Texte intégral
LE FIGARO du 3 septembre 1998
Le figaro : Le projet de Pacs, très rapidement mené par le gouvernement, ne semblent pas être approuvé par la « France profonde »…
Jack Lang : Je suis persuadé qu’il sera voté par une large majorité de Français. Cette proposition de loi est le fruit d’engagements clairs et nets. Lorsque Lionel Jospin m’avait confié, il y a deux ans, la mission d’élaborer le texte sur la démocratie, nous avions inscrit, au titre des droits nouveaux à reconnaître, la parité hommes-femmes et ce que nous appelions à l’époque « contrat d’union sociale ». Notre devoir était de tenir ces engagements, réitérés plusieurs fois.
Le figaro : Beaucoup, surtout à droite, voient dans le Pacs les prémices d’un « mariage homosexuel ».
Jack Lang : Cette politisation de mauvaise foi d’une question de société est d’une autre époque. La France mérite un autre type de débat. Revenons aux valeurs auxquelles nous tenons : l’amour, la tendresse, l’amitié, la fidélité. Le droit de vivre à deux sous le même toit doit être reconnu parce qu’il permet à deux personnes de souscrire un engagement mutuel les liant, comportant des droits et des obligations. Cela relève de la conscience individuelle. Ce droit peut revêtir des formes juridiques diverses. Ce contrat d’un type nouveau permettra à deux êtres humains qui s’aiment de se lier l’un à l’autre.
Le figaro : Que pensez-vous de l’éventuelle attribution de titres de séjour aux « pacsants » étrangers après deux ans ?
Jack Lang : Puisque deux étrangers peuvent se marier sur le sol français, il n’y a pas de raison que deux personnes étrangères vivant sous le même toit ne puissent partager leur aventure, pour le meilleur et pour le pire. Maintenant, le projet gouvernemental n’est pas gravé dans le marbre, il peut évoluer.
Le figaro : Le projet initial prévoyait l’enregistrement à la mairie. La solution retenue sera le TGI. Avez-vous une préférence ?
Jack Lang : Je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas être inscrit en mairie, mais la solution retenue par le gouvernement est une solution heureuse. Ce texte est courageux, équitable, basé sur des convictions de liberté.
TF1 - dimanche 20 septembre 1998
Michel Field : Bonsoir à toutes, bonsoir à tous. Merci de rejoindre « Public ». Jack LANG, bonsoir. Merci d’être mon invité ce soir. Alors vous êtes là évidemment comme député du Parti socialiste. On parlera de l’Europe, on parlera de votre carrière politique, où en est-elle et vers où va-t-elle. Mais vous étiez je dirais l’homme du week-end puisqu’entre les journées du patrimoine qui ont obtenu une fois de plus un grands succès, une de vos initiatives, et de la Techno-parade sur laquelle nous reviendrons assez longuement, eh bien le week-end était en quelque sorte « langien ». Alors nous parlerons de ça et puis dans un deuxième temps de l’émission, nous ouvrirons – on est les premiers mais à mon avis, on ne sera pas les seuls parce que ça va faire du bruit et fureur – nous ouvrirons le dossier Pacs, Pacte Civil de Solidarité, en essayant eh bien d’entendre un certain nombre de sensibilités, partisans et adversaires de ce qui apparaît comme le grand débat de société de cet automne. Alors Jack LANG, dans la première partie mais Jack LANG aussi dans la deuxième partie, sur ce pacte dont il est l’un des partisans les plus résolus. Une page de pub et le bateau va être lancé.
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Michel Field : Retour sur le plateau de « Public » en compagnie de Jack LANG. Alors j’évoquais tout à l’heure, Jack LANG, la Techno-parade, on va en voir des images et puis je pense que c’est un évènement qui vous a beaucoup marqué. La journée du patrimoine, vous en aviez été à l’initiative et je me disais finalement, est-ce que vous occupez comme ça de la Techno-parade, y mettre autant d’énergie, ce n’est pas une façon de vivre une sorte de préretraite politique heureuse ? Est-ce que vous seriez un préretraité actif ?
Jack Lang : Alors j’ai toujours été en préretraite puisque dès l’âge de huit ans ou de neuf ans, je me passionnais pour l’art, pour la culture, monter des petits spectacles, construire des évènements. Ça a toujours été une des passions de ma vie, tout petit. Alors ça continue mais je ne suis pas encore en préretraite.
Michel Field : Mais plus sérieusement, est-ce que vous n’êtes pas un peu en manque de l’action politique dans ce qu’elle a de plus exaltant, c’est-à-dire au moment où on peut prendre des décisions, bref, est-ce que vous avez digéré le fait de ne pas être dans ce gouvernement JOSPIN qui réussit si bien ?
Jack Lang : Oui.
Michel Field : Vous dites ça tellement fort que ça ressemble à une dénégation.
Jack Lang : Ça semble suspect…Disons que la vie politique est faite de rebondissements multiples. Disons que grâce à cette décision que vous rappelez, j’ai la chance pour la première fois d’être au Parlement pleinement et d’assumer une mission passionnante, celle de président de la commission des Affaires étrangères ; et puis viendra un autre temps, un autre rythme, un autre moment.
Michel Field : Certaines voix socialistes s’élèvent déjà vers vous et vous implorent – alors ça ne prend pas les proportions que ça avait pris pour la candidature présidentielle de Jacques DELORS mais ça commence à y ressembler – vous implorent d’être leur tête de liste aux élections européennes. Alors déjà est-ce que c’est quelque chose qui vous fait plaisir, qui vous intéresserait, d’être tête de liste socialiste aux élections européennes ?
Jack Lang : Je ne suis candidat à rien. Je ne suis candidat à aucune fonction d’aucune sorte. Je suis vis-à-vis de l’Europe alors par contre, candidat à être avec d’autres, un ouvrier, chaque jour, maintenant, de la construction de l’Europe, de sa transformation profonde, pour en faire une aventure exaltante pour les prochaines années.
Michel Field : Ce qu’elle n’est pas encore…
Jack Lang : Ce qu’elle n’est pas encore. Elle a accompli un immense travail mais je dirais, il y a deux choses qui lui manquent aujourd’hui, premièrement d’être plus efficace, il faut revoir la machinerie institutionnelle qui est en panne et j’espère qu’une fois tournée la page des élections allemandes à la fin du mois, dans une semaine, le gouvernement allemand, je suis sûr, quel qu’il soit, sera désireux d’une nouvelle donne sur le plan européen. Il appartiendra à notre pays et à d’autres de prendre des initiatives pour que l’Europe puisse être plus efficace sur le plan national, international ou sur le plan communautaire. Et puis deuxièmement, ça c’est peut-être le point le plus difficile, cette Europe qui fait de grandes choses souvent mal connues, il lui manque je dirais une âme, un dessein et surtout un dessein qui permette à la jeunesse européenne de se reconnaître à travers et d’en devenir en quelque sorte l’acteur.
Michel Field : Mais c’est un beau programme pour être tête de listes aux élections européennes, tête de liste socialiste.
Jack Lang : Il n’y a pas besoin d’être tête de liste pour faire avancer les choses, de même qu’il n’y a pas besoin d’être ministre pour être créatif et actif.
Michel Field : A quelles conditions seriez-vous tête de liste aux élections européennes ?
Jack Lang : Il n’y a aucune condition à imposer puisqu’encore une fois, d’abord aucune demande officielle ne m’a été adressée…
Michel Field : Mais est-ce que ça serait une bonne idée d’essayer de vous dédoubler, est-ce que ce serait une bonne idée, Jack LANG, tête de liste socialiste ?
Jack Lang : Mais comment voulez-vous que je vous réponde à l’instant alors que je ne me suis même pas posé la question.
Michel Field : Mais ça, je ne vous crois pas.
Jack Lang : Mais croyez-moi !
Michel Field : Mais non !
Jack Lang : Et puis il y a beaucoup d’autres personnes d’envergure qui seraient en mesure de tirer la liste socialiste. Mais je répète, il y a indépendamment du choix du candidat je dirais, deux préalables, pas pour moi, deux préalables pour nous si nous voulons entraîner l’opinion vers une liste socialiste : premièrement, je souhaite que le programme des socialistes européens soit un programme offensif, nouveau, radicalement nouveau, et soit capable en particulier de proposer aux jeunes de différents pays, une Europe qui les touche, qui les mette en mouvement, qui les intéresse. Or malheureusement jusqu’à présent, alors que les jeunes sont plutôt pour l’Europe, ils ne se sentent pas impliqués ni embarqués dans l’aventure européenne et c’est dommage. Et je suis convaincu en même temps que l’Europe du futur, elle doit être celle de l’innovation, celle de la création, celle qui pourra, face à une Amérique qui constamment crée, invente, va de l’avant, cette Europe du futur, elle doit être celle de la jeunesse pour ceux qui ont quinze ans, seize ans ou vingt ans aujourd’hui. Et puis deuxième préalable, il faut absolument que la campagne européenne des sociaux-démocrates, soit une campagne disons internationale. Il faut qu’on montre que nous constituons une grande force et que le renouvellement du Parlement européen l’année prochaine peut être une chance pour l’Europe si nous obtenons la majorité au sein du Parlement européen. Observez que …nous allons parler du PACS dans quelques instants, dans quelques jours, mais 99, ça sera une année importante pour l’Europe : présidence de l’Allemagne pendant six mois, renouvellement du Parlement européen, renouvellement de la Commission européenne, mise en place effective de l’euro, je crois qu’il y a une chance à saisir, en particulier pour notre pays.
Michel Field : Ah ! Vous y mettez quand même un enthousiasme qui fait que…
Jack Lang : Mais ce n’est pas aujourd’hui, mon enthousiasme est très ancien pour l’Europe.
Michel Field : Ce que vous dites de l’Europe, à savoir un beau projet, une sorte de sympathie mais finalement pas de mobilisation active, est-ce que ce n’est pas quelque chose qu’on pourrait dire de l’action du gouvernement JOSPIN ? Martine AUBRY, à votre place la semaine dernière, disait : on sent qu’il y a un renouvellement de la confiance, que les Français font confiance à ce gouvernement mais il manque encore peut-être une sorte de passage à la mobilisation autour de l’action gouvernementale. C’est un jugement que vous partagez ?
Jack Lang : Ce gouvernement, depuis quinze ou seize mois, a abattu un travail considérable, a ouvert de nombreux chantiers, des réformes importantes, dans tous les domaines – économique, social, politique et disons aussi moral. Vraiment peu de gouvernements en si peu de temps ont accompli autant de travail. Et en même temps, je crois que le gouvernement a réussi à recréer la confiance et sans confiance, on ne peut rien obtenir notamment sur le plan de la création des richesses économiques et du partage de ces richesses. Naturellement, on aimerait que dans une phase qui s’ouvre à présent, on s’attaque avec d’abord plus d’énergie encore ou plus d’imagination – et ce n’est pas facile, je le sais, ce n’est pas facile – à des pôles de résistance concernant les inégalités sociales. Inégalité sociale à l’école – l’école demeure toujours une machine à sélectionner – inégalité sociale dans les conditions de vie – les quartiers en difficulté doivent être radicalement transformés. L’expression utilisée par JOSPIN pendant la présidentielle : reconstruire les banlieues, doit devenir réalité ; on ne peut pas se contenter de réparer, de repeindre, de ripoliner, il faut reconstruire. Et puis alors par ailleurs c’est vrai, moi je crois qu’il y a le gouvernement qui fait un très bon travail. Il faut aussi réussir à mettre en mouvement la société. Pour moi, la gauche, c’est à la fois lutter contre les injustices et mettre un pays en mouvement.
Michel Field : Et pourquoi ce gouvernement n’y parvient pas tout à fait ?
Jack Lang : Il y parvient, il y parvient mais je souhaite qu’on aille le plus loin possible pour encourager les initiatives : création d’entreprises, micro-initiatives de la jeunesse. Tout à l’heure, nous parlerons de cette parade techno… la démonstration a été faite une fois de plus que quand une initiative est prise pour dire « on y va ! Inventez, créer, bougez-vous ! », l’enthousiasme est là pour répondre à l’appel qui est lancé.
Michel Field : Bien. Vous aspireriez davantage à être ministre dans un gouvernement JOSPIN 2 par exemple que tête de liste socialiste aux Européennes ? Je suis un peu mono-obsessionnel ce soir mais…
Jack Lang : Oui, vraiment obsessionnel…
Michel Field : Mais vous ne répondez ni à l’une ni à l’autre de mes questions.
Jack Lang : Je ne réponds ni à l’une ni à l’autre. Je crois que ce qui est important, c’est de tenir bon à ses convictions, d’être soi-même. Je n’arrive pas à être autre chose que moi-même. Alors voilà, et puis je continue mon chemin, j’essaie de faire avancer des choses, de convaincre, parfois je réussis, parfois je ne réussis pas et… voilà, c’est la vie publique.
Michel Field : Alors le reste de l’actualité, un résumé… un agenda de la semaine qui vient de s’écouler. La semaine en images.
REPORTAGE.
Michel Field : Jack LANG, alors dans cet agenda de la semaine, des questions qui concernent la politique française, notamment la réforme de la justice d’Elisabeth GUIGOU : ça vous semble une initiative à la fois urgente et nécessaire que de réaffirmer la présomption d’innocence ? Beaucoup de citoyens ont l’impression que l’on ne s’occupe aujourd’hui de l’anonymat des mises en examen etc…, que parce des personnalisés sont aujourd’hui sur le devant de la scène et quand c’était des anonymes, on s’en souciait peu ou moins ?
Jack Lang : Ce n’est pas entièrement faux. Mais après tout, peu importe les raisons qui ont conduit les différents partis à vouloir changer profondément le système de justice en France. Et cela, c’est un très grand et beau chantier de l’actuel gouvernement. Un des reproches que l’on pourrait faire au gouvernement de gauche précédent…
Michel Field : Auquel vous participez…
Jack Lang : Auquel je participais, est de ne pas s’être attaché suffisamment à la justice de tous les jours, à la justice quotidienne, la justice qui est un service public qu’on doit rendre aux Français et dont les défectuosités sont connues : lenteur, éloignement et le reste, sans compter l’insuffisante protection des droits des justiciables. Et je crois que ce qui est engagé là est de grande envergure. La décision prise par le gouvernement de créer je crois huit à neuf cents postes, c’est sans précédent. Et je m’en réjouis beaucoup. Sur les textes en cause qu’on évoque ce soir, personnellement j’aimerais qu’on puisse, dans la discussion parlementaire, allez plus loin encore. Il n’y a pas que la présomption d’innocence et il n’y a pas que l’histoire des menottes. Il y a tout simplement je dirais…à tous les moments de la procédure, le respect de la dignité de la personne, de l’être humain, qui est le premier des droits de l’homme. Et notre procédure pénale est beaucoup trop marquée encore par un système d’ancien régime. Quant à notre code pénal, il mériterait aussi d’être un jour – ce n’est pas le sujet d’actualité – d’être revu pour mieux protéger…
Michel Field : Oui, mais à chaque fois, on dit « un jour ». Pourquoi vous ne vous y prenez pas…
Jack Lang : Alors là on s’attaque, ce qui est très important, à l’organisation judiciaire. L’indépendance du Parquet, c’est en bonne voie ; la responsabilité des magistrats sera débattue bientôt. La présomption d’innocence, dans cette première phase, ça va entrer en discussion parlementaire. Je pense que c’est le début d’un immense chantier qui est loin d’être achevé.
Michel Field : La MNEF et la mise en cause en pointillés de certains dirigeants socialistes, est-ce que c’est une nouvelle affaire URBA pour le Parti Socialiste ?
Jack Lang : J’ai pleine confiance dans ce qu’a dit notre premier secrétaire, François HOLLANDE, le Parti Socialiste, les dirigeants socialistes n’ont rien à faire avec cette question que personnellement je ne connais pas.
Michel Field : Actualité internationale : l’affaire CLINTON. Alors, on vous a senti tout feu tout flamme pour le président américain… en tout bien tout honneur !
Jack Lang : D’abord, nous sommes au pays de RABELAIS et de COLUCHE. Alors on a envie de se moquer ou de rire de cette histoire d’alcôve…
Michel Field : Laurent GERRA, l’humoriste, a dit : mais Jack LANG est « clintoridien » tellement il prend une défense acharnée du président des Etats-Unis.
Jack Lang : Je ne l’avais pas entendu celle-là !
Michel Field : Je la ressors avec plaisir.
Jack Lang : Merci Laurent GERRA ! Merci ! Mais au-delà de ça justement, on peut en rire encore beaucoup mais on peut peut-être s’arrêter là, discuter de ces aspects un peu graveleux mais qui sont quand même assez sordides en tout cas qui ne nous regardent pas. Je dirais que l’affaire est grave ; elle nous concerne, nous Européens, nous Français. D’abord c’est une affaire politique. Il faut le savoir et le dire, c’est une affaire politique. C’est une lutte à mort qui est engagée aux Etats-Unis entre les ultra-conservateurs et une partie…l’extrême droite qui n’ont jamais digéré l’élection de Bill CLINTON, qui n’acceptent pas la progression en Amérique des idées libérales et qui voudraient assurer le retour des conceptions intégristes, puritaines, étroites. Et tous les moyens sont bons pour déstabiliser CLINTON, on l’abaisse, on l’humilie, et cette vidéo qui va être diffusée demain, c’est une forme de tentative je dirais… d’homicide audiovisuel. Et je crois que la victoire des idées du procureur STARR, serait la victoire du puritanisme le plus étroit, le plus rétrograde. Pour ceux qui auraient perdu la mémoire sur ce qu’a été le puritanisme américain sous ses aspects les plus étroits, qu’ils relisent, c’est un très beau roman, le roman de HAWTHORNE, « La lettre écarlate », dont on a tiré plusieurs films, et qui montre à quel point cette idéologie est totalitaire.
Michel Field : Donc on est plutôt près du Maccarthysme avec cette affaire que du côté du Watergate d’après vous.
Jack Lang : J’en suis convaincu naturellement.
Michel Field : Mais il reste quand même un mensonge d’Etat.
Jack Lang : Oh ! Les grands mots, un mensonge d’Etat !
Michel Field : Ce n’est pas rien !
Jack Lang : Naturellement qu’il a commis une bêtise, ça, il a commis une bêtise, lorsqu’il a été interrogé par certains de vos confrères en racontant un bobard, comme un môme qui avait été pris en flagrant délit de vol d’un pot de confiture. Ce n’est pas bien ! Non, ce n’est pas bien de mentir. Mais est-ce qu’on va déstabiliser toute une démocratie, l’une des plus puissantes du monde, et pendant des mois et des mois et des mois concentrer l’attention sur cette histoire, c’est absurde ! Ce qui ajoute en plus un déséquilibre des pouvoirs. La démocratie, c’est l’équilibre des pouvoirs. Comme disait MONTESQUIEU : tout homme qui a du pouvoir, est porté à en abuser. Un ministre, un juge, un député ou qui que ce soit d’autres. Donc actuellement, il y a une façon pour quelques organes de l’État américain de déstabiliser le président élu. Et puis par ailleurs il y a les droits à la personne, le respect de la vie privée. Les Américains, et c’est une grande satisfaction, dans leur immense majorité aujourd’hui, sont favorables à établir une ligne frontière entre la vie publique et la vie privée parce qu’ils savent bien que le totalitarisme commence dès lors qu’un pouvoir, un parti, une théologie s’immisce dans le jardin secret de chacun, président ou simple citoyen.
Michel Field : Alors votre actualité, je le disais tout à l’heure, et puis un moment d’heure de gloire pour vous, c’était la Techno-parade d’hier, donc cette grande manifestation de musique techno que les Allemands connaissaient, que les Français n’avaient jamais connue et dont vous étiez le parrain. Christine ASMODET et Jean-Philippe ADRIEN ont fait un petit reportage sur cette grande manifestation qui s’est passée sous le soleil parisien hier.
REPORTAGE
Michel Field : Jack LANG, pourquoi vous êtes fait ainsi le militant de cette musique et derrière cette musique, de ce phénomène sociologique ? C’est parce qu’il rencontrait des difficultés… on sait que de nombreuses raves n’ont pas été autorisées, qu’on a toujours voulu mêler la techno, l’ecstasy, cette musique et les drogues etc… Ou parce que pour vous, c’est comme un modèle aussi d’initiative culturelle venue de la base que les politiques se doivent de relayer et d’amplifier ?
Jack Lang : Oui, on peut dire un peu tout ça. Disons que j’ai été un jour invité à la Love-parade de Berlin voici deux ans et j’ai été assez impressionné par l’atmosphère, le climat, un million de jeunes dans cette ville de Berlin qui avait été naguère occupée, meurtrie, déchirée, qui avait subi le stalinisme, le nazisme et tout à coup, ce million de jeunes, autour d’une musique d’aujourd’hui sinon même du futur, transmettaient un message d’amitié. Et je dirais que le mot d’ordre de cette année-là et aurait parfaitement été accordé à la journée parisienne d’hier : le soleil n’était pas seulement dans le ciel, il était aussi dans les cœurs. Et en lançant l’idée d’une parade techno à Paris, je me suis dit : c’est le moyen pour sortir la techno de la répression qui s’abat sur elle depuis des années, répression absolument incompréhensible, totalement absurde, parce qu’un, il s’agit d’un art – on peut ne pas l’aimer – d’une culture d’aujourd’hui, en devenir, en transformation. Mon intuition, c’est que c’est une des cultures… une des cultures du futur. Deuxièmement, quand on participe un tant soit peu à des concerts ou à des raves, on sait que les participants à la techno sont ouverts, cools, pacifiques et surtout transmettent ce message justement de tolérance, d’ouverture, de respect. Et donc j’ai lancé l’idée et puis un groupe de jeunes, au sein de l’association TECHNOPOLE, une petite équipe animée notamment par Jocelyn HIRSCH, par Arnaud FRISCH et puis à côté par Henri MOREL, ont réussi et c’est un exploit magnifique aussi, avec trois bouts de ficelle, un petit peu de soutien ici et là, au ministère de la Culture, quelques autres sponsors ou radios et télévisions, à donner naissance à l’évènement, parce qu’ils y ont apporté leur énergie, leurs vibrations, leur enthousiasme. Et c’est une fois de plus la preuve que dans ce pays, lorsque l’enthousiasme est au rendez-vous, on peut déplacer les montagnes.
Michel Field : Journée du patrimoine et Techno-parade en même temps, c’était comme un symbole de ce que vous aimez, c’est-à-dire réhabiliter le passé et regarder vers une forme d’avenir.
Jack Lang : Oui, ça n’a pas été voulu, c’est un petit peu le hasard. Précisément c’est TECHNOPOLE qui avait choisi la date pensant que le 19 septembre, ça serait le prolongement de l’été, pari réussi. D’ailleurs il faut remercier au passage « Monsieur Anticyclone » que je n’ai jamais rencontré…
Michel Field : Il y en aura une autre l’année prochaine, de Techno-parade ?
Jack Lang : Personnellement je le souhaite. Ça dépendra un petit peu de tous ceux qui le voudront, en particulier tous les concepteurs, musiciens, créateurs, compositeurs techno parce que ça leur appartient, c’est leur aventure eux. Non, c’est vrai que je suis très heureux qu’il y ait eu cette coïncidence entre patrimoine et culture techno. C’est le moyen de tordre le cou à la manie que nous avons parfois de coller des étiquettes et d’organiser une sorte de guerre des cultures. Je crois que, surtout pour un pays comme la France, la culture forme un tout, c’est à la fois l’histoire, la mémoire qui nous a été léguée par nos ancêtres, mais c’est aussi la culture d’aujourd’hui sous toutes ses formes. Et de grâce, n’ouvrons pas non plus une guerre entre les musiques, entre le raï et la musique classique, entre le rock et la techno, je crois qu’il y a place pour chacun dans un pays vivant et créatif.
Michel Field : Alors pays vivant, pas sur le plan culturel mais sur le plan des modes de vie et des mœurs, c’est le débat de société qui s’annonce assez virulent sur le pacte de solidarité civil, le PACS, nous en parlons dans un instant après la pub.
PUBLICITÉ
Michel Field : Retour sur le plateau de « Public » avec ce thème du pacte de solidarité civil, le PACS. Eh bien je vous propose tout de suite de savoir de quoi il s’agit avec un petit sujet de Jérôme PAOLI et d’Isabelle LEDIZET. Nous en parlons tout de suite.
REPORTAGE
Michel Field : …La frange conservatrice de leur électorat à droite comme à gauche, c’est la conclusion de ce sujet. Jack LANG, on a l’impression que les socialistes y vont mais pas complètement…comment dire… décidés ou en tout cas le texte dans ses différentes versions, recule par rapport à ses ambitions initiales. En même temps, on le verra, l’opposition est divisée, un certain nombre de personnalités – je pense à Roselyne BACHELOT qui est avec nous, du RPR – prend une position qui n’est pas celle de son parti. On a l’impression que c’est un débat de société qui trouble en fait les clivages politiques.
Jack Lang : Oh ! C’est assez habituel dans les débats de société de ce type qui touchent à la sensibilité profonde. Un mot simplement pour saluer si vous le permettez les députés Jean-Pierre MICHEL, Patrick BLOCH et Catherine TASCA qui se sont beaucoup battus au cours des dernières semaines pour faire élaborer ce texte et aussi à Jean-Paul POULIQUEN et aux associations, sans lesquels nous ne discuterions pas ce soir de ce projet dont personnellement je suis fier qu’un gouvernement d’innovation soutienne l’idée et permette la réalisation.
Michel Field : Parce que la loi vient rejoindre…
Jack Lang : Parce qu’en réalité, là comme ailleurs, contrairement à ce qu’on imagine, la société est en avance sur l’ordre établi. Et lorsque nous avons élaboré à la demande de Lionel JOSPIN la convention sur la démocratie, nous avions dit : lorsque nous serons au gouvernement, nous reconnaîtrons trois droits nouveaux : égalité hommes-femmes, c’est fait ou c’est en voie d’être fait ; le droit à la dignité, j’aimerais qu’un jour on l’affirme avec plus de force ; et ce que nous appelions à l’époque le contrat d’union social. Nous sommes partis d’un fait : c’est que 50 % des familles vivent hors mariage pour des raisons multiples y compris le divorce et on ne va pas instituer le mariage obligatoire, d’ailleurs j’imagine que personne ne le propose. Et je ne vois pas au nom de quoi deux personnes qui s’aiment qui partagent…qui veulent partager la même vie, droits et obligations, ne pourraient pas vivre sous le même toit et bénéficier disons d’un statut dans lequel il y aura à la fois des droits et des devoirs. Vous avez très bien expliqué ce que serait ce futur statut. Pour vivre à deux aujourd’hui en France comme dans beaucoup d’autres pays d’Europe, il y aura donc plusieurs statuts… enfin deux statuts : le mariage et ce que je préférerais appeler le contrat de vie partagée.
Michel Field : Oui, mais justement, on l’appelle pacte parce que contrat, ça rappelait peut-être trop le mariage. En tout cas, on va écouter un certain nombre d’avis et puis évidemment je vous redonnerai la parole, Jack LANG. Père Olivier de la BROSSE, vous êtes le porte-parole du conseil permanent des Évêques de France qui a pris une position, on l’a vu tout à l’heure dans notre agenda de la semaine, tout à fait opposée au PACS. Alors je lisais le texte : une certaine crainte, une loi inutile et dangereuse, si l’homosexualité est respectable, elle ne peut être une structure fondamentale de la société où nous vivons. Vous y voyez une menace pour l’institution du mariage ?
Père Olivier de la BROSSE : Je répondrai d’abord à Monsieur LANG que les Evêques de France voient dans ce PACS une mesure inutile parce que, qu’il y ait des droits à rétablir, qu’il y ait des injustices à corriger, qu’il y ait des facilités à accorder à des personnes qui vivent ensemble hors mariage, l’Église catholique en est parfaitement consciente et ne voit pas d’inconvénients à ce qu’on remédie à ce type d’injustice. Cela dit, faut-il monter jusqu’à une mesure d’ordre législatif ? N’y-a-t-il pas suffisamment dans l’arsenal du droit, des règlements, des procédés administratifs, des procédés fiscaux, notariaux, n’y-a-t-il pas suffisamment d’arsenal pour rétablir la justice lorsqu’elle risque d’être lésée ? C’est le premier sens du mot « inutile » de la déclaration des Evêques de France.
Michel Field : Et pourquoi dangereux ? C’est le deuxième mot ?
Père Olivier de la BROSSE : C’est le deuxième mot, bien sûr. Dangereux parce que dans l’état de manque de socialisation, les difficultés de socialisation de beaucoup jeunes, est-il utile d’ajouter un nouveau statut aux divers statuts sociaux qui existent ? Et surtout, est-il utile de transformer des choix qui sont des choix individuels, personnels, qui sont faits par deux personnes à titre individuel, de transformer leurs choix en une institution ? Et c’est là que les Evêques, effectivement, pensent que le mariage est une institution qui fait partie des structures de la société. Ce n’est pas un simple contrat justement ; le mariage n’est pas un simple contrat entre deux personnes, c’est une structure sociale. Faut-il rajouter e nouvelles structures sociales à celles qui existent déjà ?
Michel Field : Michel PINTON, vous êtes maire UDF de Pelletin, dans la Creuse, et vous avez été à l’origine d’une pétition envoyée aux Maires de France, pour s’opposer à ce projet, une pétition dont vous avez dit qu’elle avait reçu 13 000 signatures qu’on a jamais vues… vous n’avez jamais publié les signatures en question, pas encore.
Michel PINTON : Je vous réponds tout de suite…
Michel Field : Enfin beaucoup de signatures, quelques signatures…
Michel PINTON : Le nombre de signatures aujourd’hui, ce soir-même, je peux vous l’annoncer il est de 19 000.
Michel Field : Oui, mais on veut les voir !
Michel PINTON : C’est 19 000, c’est-à-dire que c’est plus que la majorité absolue des Maires de France. J’ai donc ce soir le grand honneur de représenter plus que la majorité…
Michel Field : Oui, mais est-ce que vous avez la liste ? Ce n’est pas qu’on met votre parole en doute mais on est comme Saint-Thomas, on ne croit que ce qu’on voit.
Michel PINTON : Je vous réponds. Cette liste, d’abord, elle est publique, c’est-à-dire que beaucoup de gens l’ont vue, il n’y a pas de misère. Ceci dit, elle n’a pas été publiée jusqu’à présent, pour la simple raison, c’est que 19 000 noms, ça fait une masse considérable et que plusieurs journaux à qui je l’ai offert, ne l’ont pas fait.
Michel Field : Alors pourquoi cette croisade ?
Michel PINTON : Attendez, je termine si vous voulez : à partir de la semaine prochaine, nous avons trouvé le moyen de la rendre publique, elle sera oubliée et donc tous les Français pourront y avoir accès et savoir quels sont les maires qui ont signés…
Michel Field : Alors pourquoi cette croisade, pourquoi ça vous semblait si urgent de réagir de façon si virulente ?
Michel PINTON : Pourquoi ? Eh bien écoutez, parce que les maires ont un rôle très important dans l’équilibre de la société et étant donné le rôle qu’ils jouent dans les communes, il y a la salle des mariages comme vous le savez, qui est l’endroit le plus solennel de la mairie et parce qu’ils sont très proches des populations, ils savent bien, eux qui sont plus informés que la population, qu’il y a dans ce projet de grands dangers. Je vais résumer en deux mots si vous voulez : en deux mots, c’est simple, ce PACS est en réalité taillé sur mesure pour les homosexuels. Il ne faut pas se le cacher, c’est eux qui ont poussé, Monsieur Jack LANG l’a dit tout à l’heure, c’est eux qui avant tout veulent faire cette sorte de mariage bis et pratiquement de quoi s’agit-il ? Qu’ils obtiennent les mêmes avantages que les familles.
Michel Field : Oui, mais il y a beaucoup de concubins hétérosexuels qui vont profiter de ce PACS.
Michel PINTON : Non, c’est ce qu’on dit mais ce n’est pas la vérité. L’immense majorité des couples, c’est très simple, qui vivent en concubinage, soit ils se rompent très vite, auquel cas ils ne veulent pas la moindre contrainte, soit ils vont vers le mariage, les statistiques le prouvent. Donc en réalité, ce PACS, c’est fait essentiellement pour les homosexuels. Or les avantages qu’ont les familles aujourd’hui, c’est la contrepartie de devoirs qui sont des devoirs vis-à-vis de l’enfant essentiellement ; par définition, une paire homosexuelle, elle est stérile. Donc dans la réalité, c’est un privilège par rapport au reste des Français. En quoi, je le demande, les homosexuels doivent avoir un privilège sur les autres Français ? Voilà donc le fondement de notre association.
Michel Field : Roselyne BACHELOT, alors vous êtes élue du RPR, on entendra Patrick DEVEDJIAN tout à l’heure, le RPR par la voix de Nicolas SARKOZY hier, a réaffirmé son opposition mais radicale au PACS et vous, malgré tout et vous êtes en plus d’une région je dirais plutôt conservatrice sur le plan des mœurs, vous, vous décidez que vous soutenez le PACS, ce qui est assez étonnant.
Roselyne BACHELOT : Je crois qu’il y a des évolutions très profondes, très lourdes dans notre société. On en a évoqué quelques-unes ; on peut parler aussi de l’allongement de la durée de la vie, qui fait que nous aurons deux ou trois vies, le fait que l’autonomisation des femmes fait qu’elles ne supportent pas les mauvais mariages et qu’elles veulent vraiment avoir une vie sentimentale pleinement réussie. Alors moi il y a très longtemps que j’ai réfléchi avec un certain nombre d’associations et que je souhaite qu’une structure juridique permette à deux personnes qui souhaite vivre ensemble, de pouvoir le concrétiser dans cette structure juridique. Alors moi je trouve que les arguments des opposants au PACS sont très valables s’ils s’adressaient à ce qu’on leur propose. Mais j’ai envie de leur dire : c’est totalement hors sujet. Il n’y a aucune confusion puisque ça ne sera pas célébré dans une mairie, il n’y aura pas une sorte de mariage-mascarade, il n’y a pas la vertu symbolique du mariage…
Michel Field : Ce n’est pas le rapprochement de deux familles et d’une nouvelle généalogie. C’est de deux individus seulement.
Roselyne BACHELOT : Quant aux droits des enfants, heureusement que dans ce projet, les droits des enfants ne sont pas touchés. Je rappelle que les droits des enfants nés de parents qui ne sont pas mariés, sont exactement les mêmes que les droits des enfants nés de gens mariés et c’est encore heureux que les droits des enfants soient partout les mêmes. Eh bien entendu, si des enfants naissent d’une union d’un pacte civil de solidarité, ils auront exactement les droits des autres enfants et leurs parents auront bien évidemment les mêmes devoirs.
Michel Field : Vous irez jusqu’au bout dans ce vote favorable au PACS même si votre parti exige de vous que vous renonciez à… Non, il ne le fera pas. Patrick DEVEDJIAN…
Patrick DEVEDJIAN : La liberté de choix, ça existe.
Roselyne BACHELOT : Même si je ne suis pas majoritaire sur les problèmes de société, il y a totalement la liberté de vote dans mon mouvement, sinon je n’y resterais pas et il y a longtemps que j’en serais partie.
Michel Field : Maurice TRIEP, vous êtes maire de Nay dans les Pyrénées-Atlantiques, vous êtes socialistes et vous avez eu aussi un certain trouble devant ce projet et au moment où il était question que le PACS soit signé en mairie, vous n’étiez pas d’accord, preuve que ça divise aussi les gens de gauche.
Maurice TRIEP : Tout à fait exact. C’était au début le pacte… qui a eu plusieurs noms, il y a eu des sigles, je ne m’en souviens plus ; mais on est arrivé au PACS. Et c’était une nébuleuse. Et si je me suis rendu à Paris avec Monsieur PINTON et d’autres collègues, c’était pour avoir des explications au ministère de la Justice, que nous avons eues, on a eu une certitude, on nous a dit qu’en aucun cas, chose qui pourtant avait été évoquée plus ou moins au départ par le rapporteur, il y aurait passage en mairie. Ça m’indisposait particulièrement avec tout le respect et que j’ai pour la façon de vivre des couples non mariés.
Michel Field : Et maintenant ça vous satisfait plus le projet, vous n’avez plus d’opposition ?
Maurice TRIEP : Disons que nous commençons à être un peu rassurés sur ce plan là, qu’il n’y ait pas de confusion dans la vie sociale. Mais je ne suis pas encore tout à fait rassuré car j’ai entendu Jean-Pierre MICHEL cette semaine encore sur un poste de radio, envisager le plus calmement du monde qu’un couple d’homosexuels – et je dis ce terme avec beaucoup de respect, je le rappelle – pourrait adopter un enfant, il l’a dit très sérieusement. Alors je dis attention…
Michel Field : En tout cas, ce n’est pas dans le projet pour l’instant.
Maurice TRIEP : Mais lui, il l’a dit… quelqu’un de résigné mais résigné secrètement mais… un petit peu…
Michel Field : Donc vous êtes vigilant ! Par rapport à vos camarades socialistes…
Maurice TRIEP : Nous restons vigilants. Par rapport à mes camarades socialistes, je dis toujours, les socialistes comme les autres, il peut leur arriver de se tromper, je dis ça très calmement et très tranquillement.
Michel Field : Patrick DEVEDJIAN, alors le RPR, on a vu Nicolas SARKOZY hier très violent quand même. Donc on a l’impression que vous enfourchez finalement un cheval de bataille pour… alors je ne sais pas flatter la frange la plus traditionnelle ou traditionaliste de votre électorat. Il y a quand même eu une évolution de la société qui donne peu raison au fait que la loi la rattrape.
Patrick DEVEDJIAN, député des Hauts-de-Seine : Mais bien entendu, Michel FIELD, il y a des évolutions de la société. Par exemple, le sida a révélé que dans certaines situations, des couples homosexuels pouvaient se trouver dans une vraie situation de détresse. Mais ces difficultés-là peuvent être résolues très facilement. Le droit au bail : il suffit d’ordonner qu’un couple, fût-il homosexuel, peut avoir les mêmes droits sur un bail. Le droit de succession et la fiscalité de la succession, ça peut être modifié sans faire un statut sous-matrimonial. Ce qui est scandaleux aujourd’hui en France, c’est qu’on ne puisse pas disposer de son bien à sa convenance quand on n’a pas d’enfant. L’Etat vous confisque 60 % de la succession en dehors de la ligne directe, ça, c’est scandaleux. Et à défaut de vouloir faire l’effort fiscal, le gouvernement fait su symbolique qui ne lui coûte pas cher mais qui crée l’anarchie dans le code civil parce que qu’est-ce qu’on va avoir aujourd’hui ? On va avoir trois régimes juridiques différents pour les couples : le mariage – le mariage qui, soit dit en passant, n’est pas la même chose que les autres et ce n’est pas vrai que les enfants nés du concubinage ont les mêmes droits que les enfants nés du mariage, Roselyne : un enfant né du mariage bénéficie de la présomption de paternité automatique du mari… Il bénéficie de ce droit. Le mariage, ce n’est pas le couple qui est important dans le mariage, c’est l’enfant. Et le mariage, il est destiné à protéger la filiation… Deuxième statut, le concubinage, qui a des droits, contrairement à ce que vous avez dit, Jack LANG, tout à l’heure, il y a toute une jurisprudence qui confère des droits aux concubins notamment le droit au bail. Et troisièmement, le PACS. Or, dans le PACS, qu’est-ce qu’on va avoir ? La France, seul pays au monde, va instituer un même statut juridique pour un couple qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel. Alors on nous dit : il n’y aura pas d’adoption mais l’article 343 du code civil prévoit qu’un célibataire à partir de 28 ans, peut adopter un enfant.
Michel Field : Oui, mais déjà maintenant, Patric DEVEDJIAN, ce n’est pas le PACS qui va rajouter ça !
Patrick DEVEDJIAN : Déjà maintenant… alors comment allez-vous l’accorder à l’intérieur du même statut juridique, pour des concubins hétérosexuels et comment vous allez le refuser pour des concubins homosexuels, à l’intérieur du même statut des gens qui ont les mêmes droits ! Ce n’est pas possible !
Michel Field : Robert LABUTHIE, Centre des Gays et Lesbiens. Alors les associations d’homosexuels à la fois sont à l’origine, très actifs, Jack Lang le rappelait tout à l’heure, de ce projet. Et en même temps sont quelquefois déçus de sa timidité contrairement à beaucoup de sons de cloche que l’on vient d’entendre, et auraient voulu qu’il aille plus loin.
Robert LABUTHIE, centre Gay et Lesbien : Je crois. Je crois qu’aujourd’hui, ce qu’on peut dire sur le PACS, c’est que c’est un premier pas sur l’avancée de la reconnaissance légale du couple homosexuel et ce que je vais dire est important, dans sa dimension affective et amoureuse. Je ne suis pas un citoyen de seconde zone, au regard de quoi j’ai les mêmes obligations que tout le monde ; je dois être respecté dans mon intégrité en tant qu’individu dans ma vie de couple, d’accord ?! Je ne vois pas le PACS, en quoi il sera un mariage homosexuel, c’est une alternative qui est claire, qui permet juridiquement et socialement de faire reconnaître mon couple et d’avoir une garantie, ça c’est clair, donc il n’y a pas d’amalgame. Deuxièmement, je ne vois pas en quoi mon couple parce que j’ai le PACS qui est fait aujourd’hui dans cette reconnaissance, ait des contraintes sur le temps, pour les impôts, pourquoi les effets ne sont pas immédiats ? En quoi mon couple ne serait pas plus honorable qu’un couple qui se marie ou un couple hétérosexuel ? Parce que le concubin dans la jurisprudence, c’est un homme et une femme. Moi aujourd’hui, je n’existe pas dans mon couple, abnégation totale de ma personne et de mon couple. Je suis réduit à l’état d’individu sexué. J’ai une sexualité et c’est tout.
Michel Field : Et donc pour vous, c’est quand même une avancée dans une sorte de reconnaissance sociale ?
Robert LABUTHIE : C’est un premier pas, mais ce n’est pas suffisant. Aujourd’hui, en tant que citoyen français qui habite dans la République sous l’effigie de la liberté, une égalité et une fraternité, à quel titre ? Quel regard j’ai là-dessus ?
Michel Field : Caroline, c’est votre opinion aussi, vous appartenez à FURIE, le Front pour les Unions Républicaines Inventives et Égalitaires, c’est un bon nom.
Caroline FOUREST, F.U.R.I.E. : Oui, c’était pour répondre aussi au collectif des maires pour le mariage républicain qui a trouvé tout à fait naturel de justifier l’inégalité entre les citoyens au nom de la République, ce qui restera dans les annales de l’histoire. Et effectivement moi je trouve que le PACS, c’est un minimum juridique. Que Monsieur PINTON se rassure, demain les citoyens continueront à être à inégalité dans ce pays : demain on continuera à avoir des devoirs et les mêmes devoirs que tout le monde et pas mes mêmes droits. Je ne vois pas comment on prétend maintenir l’unité nationale dans ces conditions. Et puis pour revenir un petit peu sur la mairie, effectivement, la justification de Michel PINTON pour nous refuser de salir en quelque sorte les marches de la mairie, c’est qu’effectivement nous ne serions pas un couple fécond et que dans le mariage, la seule chose qui est importante, ce n’est pas du tout contrairement à ce que certains auraient pu croire, l’amour entre deux personnes, c’est simplement le fait qu’ils reproduisent l’espèce. Donc je voudrais demander à Monsieur PINTON si demain il compte installer des détecteurs de fécondité à l’extérieur des mairies et à ce moment-là il y aurait n’est-ce pas, les couples hétérosexuels non stériles qui iraient à la mairie et tout le reste, toute la masse qui ne reproduit pas l’espèce se retrouverait à la préfecture ou au tribunal.
Michel Field : Michel PINTON vous répondra hors antenne parce que je crois qu’on n’aura pas le temps. Jack LANG, une sorte d’aperçu et de synthèse…
Jack Lang : Oui, on ne peut pas répondre à tout. Je dirais simplement, puisqu’on sent bien qu’à travers le débat juridique, il y a aussi une certaine conception de la vie, de la morale et de la société et morale pour morale, je dirais que personnellement, et je pense la majorité actuelle pense qu’il y a une morale tout de même qui vaut bien une autre morale, c’est la morale de la tendresse, la morale de l’amitié, la morale de l’amour, de l’affection, la morale de la fidélité aussi, qui est souscrite entre deux personnes qui vivent sous le même toit qu’ils soient mariés ou non et ce qu’a dit Roselyne BACHELOT me touche beaucoup et je suis très heureux que elle-même qui déjà était en lutte pour la reconnaissance des droits des femmes, aujourd’hui se batte avec beaucoup de courage pour la reconnaissance de ce nouveau contrat. En même temps, vous évoquiez, Monseigneur, une société éclatée oui, mais la solitude dans laquelle trop de gens s’enferment aujourd’hui, elle sera en partie… c’est un des remèdes précisément à la solitude que de reconnaître le droit pour deux personnes de vivre ensemble sous le même toit et de partager la même aventure spirituelle et humaine. Par conséquent, dans un système dans lequel chacun se replie sur soi, je crois que le pacte est une avancée non seulement morale mais aussi sociale. Je crois que nous sommes confrontés à un débat comme nous avons connu dans le passé, sur la contraception il y avait aussi des combats d’arrière-garde, vis-à-vis de l’I.V.G. - je rappelle qu’il a fallu que des députés de gauche viennent soutenir Madame VEIL pour que son projet puisse l’emporter. Bon, il est sain, il est bon, que l’on discute, que l’on débatte, Dieu merci ; mais ce qui est diabolisé aujourd’hui est en réalité une avancée humaine, simple, modeste et regardez ce qui se passe dans les pays scandinaves, dans les pays nordiques, la société n’a pas été bouleversée. Elle a été au contraire nourrie et améliorée par ce progrès social et humain.
Pierre DE LA BROSSE : Vous employez à juste titre les mots d’amitié, d’affection, de liens affectifs, ETC. Mais tout cela est tout de même du domaine bilatéral, du domaine de deux individus…
Jack Lang : Ce n’est pas mal, quand même déjà à deux, si on aime à deux, c’est quand même pas mal !
Pierre DE LA BROSSE : Bien sûr, si on s’aime à deux, ce n’est déjà pas si mal ! Faut-il transformer l’amour à deux en une institution du droit public de la République française ?!
Jack Lang : Ce n’est pas une institution du droit public, c’est un nouveau type de contrat. J’allais dire tous les chemins mènent à Rome… Tous les contrats… aujourd’hui, il y aura deux contrats qui mèneront au bonheur partagé à deux.
Pierre DE LA BROSSE : Nous savons très bien que ce n’est qu’une étape vis-à-vis d’un nouveau statut qui sera justement le statut de mariage.
Michel Field : Roselyne BACHELOT, juste un mot : est-ce que vous regrettez finalement l’attitude radicale de vos amis du RPR contre ce que vous considérez être comme une avancée ?
Roselyne BACHELOT : C’est un débat de société dans lequel chacun a le droit de s’exprimer et je trouve d’ailleurs fortement suspect les partis politiques où y aurait une unanimité sur un sujet pareil.
Michel Field : Eh bien là vous allez être servie alors je vais vous dire ! Votre bonheur va être total !
Roselyne BACHELOT : Mon bonheur va être total parce que comme sur tous ces sujet-là, que ce soit la peine de mort, l’avortement, un certain nombre de débats, les fractures ont été largement transversales. Ce que je veux dire quand même pour être un peu plus politique…
Michel Field : En un mot…
Roselyne BACHELOT : En un mot, c’est que les choses se seraient certainement mieux passés dans ce domaine sur le Pacte Civil de Solidarité si un certain nombre de personnes de l’opposition et en particulier de responsables familiaux, n’avaient pas eu le sentiment que la famille depuis un an et demi avait été furieusement attaquée dans toutes sortes de mesures. Alors on nous a dit qu’on n’avait pas d’argent, qu’il fallait supprimer les allocations familiales à quatre cent familles, qu’il fallait revenir sur un certain nombre de mesures comme les emplois familiaux, la garde à domicile, etc. Et tout d’un coup, après nous avoir expliqué qu’il n’y avait pas d’argent, on trouve six milliards pour le pacte. Moi je suis entièrement d’accord mais je trouve que ça serait beaucoup plus acceptable si tout ça prenait place dans une vision d’ensemble où la famille et le PACS trouvaient chacun une juste place.
Michel Field : Jack LANG, un mot de conclusion ?
Jack Lang : Je ne peux pas laisser dire ça à Roselyne BACHELOT, quel que soit notre accord sur ce projet, la politique pour la famille qui a été menée depuis un an, même si au début il y a eu une divergence entre nous et vous…
Roselyne BACHELOT : Un sérieux loupé…
Jack Lang : … est une politique d’encouragement sur tous les plans et en particulier la réforme qui va intervenir sur le quotient familial pour soutenir les familles les plus modestes…
Patrick DEVEDJIAN : Il retire quatre milliards aux familles !
Jack Lang : Vous, vous soutenez les privilégiés, mais nous, nous souhaitons soutenir les familles qui en ont le plus besoin. C’est une mesure de justice mais enfin le débat n’est pas sur le quotient familial !
Patrick DEVEDJIAN : On plafonne le quotient familial à onze mille francs. Ça leur coûte quatre milliards aux familles !
Michel Field : On fera un autre débat, Patrick DEVEDJIAN !
Maurice TRIEP : Là nous entrons dans la langue de bois, je pense qu’il faut se méfier du bois.
Michel Field : Jack LANG ne va pas avoir le temps d’avoir la langue de bois puisque le générique tourne. Il a trente secondes…
Jack Lang : A moins qu’on coupe le sifflet avant la fin, disons simplement…je dirais d’un mot, ce qui est important sur ces sujets comme tous les autres, c’est que nous puissions collectivement dans ce pays, réfléchir à des solutions, parfois toutes petites, locales, qui permettent au bonheur individuel de rejoindre le bonheur collectif. C’est ça la démocratie. C’est faire que se rejoignent dans un mouvement de transformation sociale et spirituelle notre recherche tout à fait juste de l’harmonie individuelle et de l’harmonie collective.
Michel Field : Merci à tous. Merci à tous les participants de ce débat. On en fera d’autres. C’est une forme parmi d’autres que « Public » pourra prendre au gré de l’actualité. La semaine prochaine, on en aura un autre, de débat : où va l’opposition ? Avec des élus du RPR et de l’UDF qui essaieront d’explorer des voies nouvelles pour une opposition dont on peut dire qu’elle est relativement mal en point, ses principaux leaders ont conviennent eux-mêmes. Et puis en invitée guest-star comme on dit, Jeanne MOREAU nous fera l’amitié d’être là juste avant son départ aux États-Unis puisque vous le savez, l’Académie des Oscars va lui rendre un hommage tout à fait particulier pour sa contribution à l’histoire du cinéma. Voilà, ce sera le programme de « Public » la semaine prochaine.