais émailler mon propos de citations déjà anciennes, par exemple en faisant référence à l'exposé des motifs de nombreuses propositions de lois venant de tous les horizons politiques.
Les élus de la Corse, toutes sensibilités confondues, ont été unanimes pour interpeller le Gouvernement sur cette question en disant combien elle avait une importance pratique mais plus encore symbolique.
Depuis des années déjà, la collectivité territoriale de Corse et l'Etat ont engagé des actions de développement de l'initiation et de l'enseignement de la langue corse.
La loi de 1991 a, par ailleurs, donné compétence à l'Assemblée de Corse pour adopter un plan "prévoyant notamment les modalités d'insertion de cet enseignement dans le temps scolaire".
Cet enseignement n'a suscité aucune difficulté dans l'île. La réalité, qu'il suffit d'aller constater en Corse comme je l'ai fait et comme des parlementaires l'ont fait, est fort éloignée de certains commentaires.
Cette volonté déjà partagée par l'Etat et la Collectivité Territoriale doit trouver son affirmation et son aboutissement dans le projet de loi qui vous est soumis. Disposition inutile penseront certains. Je lui vois au contraire un double intérêt :
- porter clairement reconnaissance de la vitalité d'une culture et de sa place dans l'identité de la Corse.
- engager solennellement l'Etat dans une politique de généralisation de l'offre de cet enseignement.
Là encore, votre commission des lois a souhaité revoir l'écriture de ce texte tout en adhérant pleinement à l'objectif poursuivi.
J'ai dit, le 17 avril dernier, devant cette commission que les dispositions législatives concernant les langues polynésiennes, non censurées par le Conseil Constitutionnel alors même qu'elles s'appliquaient aussi aux établissements du second degré, pouvaient utilement inspirer cette recherche, étant d'ores et déjà précisé que les principes nous sont communs :
- la langue de la République est et reste naturellement le français. Il n'est aucunement question d'une quelconque co-officialité.
- si l'Etat s'oblige à généraliser l'enseignement de la langue corse dans l'ensemble des écoles maternelles et élémentaires, l'apprentissage ne saurait revêtir pour les élèves un caractère obligatoire.
Les deux décisions du Conseil Constitutionnel, en 1991 déjà sur la langue corse et en 1996 sur les langues polynésiennes, éclairent en des termes du reste comparables la lecture qu'il convient de faire de telles dispositions. Nous les faisons nôtres.
Au demeurant qui pourrait contester que la prise en compte de cet enseignement par l'école de la République n'offre pas des garanties à ceux qui pourraient exprimer encore certaines réserves.
Ces considérations sont pleinement conformes aux orientations récemment définies par le Ministre de l'Education Nationale dont on connaît l'engagement de longue date en faveur de l'ensemble des langues régionales.
4 - Les mesures à caractère fiscal
Le projet de loi porte réorientations des dispositions fiscales concernant les entreprises au bénéfice d'un soutien plus affirmé à l'investissement. Cette évolution significative et positive est accompagnée d'un dispositif particulier de sortie progressive de l'actuelle zone franche de Corse.
Il doit permettre d'éviter une rupture trop brutale, préjudiciable au redressement encore fragile des entreprises de Corse.
Avec la fiscalité des successions, j'aborde un sujet politiquement et techniquement délicat.
La population de Corse a massivement manifesté son attachement à ce qui est vécu comme une composante de son histoire. En effet, depuis maintenant deux siècles - les arrêtés MIOT datent de juin 1801 - le régime des droits de succession en Corse se caractérise par l'absence de sanction en cas de non dépôt des déclarations de succession et par une exonération de fait des immeubles situés en Corse.
Si le retour au droit commun ne peut cependant être sérieusement contesté, on comprendra que ce retour ne peut être que progressif et non brutal s'agissant de l'exonération qui accompagne la reconstitution des titres de propriété. Cette période transitoire n'est pas en soi juridiquement contestable. Le débat peut exister sur sa durée. Je sais que votre commission des lois s'en est saisi.
* * *
Certains conviennent de la pertinence de bon nombre des propositions de ce projet de loi au point d'en vouloir l'élargissement à l'ensemble des régions. Prenant en compte un problème spécifique, le Gouvernement a toujours dit que la Corse n'était pas le laboratoire de la décentralisation.
C'est aussi oublier que la Corse bénéficie déjà d'un statut spécifique, ses institutions et ses compétences la distinguant des autres régions où les situations et les aspirations sont différentes. Après y avoir fait souvent référence, je veux ici saluer la clairvoyance et la pertinence de la loi du 13 mai 1991, présentée et soutenue par Pierre JOXE qui a su porter une vision novatrice sur la problématique et les institutions de l'île.
Cela n'exclut cependant pas que certaines dispositions, que l'on retrouve par ailleurs dans le rapport MAUROY, puissent se retrouver dans les évolutions qui marqueront une nouvelle étape de la décentralisation. Mais quel que soit le contenu de cette nouvelle étape, la situation de la Corse justifiera toujours un statut particulier.
***
Je conclurai cette première intervention en saluant tout d'abord le travail de votre commission des lois, de son président Bernard ROMAN et du rapporteur Bruno LE ROUX.
J'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises que le Gouvernement ne se présentait pas devant le Parlement avec un texte verrouillé et soutiendrait tout amélioration qui, sans en dénaturer le sens, contribuerait là où vous l'estimerez indispensable, à sa sécurité juridique. Cette exigence rejoint en effet la nôtre.
Nous avons toujours clairement affirmé que le texte définitivement adopté, comme nous le souhaitons, devra respecter les principes constitutionnels.
Nos échanges, engagés de longue date, sont confiants et je me félicite de la constitution, par son Président, d'une mission d'information. Cette confiance s'alimente en effet d'un même souci de prendre en compte la réalité telle qu'elle est, avec ses difficultés certes, mais aussi bien éloignée de commentaires trop souvent faits de raccourcis trompeurs, de généralisations abusives et de références anciennes.
Si nous convenons tous que les enjeux sont importants, alors nous devrions tous aussi nous retrouver pour dispenser notre débat de tout excès. La sérénité n'empêche pas la fermeté des convictions.
A propos des dernières élections en Corse, certains observateurs avertis ont relevé que les insulaires savent que l'on peut voir maintenant la politique autrement.
Ne les décourageons pas.
Aidons-les à tourner la page d'une histoire trop douloureuse, à construire un avenir où l'identité, le développement, la responsabilité et la démocratie enfin réconciliées permettront d'écarter la tentation du repli.
Les Corses y sont prêts car ils savent que c'est l'intérêt de la Corse et de la République.
Ne manquons pas ce rendez-vous.
Il est fondateur d'un nouveau pacte de confiance qu'attend l'immense majorité des corses et que veulent espérer nos concitoyens du continent.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 21 mai 2001)