Texte intégral
Madame le Ministre,
Monsieur le Maire,
Monsieur le Premier Président,
Monsieur le Président,
Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec un réel plaisir, Monsieur le Président, que je me rends, pour la deuxième fois, en ma qualité de Garde des sceaux, au congrès annuel de votre fédération.
Pour les jeunes avocats, dont je connais le dynamisme et l’esprit d’entreprise, le choix de la ville de Biarritz me paraît particulièrement judicieux. En effet, le district de Bayonne – Anglet – Biarritz conduit, depuis déjà de nombreuses années, une politique particulièrement innovante résolument tournée vers l’avenir.
C’est toutefois en respectant l’histoire et l’héritage du pays basque que cette politique moderne et constructive est mise en œuvre.
Il doit en être de même pour votre profession.
Forts de vos traditions, il vous revient de construire votre avenir, avec détermination certes, mais également avec lucidité. Ces qualités vous permettront de combattre avec succès ceux qui nourriraient l’idée « baroque » de « vouloir la peau des jeunes avocats ».
Est-il besoin de vous assurer que telle n’est pas mon intention ?
Les questions que vous avez soulevées ne me paraissent pas du tout outrecuidantes et j’ai même l’impression d’être précisément là pour réfléchir au fonctionnement de la justice.
J’examinerai donc les différents problèmes que vous avez soulevés :
– ceux qui touchent aux conditions d’exercice de la profession d’abord : formation, périmètre du droit, questions fiscales ; ceux qui ont trait ;
– ensuite, aux moyens et à la modernisation de la justice ;
– enfin, aux moyens et à la modernisation de la justice ;
– enfin, je rappellerai l’action que j’ai menée depuis mon arrivée Place Vendôme, pour préparer, engager et réaliser des réformes de fond dans les domaines civil et pénal.
I. – Formation – Périmètre du droit – Fiscalité
A. – Formation
Commençons par cette importante question de la formation professionnelle.
Je sais que ce sujet constitue l’une des préoccupations majeures des jeunes avocats que regroupe votre association.
C’est avec raison qu’ils réclament une formation de qualité, d’autant plus que, comme vous l’avez souligné, celle-ci conditionne le succès de la nouvelle profession issue de la réforme du 31 décembre 1990.
Vous avez souhaité, monsieur le Président, que la question de la formation professionnelle des avocats soit, dans un proche avenir, définitivement réglée et cela à la seule initiative de la profession.
Pour ma part, j’incline à penser qu’en cette matière déterminante pour l’avenir, il convient d’agir avec autant de circonspection que de détermination.
Je tiens également à vous rassurer. Dans ce débat, la Chancellerie ne revendique aucune hégémonie.
Elle ne peut cependant en être absente dans la mesure où il lui reviendra d’élaborer, en étroite concertation avec la profession, les textes qui viendraient éventuellement modifier l’organisation et le contenu de la formation dispensée actuellement aux avocats.
Permettez-moi de vous faire part brièvement de mes réflexions sur ce sujet.
J’observe tout d’abord qu’après avoir connu des mutations importantes ces dernières années, et malgré une conjoncture économique difficile, votre profession conserve un attrait évident pour de nombreux jeunes diplômés en droit.
Il convient de mettre en parallèle cette hausse continu du nombre d'étudiants désireux d'embrasser la profession d'avocat avec la demande de droit, qui est elle aussi, en croissance continue. Il s'agit, à l'évidence, d'une tendance marquée de nos sociétés modernes.
Le développement du processus européen, qui accroît le rôle du droit dans nos sociétés, ne pourra que contribuer à son renforcement.
Par ailleurs, il suffit de comparer les effectifs des barreaux étrangers avec ceux du barreau de France pour constater que ce dernier n'est nullement pléthorique.
En effet, notre pays compte un juriste pour deux mille habitants alors que les États-Unis en comptent un pour cinq cents, la Grande-Bretagne un pour mille et l'Allemagne un pour mille deux cents.
Ainsi votre profession ne sera véritablement forte et compétitive qu'à la condition que ses effectifs soient suffisants pour répondre à cette demande.
Ceci ne nous interdit pas toutefois, de réfléchir ensemble sur les moyens de maîtriser les flux si cela apparaît comme une priorité pour l'ensemble de la profession. En effet, je n'ignore pas que la situation est critique pour certains centres de formation, notamment en région parisienne.
J'invite votre profession à approfondir la réflexion, en liaison avec la Chancellerie, sous l'égide notamment du conseil national des barreaux, dont la commission de la formation a accompli un travail remarquable, qui doit être poursuivi.
Mais la formation professionnelle doit avant tout garantir aux justiciables l'assistance d'un interlocuteur compétent et le cas échéant spécialisé.
En l’état actuel des textes, cette formation est organisée autour d’un axe commun correspondant aux deux domaines d’intervention de la nouvelle profession d’avocat : le judiciaire d’une part, et le juridique d’autre part.
Cette culture commune, qui constitue le fondement de votre profession, doit demeurer la règle pour l’accès au barreau.
Vous avez notamment suggéré, monsieur le Président, la création d’école interprofessionnelles du droit au sein desquelles seraient formés aussi bien les futurs avocats que les futurs magistrats ou encore les futurs notaires.
Ce rapprochement se trouvera encore renforcé par la possibilité qui sera offerte prochainement aux avocats, sous certaines conditions, d'accéder aux fonctions d'assistant de justice dans le cadre de leur stage.
Enfin en ce qui concerne la contribution financière de l'État à la formation professionnelle des avocats, qui vous tient beaucoup à cœur, je souhaite ici réaffirmer ma détermination à la défendre.
Et je puis vous assurer que la Chancellerie poursuivra son effort pour que le montant de l'aide de l'État soit adapté le plus possible aux dépenses mises à la charge de la profession.
Cet effort ne pourra toutefois pleinement répondre aux besoins de la profession que s'il est accompagné d'une action déterminée de tous les acteurs, et en premier lieu des avocats eux-mêmes.
Et c’est par votre action, c’est-à-dire, comme vous l’avez justement souligné, monsieur le Président, par votre capacité de proposition, d’initiative et d’adaptation, que vous saurez affirmer le rôle qui vous revient dans l’exercice de votre mission.
B. – Périmètre du droit
La loi de 1971 confère aux avocats – au même titre que les autres membres des professions juridiques réglementées – les plus larges prérogatives pour donner des prestations juridiques pour autrui, à titre habituel et rémunéré.
Ce faisant, cette loi n’a pas créé de monopole au profit de la profession d’avocat sur le marché du droit.
Elle a également habilité – au nom du respect des droits acquis – un certain nombre de professions non strictement juridique à exercer la consultation et la rédaction d’actes accessoirement à leur activité principale.
Je pense ici non seulement aux professionnels du chiffre, auxquels vous avez, monsieur le Président, fait référence dans votre intervention, mais aussi aux ingénieurs conseils, aux architectes, etc.
Il est vrai que l’application de ces textes qui encadrent ce qui est communément appelé le « périmètre du droit », a suscité et suscitera certaines difficultés.
Je dirais que celles-ci sont inhérentes à la rédaction des dispositions en cause.
Nos juridictions sont d’ailleurs en ce moment même saisies d’un certain nombre de contentieux relatifs à l’application de la loi. Comme l’arrêt de la Cour de cassation que vous avez évoqué, leurs réponses devraient contribuer à délimiter de manière précise les compétences respectives de chacune des professions concernées.
Mais je pense sincèrement que les difficultés que pose l’application du périmètre du droit doivent avant tout se régler sur les terrains de la compétence et du dialogue.
C’est ailleurs avec satisfaction que j’ai accueilli vos propos relatifs aux litiges vous opposant aux experts-comptables, et par lesquels vous prônez la complémentarité active plutôt que l’affrontement. J’ai, en effet, très souvent incité les professionnels à se rapprocher afin, qu’en privilégiant l’échange et la discussion, ils trouvent eux-mêmes des solutions concrètes aux difficultés pouvant survenir lors de l’exercice de leur activité.
Le temps me semble maintenant venu de définir la place de chacun, praticien du droit à titre habituel, ou professionnel appelé à intervenir dans le domaine juridique à titre accessoire.
Il s’agit en effet d’organiser entre eux un véritable partenariat et de coordonner leurs actions.
C’est précisément dans cet esprit que j’ai décidé de confier à une personnalité, que je désignerai prochainement, en liaison avec le ministre des Finances, le soin d’établir un état de lieux, et de me faire toutes suggestions ou recommandations utiles sur ce sujet.
Bien entendu, la question des qualifications juridiques requises pour l’exercice du droit à titre accessoire s’intégrera dans le cadre de cette réflexion.
Enfin, j’ai bien noté, monsieur le Président, vos préoccupations concernant la discussion en cours relative à la directive sur l’établissement des avocats. Je puis vous assurer que la Chancellerie et moi-même suivent cette question avec une particulière attention, afin de défendre, le moment opportun, la position qui semblera être la plus conforme aux intérêts de votre profession.
C. – Fiscalité
Vous avez également évoqué le problème de l'augmentation du taux de TVA ainsi que la question de la pression fiscale.
Dans ce domaine, le Gouvernement est aussi soucieux que vous de préserver la liberté et l'égalité d'accès à la justice.
Cette proposition, quoique opportune en équité, se heurte toutefois, comme vous le savez, à la 6ème directive TVA.
La marge de manœuvre du Gouvernement en matière de taux de TVA est par conséquent fort étroite.
D'autres pistes de réflexion sont donc à l'étude. Elles intéressent non seulement la question du taux applicable, mais aussi la possibilité de déduire de l'impôt sur le revenu les frais de procédure d'avocat, ainsi qu'un éventuel relèvement du plafond de l'aide juridictionnelle partielle.
Je tiens d'ailleurs à souligner que le ministère de la justice sera très attentif à ce que ces orientations, dont j'ai saisi très récemment le Premier Ministre, débouchent sur des mesures propres à concilier rigueur budgétaire et liberté d'accès à la justice, deux impératifs parfois perçus à tort comme nécessairement contradictoires.
S'agissant de la pression fiscale, c'est un sujet, comme vous le savez, qui préoccupe fortement le Gouvernement dans son ensemble. J'attends beaucoup, à cet égard, de la réflexion en cours menée par la commission installée récemment par le Premier ministre, sous la présidence de M. de la Martinière.
II. – Moyens et modernisation de la justice
Dans le prolongement de mes propos sur l'accès à la justice, je tiens à vous rappeler l'importance que j'attache au fonctionnement des juridictions. En ce domaine, l'effort entrepris au cours de ces dernières années doit être poursuivi.
Aussi ai-je arrêté pour la modernisation de justice un plan d’action déterminé, qui comporte trois objectifs principaux.
A. – La réorganisation des structures
Elle s’appuie sur la volonté de faciliter l’accès à la justice, de mieux comprendre aux besoins des justiciables, notamment dans les zones défavorisées, et donc d’améliorer le traitement de la demande croissante de justice. Le développement du guichet unique de greffe en est une illustration.
Cette réorganisation conduit également à une meilleure administration de l’institution judiciaire.
À cet égard, dans le cadre de la déconcentration, une réorganisation de l’administration des juridictions est intervenue, avec l’instauration, auprès des chefs de cour d’appel, de coordonnateurs.
Ceci doit permettre de définir une organisation type d’un service de gestion administrative dans chaque cour d’appel.
B. – L’évolution des méthodes
La diminution des délais de traitement et la recherche de mesures adaptées aux contentieux de masse sont des objectifs prioritaires.
Ainsi, la généralisation à tous les parquets du traitement en temps réel des procédures pénales représente une véritable prise en charge de la délinquance et apporte une réponse pénale plus rapide et mieux adaptée.
La création des audiences foraines permet, en assurant une meilleure présence judiciaire, sur le territoire, de mieux traiter les flux.
De plus, l’existence d’assistants de justice – il est prévu d’en recruter 200 en 1996, et à termes, près de 1 000 – et le développement du télétravail doivent contribuer à la nécessaire professionnalisation des magistrats ainsi qu’à une répartition mieux équilibrée des contentieux.
C. – Le développement des moyens
Au titre des moyens mis en œuvre, je rappelle que le budget 1996, en cours d’exécution, prévoit la création de 528 emplois, dont 60 postes de magistrat et 468 postes de fonctionnaire des greffes.
Je précise que compte tenu de la situation difficile des greffes, j’ai obtenu, toujours au titre du budget 1996, une mesure complémentaire de 3 000 créations d’emplois. Cela place le niveau des créations d’emplois de fonctionnaires largement au-delà de la stricte application du plan pluriannuel pour la justice.
Mais la modernisation de la justice ne peut s’envisager sans prendre en considération la gestion des hommes. L’identification des qualifications requises et la définition de profils de postes tant de magistrats que de fonctionnaires vont permettre une meilleure utilisation des compétences.
À ces mesures s’ajoute l’attention portée aux conditions statutaires et financières :
– réforme statutaire des conditions d’avancement et de mobilité des magistrats ;
– revalorisation des indemnités des magistrats et des fonctionnaires ;
– amélioration de la carrière indiciaire des fonctionnaires (catégories A et B).
Enfin, le développement des moyens s'accompagne d'une réflexion générale sur l'évaluation des charges de travail des magistrats et des fonctionnaires afin de concourir à une répartition objective et équitable des moyens en personnels et de servir ainsi de support au redéploiement des postes et des crédits.
III. – Les réformes de fond dans les domaines civil et pénal
Mais mon action a également porté sur des réformes de fond dans les domaines civil et pénal. La pause législative, que j'avais annoncée, ne devait pas conduire à ce qu'on élude les questions délicates et urgentes. Il convenait qu'elles soient, sans préjugé et avec détermination, évoquées, discutées, et réglées.
A. – En matière civile
La justice civile, c’est le contentieux de la famille, le contrat de travail rompu, le litige de la consommation, l’action en responsabilité contre le constructeur, le vice caché, le problème locatif, l’expulsion… Elle est au cœur des préoccupations de nos concitoyens, et c’est sur elle que pèse une demande en croissance exponentielle.
En arrivant Place Vendôme, j’étais conscient de cette situation difficile. J’ai veillé à ce que tous les objectifs fixés dans le cadre du programme pluriannuel pour la justice soient tenus, j’ai souhaité donner une autre dimension à l’œuvre entreprise pour redonner sa place à la justice.
C'est pourquoi, j'ai décidé de nommer une personnalité incontestable, le Président Jean-Marie Coulon, afin de rechercher les mesures propres à assurer les évolutions nécessaires, en lui accordant plus d'une année pour la mener à terme.
J'ai bien conscience d'avoir confié à ce haut magistrat une tâche considérable.
L'esprit de dialogue a guidé le Président Coulon qui, jusqu'à la mi-février, a procédé à une vaste consultation sans a priori ni exclusive. Il m'a d'ailleurs fait part de la richesse de votre contribution.
À la fin du mois de mars dernier, il m'a fait connaître, les lignes de force de ses travaux, et m'a remis un rapport d'étape, qui reste une réflexion interne et préparatoire.
Il poursuit actuellement sa mission dans le cadre des grandes orientations que j'ai approuvées et qui seront traduites dans des textes soumis, ultérieurement, à une large consultation.
Il me remettra en fin d'année un rapport complet à partir duquel j'engagerai la réforme que j'entends mener à bien, sans être au demeurant lié par ses conclusions, et je compte sur le dynamisme qui vous anime et sur votre force de proposition pour assurer le succès de la rénovation de la justice civile.
Je veux également évoquer, au titre des réformes en matière civile que je souhaite voir aboutir prochainement, la réforme du droit successoral, celle de la saisie immobilière ou de la copropriété.
B. – En matière pénale
J'en arrive maintenant à ce qui fait le plus souvent la Une : le droit pénal et la procédure pénale.
1. Le droit pénal
a) La responsabilité pénale des élus
Un nouveau code pénal est entré en vigueur le 1er mars 1994. Il n'en demeure pas moins que certains problèmes sont devenus particulièrement aigus depuis cette date.
C'est ainsi que les décideurs publics, élus ou hauts fonctionnaires, ont vu se multiplier les cas dans lesquels leur responsabilité pénale était engagée en raison de décisions administratives qu'ils avaient prises ou s'étaient abstenus de prendre, leur comportement étant à l'origine indirecte de dommages pour les personnes ou pour les biens.
Cette situation a conduit le Parlement à adopter récemment une proposition de loi modifiant l'article 121-3 du code pénal.
Il est prévu qu'en cas d'imprudence ou de négligence, ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité, la faute pénale n'existera pas dans les cas où l'auteur des faits a accompli toute diligence normale compte tenu de la nature de ses missions, de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il dispose.
Ce texte fait disparaître tout délit matériel de notre arsenal pénal. L'accusation devra maintenant, dans tous les cas, établir l'existence d'une faute.
b) Le blanchiment et le trafic des stupéfiants
Le Parlement vient aussi d'adopter le projet de loi sur le blanchiment d'argent et sur la confiscation des produits du crime, qui comporte deux séries de dispositions importantes.
La première concerne l'extension du délit de blanchiment qui portera maintenant sur les fonds provenant de toute activité criminelle ou délictuelle et non plus seulement du trafic de stupéfiants.
La seconde est relative à la création de deux incriminations nouvelles permettant d'améliorer la lutte contre le trafic de stupéfiants : celle qui réprime le fait d'avoir recours à un mineur pour accomplir les actes liés à l'existence d'un trafic ; et celle qui sanctionne l'impossibilité de pouvoir justifier de ses revenus alors même qu'on est en relation avec des personnes se livrant à des activités de trafic.
c) Le terrorisme
Le projet de loi actuellement en discussion au Parlement tend à renforcer le dispositif existant en matière de lutte contre le terrorisme.
Il complète la liste des infractions de droit commun qualifiées d’actes de terrorisme, lorsqu’elles sont commises en relation avec une entreprise de cette nature. Seront ainsi notamment susceptibles de constituer des actes de terrorisme, les infractions en matière de groupes de combat ou de ligues dissoutes, le recel de criminels, les faits d’acquisition, de détention, ou de cession d’armes ou de munitions, ainsi que l’aide à l’entrée, à la circulation, ou au séjour irrégulier d’un étranger.
S’agissant de l’aide au séjour irrégulier, j’ai proposé, par amendement, d’adopter une disposition, à insérer au sein de l’ordonnance de 1945, et donc de portée générale, tendant à instituer une immunité familiale au bénéfice des conjoints, ascendants ou descendants.
Le projet prévoir également d’incriminer de façon spécifique l’association de malfaiteurs constituée en vue de commettre un acte de terrorisme, et de renforcer les moyens d’investigation des services de police, en leur conférant notamment la possibilité, qui existe déjà en matière de trafic de stupéfiants et de proxénétisme, de procéder, sur autorisation du juge, à des perquisitions de nuit.
d) La coopération internationale et la justice pénale
En matière de coopération internationale, je vous indique que dans les prochaines semaines, le Parlement devrait adopter définitivement un projet de loi prévoyant les modalités de la coopération entre les juridictions françaises et le tribunal pénal international pour la répression des crimes contre l’humanité commis au Rwanda.
J’attache d’autant plus de prix à ce texte qu’il sera exemplaire dans la perspective de la création d’une cour criminelle internationale qui est actuellement à l’étude au sein de l’ONU.
2. La procédure pénale
Mon action a aussi porté sur l’adaptation de la procédure pénale.
J’ai confié une mission de réflexion à madame Michèle-Laure Rassat, professeur de droit pénal, afin qu’elle me fasse toutes propositions d’adaptation de la procédure pénale qui lui paraîtraient utiles, tant au plan de l’instruction des affaires, qu’en ce qui concerne leur jugement, ou encore l’application des peines.
Dans le même temps, des réformes législatives qui me paraissaient prioritaires ont été engagées.
a) La détention provisoire
Le Parlement examine actuellement un projet de loi, qui revoit le champ de la détention provisoire en prévoyant notamment une limitation du recours au motif d'ordre public.
Ce projet précise que la détention ne se justifiera que si le trouble causé à l'ordre public est exceptionnel, en raison de la gravité de l'infraction, des circonstances de sa commission et du préjudice qu'elle a causé.
Ce même projet introduit pour la première fois dans le code de procédure pénale la notion de « durée raisonnable » de la détention provisoire et élargit les pouvoirs du président de la chambre d'accusation en matière de référé-liberté.
Ces différentes innovations devraient permettre de mieux encadrer le recours à la détention provisoire, et ainsi de mieux faire entrer dans la pratique le principe selon lequel cette mesure privative de liberté est exceptionnelle.
b) La modification de l'ordonnance relative à l'enfance délinquante
Le projet de loi, actuellement en discussion, renforce l’efficacité de la justice pénale des mineurs, en accélérant la réponse judiciaire, notamment en ce qui concerne les mineurs qui ont déjà fait l’objet de plusieurs procédures auprès des juridictions pour enfants et dont la personnalité est déjà connue des magistrats.
Et j’ai tenu à ce que soit maintenu et renforcé, dans le cadre de ce dispositif, le rôle pour moi essentiel de la défense et du service d’action éducative auprès du tribunal.
Parallèlement à cette réforme, et dans le cadre du pacte de relance pour la ville, j'ai décidé la création de 50 unités à encadrement éducatif renforcé, 20 d'entre elles devant voir le jour à partir de septembre 1996. Il s'agit de petites structures destinées à accueillir 4 ou 5 jeunes en grande difficulté, avec une prise en charge individualisée, contraignante et continue.
c) La procédure criminelle
L'autre grand chantier législatif que j'ai engagé concerne la réforme de la procédure criminelle. Chacun se souvient de l'architecture générale du premier avant-projet que j'ai établi à l'automne dernier, fondée sur mon souhait de créer un double degré de juridiction en matière criminelle.
Face à certaines critiques sur les modalités de mise en œuvre de ce principe, j'ai décidé de faire approfondir la réflexion par un haut comité présidé par M. Deniau.
Ce comité m’a rendu, le 30 avril dernier, son rapport.
Depuis j’ai fixé les orientations sur la base desquelles un projet de loi sera déposé au Parlement :
1. L’ordonnance de règlement du juge d’instruction saisira directement la juridiction du premier ressort, dénommée tribunal d’assises, l’accusé comparaissant devant cette juridiction dans un délai maximum de 4 mois.
2. Le tribunal d’assises composé de trois magistrats professionnels et de quatre jurés tirés au sort, prononcera un jugement motivé, susceptible d’appel devant :
– Une cour d’assises composée dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, rendant elle-même un arrêté motivé, sur l’appel du parquet ou du condamné, la partie civile ne pouvant faire appel que sur les intérêts civils ;
– un enregistrement sonore obligatoire des débats devant la juridiction du deuxième degré pourra, en cas de pourvoi, être utilisé par la Cour de cassation aux mêmes fins que le serait une transcription, par sténotypie, systématique et intégrale des débats.
Vous voyez donc que les innovations déjà acquises ou à envisager à bref délai sont importantes, même si leur mise en œuvre ne clôturera évidemment pas la réflexion dans le domaine du droit pénal et de la procédure pénale.
Jeunes avocats – jeunes et avocats – vous obligez le ministre que je suis, à se poser une interrogation presque « existentielle ».
D’abord, parce que nous sommes le 16 mai – et je ne pense pas aux souvenirs historiques attachés à cette date –, mais parce qu’il y aura très bientôt un an que j’ai eu l’honneur d’être appelé à cette tâche de Garde des sceaux. Or, tous les anniversaires, – ces bornes du temps –, obligent à se retourner sur le chemin parcouru.
Et puis, je sais que j’ai devant moi, ici, ceux qui, dans des temps plus éloignés, connaîtront et vivront au quotidien la justice d’un autre millénaire… Pour eux, quelle justice aurais-je, moi le ministre de 1996, contribué à façonner ?
Il n’est jamais trop tôt pour préparer l’avenir et il est même bien souvent déjà trop tard !
Mais je refuse toute fatalité !
La justice française avait été affectée par la place qu'on avait voulu lui attribuer au sein de l'État : en faisant adopter par le Gouvernement, contre toute attente des mauvais augures, une réforme du décret sur le protocole, j'ai, d'emblée, signifié que ce grand pouvoir de l'État devait désormais retrouver son rang !
La justice française était troublée dans sa sérénité, inquiète pour son indépendance et défiante à l'égard des autres branches des pouvoirs constitutionnels.
Contre tous les pronostics du pessimisme et du catastrophisme : je me suis employé à restaurer les conditions de l'équilibre et de la confiance ; pour cela, j'ai d'abord voulu une application loyale et sans arrière-pensée de la réforme constitutionnelle réalisée, en 1993, par un Gouvernement (dois-je le rappeler ?) auquel j'appartenais ; et, pour lui donner son plein effet, j'ai, sans délai, rétabli la procédure de « transparence » pour les nominations.
De même que j'ai, tout de suite, dissipé toute équivoque sur les pouvoirs de la Chancellerie en fixant l'interprétation de l'article 36 du code de procédure pénale – et, je m'y suis tenu !
La justice française était passablement repliée sur elle-même et craintive bien souvent, à l'égard de son environnement social : j'ai voulu, à travers l'organisation des journées de la justice, première manifestation de cette ampleur, sans précédent comparable chez nous, rapprocher l'institution et les citoyens ; ils ont été au rendez-vous !
La justice française, on l'oubliait trop souvent, c'était aussi, à côté de la justice judiciaire, la justice administrative.
J'ai tenu, de manière constante et soutenue, à marquer fortement l'appartenance des juridictions administratives à la justice et j'ai affirmé en préparant un projet de réforme statutaire de grande ampleur, l'intérêt que j'attache à cet ordre de juridiction, qui est de plus en plus sollicité.
La justice française, c'est aussi ces institutions qui en sont le soutien et le prolongement nécessaires ; je veux parler de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'administration pénitentiaire.
Contre ceux qui avaient définitivement « baissé les bras » devant la délinquance des mineurs, j'ai lancé le défi d'une réforme de l'ordonnance de 1945, pour donner son plein sens et son plein effet à l'exigence de la primauté de l'éducatif – qui n'est ni répression à tous crins, ni abandon impuissant.
Contre ceux qui enregistraient passivement l’augmentation des statistiques carcérales, j’ai mis en œuvre un programme dynamique de maîtrise des flux, par l’impulsion donnée aux alternatives à l’incarcération, à l’exécution des peines en milieu ouvert et à la modernisation de l’outil pénitentiaire. Et, à la surprise générale, j’ai obtenu du Gouvernement cette mesure de justice et de raison – légitime reconnaissance de la mission pénitentiaire –, dont tout le monde m’assurait qu’elle était impossible : la bonification du 1/5e qui, pendant trente ans, avait agité les esprits !
Alors, je demande à tous les partenaires du monde judiciaire de ne plus s'épuiser en querelles stériles, mais, tout au contraire, de saisir, avec moi, la chance véritablement historique qui est la nôtre aujourd'hui, pour reconstruire une justice forte, une justice digne, une justice efficace et respectée, pilier de notre État républicain.
Notre patrimoine hérité de la République Française, capital indispensable pour construire l'avenir de la société.
Paraphrasant Malraux, je dirai que le 21e siècle sera juridique où il ne sera pas. Pour vous comme pour moi c'est un espoir.
C'est un rude combat. Je serai très heureux, il me paraîtrait plutôt légitime, qu'en plein respect mutuel, nous menions ce combat ensemble !