Texte intégral
C'est la seconde fois que je m'exprime devant vous ; le premier déplacement en tant que ministre récemment nommée m'avait en effet conduit alors à CHAMBERY. Je vous annonçais une politique fondée sur le dialogue et la concertation.
Alors, avant d'aborder plusieurs sujets de fond, et forcément je ne pourrai pas tous les traiter, je voudrais vous faire part de mon analyse de la position qu'a souvent choisie l'USM dans son dialogue avec la Chancellerie. Ce que je veux affirmer vous surprendra peut-être, mais, comme les magistrats, j'apprécie le débat dans le respect du principe de la contradiction et je me méfie plutôt des apparents accords de pure courtoisie.
En 1999, à PARIS votre congrès faisait part de sa vive inquiétude. En 2000 à CHAMBERY, vous vous qualifiez de désespérés et vous vous demandiez comment éviter la catastrophe que représentait, à vos yeux, l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000. Vous l'assimiliez à un démantèlement de notre procédure pénale.
Et, aujourd'hui vous évoquez, je résume à grands traits, une situation grave et une crise structurelle de la justice que vous qualifiez de matérielle aussi bien que morale. Je voudrais donc vous proposer quelques réflexions sur la crise matérielle d'abord, sur la crise morale ensuite.
La crise matérielle :
Ai-je une seule fois dissimulé les questions lourdes qui se posaient dans notre ministère, me suis-je abstenue de vous recevoir régulièrement pour chercher, élaborer et trouver progressivement des solutions ? Il m'arrive de ne plus vous comprendre !
Ce gouvernement a créé en 4 ans (1998 à 2001) plus de postes de magistrats que dans les 17 années précédentes (1981à1997) ; nous avons au printemps 2001 adopté un plan d'action pour la justice créant 1200 magistrats supplémentaires sur 4 ans et demi. La première tranche de ce programme trouve sa place logiquement dans le projet de loi de finances 2002 au sein duquel j'ai obtenu du Premier Ministre la création de 370 postes de magistrats, chiffre jamais atteint auparavant ! Je m'y étais engagée auprès de vous.
Mais, je sais que les effectifs de magistrats étaient et sont à ce jour encore insuffisants. Pour autant, je ne peux vous suivre dans une appréciation toujours négative. Je n'avais jamais entendu des critiques aussi répétées envers la Chancellerie. Ces critiques semblent proportionnelles aux progrès obtenus : quel paradoxe !
Allons plus loin dans l'analyse de cette divergence. Je suis attachée à toujours renforcer la crédibilité et la légitimité de l'institution. Ceci suppose une image positive de l'institution judiciaire dont nous sommes tous comptables, chacun à notre place. Comment pouvez-vous dans ces conditions améliorer la crédibilité de la justice en la présentant sans arrêt comme une institution qui va de plus en plus mal ?
Certes, je n'entends pas masquer la réalité des situations des juridictions. Mais voici trois exemples positifs concrets.
En matière civile, les Cours d'appel ont vu en moyenne leurs stocks diminuer. Ceci est lié, au delà de l'implication des magistrats, aux créations de postes de conseillers supplémentaires décidées les années précédentes, même si je n'oublie pas aussi l'effet de la baisse des affaires civiles.
En matière pénale, le taux de réponse aux affaires avec auteur connu progresse chaque année, notamment avec les procédures dites de troisième voie dans lesquelles certains parquets, et pas forcément les mieux dotés, ont été très " moteurs ".
Je sais enfin que vous avez particulièrement attiré mon attention sur la situation des parquets des TGI. Dans la première localisation de 2001, près de la moitié des postes ont été créés pour ces parquets. Cette proportion n'avait jamais été atteinte auparavant et je compte procéder avec le même esprit aux dernières localisations 2001 qui doivent être prochainement arrêtées. N'est ce pas là une mesure concrète, indispensable pour soulager les parquets ?
Il est vrai que poste créé n'égale pas instantanément poste pourvu. Mais, pour répondre aux besoins immédiats de postes vacants ainsi qu'aux exigences découlant de la pyramide des âges, nous avons institutionnalisé les anciens concours exceptionnels, désormais dénommés complémentaires, pour confirmer la place essentielle de l'ENM.
Il y avait et il y a des problèmes de moyens que nos divers interlocuteurs, et vous en particulier, considéraient comme un préalable à un véritable dialogue. Avec le plan d'actions pour la justice que j'ai présenté fin mars 2001 nous commençons à les résoudre.
Cette crise matérielle, dont je ne conteste pas la réalité, nous nous sommes donnés les moyens d'en sortir.
La crise morale
Si je comprends et si je souhaite même que tout projet de texte soit débattu et critiqué, notamment par des organisations syndicales, je considère qu'après son adoption, il s'impose à tous. J'entends et je lis vos critiques sur la loi du 15 juin 2000. Je me demande si elles ne contribuent pas à alimenter cette crise morale.
Quant aux interrogations sur le fonctionnement et les missions de l'institution, j'ai ouvert au maximum la discussion grâce au dispositif des " entretiens de Vendôme ". Le rapport de Jean-Paul COLLOMP a été examiné hier en séance plénière de l'instance nationale. Je me donne maintenant un mois pour choisir ceux des chantiers ouverts par ces forums que je traiterai en priorité.
Les principes qui me guideront seront toujours les mêmes : l'attention à la justice du quotidien, en particulier la justice civile dont nous continuons à trop peu parler, le désir d'améliorer le service public de la justice, la volonté de donner à l'autorité judiciaire sa juste place dans les institutions.
J'ai, vous le savez, la conviction nous avons besoin de mesures concrètes et pragmatiques
Je me souviens que certains étaient très sceptiques sur l'intérêt des " entretiens de Vendôme ". Ils se sont trompés, les forums ouverts dans une très grosse majorité de juridictions ont déjà contribué à un renouvellement du dialogue si indispensable entre magistrats, greffiers et fonctionnaires, avocats. Les prises de parole ont été claires : elles ont démontré le profond besoin de qualité de l'intervention judiciaire qui dépasse le productivisme dénoncé à juste titre par certains.
Dans ce domaine je rappelle que j'ai signé le 6 juin 2001 une circulaire invitant les juridictions à contenir leur durée d'audience dans des plages de temps raisonnables. Ce texte, qui, certes, n'est pas d'application aisée, est un des résultats du dialogue que j'avais engagé dès le 3 janvier 2001 avec les organisations syndicales, et au premier rang d'entre elles, l'USM. Il vise bien sûr à l'amélioration de la qualité des audiences correctionnelles
C'est dire si je vois dans la qualité de notre service public, dans la qualité des décisions rendues et dans la réalité de leur exécution une réponse à ce que vous appelez la crise morale.
C'est là l'enjeu non pas des mois à venir mais plutôt des années à venir, tant le chantier est considérable.
Après ces observations de caractère général, je voudrais vous faire part de deux séries de réflexions spécifiques et correspondant bien sûr à des points importants pour vous, Monsieur le Président, les premières touchent à l'ARTT pour les magistrats judiciaires, les secondes concernent le pénal.
I - Les conditions de travail et l'artt
La question de la prise en compte des astreintes est apparue au premier plan des revendications des magistrats avec l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000. J'avais dit très tôt que sur le principe, je jugeais cette demande légitime et que j'engageais une concertation sur les modalités.
J'ai intégré cet engagement dans la discussion sur le temps de travail. La négociation est bien avancée et je souhaite que nous puissions signer un accord global sur ce sujet.
Il faudra prendre un décret, le plus vite possible.
Concernant l'évaluation de la charge de travail, il n'y a pas eu véritablement de mesure ou d'audit, faute de délai suffisant pour mener ce type d'enquête. Environ 150 magistrats ont déclaré leur temps de travail, en y incluant d'ailleurs leur travail à domicile ou leurs astreintes. De cette méthode purement déclarative nous ne pouvons tirer qu'une seule leçon certaine, c'est l'étonnante dispersion des temps de travail déclarés.
Il y a, je crois un consensus pour considérer que l'organisation du travail des magistrats est comparable à celle de l'encadrement supérieur disposant d'une autonomie de décision et non à celle d'agents d'exécution soumis à des horaires collectifs.
La voie choisie est donc de compenser la variabilité et l'importance des horaires de travail par un nombre de jours forfaitaires de congé.
Sur le fond, le problème posé est moins celui du temps de travail que celui de la charge de travail et de sa répartition.
Je suis pour ma part, résolument favorable à une évaluation dans ce domaine. Nous aurons en effet à affecter les 1200 magistrats du plan d'action pour la justice. Il faudra bien le faire à partir de critères toujours plus objectifs et discutés avec vous.
Ce travail précis, juridiction par juridiction, est devant nous.
II - Le pénal
Vous avez évoqué le débat sur le statut du parquet. A cet égard je voudrais faire deux remarques :
Contrairement à ce qu'affirment certains, la définition de politiques pénales, leur suivi, leur évaluation sont beaucoup plus affirmées qu'au temps maintenant révolu où le ministre de la justice intervenait dans les affaires individuelles. Les interventions individuelles, c'était l'arbre qui cachait la forêt. Vous savez bien que le quotidien des magistrats du parquet, c'était souvent des choix de politique pénale définis au niveau de chaque substitut, plus ou moins guidé par des circulaires, sans retour vers la chancellerie. Bien sûr le procureur de la République définissait des orientations, bien sûr on informait le procureur général de certaines affaires, et parfois au-dessus on sentait l'effet d'interventions individuelles.
J'ai du mal à comprendre la nostalgie de cette époque.
Qu'on ne me dise pas que c'était une attitude rigoureuse, propre à assurer l'égalité devant la loi. Bien au contraire, c'était le règne possible du soupçon, des protections et des arrangements ; et vous le dénonciez.
Il n'est donc pas question de revenir en arrière.
Maintenant, chaque circulaire a son dispositif de suivi. La direction de affaires criminelles et des grâces a été récemment réorganisée pour développer encore les liens avec les parquets avec pour objectifs non seulement la définition de politiques pénales sectorielles, mais aussi l'information en temps réel sur leur application, la maîtrise de leur mise en uvre et leur évaluation.
Alors qu'on arrête de parler d'éclatement du ministère public. Les parquets ont pour mission de mettre en uvre une politique pénale définie par le gouvernement. L'absence d'instructions individuelles a pour seul objet d'éviter que, dans le cadre ainsi défini, les affaires de certains fassent l'objet d'un traitement particulier.
Mais je reconnais avec vous que nous sommes dans une période de transition. La réforme de la justice est restée inachevée, faute de réunion du Congrès. Le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale, plus connu sous le nom de projet de loi chancellerie parquet apportait déjà des éléments de réponse.
Certaines dispositions ont pu être appliquées, même sans texte. Je pense à l'absence d'intervention dans les affaires individuelles et aux rapports annuels de politique pénale.
C'est donc dans cette direction qu'il faut continuer. La réforme de la justice a été entravée L'institution, et vous tous qui la faites vivre, traversent une période difficile dans laquelle les repères anciens se sont effacés sans être remplacé par un projet entièrement abouti.
Ma conviction, c'est que le projet de réforme conçu à partir de 1997 doit être mené à son terme, et tout particulièrement le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale.
J'en viens à la loi du 15 juin 2000.
J'ai remarqué que vous abordez le sujet de l'application de la loi du 15 juin 2000 par l'inquiétude que suscite son application face à l'augmentation des chiffres de la délinquance. C'est une façon de faire, ce n'est pas celle que j'aurais choisie ! Je me serais plutôt réjouie des garanties supplémentaires qu'elle apporte aux gardés à vue, aux prévenus, aux condamnés et aussi aux victimes.
En tout cas, et j'en suis d'accord, vous affirmez qu'il n'est pas possible d'attribuer à la loi du 15 juin 2000 la hausse de la délinquance constatée. J'aimerais que cela soit dit plus souvent et plus fort.
Dois-je rappeler que de 1993 à 1999 le nombre de personnes placées en détention provisoire par les juges d'instruction avait baissé de 16% et que, dans le même temps la délinquance avait non pas augmenté mais baissé de 8%.
De même la délinquance constatée avait baissé en 1997 alors que les gardes à vue augmentaient cette année là.
Il n'y a donc pas de lien entre toutes ces mesures.
Je considère donc comme un effet logique, voulu par le législateur, la baisse des détentions provisoires dans le cadre d'une information (-23% sur 8 mois) et des gardes à vue (-9% sur 8 mois). Il est aussi à observer que la détention provisoire a aussi baissé dans les procédures de comparution immédiate.
L'ensemble contribue à une baisse du nombre de prévenus incarcérés et c'est bien ce que tout le monde voulait.
Et puis n'oublions pas les libérations conditionnelles qui, toutes procédures confondues, ont déjà progressé de 20%. C'est un bon résultat de la loi du 15 juin que les rapports parlementaires ainsi que celui du Conseiller Farge appelaient de leurs voeux.
Le livre blanc de la loi du 15 juin 2000, que vous préparez, ne manquera pas, j'en suis sûre, de reprendre ce type d'éléments très positifs.
Faute de temps, je n'évoquerai pas l'appel en matière criminelle qui était si nécessaire à la mise à niveau de notre procédure pénale.
Quelques mots sur l'exécution des peines
Sur le sujet de l'exécution des peines je n'ai jamais nié la difficulté que représentent certains délais, je pense en particulier aux sursis avec mise à l'épreuve. En revanche, vous savez que je ne suis pas d'accord avec les chiffres que vous avez avancés sur l'exécution des peines d'emprisonnement. Mais je ne veux pas polémiquer. Le problème existe et j'entends y répondre : le 27 septembre 2001 j'ai donné mission à l'inspection générale des services judiciaires de m'établir un état de lieux très circonstancié et de me faire toute proposition utile.
J'en viens maintenant au mandat d'arrêt européen.
Il permettra, au sein de l'Union européenne, la remise d'une personne au magistrat qui la recherche au terme d'un délai bref, de quelques jours à quelques semaines, afin qu'elle puisse être interrogée et jugée. Ce système remplacera les procédures actuelles d'extradition, dont vous savez qu'elles peuvent durer plusieurs années.
Le mandat d'arrêt est fondé sur la confiance réciproque entre les systèmes judiciaires des Etats membres de l'Union européenne, qui se traduit par le principe de reconnaissance mutuelle. C'est le point essentiel.
Le délai fixé par le conseil européen du 21 septembre est très bref : le conseil des ministres de la justice devra avoir arrêté les modalités du mandat le 6 décembre prochain en tranchant le problème de la double incrimination.
J'ai proposé un système qui soit le plus simple et le plus large possible. Ce système doit permettre d'atteindre l'objectif de rapidité de la remise, tout en écartant certaines situations lorsque les droits nationaux sont en décalage : je pense par exemple à l'IVG qu'un pays comme l'Irlande interdit et poursuit. Il faut aboutir. J'ai donc suggéré un compromis.
D'autres problèmes resteront à régler, en particulier celui, très important, du contrôle juridictionnel. Faudra-t-il qu'il s'exerce dans le pays d'exécution ou dans le pays d'émission ? Le sujet reste ouvert. Là aussi il nous faudra trouver un équilibre dont l'élément essentiel sera encore le degré de confiance dans le système judiciaire des partenaires.
Je terminerai par les nouvelles mesures législatives.
Les attentats dramatiques commis aux Etats-Unis et les menaces qui pèsent sur l'ensemble de l'Union Européenne rendent nécessaire l'amélioration de notre dispositif anti-terroriste.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé des amendements au projet de loi sur la sécurité quotidienne afin d'une part d 'améliorer les possibilités d'enquête sur des infractions comme le trafic d'armes ou le trafic de stupéfiants qui peuvent être découvertes " en amont " d'infractions de terrorisme, d'autre part de réprimer avec plus d'efficacité les infractions financières en relations avec le terrorisme.
Ces mesures seront instituées à titre temporaire et prendront automatiquement fin le 31 décembre 2003, sauf nouvelle intervention expresse du législateur. Le Gouvernement devra saisir le Parlement d'un rapport sur leur application.
Vous avez, Monsieur le Président approuvé ces projets et l'USM a montré là son refus d'une approche idéologique que nos concitoyens ne comprennent pas .
CONCLUSION
Je voudrais conclure sur un thème qui vous tient particulièrement à cur : la défense des magistrats que certains cherchent à déstabiliser par des attaques injustifiables. Je voudrais redire que j'entends les soutenir ; je traduirai ce soutien dans une circulaire qui sera bientôt prête puisque la DSJ a quasiment achevé la rédaction d'un projet.
Je voudrais aussi que chacun comprenne que toute institution qui voit son rôle croître dans de fortes proportions, et dans notre état de droit, c'est évidemment le cas de l'autorité judiciaire, a quasiment vocation à être mise en cause et critiquée.
Je ne confondrai jamais la responsabilité individuelle du magistrat qui relève d'un statut logiquement protecteur et d'une éthique sans cesse plus exigeante avec celle de l'Etat
C'est à l'Etat d'assurer d'une part la réparation des dysfonctionnements de notre institution et, d'autre part l'allocation des ressources nécessaires à un bon fonctionnement du service public de la justice.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, comme garde des sceaux, je m'attache à assumer cette double responsabilité.
Depuis 5 ans ce gouvernement a plus uvré au renforcement de l'institution judiciaire dans ses moyens comme dans son indépendance qu'aucun autre avant lui.
Mais il reste bien sûr encore beaucoup à faire et je sais que vous serez là pour me le rappeler.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 22 octobre 2001)
Alors, avant d'aborder plusieurs sujets de fond, et forcément je ne pourrai pas tous les traiter, je voudrais vous faire part de mon analyse de la position qu'a souvent choisie l'USM dans son dialogue avec la Chancellerie. Ce que je veux affirmer vous surprendra peut-être, mais, comme les magistrats, j'apprécie le débat dans le respect du principe de la contradiction et je me méfie plutôt des apparents accords de pure courtoisie.
En 1999, à PARIS votre congrès faisait part de sa vive inquiétude. En 2000 à CHAMBERY, vous vous qualifiez de désespérés et vous vous demandiez comment éviter la catastrophe que représentait, à vos yeux, l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000. Vous l'assimiliez à un démantèlement de notre procédure pénale.
Et, aujourd'hui vous évoquez, je résume à grands traits, une situation grave et une crise structurelle de la justice que vous qualifiez de matérielle aussi bien que morale. Je voudrais donc vous proposer quelques réflexions sur la crise matérielle d'abord, sur la crise morale ensuite.
La crise matérielle :
Ai-je une seule fois dissimulé les questions lourdes qui se posaient dans notre ministère, me suis-je abstenue de vous recevoir régulièrement pour chercher, élaborer et trouver progressivement des solutions ? Il m'arrive de ne plus vous comprendre !
Ce gouvernement a créé en 4 ans (1998 à 2001) plus de postes de magistrats que dans les 17 années précédentes (1981à1997) ; nous avons au printemps 2001 adopté un plan d'action pour la justice créant 1200 magistrats supplémentaires sur 4 ans et demi. La première tranche de ce programme trouve sa place logiquement dans le projet de loi de finances 2002 au sein duquel j'ai obtenu du Premier Ministre la création de 370 postes de magistrats, chiffre jamais atteint auparavant ! Je m'y étais engagée auprès de vous.
Mais, je sais que les effectifs de magistrats étaient et sont à ce jour encore insuffisants. Pour autant, je ne peux vous suivre dans une appréciation toujours négative. Je n'avais jamais entendu des critiques aussi répétées envers la Chancellerie. Ces critiques semblent proportionnelles aux progrès obtenus : quel paradoxe !
Allons plus loin dans l'analyse de cette divergence. Je suis attachée à toujours renforcer la crédibilité et la légitimité de l'institution. Ceci suppose une image positive de l'institution judiciaire dont nous sommes tous comptables, chacun à notre place. Comment pouvez-vous dans ces conditions améliorer la crédibilité de la justice en la présentant sans arrêt comme une institution qui va de plus en plus mal ?
Certes, je n'entends pas masquer la réalité des situations des juridictions. Mais voici trois exemples positifs concrets.
En matière civile, les Cours d'appel ont vu en moyenne leurs stocks diminuer. Ceci est lié, au delà de l'implication des magistrats, aux créations de postes de conseillers supplémentaires décidées les années précédentes, même si je n'oublie pas aussi l'effet de la baisse des affaires civiles.
En matière pénale, le taux de réponse aux affaires avec auteur connu progresse chaque année, notamment avec les procédures dites de troisième voie dans lesquelles certains parquets, et pas forcément les mieux dotés, ont été très " moteurs ".
Je sais enfin que vous avez particulièrement attiré mon attention sur la situation des parquets des TGI. Dans la première localisation de 2001, près de la moitié des postes ont été créés pour ces parquets. Cette proportion n'avait jamais été atteinte auparavant et je compte procéder avec le même esprit aux dernières localisations 2001 qui doivent être prochainement arrêtées. N'est ce pas là une mesure concrète, indispensable pour soulager les parquets ?
Il est vrai que poste créé n'égale pas instantanément poste pourvu. Mais, pour répondre aux besoins immédiats de postes vacants ainsi qu'aux exigences découlant de la pyramide des âges, nous avons institutionnalisé les anciens concours exceptionnels, désormais dénommés complémentaires, pour confirmer la place essentielle de l'ENM.
Il y avait et il y a des problèmes de moyens que nos divers interlocuteurs, et vous en particulier, considéraient comme un préalable à un véritable dialogue. Avec le plan d'actions pour la justice que j'ai présenté fin mars 2001 nous commençons à les résoudre.
Cette crise matérielle, dont je ne conteste pas la réalité, nous nous sommes donnés les moyens d'en sortir.
La crise morale
Si je comprends et si je souhaite même que tout projet de texte soit débattu et critiqué, notamment par des organisations syndicales, je considère qu'après son adoption, il s'impose à tous. J'entends et je lis vos critiques sur la loi du 15 juin 2000. Je me demande si elles ne contribuent pas à alimenter cette crise morale.
Quant aux interrogations sur le fonctionnement et les missions de l'institution, j'ai ouvert au maximum la discussion grâce au dispositif des " entretiens de Vendôme ". Le rapport de Jean-Paul COLLOMP a été examiné hier en séance plénière de l'instance nationale. Je me donne maintenant un mois pour choisir ceux des chantiers ouverts par ces forums que je traiterai en priorité.
Les principes qui me guideront seront toujours les mêmes : l'attention à la justice du quotidien, en particulier la justice civile dont nous continuons à trop peu parler, le désir d'améliorer le service public de la justice, la volonté de donner à l'autorité judiciaire sa juste place dans les institutions.
J'ai, vous le savez, la conviction nous avons besoin de mesures concrètes et pragmatiques
Je me souviens que certains étaient très sceptiques sur l'intérêt des " entretiens de Vendôme ". Ils se sont trompés, les forums ouverts dans une très grosse majorité de juridictions ont déjà contribué à un renouvellement du dialogue si indispensable entre magistrats, greffiers et fonctionnaires, avocats. Les prises de parole ont été claires : elles ont démontré le profond besoin de qualité de l'intervention judiciaire qui dépasse le productivisme dénoncé à juste titre par certains.
Dans ce domaine je rappelle que j'ai signé le 6 juin 2001 une circulaire invitant les juridictions à contenir leur durée d'audience dans des plages de temps raisonnables. Ce texte, qui, certes, n'est pas d'application aisée, est un des résultats du dialogue que j'avais engagé dès le 3 janvier 2001 avec les organisations syndicales, et au premier rang d'entre elles, l'USM. Il vise bien sûr à l'amélioration de la qualité des audiences correctionnelles
C'est dire si je vois dans la qualité de notre service public, dans la qualité des décisions rendues et dans la réalité de leur exécution une réponse à ce que vous appelez la crise morale.
C'est là l'enjeu non pas des mois à venir mais plutôt des années à venir, tant le chantier est considérable.
Après ces observations de caractère général, je voudrais vous faire part de deux séries de réflexions spécifiques et correspondant bien sûr à des points importants pour vous, Monsieur le Président, les premières touchent à l'ARTT pour les magistrats judiciaires, les secondes concernent le pénal.
I - Les conditions de travail et l'artt
La question de la prise en compte des astreintes est apparue au premier plan des revendications des magistrats avec l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000. J'avais dit très tôt que sur le principe, je jugeais cette demande légitime et que j'engageais une concertation sur les modalités.
J'ai intégré cet engagement dans la discussion sur le temps de travail. La négociation est bien avancée et je souhaite que nous puissions signer un accord global sur ce sujet.
Il faudra prendre un décret, le plus vite possible.
Concernant l'évaluation de la charge de travail, il n'y a pas eu véritablement de mesure ou d'audit, faute de délai suffisant pour mener ce type d'enquête. Environ 150 magistrats ont déclaré leur temps de travail, en y incluant d'ailleurs leur travail à domicile ou leurs astreintes. De cette méthode purement déclarative nous ne pouvons tirer qu'une seule leçon certaine, c'est l'étonnante dispersion des temps de travail déclarés.
Il y a, je crois un consensus pour considérer que l'organisation du travail des magistrats est comparable à celle de l'encadrement supérieur disposant d'une autonomie de décision et non à celle d'agents d'exécution soumis à des horaires collectifs.
La voie choisie est donc de compenser la variabilité et l'importance des horaires de travail par un nombre de jours forfaitaires de congé.
Sur le fond, le problème posé est moins celui du temps de travail que celui de la charge de travail et de sa répartition.
Je suis pour ma part, résolument favorable à une évaluation dans ce domaine. Nous aurons en effet à affecter les 1200 magistrats du plan d'action pour la justice. Il faudra bien le faire à partir de critères toujours plus objectifs et discutés avec vous.
Ce travail précis, juridiction par juridiction, est devant nous.
II - Le pénal
Vous avez évoqué le débat sur le statut du parquet. A cet égard je voudrais faire deux remarques :
Contrairement à ce qu'affirment certains, la définition de politiques pénales, leur suivi, leur évaluation sont beaucoup plus affirmées qu'au temps maintenant révolu où le ministre de la justice intervenait dans les affaires individuelles. Les interventions individuelles, c'était l'arbre qui cachait la forêt. Vous savez bien que le quotidien des magistrats du parquet, c'était souvent des choix de politique pénale définis au niveau de chaque substitut, plus ou moins guidé par des circulaires, sans retour vers la chancellerie. Bien sûr le procureur de la République définissait des orientations, bien sûr on informait le procureur général de certaines affaires, et parfois au-dessus on sentait l'effet d'interventions individuelles.
J'ai du mal à comprendre la nostalgie de cette époque.
Qu'on ne me dise pas que c'était une attitude rigoureuse, propre à assurer l'égalité devant la loi. Bien au contraire, c'était le règne possible du soupçon, des protections et des arrangements ; et vous le dénonciez.
Il n'est donc pas question de revenir en arrière.
Maintenant, chaque circulaire a son dispositif de suivi. La direction de affaires criminelles et des grâces a été récemment réorganisée pour développer encore les liens avec les parquets avec pour objectifs non seulement la définition de politiques pénales sectorielles, mais aussi l'information en temps réel sur leur application, la maîtrise de leur mise en uvre et leur évaluation.
Alors qu'on arrête de parler d'éclatement du ministère public. Les parquets ont pour mission de mettre en uvre une politique pénale définie par le gouvernement. L'absence d'instructions individuelles a pour seul objet d'éviter que, dans le cadre ainsi défini, les affaires de certains fassent l'objet d'un traitement particulier.
Mais je reconnais avec vous que nous sommes dans une période de transition. La réforme de la justice est restée inachevée, faute de réunion du Congrès. Le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale, plus connu sous le nom de projet de loi chancellerie parquet apportait déjà des éléments de réponse.
Certaines dispositions ont pu être appliquées, même sans texte. Je pense à l'absence d'intervention dans les affaires individuelles et aux rapports annuels de politique pénale.
C'est donc dans cette direction qu'il faut continuer. La réforme de la justice a été entravée L'institution, et vous tous qui la faites vivre, traversent une période difficile dans laquelle les repères anciens se sont effacés sans être remplacé par un projet entièrement abouti.
Ma conviction, c'est que le projet de réforme conçu à partir de 1997 doit être mené à son terme, et tout particulièrement le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale.
J'en viens à la loi du 15 juin 2000.
J'ai remarqué que vous abordez le sujet de l'application de la loi du 15 juin 2000 par l'inquiétude que suscite son application face à l'augmentation des chiffres de la délinquance. C'est une façon de faire, ce n'est pas celle que j'aurais choisie ! Je me serais plutôt réjouie des garanties supplémentaires qu'elle apporte aux gardés à vue, aux prévenus, aux condamnés et aussi aux victimes.
En tout cas, et j'en suis d'accord, vous affirmez qu'il n'est pas possible d'attribuer à la loi du 15 juin 2000 la hausse de la délinquance constatée. J'aimerais que cela soit dit plus souvent et plus fort.
Dois-je rappeler que de 1993 à 1999 le nombre de personnes placées en détention provisoire par les juges d'instruction avait baissé de 16% et que, dans le même temps la délinquance avait non pas augmenté mais baissé de 8%.
De même la délinquance constatée avait baissé en 1997 alors que les gardes à vue augmentaient cette année là.
Il n'y a donc pas de lien entre toutes ces mesures.
Je considère donc comme un effet logique, voulu par le législateur, la baisse des détentions provisoires dans le cadre d'une information (-23% sur 8 mois) et des gardes à vue (-9% sur 8 mois). Il est aussi à observer que la détention provisoire a aussi baissé dans les procédures de comparution immédiate.
L'ensemble contribue à une baisse du nombre de prévenus incarcérés et c'est bien ce que tout le monde voulait.
Et puis n'oublions pas les libérations conditionnelles qui, toutes procédures confondues, ont déjà progressé de 20%. C'est un bon résultat de la loi du 15 juin que les rapports parlementaires ainsi que celui du Conseiller Farge appelaient de leurs voeux.
Le livre blanc de la loi du 15 juin 2000, que vous préparez, ne manquera pas, j'en suis sûre, de reprendre ce type d'éléments très positifs.
Faute de temps, je n'évoquerai pas l'appel en matière criminelle qui était si nécessaire à la mise à niveau de notre procédure pénale.
Quelques mots sur l'exécution des peines
Sur le sujet de l'exécution des peines je n'ai jamais nié la difficulté que représentent certains délais, je pense en particulier aux sursis avec mise à l'épreuve. En revanche, vous savez que je ne suis pas d'accord avec les chiffres que vous avez avancés sur l'exécution des peines d'emprisonnement. Mais je ne veux pas polémiquer. Le problème existe et j'entends y répondre : le 27 septembre 2001 j'ai donné mission à l'inspection générale des services judiciaires de m'établir un état de lieux très circonstancié et de me faire toute proposition utile.
J'en viens maintenant au mandat d'arrêt européen.
Il permettra, au sein de l'Union européenne, la remise d'une personne au magistrat qui la recherche au terme d'un délai bref, de quelques jours à quelques semaines, afin qu'elle puisse être interrogée et jugée. Ce système remplacera les procédures actuelles d'extradition, dont vous savez qu'elles peuvent durer plusieurs années.
Le mandat d'arrêt est fondé sur la confiance réciproque entre les systèmes judiciaires des Etats membres de l'Union européenne, qui se traduit par le principe de reconnaissance mutuelle. C'est le point essentiel.
Le délai fixé par le conseil européen du 21 septembre est très bref : le conseil des ministres de la justice devra avoir arrêté les modalités du mandat le 6 décembre prochain en tranchant le problème de la double incrimination.
J'ai proposé un système qui soit le plus simple et le plus large possible. Ce système doit permettre d'atteindre l'objectif de rapidité de la remise, tout en écartant certaines situations lorsque les droits nationaux sont en décalage : je pense par exemple à l'IVG qu'un pays comme l'Irlande interdit et poursuit. Il faut aboutir. J'ai donc suggéré un compromis.
D'autres problèmes resteront à régler, en particulier celui, très important, du contrôle juridictionnel. Faudra-t-il qu'il s'exerce dans le pays d'exécution ou dans le pays d'émission ? Le sujet reste ouvert. Là aussi il nous faudra trouver un équilibre dont l'élément essentiel sera encore le degré de confiance dans le système judiciaire des partenaires.
Je terminerai par les nouvelles mesures législatives.
Les attentats dramatiques commis aux Etats-Unis et les menaces qui pèsent sur l'ensemble de l'Union Européenne rendent nécessaire l'amélioration de notre dispositif anti-terroriste.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé des amendements au projet de loi sur la sécurité quotidienne afin d'une part d 'améliorer les possibilités d'enquête sur des infractions comme le trafic d'armes ou le trafic de stupéfiants qui peuvent être découvertes " en amont " d'infractions de terrorisme, d'autre part de réprimer avec plus d'efficacité les infractions financières en relations avec le terrorisme.
Ces mesures seront instituées à titre temporaire et prendront automatiquement fin le 31 décembre 2003, sauf nouvelle intervention expresse du législateur. Le Gouvernement devra saisir le Parlement d'un rapport sur leur application.
Vous avez, Monsieur le Président approuvé ces projets et l'USM a montré là son refus d'une approche idéologique que nos concitoyens ne comprennent pas .
CONCLUSION
Je voudrais conclure sur un thème qui vous tient particulièrement à cur : la défense des magistrats que certains cherchent à déstabiliser par des attaques injustifiables. Je voudrais redire que j'entends les soutenir ; je traduirai ce soutien dans une circulaire qui sera bientôt prête puisque la DSJ a quasiment achevé la rédaction d'un projet.
Je voudrais aussi que chacun comprenne que toute institution qui voit son rôle croître dans de fortes proportions, et dans notre état de droit, c'est évidemment le cas de l'autorité judiciaire, a quasiment vocation à être mise en cause et critiquée.
Je ne confondrai jamais la responsabilité individuelle du magistrat qui relève d'un statut logiquement protecteur et d'une éthique sans cesse plus exigeante avec celle de l'Etat
C'est à l'Etat d'assurer d'une part la réparation des dysfonctionnements de notre institution et, d'autre part l'allocation des ressources nécessaires à un bon fonctionnement du service public de la justice.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, comme garde des sceaux, je m'attache à assumer cette double responsabilité.
Depuis 5 ans ce gouvernement a plus uvré au renforcement de l'institution judiciaire dans ses moyens comme dans son indépendance qu'aucun autre avant lui.
Mais il reste bien sûr encore beaucoup à faire et je sais que vous serez là pour me le rappeler.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 22 octobre 2001)