Interview de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, dans "Sud-Ouest" du 6 novembre 1998, sur le pacte civil de solidarité, le budget du ministère de la justice pour 1999, la formation des magistrats, l'accès au droit, la réforme des tribunaux de commerce et de la détention provisoire.

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Média : Sud Ouest

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Sud-Ouest. - La « bataille du PACS » au Parlement n'est pas finie. Bien qu'il s'agisse d'une proposition parlementaire, vous êtes présente au banc du gouvernement pour soutenir ce texte. Quel est votre sentiment à ce stade du débat ?

Elisabeth Guigou. - Mon seul désir est d'en finir avec les fantasmes, les procès d'intention. Le vrai débat, c'est qu'il faut arriver à reconnaître des droits à des personnes qui vivent ensemble sans être mariées, qu'elles soient hétérosexuelles, homosexuelles, ou d'ailleurs que ce soit des personnes sans lien charnel.

Ce « contrat entre deux personnes », que l'État doit faire respecter, ne peut en aucun cas toucher au droit de la famille ou au droit de l'enfant. Autant je souhaite qu'il n'y ait pas de discrimination entre homosexuel et hétérosexuel en ce qui concerne la plupart des actes juridiques de la vie courante, autant j'estime qu'il faut faire respecter une différence pour tout ce qui touche à la filiation.

Un enfant a besoin d'un père et d'une mère. Je ne veux pas que le droit ignore cette loi constitutive de l'humanité qui est la différenciation des sexes. Le PACS s'arrête à la filiation. Il faut le dire avec force.

S'agissant de la famille, j'ai mis en place un groupe d'études autour des « droits de l'enfant », un enfant devant avoir le droit à une filiation stable, c'est à dire le même père et la même mère toute sa vie, quelle que soit la vie que ceux-ci choisissent de mener.

Sud-Ouest. - Les réformes que vous avez entreprises réclament beaucoup de magistrats supplémentaires. Où en sont les différents recrutements envisagés ?

E. G. - J'ai un principe : pas de réformes sans moyens. J'ai négocié le budget 1998, dès mon arrivée, en demandant des moyens supplémentaires en magistrats, en fonctionnaires, et en outils de fonctionnement, de façon, d'une part à résorber les retards accumulés dans les juridictions et, d'autre part, à engager de véritables changements.

En 1998, j'ai obtenu 70 postes de magistrats - un record jamais vu depuis dix ans - et 230 postes de fonctionnaires dans les services judiciaires, sans compter les recrutements intervenus dans les autres secteurs du ministère de la justice. En 1999, il y aura des postes nouveaux de magistrats, soit le double, et autant de fonctionnaires que l'année précédente. J'ajoute que 400 assistants de justice contractuels, recrutés parmi les jeunes universitaires, apporteront leur concours aux juridictions.

S.-O. - Les tribunaux sont engorgés. Est-ce que cela ne sera pas plus grave encore après application de votre projet « d'accès aux droits » ?

E. G. - Au contraire, puisque ce que je souhaite faire avec ce projet, c'est distinguer l'accès au droit de l'accès aux juges. Chaque citoyen doit connaître ses droits. Il faut donc multiplier les centres départementaux d'aide juridique, les maisons de la justice. Mais cela suppose aussi de savoir qu'il existe d'autres voies que les procès. Je souhaite que les transactions se multiplient, aussi bien dans le domaine civil que pénal.

Je vais donc mettre en place dans ce but des moyens incitatifs, telle qu'une rémunération des avocats, au titre de l'aide juridictionnelle, équivalente à celle d'une d'intervention dans le prétoire.

Ce projet dit d'accès au droit est actuellement examiné au Parlement et il sera, selon toute vraisemblance, voté avant la fin du premier semestre 1999. Inutile de dire que les financements correspondants sont prévus. Pour moi, il s'agit d'un texte fondamental, car il touche la justice au quotidien et participe de la vision d'une société où l'on se parle, où l'on recherche en commun des solutions…

S.-O. - Un magistrat de tout premier plan, M. Hanoteau, va diriger l'Ecole nationale de la magistrature, à Bordeaux. Cette nomination traduit-elle une volonté de modifier la formation des magistrats ?

E. G. - J'ai eu une double ambition pour l'Ecole nationale de la magistrature. Adapter la formation aux évolutions du droit, ouvrir plus encore qu'il ne l'est l'enseignement sur la vie économique et sociale. L'effort ne doit pas porter seulement sur le cursus initial. Je compte beaucoup sur le développement de la formation permanente, notamment par des systèmes intranet (1).

Les questions européennes et internationales occuperont de plus en plus le temps de formation les magistrats, dans la mesure où la lutte contre la délinquance financière suppose la mise au jour de ramifications au-delà de nos frontières. Pour que la coopération de « juge à juge » s'intensifie, ce que je souhaite, il est nécessaire d'élaborer des méthodes adaptées.

L'arrivée à Bordeaux d'un premier président de cour d'appel comme Monsieur Hanoteau montre que la haute hiérarchie judiciaire s'intéresse de près à l'école. J'ajoute que les qualités humaines et intellectuelles du nouveau directeur constituent un indéniable gage d'ouverture.

S.-O. - Copinage, cupidité… Certains tribunaux de commerce sont gangrenés. Est-ce que la rapidité avec laquelle vous voulez mettre fin aux abus ne risque pas de démoraliser - dans la très grande majorité des tribunaux français - tous les juges bénévoles qui exercent honnêtement leur fonction ?

E. G. - Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur l'ensemble des tribunaux de commerce et des juges consulaires, qui leur consacrent beaucoup de temps libre en dehors de leur entreprise. Leur intérêt est de se débarrasser des brebis galeuses, et nous allons les y aider.

Les magistrats consulaires que j'ai rencontré me l'ont demandé. Ils en ont plus qu'assez d'être assimilés aux personnes qui trouvent intérêt à la déconfiture des entreprises…

Je crois qu'il leur faut un statut disant plus nettement ce que sont les incompatibilités ou les conflits d'intérêt. L'un des aspects essentiels de la réforme sera de revoir la carte des tribunaux, en liaison avec les chambres de commerce et d'industrie, afin que le ressort des juridictions corresponde aux bassins d'activité.

De plus, il sera nécessaire de renforcer les contrôles : sur les professions auxiliaires (administrateurs, etc.) et les greffes. La réforme, c'est cela.

Elle devra aussi tenir compte de l'application des lois sur la prévention des difficultés des entreprises, qui étaient de bonnes lois, mais qui devront sans doute être simplifiées pour correspondre au plus près à la réalité économique.

S.-O. - En matière de détention provisoire, les débats contradictoires en chambre d'accusation pourraient - en l'état actuel des choses - être publics, or ils ne le sont que très rarement. Qu'allez-vous entreprendre pour que l'on sache précisément - autrement que par des fuites - quelles charges pèsent sur les personnes incarcérées ?

E. G. - Effectivement, les audiences concernant un maintien en détention peuvent être publiques, mais il faut pour cela que la chambre d'accusation soit d'accord, ainsi que la personne mise en examen.

La réforme projetée étend cette possibilité de publicité à l'ensemble des audiences de la chambre d'accusation, et non plus au seul cas du maintien en détention.
Une personne mise en examen pourra ainsi faire valoir publiquement ses arguments autrement que par des publications plus ou moins hasardeuses. Le mot-clé en la matière est « transparence ».

D'autres dispositions sont susceptibles d'améliorer l'information sur les dossiers, notamment dès le placement en détention, qui pourra donner lieu à un débat public, sauf dans le cas où le juge en déciderait autrement. Les procureurs auront aussi la possibilité de communiquer sur les enquêtes en cours afin de « faire le point ».


(1) Intranet est un réseau interne aux entreprises et aux administrations sur le modèle d'Internet.