Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur le rôle des collectivités locales, notamment la dimension internationale de l'action locale, la place des maires dans la démocratie et les relations de l'Etat et des communes, Paris le 18 novembre 1997.

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Circonstance : 80 ème congrès de l'Association des maires de France, à Paris du 18 au 20 novembre 1997.

Texte intégral

Madame la Ministre,
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président,
Messieurs les Présidents des associations nationales invitées,
Monsieur le Maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'assister à l'ouverture du 80ème congrès annuel de l'Association des maires de France, qui rassemble un grand nombre d'élus municipaux, venus participer à vos débats et confronter leurs expériences.
Votre association, qui fête cette année son 90ème anniversaire, donne ainsi une nouvelle preuve de sa vitalité et de sa représentativité.
Fidèle à sa tradition de pluralisme, elle rassemble tous ceux que nos concitoyens ont désignés pour assumer la responsabilité de ces collectivités dans lesquelles ils reconnaissent l'institution démocratique la plus proche, celles en laquelle ils ont le plus confiance : la commune.
A travers les participants à votre congrès, je salue l'ensemble des maires de France.
J'adresse également un salut particulier aux présidents des associations étrangères de maires et aux maires des communes des pays représentés. Leur nombre illustre la dimension internationale de l'action municipale, dont vous avez souhaité faire cette année le thème central de votre congrès. Je leur souhaite la bienvenue.
Ce congrès est le premier depuis la formation du gouvernement que je dirige. Pour les ministres qui ont accepté l'invitation à participer à vos travaux et pour moi-même, il est une occasion privilégiée de dialoguer avec vous.
Peu après ma prise de fonctions, j'ai eu le plaisir de vous recevoir, Monsieur le Président, ainsi que le bureau de votre association. Je vous avais dit mon souhait que d'autres rencontres aient lieu avec des membres du gouvernement et avec moi-même pour approfondir l'examen des problèmes qui préoccupent les maires, que nous n'avions pu aborder alors que brièvement. Je suis heureux que, depuis cette première rencontre, vous ayez poursuivi ces échanges avec plusieurs ministres. Ce congrès annuel sera une nouvelle étape de la concertation étroite que je veux développer avec les maires de France et leur association.
J'évoquerai successivement devant vous:
· la dimension internationale de l'action locale ;
· le place des maires dans notre démocratie ;
· les principes d'action du Gouvernement dans ses relations avec les communes.
1 - La dimension internationale de l'action locale
Votre congrès est consacré, pour la première fois, au thème de "l'international", entendu comme une nouvelle dimension pour l'action locale.
Si vous avez souhaité traiter de ce thème, en y associant plusieurs de vos homologues étrangers, c'est parce que vous êtes conscients que la construction européenne et la mondialisation des échanges ont des conséquences dans le fonctionnement des communes et la vie quotidienne de leurs habitants. Vous souhaitez à juste titre être des acteurs de ces évolutions et non de simples spectateurs.
Cette ouverture des communes sur l'étranger n'est pas, à vrai dire, totalement nouvelle. Il existe depuis longtemps une tradition de contacts et d'échanges entre les collectivités locales françaises et étrangères.
Elle puise sa source dans la volonté de développer, en complément de l'action diplomatique du Gouvernement, des relations avec les collectivités étrangères, propres à assurer le rayonnement économique et culturel de notre pays et à promouvoir les valeurs démocratiques.
Cette tradition ancienne a été renouvelée, après la seconde guerre mondiale, pour contribuer à l'affermissement de la paix, à la réconciliation franco-allemande et à la construction européenne. Par ailleurs, la décolonisation et la prise de conscience des problèmes du développement ont conduit à multiplier les relations avec les collectivités d'autres régions du monde, notamment d'Afrique, dans le cadre de ce que l'on appelle aujourd'hui la coopération décentralisée.
Enfin, je n'oublie pas qu'une tradition particulière a lié les communes des départements frontaliers aux collectivités des pays voisins.
La diversité des origines et des motivations de l'action internationale des communes se traduit par un grand nombre de formules de coopération. Depuis le jumelage jusqu'à la création de structures de gestion en commun, toute une gamme d'instruments juridiques permet d'organiser la coopération entre collectivités.
Notre pays, qui fut longtemps en retard sur ce point, offre désormais un dispositif très diversifié. Le développement de ces relations suggère que ce dispositif est, pour l'essentiel, adapté aux attentes des maires et de leurs homologues étrangers.
En outre, les communes françaises participent activement aux travaux des institutions spécialisées du Conseil de l'Europe, du conseil des communes et régions d'Europe et, plus récemment, du comité des régions de l'Union européenne. Je m'en réjouis et vois dans cette participation croissante des communes à la vie internationale une preuve de leur dynamisme et un atout pour notre pays.
La confrontation des expériences qu'elle permet dans les domaines de compétence communs, de l'administration générale à la gestion des services techniques, est utile. Elle facilite la recherche de solutions originales aux problèmes que les maires doivent résoudre, dans des conditions souvent analogues, d'un pays à l'autre.
L'action internationale des communes est aussi un enjeu pour la démocratie et la paix.
Elle donne la possibilité non seulement aux élus mais aussi aux agents des services municipaux, aux adhérents des associations, aux jeunes, de connaître d'autres manières de vivre, de penser et d'agir.
Elle permet notamment de comprendre, plus profondément que par des échanges touristiques, les besoins et les attentes des populations d'autres pays désireuses d'accéder à des niveaux supérieurs de démocratie et de développement.
Je vous encourage à poursuivre dans cette voie de l'ouverture des communes sur la vie internationale. Elle est aujourd'hui une dimension importante pour vos collectivités et un outil précieux de l'influence de la France dans le monde.
2 - La place des maires dans notre démocratie.
La présence de nombreux invités étrangers montre l'intérêt que suscite l'institution municipale française au-delà de nos frontières.
Cet intérêt reflète l'appréciation unanimement favorable que les Français portent sur leurs communes.
Une institution incontestée
L'institution communale est en effet incontestée. Elle a traversé sans difficultés deux siècles de bouleversements institutionnels, économiques et sociaux.
Les enquêtes d'opinion confirment ce que vous constatez jour après jour : nos concitoyens sont viscéralement attachés à la commune. Urbaine ou rurale, quelle que soit sa population, la commune reste le premier lieu de l'identité sociale et de la vie démocratique.
Les maires ne sont plus seulement considérés comme des magistrats municipaux, des aménageurs ou des fournisseurs de prestations collectives, mais aussi, de plus en plus, comme des médiateurs, alors que peu d'institutions peuvent aujourd'hui tenir ce rôle.
L'Etat lui-même sollicite en de multiples occasions le concours des communes dans la mise en oeuvre des politiques nationales. Sans doute pensez-vous parfois que cette forme de reconnaissance s'exprime trop fréquemment et que vos tâches en sont alourdies à l'excès ? Mais il est désormais établi par de multiples exemples que l'implication des communes est nécessaire au succès des politiques conduites par l'Etat dans de nombreux domaines.
Je donnerai deux illustrations de cette complémentarité, dans le domaine de l'emploi des jeunes et dans celui de la sécurité.
Le rôle des communes dans la mobilisation des initiatives pour l'emploi des jeunes est essentiel. Il est de l'intérêt de tous que cette politique connaisse un plein succès.
L'accueil positif que vous avez réservé au dispositif récemment adopté traduit votre engagement dans la lutte contre le chômage des jeunes. J'ai pu le constater personnellement en signant, avec plusieurs d'entre vous, les premiers contrats d'objectifs.
La Ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Madame Martine Aubry, vient de vous exposer cette démarche qui vise à susciter l'émergence d'activités nouvelles. L'Etat a tracé le cadre juridique, apporté les moyens de financement et proposé ainsi un outil nouveau. Votre contribution à sa mise en oeuvre sera déterminante.
Le Ministre de l'Intérieur, M. Jean-Pierre Chevènement, vient d'évoquer devant vous la politique de sécurité du gouvernement et le rôle des contrats locaux de sécurité, instrument d'une action coordonnée entre les communes et l'Etat.
Le gouvernement a voulu que les maires, aux côtés des préfets et des procureurs de la République, soient étroitement associés à l'élaboration et à la mise en oeuvre de ces contrats, qui ont pour objet d'établir un diagnostic de l'insécurité, puis de mobiliser tous les moyens disponibles pour la réduire, en tenant le plus grand compte de la diversité des situations locales.
La réussite de cette grande politique nationale dépend là aussi de votre engagement.
Les difficultés de l'exercice de la fonction municipale
Je voudrais maintenant évoquer quelques-unes des difficultés que vous rencontrez dans l'exercice de vos fonctions.
Je pense plus précisément à la responsabilité personnelle des élus municipaux, à la question des normes et au sujet de la disponibilité des maires.
La mise en cause de la responsabilité personnelle des maires au regard de la loi pénale s'est produite plus fréquemment ces dernières années, dans des situations diverses, notamment par suite de leur participation à des décisions pouvant mettre en cause la sécurité des personnes.
Votre association s'était inquiétée de cette situation, qui concernait aussi les exécutifs des autres collectivités territoriales, leurs agents, ainsi que des fonctionnaires de l'Etat.
Comme vous le savez, le Parlement a adopté des dispositions qui permettent de mieux prendre en compte, pour l'appréciation de la responsabilité des élus ou des agents publics, les diligences qui peuvent raisonnablement être attendues d'eux, à raison de leur position dans la chaîne des décisions.
Vous m'avez également déjà fait part de votre préoccupation devant la multiplication des réglementations et des normes.
Celle-ci peut entraîner, pour les communes, des dépenses importantes pour adapter les équipements collectifs à ces prescriptions. En effet, même lorsque les normes nouvelles ne sont pas obligatoires, la demande des usagers s'exprime parfois de telle manière qu'il n'est pas aisé pour les maires de s'en tenir aux seules obligations strictement juridiques.
La volonté de réduire les risques pour la sécurité, la santé publique ou l'environnement est légitime. Mais l'inflation normative peut elle-même contraindre les maires à ne pas financer des réalisations tout aussi utiles pour leurs concitoyens.
J'ai donc décidé que vous serez, ainsi que les associations représentant les conseils généraux et les conseils régionaux, consultés par le gouvernement sur les textes réglementaires établissant des normes nouvelles, lorsque celles-ci interviennent dans des domaines importants pour les collectivités territoriales.
Au-delà du seul cas des normes, se pose le problème de ce que l'on appelle parfois l'inflation réglementaire. Le gouvernement est attaché à progresser dans la voie de la simplification des formalités et des procédures, pour toutes les catégories d'usagers, collectivités, entreprises et particuliers.
Il convient en particulier, lorsque des textes nouveaux sont nécessaires, de bien en apprécier toutes les conséquences, notamment financières. Je signerai dans les prochains jours une circulaire aux ministres relative aux études d'impact que les services de l'Etat doivent réaliser pour tout projet de loi ou de décret. Cette circulaire imposera de mesurer les incidences des dispositions envisagées pour les collectivités locales.
Il faut aussi améliorer la présentation et l'accessibilité des textes. La codification est un premier moyen de progresser dans cette direction. Après la promulgation de plusieurs codes, dont le code général des collectivités territoriales, la commission supérieure de codification, que j'ai réunie récemment, va poursuivre ses travaux. Par ailleurs, les lois et les règlements doivent être plus aisément accessibles sur les grands réseaux d'information comme Internet. Le plan gouvernemental pour la société de l'information le prévoira. Je souhaite que les communes s'y associent.
Mesdames et Messieurs les maires, vos fonctions sont difficiles et nos concitoyens attendent beaucoup de vous. Cette attente est le gage de la confiance qu'ils vous portent.
Cette confiance dans l'institution municipale est un élément essentiel de notre démocratie.
Nos concitoyens ont pris conscience que vos responsabilités sont désormais sans commune mesure avec ce qu'elles ont été dans le passé. Ils souhaitent que leurs maires soient davantage disponibles pour l'exercice de leur mandat. Il me paraît aujourd'hui nécessaire d'apporter une réponse à cette demande.
Je crois donc le moment venu de revoir le régime du cumul des mandats.
J'ai consulté, comme vous le savez, les principaux responsables politiques de notre pays. Le Ministre de l'Intérieur recueille l'avis des associations d'élus locaux. Il conviendra d'examiner les conséquences de cette réforme sur les conditions d'exercice des mandats locaux. J'annoncerai ensuite le dispositif que le gouvernement soumettra au Parlement.
3 - Les principes d'action du Gouvernement à l'égard des communes
Je voudrais maintenant évoquer certains aspects des relations entre l'Etat et les communes.
Ma préoccupation est d'abord de méthode. Vous demandez à juste titre à être associés aussi tôt que possible à l'élaboration des décisions gouvernementales qui concernent les communes.
Dans cet esprit, je tiens à évoquer dès maintenant des projets de loi et des échéances prochaines pour lesquels il convient d'engager sans tarder la concertation. Il s'agit de la coopération intercommunale, de l'action économique et des questions financières et fiscales.
L'intercommunalité est aujourd'hui reconnue comme un facteur d'efficacité de l'action communale. Il apparaît en effet clairement que la coopération intercommunale, loin de menacer leur autonomie, permet au contraire aux communes d'assumer leurs missions nouvelles tout en préservant leur identité. La coopération est aussi, de plus en plus, orientée vers le développement local.
Il faut désormais rechercher une plus grande cohérence de son fonctionnement en améliorant son dispositif institutionnel et financier.
Le gouvernement présentera en 1998 un projet de loi à ce sujet. Votre association sera consultée lors de son élaboration.
Le gouvernement prépare également un projet de loi qui réformera le régime des interventions économiques des collectivités locales. Je connais les difficultés que vous rencontrez lorsque vous êtes sollicités par des entreprises pour apporter des aides destinées à créer ou maintenir des emplois.
Le projet de loi clarifiera les conditions de vos interventions pour préserver la sécurité juridique et les intérêts financiers des communes. Il contribuera lui aussi à encourager le développement local.
Une autre échéance importante concerne les finances locales et ce qu'il est convenu d'appeler "la sortie" du pacte de stabilité financière conclu avec l'Etat pour trois ans en 1996, qui s'achèvera à la fin de 1998. Vous avez constaté que le gouvernement, comme il s'y était engagé, a maintenu les concours financiers de l'Etat aux collectivités locales à l'abri de l'inflation, dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, compte tenu notamment de nos engagements européens. Le gouvernement s'est également abstenu, pour 1998, de relever le taux de la cotisation des collectivités-employeurs à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.
Nous devrons sans tarder engager la préparation de l'étape ultérieure.
Le moment me semble aussi venu d'engager une réflexion sur les évolutions de la fiscalité locale. La difficulté de la tâche ne doit plus conduire à en différer l'engagement, alors que les enjeux sont considérables pour la décentralisation, l'équité fiscale et la compétitivité de nos entreprises. Le volet fiscal du projet de loi de finances pour 1998 s'est principalement attaché à réduire les inégalités. Mon intention est d'engager maintenant une réflexion plus large sur la fiscalité, dans laquelle la fiscalité locale aura toute sa place.
Pour chacune de ces réformes, je le redis, je tiens à ce que la concertation avec votre association s'engage suffisamment en amont pour que le gouvernement soit éclairé par les observations que vous formulerez.
Cette concertation entre l'Etat et les communes doit aussi trouver toute sa place à l'échelon local.
La politique de déconcentration que le Gouvernement approfondie dans ses diverses composantes, juridiques, financières et fonctionnelles, vous permettra de mieux trouver dans le préfet et les chefs de services déconcentrés placés sous son autorité des interlocuteurs pleinement responsables et aptes à engager l'Etat.
C'est ainsi qu'à compter du 1er janvier prochain entrera en vigueur la règle selon laquelle, sauf exception expressément prévue, les décisions administratives individuelles de l'Etat seront prises par le préfet de département. Dans le cadre de la réforme de l'Etat, dont une communication récente au Conseil des Ministres a défini les grandes lignes, ceux-ci vont également recevoir instruction de proposer, après concertation avec notamment les maires du département, des mesures de réorganisation des services déconcentrés.
Il vous sera aussi proposé d'engager une réflexion commune avec l'Etat sur les moyens de rendre plus présente l'institution communale pour les habitants des quartiers en difficulté ou ceux des communes rurales en déclin démographique. Cette présence pourra parfois être utilement organisée en commun avec des services de l'Etat ou d'autres collectivités.
De manière générale, le Ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, M. Emile Zuccarelli, veillera à ce que votre association soit consultée sur la réforme de l'Etat, particulièrement lorsque les mesures envisagées ont une incidence sur le fonctionnement des communes. Je souhaite aussi que vous lui fassiez part de vos propositions pour la réforme de l'Etat. Le gouvernement y sera particulièrement attentif.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Maires,
La commune est l'un des fondements de notre démocratie. C'est par elle que se réalise l'ancrage dans la citoyenneté. Elle assure l'accueil administratif des citoyens, enregistre les principaux événements de leur vie, leur offre un espace de dialogue démocratique et conditionne leur cadre quotidien. La commune est ainsi un lieu où se construit le lien social.
Sur ces sujets d'une grande importance pour notre société et qui sont au coeur des préoccupations du gouvernement, les maires de France apportent une réflexion nourrie de leur expérience quotidienne.
C'est pourquoi le gouvernement porte un grand intérêt aux travaux que vous menez dans cette rencontre annuelle, comme, tout au long de l'année, dans vos diverses instances, sans oublier les réflexions de vos associations départementales.
Je souhaite un plein succès à votre congrès, dont Monsieur le Président de la République honorera de sa présence la séance de clôture. Je forme le voeu que les maires trouvent dans ces débats et ces rencontres une inspiration renouvelée pour l'exercice de leur mission, essentielle à la vitalité de la démocratie dans notre pays.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 05 juin 2001)